2012: comment UMP et PS rebootent leurs idées pour la présidentielle

Le 27 mars 2011

A l'approche de l'élection présidentielle, les deux grands partis repartent à la chasse aux propositions: diplomates déçus et groupes de travail au PS, think-tanks de droite et clubs politiques à l'UMP. Petite radiographie des boîtes à idées.

Une petite pointe de fierté dans le sourire, Christian Paul, député PS de la Nièvre, vante le projet de loi instaurant un « bouclier rural » qu’il a présenté à l’Assemblée nationale jeudi 24 mars au matin :

C’est le premier “produit dérivé” du travail sur le projet socialiste.

Responsable du « Lab » du parti chargé de préparer la base programmatique pour 2012, c’est face à son alter ego de l’UMP que le socialiste est monté à la tribune. Le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire est chargé depuis janvier dernier de mener les concertations au sein de la majorité pour accoucher de la plate-forme de candidature à la présidentielle. En dehors de l’étiquette “boite à idées”, les deux responsables politiques ne partagent rien : ni la méthode, ni le niveau d’avancement du projet.

PS-experts-citoyens: le programme à trois voix

Il faut dire que Christian Paul a une certaine avance. Au lendemain de l’élection de Martine Aubry à la tête du parti et après avoir «mangé le pain noir» du changement de direction, les universités de La Rochelle et le Tour de France qui s’en suit marquent le début d’une nouvelle méthode de recherche d’idées. Christian Paul:

Nous sommes allés voir auprès des Français où se situaient les attentes pour constituer d’abord un projet de société, avant de faire un catalogue de proposition. C’est à ce moment-là que nous avons notamment perçu que l’identité nationale était un mauvais débat et que le fond de l’impatience était dans la visibilité de l’économie, de la société… Ce qui préfigurait la percée du FN sur les thématiques sociales.

L’occasion également d’embarquer dans la caravane les chercheurs et experts n’ayant pas déserté le parti pour préparer l’élection présidentielle.

Seul aux commandes du Lab après la démission de Lucile Schmid, partie se présenter aux régionales à Vanves sous l’étiquette Europe écologie, Christian Paul orchestre la « remise au travail » du secrétariat national et commence par balayer la démocratie participative qui avait prévalu comme mode de remontée d’idées pour 2007 :

Un rapport citoyen politique d’où l’expertise serait exclue serait la ruine de l’esprit ! Nous avons besoin de faire dans le travail programmatique ce que font beaucoup d’élus dans leur travail de contact avec les citoyens.

Quatre pôles travaillent de concert pour faire émerger les idées :

  • au siège, rue de Solférino, avec les permanents, dont une bonne moitié de moins de 35 ans recrutés après 2007 ou repérés pendant la campagne ;
  • sous la direction de cadres spécialisés, des conventions thématiques avec consultation et vote dans les sections : égalité réelle (Benoît Hamon), international (Jean-Christophe Cambadélis), etc.
  • le Lab où Christian Paul organise (parfois en présence de Martine Aubry) des consultations et auditions sur les différents volets du programme ;
  • les Forums des Idées où les propositions issues des étapes précédentes sont présentées aux militants, amendées, débatues…

De «nouvelles expertises» disponibles dans le corps diplomatique et préfectoral…

Au centre du lien entre le national et le local, le processus d’amendements est très encadré par l’appareil : soumises au vote dans les sections, les propositions sont remontées au niveau fédéral avant d’être transmises à Solférino. Un tamis qui laisse de gros paquets passer, comme l’a constaté Valerio Motta, responsable de la Cellule numérique du PS:

Sur l’international, nous avons eu plus de 300 amendements. Et sur le forum égalité réelle, nous étions pratiquement au delà de 900.

Avant de les rendre publiques, l’équipe web opère l’indexation transversale des propositions sur le site, afin de rendre chaque point de programme disponible accessible sans passer par le « chapitrage » des forums des idées.

Longtemps critiqué pour sa « légèreté » sur les volets sécurité et diplomatie, le Parti socialiste a aujourd’hui trouvé une manne d’interlocuteurs. Un phénomène qui amuse le patron du Lab :

Le passage de Bernard Kouchner a scandalisé une partie du corps diplomatique : il y a maintenant beaucoup d’expertise disponible ! Et encore, nous n’avons pas encore idée de l’Etat dans lequel Michèle Alliot-Marie a laissé les fonctionnaires du Quai d’Orsay.

Autre point de focalisation de ce « trauma du sarkozysme », le corps préfectoral, historiquement acquis à la droite, se serait fissuré sous les coups irrespectueux de Brice Hortefeux.

Le passage de Bernard Kouchner a rendu "disponible" une expertise diplomatique dont le PS profites pour élaborer son projet. Et ce sans compter le passage de Michèle Alliot-Marie au Quai d'Orsay...

Sans forcément aller chasser sur les terres de l’UMP, Christian Paul ratisse large. En plus de l’expérience locale des élus, il consulte les acteurs des différents secteurs sans distinction et ne fait pas mystère de ses entrevues : pour le Forum des biens communs du 4 mai prochain (énergie, transports, biens numériques et eaux), il s’est tourné vers le socialiste François Brottes sur le volet énergie mais aussi vers Jean-Luc Touly, militant pour l’eau publique et membre d’Europe écologie, sans négliger de rencontrer les PDG de Veolia et de Suez ou les groupes de travail formés pour l’occasion. Un « écosystème » digne d’une commission parlementaire. Ou d’un ministère en formation, le cas échéant.

A l’UMP, le Club des Clubs des cadres

Côté majorité présidentielle, la transparence est moins de mise : prévue un mois avant la rencontre du PS sur les biens communs, la Convention UMP sur la laïcité du 5 avril n’a pas encore de liste d’invités officiels. Bien que moins foisonnant que celui du PS, l’organigramme du «projet 2012» à l’UMP est sensiblement plus opaque.

Monté au lendemain de 2007 comme centre de production des argumentaires, le «pôle des études» a été placé sous la direction de deux anciens membres du groupe UMP à l’Assemblée ramenée au parti par Jean-François Copé : Emmanuelle Robin-Teinturier, fidèle au maire de Meaux depuis le ministère du Budget en 2005, et Marc Vanneson, qui avait fait ses armes chez Publicis Consultants, qui assistent aux réunions menées par le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire, accompagné de quelques conseillers élyséens.

Après le départ d’Emmanuelle Mignon (véritable machine à idées de la campagne de 2007) de l’Elysée fin 2009, Nicolas Sarkozy a pris son temps avant de désigner un nouvel agitateur de concepts pour 2012. Il a attendu l’échec des régionales de 2010 pour placer en orbite ce normalien et énarque en tête du dispositif.

De son côté, le responsable projet organise des rencontres avec des spécialistes de tous ordres… Contacté par OWNI, son secrétariat n’a pas donné suite à nos questions sur l’identité de ces mystérieux interlocuteurs, mais nous a confirmé un déjeuner en début de semaine avec une vingtaine de parlementaires UMP. 2012 n’était pas au menu : le ministère consultait des élus de zones rurales en vue d’une présentation de projet de loi sur l’agriculture et faisait le service après vente des cantonales pour le parti majoritaire.

Pas facile de renouveler le programme de 2007 après 4 ans à le défendre comme la réforme dont la France avait besoin

En « soutien » de sa recherche personnelle, Le Maire peut compter sur une nouvelle formation : le Conseil des Clubs et des Thinks tanks. Réuni pour la première fois le 18 janvier à l’initiative de Jean-François Copé, cet organe interne d’échange et de concertation sur le projet de 2012 réuni plus de 30 organisations : fondations de droite, des gaullistes sociaux aux libéraux du Hudson Institute (proche du club du patron de l’UMP) et des clubs de réflexion des différents cadres (comme Le Chêne de Michel Alliot-Marie ou Dialogue et initiative, le club de Jean-Pierre Raffarin). Une auberge espagnole dont voici le plan de table (non exhaustif) :

  • Cercle Nation et République
  • Cercle Turgot
  • Démocrates et Populaires
  • Dialogue et initiative
  • Fondation Concorde
  • Fondation Pour l’Innovation Politique
  • Fondation Robert Schuman
  • France.9
  • France République
  • Génération France
  • IFRAP
  • Institut Economique Molinari
  • Institut pour la Justice
  • Institut Turgot
  • La Droite Populaire
  • La droite sociale
  • Le Chêne
  • La Droite rurale
  • Le Club 89
  • Le Labo des idées
  • Le Nouveau Siècle
  • Les Progressistes
  • Les réformateurs
  • Nouvelle République
  • Nouvelle Société Civile
  • Réforme et Modernité
  • Les IDees.fr
  • Club des droits de l’homme
  • UJP
  • CERU
  • Fondation Konrad Adenauer
  • FAES
  • Cercle d’Outre-Manche
  • Policy Exchange
  • Hudson Institute
  • Institut Bruegel
  • Center for Policy Studies

A côté du « laboratoire d’idée et d’échange pour 2012 », Copé ne cache pas l’objectif d’unifier les différents mouvements « internes » à l’UMP. Occupé à maintenir le rythme des réformes initiées par le président de la République, Bruno Le Maire voit le patron de l’UMP rogner sur ses plates-bandes de son élaboration de projet… Une preuve de la difficulté du pouvoir à renouveler ses propres idées quand revient l’heure du scrutin.

Pas évident de remettre en cause, ne serait-ce qu’à la marge, un projet que Nicolas Sarkozy annonce encore en cours de mise en place. Résultat : lancé il y a quelques jours, le site Projet-UMP.fr enchaîne les catégories vides : éducation, famille, croissance… dont certaines n’ont même pas encore reçu un seul commentaire ! Quant aux grands thèmes lancés par le chef du parti au moment de la création du Club des Think tank, ils restent juste assez vagues pour laisser les militants remplir les vides :

La réflexion sera structurée autour de 3 grands thèmes : le courage (réhabilitation de la valeur travail…), le rassemblement (pacte républicain, sécurité, laïcité…) et l’ouverture au monde (enseignement…).

Pas sûr que la réutilisation de la réhabilitation de la valeur travail, alors même que la défiscalisation des heures supp (clef de voute du travailler plus pour gagner plus) a été critiquée par tous ceux qui ont analysé ses effets, notamment la Cour des comptes. Un choix même un peu risqué quand on voit la façon dont les problématiques sociales, à commencer par le chômage, ont orienté les derniers scrutins. Malgré les efforts désespérés du gouvernement pour balayer l’actualité d’un revers de main, les thèmes sont déjà là, où l’UMP refuse de les voir : prix des denrées alimentaires, énergie (avec notamment la question du nucléaire), emploi… Pas sûr qu’un seul ministre suffise à lever toutes les idées qui manquent.

Photos : Sylvain Lapoix.

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