Mark Suppes, l’homme qui fusionne des atomes dans son garage

Le 3 avril 2011

Le chercheur Mark Suppes s'adonne à un loisir bien particulier, qui pose in fine la question de l'alternative à la technique utilisée actuellement dans les centrales. Rassurez-vous, ce n'est pas un savant fou.

Mark Suppes et son Fusor.

Musique, voyages et fusion nucléaire

Depuis l’été 2010, Mark Suppes doit souvent rassurer les voisins de l’entrepôt qu’il a investi à Bedford–Stuyvesant : “ne vous inquiétez pas, je ne ferai pas exploser Brooklyn.” Les travaux de ce trentenaire hyperactif, chercheur obsessionnel et entrepreneur compulsif inspirent tantôt la crainte, tantôt l’espoir mais toujours l’étonnement car son petit hobby et sa grande passion, c’est la fusion nucléaire.

Un soir de juin dernier, Mark Suppes est prêt à mettre en route son Fusor, ou plus précisément son Farnsworth-Hirsch Fusor du nom d’un autre autodidacte dont les bidouillages ont conduit aux premières expérimentations en fusion nucléaire et à l’invention de la télévision. Ce Fusor, Mark l’a construit lui-même à partir de pièces détachées qu’il a majoritairement achetées sur eBay.

Le Fusor est un petit réacteur à fusion qui fonctionne selon le procédé de confinement électrostatique. Le nom est barbare mais la méthode est assez simple : on injecte dans une chambre à vide les atomes de deutérium qui serviront de combustible, on augmente le courant électrique afin que les atomes deviennent ionisés formant ce que l’on nomme un plasma. Ce plasma se trouve alors confiné dans le centre de la chambre à vide et si l’on a un peu de chance des atomes se rapprochent et la fusion prend.

Et ça a pris ! A la suite de l’expérience, la capsule de fluorine scotchée sur la paroi du réacteur porte les stigmates du passage d’un neutron émis lors d’une fusion. Même s’il ne va pas faire sauter New York, il n’est pas illogique de s’inquiéter de la dangerosité du dispositif :

Dans cette installation, c’est le courant à haute tension alimentant le réacteur qui est le plus dangereux. Quand on s’attelle à la fusion, il y a quand même quelques précautions à prendre et des consignes de sécurité à suivre. Pendant l’expérience je me suis éloigné du réacteur afin d’éviter les neutrons ou les rayons X, même s’ils ne sont émis qu’en faible quantité.

La minuscule bulle d’air prisonnière de la fluorine atteste que la réaction a bien eu lieu et intronise Mark dans la communauté restreinte des amateurs ayant réalisés une fusion atomique. Déjà en 2006, Thiago Olsen – alors âgé de 17 ans – avait mis en émoi l’équipe enseignante de son lycée et le département de la santé du Michigan en réalisant une fusion dans le labo de physique. Mark est le trente-huitième mais n’est déjà plus le dernier membre en date. C’est que la liste a tendance a rapidement s’allonger.

Fusion vs Fission

Force est de constater que la fusion fascine. Sur la plateforme fusor.net, les “fusionnistes” se retrouvent pour partager méthodes, plans et projets. La communauté grandit lentement mais sûrement et des clubs bourgeonnent désormais dans les garages du monde entier. Les amateurs mènent leurs propres expériences en parallèle de celles des scientifiques – les vrais, les durs – qui tentent depuis les années 1950, de dompter les atomes autrement.

Pour remettre tout cela en contexte, la fission est tout comme la fusion, une réaction nucléaire. La fission consiste à briser un atome lourd tel que l’uranium ou le plutonium en atomes plus légers. À l’inverse la fusion, se produit quand deux atomes légers comme l’hélium, le deutérium ou tritium (isotopes de l’hydrogène) s’assemblent pour former un atome plus lourd.

Aujourd’hui, nous savons comment casser des noyaux atomes pour produire massivement cette énergie que nous utilisons avec gloutonnerie. Toutefois, l’histoire et l’actualité du Japon nous obligent à regarder la vérité en face : nous brisons bien plus que des atomes, que nous cherchions délibérément à nuire ou que nous persistions vainement à nous croire maîtres et possesseurs de la nature.

Les États sont souverains dans le choix de leurs options énergétiques et les politiques en œuvre sont très contrastées à l’échelle mondiale : certains n’ont pas eu à se poser la question, d’autres ont pris la décision de s’en passer, d’autres encore de tenter de s’en passer, et les derniers, lourdement équipés, vont certainement devoir prendre leur responsabilités. La France avec ses 80 % d’énergie provenant du nucléaire – un triste record mondial – fait partie de ceux-là.

Ces derniers temps, les dangers de l’énergie nucléaire nous sont cruellement rappelés chaque fois qu’une information émane de la centrale de Fukushima, faisant de la recherche d’autres moyens de production énergétiques autant une nécessité qu’une gageure.

À l’instar de Mark Suppes, un nombre croissant de spécialistes pensent qu’une des meilleures alternatives au nucléaire n’est autre que le nucléaire. Ils voient ainsi dans la fusion un moyen à long terme de remplacer la fission.

Lorsque j’ai découvert sur YouTube une conférence sur la fusion nucléaire donnée par Robert Bussard lors d’un Google Talk en 2006 [vidéo, en], j’étais entrepreneur depuis dix ans. Tout ce que j’avais tenté de mettre en place avait échoué au fil des années. Je ne cherchais pas spécialement à me lancer dans un nouveau projet mais j’étais curieux et bien disposé. En l’écoutant j’étais fasciné : il parlait d’énergie nucléaire abondante, propre et à faible coût. Sa méthode s’opposait non seulement à la fission tout en divergeant des recherches actuellement en cours dans le domaine de la fission. Tout ce qu’il disait m’a semblé vraiment plausible. Même si à ce moment là je n’y connaissais strictement rien en physique, son discours faisait sens. J’y ai vu la première idée véritablement excitante dans le domaine de l’énergie.

Sur le papier – car ce sont bien de vieilles feuilles jaunies que Robert Bussard a projeté lors de cette intervention – l’idée est séduisante, élégante et dissidente. En effet il existe en théorie plusieurs types de combustibles utilisables, de réactions possibles et de méthodes envisageables pour bâtir les réacteurs qui les contiendraient.

Au-delà de ces divergences sur lesquels nous reviendrons, les pro-fusion se retrouvent sur les grandes lignes quand il s’agit d’argumenter. Ils vantent les avantages du contrôle de la fusion nucléaire pour la production d’électricité en les confrontant à celui de la fission et de toutes les nocivités qui la caractérisent.

À quantité de combustible égale la fusion serait bien plus puissante ; elle engendrerait trois à quatre fois plus d’énergie que la fission. Il y aurait suffisamment de combustible pour combler nos besoins énergétiques pendant quelques centaines de milliers d’années et, en fonction du combustible sélectionné, il n’y aurait pas ou peu de déchets radioactifs. Pour couronner le tout, la fusion ne ferait pas encourir des risques de réactions en chaine incontrôlées et incontrôlables.

La raison pour laquelle l’ensemble est au conditionnel, c’est que tout cela reste purement théorique. Les bémols sont nombreux car si la fusion de noyaux atomiques est un phénomène anodin dans le soleil et les étoiles qui constellent le ciel, ce n’est pas du tout le cas sur notre bonne vielle Terre.

La possibilité d’un réacteur

Quand on demande à Mark comment fonctionne la fusion nucléaire sa réponse surprend par sa franchise, et peut-être est-ce son statut d’amateur qui le dispense de langue de bois :

On me pose souvent cette question mais je suis bien embêté quand il s’agit d’y répondre. Je suis capable de vous expliquer comment marche un Fusor qui permet d’aboutir à une fusion, et j’ai ma petite idée sur le mécanisme d’un Bussard qui fournirait de l’énergie grâce à la fusion… Mais ni moi, ni personne ne sait vraiment comment ça fonctionne… D’ailleurs, le véritable problème est là : ça ne fonctionne pas ! Si j’étais capable de construire une machine permettant de générer et d’utiliser de l’énergie grâce à une fusion nucléaire je la construirais en ce moment même. Pour le moment nous ne savons pas la mettre en œuvre, mais nous ne cessons d’y tendre par nos expériences.

Quand Mark dit “on”, c’est à la communauté des passionnées qui bricolent dans leur garage qu’il fait référence mais à l’ensemble des fusionnistes mettant dans le même panier les amateurs et les scientifiques qui planchent depuis des dizaines d’années sur la construction de réacteurs de fusion thermonucléaire.

Le contrôle de la fusion nucléaire est perçu comme un enjeu considérable et nombreuses sont les nations de par le monde investissant temps et argent dans sa recherche et son développement. Cette recherche, comme nous l’avons dit précédemment, s’engage dans plusieurs directions. Celle qui a le vent en poupe auprès des gouvernements s’incarne dans les Tokamaks, des immenses structures expérimentales de confinement magnétique visant à contrôler le plasma. À ce sujet, le projet ITER est exemplaire et l’on note au passage que trois jours après l’accident de Fukushima la plateforme science.gouv.fr republiait un dossier datant de 2008 intitulé La fusion contrôlée, le rêve du nucléaire propre.

Ce Réacteur Thermonucléaire Expérimental International en construction à Cadarache dans le sud de la France a pour objectif de “démontrer la faisabilité scientifique et technologique de l’énergie de fusion, et d’ouvrir ainsi la voie à son exploitation industrielle et commerciale”. France, Japon, Chine, Corée du Sud, Russie et États-Unis sont engagés depuis des années, l’Inde a rejoint un peu plus tard, le Brésil et le Kazakhstan ne demandent qu’à rallier l’équipe déjà constituée.

Cette “expérience scientifique à très grande échelle” à un coût proportionnel. Estimée à 12,8 milliards d’euros pour la construction, 5,3 milliards pour les vingt années d’exploitation, 280 millions pour la période de cessation d’exploitation et 530 autres millions d’euros pour le démantèlement : la note prévisionnelle d’ITER est salée et le sera peut-être encore plus.

Un joli rêve

Si la théorie est communément admise, c’est encore sa faisabilité technique qui est testée avec ITER, en faisant donc un prototype et non pas un véritable réacteur capable de produire de l’énergie. La fusion nucléaire implique de grandes contraintes que nous ne savons pas encore résoudre.

Par conséquent, les attaques fusent. Il faut d’abord convoquer de grandes quantités d’énergie afin de déjouer les forces qui repoussent naturellement les noyaux atomiques les uns des autres et rapprocher suffisamment les atomes pour provoquer une fusion. Bien plus d’énergie que la fusion ne génère en retour. Le fameux “break-even”, le point de rentabilité énergétique, se dérobe encore.

Un Tokamak n’est pas non plus capable de produire la quantité de chaleur adéquate pour qu’opèrent des réactions aneutroniques de type PB-11 (Proton – Boron 11). Les réactions envisageables impliqueraient du deutérium et du tritium libérant des neutrons à grande vitesse. Il faudrait donc parvenir à constituer des matériaux spécifiques pour bâtir des enceintes de confinement capables de résister aux flux de ces neutrons et espérer que les bobinages supraconducteurs seront capables de tenir le choc pendant la durée de vie du réacteur, ce que des scientifiques comme feu Pierre-Gilles de Gennes mettent en doute.

Enfin, beaucoup blâment les sommes investies dans ces projets perçus comme “des gouffres à fric” monumentaux et pensent que si jamais les machines atteignent un jour le point de rentabilité énergétique, elles ne parviendront jamais celui de rentabilité économique.

Pour résumer, si parvenir à construire les structures et à rassembler les conditions adéquates pour générer une fusion relève de l’exploit dans un garage, sa mise en œuvre industrielle n’est clairement pas pour demain. Personne n’oserait fanfaronner en annonçant une date précise pour une production significative d’énergie par ce moyen. Nombre de scientifiques ayant connu avec enthousiasme les débuts de la recherche en fusion nucléaire s’en sont détournés, abandonnant ce “joli rêve qui n’est pas prêt de se réaliser » pour reprendre une phrase de Georges Vendryes (directeur honoraire des applications industrielle du CEA) à propos d’ITER.

Le Tokamak de Varennes, une initiative canadienne qui s'est finie en 1999.

Les Tokamaks et la volonté de Bussard

Robert Bussard était lui aussi très critique envers les Tokamaks. Il blaguait qu’en quarante années de recherche, le seul enseignement qu’on avait pu en tirer était qu’ils ne fonctionnaient pas. Il est tout aussi sévère envers les gouvernements investissant à tire-larigot dans cette technologie. Il avait d’ailleurs salué l’initiative du jeune Thiago Olson : “Ce gamin étudie de la physique bien plus utile que celle pour laquelle le gouvernent américain dépense des millions.”

Mais contrairement à Georges Vendryes et tant d’autres, Bussard n’a jamais cessé de croire qu’il arriverait à réaliser son rêve de son vivant. Plus qu’un projet de laboratoire, la fusion était pour lui la quête d’une vie. Il s’est battu jusqu’à son dernier souffle, mais sans succès, pour trouver des financements essentiels à la construction de son réacteur communément appelé Bussard ou Polywell.

Né dans les années 20, Bussard a dévoué sa vie entière à la fusion, rêvant aux grands projets que celle-ci pourrait fournir à l’humanité : une énergie propre et propice aux missions spatiales. Malheureusement pour lui, ses projets ont souvent suscité plus d’engouement dans le monde de la science-fiction que dans celui de la science ; dans Star Trek tous les vaisseaux sont équipés d’un Collecteur Bussard les propulsant grâce à la fusion d’atomes d’hydrogène directement prélevés dans l’espace interstellaire.

Une décennie plus tard, il s’active sur des Tokamaks pour le gouvernement américain mais abandonne l’affaire, désenchanté. Pour le bon mot, il dira que c’était perdu d’avance : travailler sur des plans russes en pleine guerre froide était forcement une mauvaise idée. Il monte alors sa propre entreprise, EMC2, afin de se consacrer à la construction d’un réacteur alternatif : ce fameux Polywell.

Même s’ils tendent vers le même but, les Tokamaks et les Bussards ne s’appuient pas sur les mêmes procédés explique Richard Nebel [en], dirigeant de EMC2. Le Bussard est un réacteur hybride utilisant à la fois confinement magnétique et électrostatique tandis que les “les Tokamaks sont des instruments qui n’emploient que le confinement magnétique. L’avantage de notre système c’est que nous obtenons facilement de très hautes températures. Par contre, nous luttons pour avoir de fortes densités, ce qui n’est pas un problème pour les Tokamaks : ce qui est difficile pour nous est simple pour eux, et vice versa. Mais nous pensons que notre concept est bien meilleur et ce pour plusieurs raisons : ce système hybride utilise le PB-11 (Proton – Boron 11) comme combustible et qu’il ne produit aucun matériel radioactif. Il est compact et peu onéreux à développer et à exploiter – il ne requiert pas d’énormes budgets de développement comme c’est le cas pour les Tokamaks.”

Une fois encore tout est question de proportions : plus petit qu’un Tokamak le cœur d’un Polywell mesurerait quand même 3 mètres de diamètre ; moins cher qu’un Tokamak, il implique quand même de pouvoir poser 200.000 dollars sur la table.

Pendant près de onze ans, c’est l’US Navy qui a financé les recherches de Bussard mais son silence sera une des conditions sine qua non du deal : le scientifique ne publiera rien sur ses avancements pendant toute cette période. Bussard enchaîne essais et erreurs, ses ressources s’amenuisent. Elles arrivent à leur terme quand sa dernière machine s’autodétruit. Le labo est démantelé faute de budgets. En lisant a posteriori les données de cette ultime expérience Bessard est persuadé qu’il a touché au but.

Il n’a alors plus qu’une obsession : trouver des investisseurs. Nous sommes en 2006, Bussard sort de l’embargo imposé par la Navy et présente ses recherches à des colloques et même à l’occasion d’une Google Talk qui sera filmée et postée sur Youtube. En appuyant sur play, Mark Suppes va complétement changer de vie.

La rencontre

L’étrange rencontre de Suppes et Bussard aussi peu probable qu’elle soit (entre un profane et un scientifique, entre un vivant et un défunt) n’est a posteriori pas si étonnante. Les deux hommes partagent certains traits de caractère.

Ils ont en commun la patience et le calme pour supporter la pression des dysfonctionnements et des échecs, l’ambition et la volonté d’aller toujours plus loin dans leur travaux, la confiance si ce n’est la foi dans leur projet pour tolérer les ricaneries et les découragements passagers, l’humilité et l’abnégation essentielles pour se savoir toujours ignorant et en quête, le verbe piquant pour contrer les attaques ou les provoquer, l’impérieuse nécessité de poursuivre une grande idée et de s’engager viscéralement pour tenter de la mettre en œuvre.

Je suis parvenu à faire une fusion en construisant un Fusor mais je veux désormais passer à l’étape suivante en construisant un Polywell, qui n’est finalement qu’une version améliorée du Fusor.

Mark poursuit donc désormais les travaux et les rêves de Bussard. Pourtant rien ne le destinait vraiment à s’impliquer corps et âme dans le domaine de la fusion nucléaire.

Quand j’ai vu cette vidéo, je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser. C’est devenu une obsession. Pendant un mois je n’ai pas arrêté d’en parler à mes amis et j’ai fini par ouvrir un blog. Je pensais qu’il n’y aurait qu’un post, un seul et unique. Puis je me suis mis à désigner, via un logiciel CAD, un réacteur à fusion en métal qui pourrait être imprimé via une imprimante 3D. À ce moment là, j’ai su que j’étais complètement pris par ce projet et que je ne pourrais pas revenir en arrière.

Son blog [en] fait partie intégrante de sa recherche, à la fois carnet de bord et plateforme d’échange. Il y poste ses idées et ses avancements. L’ensemble de son projet est open source. Tout un chacun peut ainsi avoir accès à ses codes, ses plans, ses idées et ses doutes mais aussi lui donner des avis ou des conseils. “Je sais que de véritables scientifiques lisent mon blog, explique-t-il, certains même me laissent des commentaires. Pourtant je ne sais pas vraiment ce qu’ils en pensent. Pas forcément du bien, cela doit être assez désagréable de voir un amateur disqualifier vos efforts.

Un amateur qui commence à être assez spécialisé donc ! Son agenda est déjà défini et n’a rien à envier à celui des vrais scientifiques.

Je réplique actuellement une expérience menée par une équipe de chercheur australiens. Joe Khachan [en] a construit un réacteur Bussard à bobines de cuivre. Je m’y essaie à mon tour et mène des essais cinétiques. J’envisage d’ailleurs d’écrire un papier à ce sujet et j’espère qu’il sera publié par une revue scientifique. Mais ce n’est qu’un pas parmi d’autres. C’est bien de se faire la main en reproduisant des choses qui ont déjà été faites avant de se lancer dans ses propres aventures. La prochaine étape, et pas des moindres, sera de mettre au point un réacteur Bussard agrémenté d’aimants supraconducteurs. Ce genre d’aimant est utilisé dans les Tokamaks. Si cela fonctionne je ne serai pas seulement le premier amateur mais le premier homme a en avoir créé un. L’idée n’est pas de moi mais personne n’en a jamais réalisé auparavant. J’ai déjà construit une Magrid en acier inoxydable (une sorte de polyèdre formé par des rouleaux de métal), il me reste à m’atteler aux bobines en cuivre. Grâce à ce procédé la fusion pourrait perdurer indéfiniment et nous pourrions l’étudier à volonté.

Mais Mark reste un amateur qui s’auto-finance et qui doit de fait mettre sporadiquement ses projets sur pause. Régulièrement, il lâche ses bobines pour le turbin : pendant les trois prochains mois, il développera des des applications web pour une boîte. Sa passion à un coût non négligeable, il lui avait fallu rassembler 35.000 euros pour construire son Fusor et avait obtenu presque 4.000 euros de la part d’investisseurs privés via Kickstarter [en].

L’amateur

Les avantages des uns sont les inconvénients des autres, et vice versa. L’image est pertinente quand elle met en exergue les différences entre un Tokamak et un Polywell et elle sied tout autant quand il s’agit de distinguer la posture du scientifique de celle de l’amateur. Chacun à ses contraintes, le scientifique a des deadlines, des objectifs fixés par d’autres, des financements appropriés, des résultats à présenter, des gens à satisfaire. L’autre n’est jamais vraiment considéré comme légitime et doit toujours faire ses preuves, s’interrompre momentanément quand le compte en banque est vide mais il sait parfois aller très loin avec des dispositifs qui ne coûtent rien et ne paient pas de mine. Il a aussi l’opportunité de choisir ses propres défis ce qui les rend généralement audacieux mais accessibles et souvent accomplis.

L’amateur a aussi l’opportunité de changer de posture, de “jouer” au professionnel. Mark souhaite par exemple publier dans des revues ne comportant que des textes de scientifiques. Si jamais cela se produisait nous serions ravis pour lui, mais personne ne pardonnerait à un professionnel de se comporter comme un amateur. L’amateur a un autre temps et un autre espace pour manœuvrer à sa guise : il jouit aussi des marges, des chemins de traverse, des sillons déjà tracés qu’il peut suivre ou qu’il peut bouder pour s’enfoncer dans les orées, n’ayant d’autres contraintes que son propre enthousiasme et sa curiosité.

Il ne faut pas oublier que les découvertes majeures ne sont pas arrivées par inadvertance mais parce que le scientifique confronté à cet évènement a eu les connaissances mais aussi le temps et la curiosité pour le considérer. La véritable chance de l’amateur c’est qu’il a le luxe de perdre du temps, le privilège d’attendre et sa véritable force, c’est qu’il est celui qui n’est jamais attendu.


Illustrations Flickr AttributionNoncommercial quinnums, AttributionNoncommercialNo Derivative Works Marylise Doctrinal et AttributionNoncommercialNo Derivative Works cstmweb

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