Vidéosurveillance: rions un peu avec Estrosi, et la LOPPSI
"Les caméras de vidéosurveillance descendent rarement de leurs poteaux avec leurs petits bras musclés", nous dit le Mr Sécurité de Sarkozy. Illustration à Nice, où les 624 caméras ont permis 213 interpellations, soit 0,37 par caméra et par an. Efficace.
En 1947, René Barjavel, précurseur de la science-fiction “à la française“, imagina pour l’ORTF un système de vidéosurveillance généralisé :
Savez-vous que peut-être demain les rues de Paris seront privées d’agents ? Il suffira qu’elles soient balayées par des caméras de télévision. A la préfecture des fonctionnaires attentifs surveilleront sur de multiples écrans la vie de la capitale…
Tiens, un voleur. On le poursuit vainement parce qu’il a de très bonnes jambes. Pourquoi d’ailleurs courir après lui ? On le voit si bien sur les écrans se sauver, prendre une rue à droite, une rue à gauche… Il suffira d’envoyer des agents à sa rencontre.
Interrogée par France Info, 63 ans plus tard, et à l’aune de l’adoption de la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI2), Sylviane Casanova, directrice de la sécurité et de la protection à la ville de Nice, ne dit pas mieux :
A l’heure actuelle, il y a un tel maillage que l’on arrive à suivre sur plusieurs kilomètres les auteurs d’infraction. Plusieurs caméras prennent le relais, les agents connaissent les réseaux de caméras et on suit les individus comme ça.
La dernière fois, on a interpellé une personne qui avait volé une sacoche 12 minutes après les faits, à plusieurs kilomètres du lieu de l’infraction. Sans le support des caméras, on n’aurait pas pu retrouver ces individus”.
Nice, “laboratoire sécuritaire du gouvernement”
Sous l’impulsion de son maire UMP, Christian Estrosi, Nice est devenue une sorte de “laboratoire sécuritaire du gouvernement“, avec ses 624 caméras de vidéosurveillance (soit une pour 600 habitants), qui balaient un champ d’environ 150 mètres, sur 360°, et qui ont coûté la bagatelle de 8,7 millions d’euros. Ce dont il se félicite, toujours sur France Info :
On sait de plus en plus à Nice que seuls les voyous ont à craindre pour leur liberté et pas les honnêtes citoyens et plus ça se saura et plus on prendra de précautions avant de nuire à l’intégrité physique de quelqu’un ou aux biens d’autrui”, se félicite le maire de Nice, Christian Estrosi.
“Ceux qui ont dû passer aux aveux à cause des images qu’ils n’ont pas pu nier sont nos meilleurs ambassadeurs en terme de communication parce qu’ils vont dire dans tous les quartiers : attention dans cette ville, on est filmé et à tous les coups on se fait prendre.
De fait, le taux d’élucidation aurait effectivement augmenté, mais pas dans les mêmes proportions. Car si la petite délinquance a baissé de 1,34% l’an passé, et que le nombre d’interpellations réalisées par la police municipale a doublé, passant de 900 à 1850 en 2010, “en revanche, les vols avec violence continuent à progresser, malgré la présence des caméras“, souligne France Info, qui relève même une “augmentation de 20% avec 2932 vols avec violence en 2010 contre 2437 en 2009.”
0,34 interpellations, par caméra, et par an
La vidéosurveillance est-elle vraiment efficace ?, s’interroge pour autant Nice Matin, relayant un chiffre relevé par Emmanuelle Gaziello (PCF), pour qui “le bilan semble faible, en matière de retour sur investissement : en 2010, il y a eu 16 400 atteintes aux personnes, et 185 interpellations grâce aux caméras de vidéosurveillance“.
Les statistiques de décembre sont tombées, et dénombrent, pour 2010, 17 670 “atteintes aux personnes“, 2059 interpellations effectuées par la police municipale, dont 213 “à l’aide des caméras de vidéoprotection“, soit… 0,34 interpellations par caméra, un taux trois fois moindre que celui relevé, à Lyon, par la Chambre régionale des comptes qui, s’étonnant de voir que les caméras ne permettaient, en moyenne, l’arrestation que de une seule personne par caméra et par an, en arrivait à la conclusion que “la vidéosurveillance coûte très cher et ne sert pas à grand-chose” (voir L’impact de la vidéosurveillance est de l’ordre de 1%). En comparaison, chacun des 280 policiers municipaux niçois ont, en moyenne, procédé à 7 autres interpellations chacun dans le même temps…
Les statistiques policières ne sont pas une science exacte, et on peut leur faire dire tout et son contraire (cf Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente, ou encore Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance). Il n’empêche : sur France Info, Eric de Montgolfier, procureur de la république de Nice, évoque de son côté un “demi-échec” :
Quand vous êtes victime d’une agression, s’il y a une caméra et que cela ne vous a pas empêché d’être victime, est-ce que vous serez consolé qu’on vous dise « il y avait une caméra, on va trouver l’auteur, » la victime restera victime…
Un système qui empêcherait les gens d’être victimes serait un bon système, mais un système qui ne permet que de trouver les auteurs, c’est un système de demi-échec, parce que l’infraction a été commise
Christian Masson, président de l’association “Un cœur pour l’Ariane”, un “quartier sensible” de la ville, parle quant à lui d’”échec complet” :
Il y a beaucoup d’angles morts et la petite délinquance en profite. On arrive toujours à trouver un endroit qui n’est pas couvert par le faisceau des caméras. C’est un échec complet alors que si on avait comme par le passé des policiers qui font des rondes, les gens se sentiraient plus en sécurité et il y aurait moins d’incivilités dans le quartier.
Cela n’a rien changé, on a eu des voitures qui ont flambé, il y a eu des agressions, en ville il y a eu aussi des gros braquages sans que les caméras permettent de retrouver les voleurs. Pour l’efficacité de la recherche policière, j’ai des doutes, en revanche, au niveau du coût on va s’en rendre compte, parce que tout cela revient horriblement cher.
Moins de gardiens de la paix, encore plus de caméras
Interrogé par France Info, Frédéric Guérin, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unité police SGP-FO des Alpes-Maritimes, s’interroge lui aussi sur la multiplication des caméras dans la ville, craignant de voir, à terme, les caméras se substituer à la présence policière :
Nos effectifs sont en baisse permanente parce que l’Etat a mis en place le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite, donc automatiquement nos effectifs baissent et on voit l’apparition sur Nice de plus en plus de caméras. Est-ce que les caméras vont finir par remplacer les policiers ?
En réponse à toutes ces critiques, Christian Estrosi vient d’annoncer que 100 policiers municipaux vont être embauchés cette année (ils seront 380, soit 100 de plus qu’en 2008), venant s’ajouter aux 60 agents (dont 10 handicapés) recrutés pour surveiller les 14 écrans de surveillance, 24/24, et que 100 caméras seront également rajoutées au dispositif, pour un budget supplémentaire de 3 millions d’euros…
On parie combien que le nombre d’arrestations, par caméra, sera proportionnellement encore plus faible l’an prochain ?
“Les caméras descendent rarement de leurs poteaux avec leurs petits bras musclés”
Christian Estrosi ferait bien d’écouter les spécialistes des questions de sécurité, à commencer par Alain Bauer, le Mr Sécurité de Nicolas Sarkozy (il est tout à la fois président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, de la Commission nationale de la vidéo-surveillance, et de la Commission sur le contrôle des fichiers de police) qui, interrogé sur France Inter le 30 juillet dernier au matin, juste avant que Nicolas Sarkozy ne prononce son désormais célèbre discours de Grenoble, remettait lui aussi en cause cette croyance aveugle dans les supposées vertus de la vidéosurveillance :
Bruno Duvic : Alain Bauer, est-ce qu’on a précisément mesurer quand les caméras de vidéosurveillance étaient efficaces et quand elles l’étaient moins ?
Alain Bauer : Oui oui, on a de très nombreuses études sur la vidéoprotection, essentiellement anglo-saxonnes, qui montrent que dans les espaces fermés et clairement identifiés c’est très efficace, mais que plus c’est ouvert et moins on sait à quoi servent les caméras, moins c’est efficace, pour une raison simple, c’est qu’elles descendent rarement des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs : la caméra c’est un outil, c’est pas une solution en tant que telle…
Bruno Duvic : …c’est un outil d’après coup
Alain Bauer : non non non, paradoxalement, c’est beaucoup plus compliqué que ça : pour tout ce qui est prémédité, la caméra est prise en compte par les criminels, et donc elle a un effet fortement dissuasif, mais pour tout ce qui est spontané, on agresse des policiers, mais la présence d’une caméra n’a pas plus d’efficacité que la présence d’un uniforme si on agresse un uniforme.
Quelques minutes plus tard, Nicolas Sarkozy confirmait, à Grenoble, son plan de déploiement de 60 000 caméras d’ici 2012 :
Mais qui peut penser que ce sont quelques îlotiers supplémentaires qui permettront d’éradiquer les caïds, les trafiquants et les trafics ? Nous avons besoin de nous rassembler pour montrer à cette minorité qu’elle n’a aucun espoir et que nous allons agir. Et il ne peut pas y avoir de naïveté et d’angélisme en la matière.
Je souhaite d’ailleurs qu’au-delà des divergences entre nous, nous nous rassemblions. La vidéosurveillance, la vidéo-protection, on en a besoin. Il n’y a pas les caméras de gauche et les caméras de droite. Il y a le fait que les délinquants grands ou petits craignent par-dessus tout d’être pris dans les images parce que ce sont des preuves judiciaires. Et par ailleurs, c’est la meilleure façon de protéger la police et la gendarmerie de toute polémique.
Notre président n’avait probablement pas, lui non plus, écouté son Mr Sécurité le matin même sur France Inter… On attend avec impatience le nombre d’interpellations recensées à l’aide des 20 000 caméras de vidéosurveillance prévues dans la LOPPSI2.
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Illustration : CC Leo Reynolds
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