Le monorail: une mono-solution à l’avenir des mobilités?

Le 7 mars 2011

Le monorail, c'est beau, c'est lisse, ça sent bon le futur mais globalement, c'est un mode de transport qui peine à s'imposer, nous rappelle Nicolas Nova.

Urban After All S01E07

Pour le touriste urbain à l’affût de curiosités, une bonne manière de découvrir le monde consiste à cibler uniquement les villes ayant tenté l’aventure du monorail. Il y a d’autres possibilités bien sûr, certains choisissent de visiter des sites étrusques, d’autres font des pèlerinages ou courent les antiquaires. Ce n’est pas mon cas. Ma tournée des grands ducs concerne en ce moment la découverte des agglomérations ayant opté pour ce moyen de transport.

Monorail à Panissières-Feurs (Loire, France), 1894

Historiquement, les premiers monorails sont apparus au 19e siècle avec divers projets parisiens, lyonnais ou londoniens. À chaque fois divers modes de traction étaient proposés, de la machine à vapeur au tractage par des chevaux. Tantôt posé sur un rail unique à Kuala Lumpur, tantôt suspendu comme à Wuppertal ou même dans un tube à vide comme le défunt Swissmetro, les divers projets ont tous une allure fascinante de prime abord. Mais l’élément le plus fascinant dans l’histoire des monorails c’est son faible succès dans l’histoire des moyens de transport, et surtout le mythe qui l’entoure.

Séville : où sont les rails ?

Si l’aéroport de San Francisco ou les casinos de Las Vegas possèdent de beaux spécimens, c’est à Séville en Espagne que j’ai fait une rencontre qui m’a laissé perplexe. De passage en terres andalouses, j’avais prévu d’aller inspecter les restes du quartier de l’Exposition Universelle 1992 pour retrouver la trace du monorail construit spécialement pour cette époque. Situés sur un territoire immense sur une rive du Guadalquivir, les divers pavillons de l’Expo étaient ainsi reliés entre eux par ce moyen de transport aussi futuriste que certains des éléments exposés : une fusée Ariane IV, un satellite spatial et un superbe pont conçu par l’architecte Santiago Calatrava. Sur place, en janvier 2011, le décalage avec cette vision est de taille. Comme on le constate sur les photos suivantes, il ne reste plus guère que des stations en ruine, de la végétation hirsute et une absente flagrante de rails. Quant au véhicule, on n’en parle même pas.

Une discussion rapide à bas de Direct Message sur Twitter avec des amis espagnols plus tard me fait vite comprendre que le monorail de Séville a été récupéré et remonté dans un centre commercial de Zaragoza plus au Nord. Ne reste plus que les stations, sortes de cicatrice à ciel ouvert d’un idéal passé. L’Expo 92 terminée, le monorail n’a pas fait long feu, dans un quartier sans gros flux de population.

Un Graal urbain

Quel intérêt de parler d’un monorail absent vous direz-vous ? Tout simplement car cet exemple incarne encore plus que les autres le lien entre les monorails et les échecs urbanistiques. Cet appareil mobile fait partie de ces Graal que l’on voit surgir régulièrement quand on imagine le futur de la ville. C’est presque sans surprise qu’on retrouve ce serpent de mer dans le projet de Grand Paris de Christian de Portzamparc de 2009. Lisse, souvent aérien, aux formes épurées et en général de couleur blanc, il représente peut-être encore plus que les trams ou les métros une espèce de mobilité sans friction. Son déplacement très lisse sur un rail unique le rend a priori beaucoup plus noble que les moyens antérieurs. Car le monorail c’est l’affranchissement de la roue, c’est faire disparaitre une technique de transport séculaire. Et c’est donc s’offrir le futur !

Il fait tellement partie de l’imaginaire futuriste qu’on pense qu’il est plaisant ou engageant pour les citoyens (avec les voitures volantes et autres jetpacks). Pourtant, malgré des implantations sur différents continents, il reste un moyen de transport considéré comme inefficace. Il semblerait que le frein principal à son développement provienne de la complexité des aiguillages. Ce qui explique pourquoi les monorails se retrouvent plutôt dans des contextes très spécifiques et comme mode de transport à part (aéroports, casinos, villes de taille moyenne). Donc des endroits dans lesquels il y a peu d’interconnections et de combinaisons de lignes.

Les Simpsons : "Marge versus the monorail"

“Est-ce que le rail peut s’écrouler ?” demande Homer Simpson

Hormis les études techniques et urbanistiques sur les aléas du monorail, c’est dans la culture populaire que l’on trouve des perles sur le sujet. Je pense en particulier au fameux “Marge versus The Monorail” dans les Simpsons. Dans cet épisode, la ville de Springfield se retrouve tout d’un coup avec une manne financière imprévue. La population réunie au milieu de la ville passe en revue les projets potentiels pour améliorer son quotidien… et un bonimenteur de passage séduit tout le monde avec un projet de monorail :

Voici le monorail de Springfield ! J’ai vendu des monorails à Brockway, Ogdenville et North Haverbrook. Et grâce à moi, elles sont sur la carte ! [Lyle Lanley, le bonimenteur]

Je continue à penser qu’on aurait dû faire réparer la Grand-Rue. [Marge]

Désolé, m’man, la foule a parlé. [Bart]

Le monorail installé, c’est évidemment Homer Simpson qui en devient le pilote… même si sa femme Marge rappelle qu’il y a des enjeux plus importants. Mais la “sagesse des foules” a parlé, il faut la contenter et proposer un moyen de transport dont l’attrait est évident à tout le monde. Suite à une panne, le monorail accélère dangereusement et la seule solution pour l’arrêter consiste à jeter une ancre dans un gros donut. La morale de l’histoire à la fin de l’épisode nous dit alors :

Ce fut la dernière folie dans laquelle s’engagea la ville de Springfield. Excepté le gratte-ciel en bâtonnets d’esquimau. Et la loupe géante de 15 mètres de haut. Et l’escalator qui ne mène nulle part.

Cet épisode des Simpsons me fournit un exemple clé en main que j’utilise régulièrement dans mes cours de sociologie de l’innovation. Il fait en effet ressortir plusieurs leçons classiques sur le sujet de la diffusion des techniques : l’agent de changement extérieur (le bonimenteur qui vante que les autres “le font”), l’imaginaire positif dans la foule (véhiculé par des représentations populaires), la réception mitigée des réfractaires (Marge, Lisa) clamant l’inanité de l’innovation et l’interruption de l’aventure après un essai. S’il fallait imaginer la suite à l’épisode, on aurait plus qu’à ajouter un monorail dans l’aéroport de Springfield pour montrer que dans un contexte plus simple il aurait pu fonctionner. Mais nous ne sommes pas scénariste des Simpsons et leur ville n’a de toute façon aucun aéroport.

Aller puiser dans d’autres imaginaires des espoirs nouveaux

Des ces exemples de monorail, on peut finalement retenir deux points majeurs. D’une part, ils montrent la manière dont ce moyen de transport est positionné comme solution a priori pour les problèmes de mobilité urbaine, et ce malgré des échecs répétés et des demi-succès. Si “c’est le futur” alors c’est ce qu’il nous faut et on ne se pose pas la question des mérites, des limites ou des enjeux d’un tel dispositif. D’autre part, et c’est encore plus fascinant, la récurrence de ces projets de monorails doit être prise comme un symptôme de la panne des imaginaires urbains que Philippe décrivait il y a peu sur pop-up urbain. C’est là qu’il faut prendre le contrepied du “yesterday’s tomorrow”, ces représentations du futur nous venant du passé, il est temps d’imaginer d’autres formes possibles ou d’aller puiser dans d’autres imaginaires des espoirs nouveaux…

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

Image CC Flickr LimeBye

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