Hacker, ce fantasme cathodique

Le 15 avril 2011

Ce vendredi soir, France4 diffuse Pirat@ge, bouffée d'air frais dans l'inconscient télévisuel collectif qui était jusqu'alors pollué par des portraits caricaturaux. Antoine Mairé fait une synthèse de ce qu'était le hacker vu à la TV.

Il aura fallu attendre ce vendredi soir. Une heure et quart de documentaire pour voir combler une attente, celle de voir la pratique du hacking traitée avec nuance. Dans Pirat@ge, diffusé ce soir sur France4, il est retracé trente ans d’avancées technologiques aussi bien que de dérives hors des lois, illustrant la complexité du hacker. Un bouffée d’air frais dans l’inconscient télévisuel collectif. Jusque là, le héros originel, né à la fin du siècle dernier, était davantage ce copieur de CD devenu ensuite créateur de virus. Dans les rédactions, il a été naturel de portraitiser les auteurs de la cyber guerre russo-estonienne de 2007, d’actions de grande envergure comme Wikileaks ou Anonymous, ou d’intrusions aléatoires dans les systèmes de sociétés. Passons à la loupe cinq reportages.

- “Les cyber-criminels”, Envoyé spécial, France 2, mai 2009

- “Les guerriers du web”, Première, septembre 2009 (Canada)

- “Les nouveaux pirates de l’informatique”, Spécial Investigation, Canal+, septembre 2010

- “Assange ou démon ?” et “Internet : l’arme fatale”, Complément d’enquête, France 2, février 2011

Comme les titres le laissent penser, il s’agit surtout de s’intéresser aux hackers qui profitent des failles de systèmes informatiques à des fins pernicieuses. Afin de résumer clairement leurs propos, rassemblons les témoignages, assertions et conclusions, pour répondre à cette question : qu’est-ce qu’un hacker d’après les reportages télé ? Portrait-robot. (attention, pour les besoins de l’enquête, toutes les citations n’ont pas été modifiées)

Il n’a pas de visage

Le hacker est flouté. Il est né avec une peau nébuleuse, la voix distordue, et marche toujours vu de dos. Bien entendu, il s’agit de protéger les témoins, a fortiori quand ils marchent sur le fil tendu de la loi. Le réalisateur de Pirat@ges a préféré éviter ce genre de plan :

“Il a fallu sacrifier des séquences à cause d’un rendu trop allusif. On voulait voir des visages et dire des choses qu’on pouvait montrer sans détourner la caméra. Avec le hacking, on est confronté avec la difficulté de bien mettre en images. Et quand on veut répondre à la question “qui sont ces gens ?, on veut vraiment montrer qui ils sont !”.

Il est adolescent

Interviewés dans Spécial Investigation, Olivier, Sylvain et Damien, ont entre 17 et 22 ans, et aiment porter des sweat-shirt à capuche. Il font partie de “la génération jeux-vidéo”, donc ils sont jeunes, même si la pratique à 30 ans. “Un gamin aurait pu créer” Blaster, virus au centre de l’attention des “Guerriers du Web”, d’ailleurs “la majorité des pirates, ce sont des gamins” nous dit-on.

Il n’est pas adolescent

Carl de “Internet : l’arme fatale” est un “étudiant de moins de trente ans”. Roycetrack de Spécial Investigation a 25 ans.

Il n’est pas particulièrement doué

“Pour Roycetrack, le piratage est un jeu d’enfant” dans Spécial Investigation. Le pirate n’a d’ailleurs jamais étudié l’informatique. Ainsi tire-t-il ses compétences de “forums ouverts à tous”. Seuls Carl et les témoins russes d’Envoyé Spécial sont des “génies du net”. Le niveau “hacker débutant” est confirmé par une scène dans laquelle un concours pour cracker les antivirus est organisé, où “certains participants sont loin d’être des grandes pointures de l’informatique”. De toute façon, d’après des scientifiques interrogés dans Spécial Investigation, la technologie pour pirater des cartes est “à la portée de n’importe quel voyou.”

Il pirate pour s’amuser

Pour Sylvain de Spécial Investigation, “c’est un jeu”. Et la voix-off d’appuyer : “Ce matin, pour s’amuser, ils ont décidé de défier la police”.

Il fait des choses pas très bien

“Internet : l’arme fatale” s’intéresse à un collégien clermontois condamné pour avoir mené une attaque des Anonymous. Il est décrit comme “un cyber-zorro qui pourrait être sympathique, dont la cause pourrait être noble”. Une assertion qui pourrait ne pas être orientée. En retour plateau, Benoît Duquesne est pugnace face à Henri Guaino, mais lui tend une perche amicale : “les principes des hackers, vous les condamnez n’est-ce pas ?”. C’est pas joli joli ce qu’ils font n’est-ce pas ? Allez, dites-moi oui Henri.

Il est un peu politisé

Roycetrack “se dit activiste, défendant des causes politiques.” Les ados à capuche sont décrits comme “des anars d’un nouveau genre” et tiennent un discours politique (bien que légèrement formaté) : “Le ministère de la culture s’est illustré dans la lutte, enfin Hadopi et tout ça, ils veulent nous éradiquer mais on veut leur montrer qu’on est là”. L’éthique libertaire et démocratique ? Le projet social contre le protectionnisme économique ? Les idées de Carl sont, certes, clairement mises en avant. Mais le danger est plus agréable à illustrer. Où se trouvent le plaisir, même égoïste, et la passion, même destructrice ? Au diable : l’avarice est supérieure semble dire ces reportages, et l’argent, la fin de tous leurs talents.

Il est riche

Tous les pirates présentés disent gagner entre 5 000 et 15 000 euros de leurs magouilles. D’après Première, “ces dernières années, les vilains garnements ne sont plus le problème : tout tourne autour de l’argent”. La raison d’être des pirates ? Voler des codes de carte bleue. L’augmentation de la cyber-criminalité, “certains la comparent au trafic de drogue”. On attend encore les millions de morts dus à des virus informatiques… Le piratage égal au trafic de drogue, vraiment ?

Il a un pas dans l’illégalité

Pour les besoins des reportages, les témoins exécutent des piratages. Avant de se voir retourner dans Complément d’Enquête : “vous savez que vous êtes hors la loi là ?”. Comme si le journaliste s’attendait à se voir répondre “ah bon ? Je ne savais pas, merci d’être passé”. Quand Carl parle de contre-pouvoir, réalisant une veille latente contre les irrégularités de gouvernements, la voix-off résume cela par un “pouvoir de nuisance”. “Pas de pitié pour ces militants du net” continue la voix, manquant de laisser transparaitre un rire machiavélique. Que les actions soient non violentes ? Quelle question, c’est illégal m’enfin ! Étrange discours quand, interrogé, l’auteur du reportage inquiétant, minimise :

Je n’ai pas cherché à tenir un discours anti-hackers, je ne les considère pas comme des personnes particulièrement dangereuses, me rangeant par ailleurs du côté de leur désir de transparence.

Il est armé

Leur arme [aux ados à capuche], une petite antenne très puissante achetée à l’étranger.

Il est dangereux

“On pourrait tuer quelqu’un en un clic” raconte l’un des ados à capuche au moment où il a le pouce posé sur l’icône fatidique “Redémarrer le système du parc informatique d’un hôpital”. Il ne le fera pas, “mais ils ne sont pas toujours aussi conciliants”.

Il fait peur

En 2003, une gigantesque coupure de courant immobilise Toronto. Officiellement, c’est un dérèglement accidentel, mais un virus informatique pourrait en être la cause. Rien n’a été prouvé, “la question reste en suspens” dit la voix off des “Guerriers du web”. Mais cela file les jetons, c’est le principal. A fortiori dès lors que Mary Kirwan, consultant en sécurité, prend la parole :

Quelqu’un réussira [un jour] à accéder aux systèmes et faire des ravages, nous ne serons plus en mesure d’accéder à notre banque en ligne, de passer des coups de fil et d’allumer la lumière. L’économie va s’arrêter.

Changez de mot de passe, changez de banque, changez de visage, rien n’y fera, car on va tous mourir.

Il est pirate, ou hacker, ou les deux, on ne sait plus

Quand “Cyber-criminels” part sur les traces de l’un d’eux, nommé Corpse, les reporters se rendent en Russie, le pays “où les hackers sont rois”. J’amalgame, tu amalgames, il amalgame. D’autant plus que, hacker ou cyber-criminel, la frontière est mince : “on peut sans trop d’ennui passer de simple bidouilleur technique à cyber-criminel.” Pour nous aider à tracer la frontière, Première résume :

Les chapeaux blancs, ce sont les gentils, ils chassent les virus ou sont vos collègues du service informatique. Les chapeaux noirs, les créateurs de virus ou les filous qui essayent de vous voler votre carte de crédit. Les chapeaux gris, mangent à tous les rateliers, des mercenaires de ce far west.

Il a une conscience

Dans Spécial Investigation, les ados à capuche appellent l’hôpital cracké pour les prévenir de la faille informatique. Voilà un exemple de pirate sensible aux répercussions de leurs actes. On ne sait rien pour autant de l’évolution des technologies que les hackers ont permis. Des dizaines de minutes passées à expliquer comment ils détruisent auraient pu être agrémentées d’exemples d’hackers améliorant les mêmes systèmes. Elles auraient pu. Exemple : une conférence du Chaos Computer Club explique comment créer son propre réseau de téléphone. Est-ce une performance technique ? Une avancée technologique, pouvant pousser à l’amélioration des systèmes ? Ou rendre public leurs avancées pour mettre à mal le crime organisé ? Peu importe, c’est illégal pour Envoyé Spécial.

Il est inconscient

Les ados à capuche “prennent leurs escroqueries à la légère”. Pour Première, “quand on met la main sur les auteurs, on découvre la plupart du temps qu’ils agissaient pour s’amuser, pour épater leurs copains. Bien souvent, ce sont des gosses qui n’ont aucune idée de ce qu’ils font”.

Il fait des choses qu’on ne comprend pas

L’image préférée du réalisateur de “Les Guerriers du web” est faite de lignes de code, de matrices et numéros qui se suivent à grande vitesse. Ils sont trop forts ces hackers, dont “l’univers est un monde louche”. Toutes les captures d’écran ci-dessous proviennent de ce documentaire.

Ces images de science-fiction sont l’image de coupe parfaite pour ce type de reportages. Etienne Rouillon s’en amuse : “on les a évitées autant que possible. On a finalement mis deux images de matrice, on n’a pas pu s’en empêcher. C’est évidemment un raccourci illustratif, symptomatique de la difficulté de rendre à l’image la pratique du hacking.”

Julian Assange est son dieu vivant

Dans Complément d’Enquête, on parle d’Assange (à charge). On parle de militantisme, de talent, de passion, de paranoïa, d’autoritarisme, de malice et d’intelligence. Bref, d’un être complexe et forcément un héros pour les passionnés d’informatique comme Carl qui se réclame du fondateur de Wikileaks.

Il est parano

“Il y a les flics derrière, bougez pas, bougez surtout pas” paniquent Sylvain et Damien après avoir piraté un site gouvernemental. Benoît Duquesne : “Qu’Assange soit parano, est-ce que c’est propre à ces gens qui sont sur Internet ?”. Ces gens qui sont sur Internet… Faut vous dire monsieur, que chez ces gens-là, on ne vit pas monsieur, on triche (avec la loi). La personne interrogée répond que oui, lui, activiste du net tunisien sortant d’une révolution, est inquiet d’être surveillé. Un peu plus tôt dans le reportage, il était évoqué l’enfance trouble d’Assange et de sa mère traquée par une secte, ce qui aurait encouragé ses instincts paranoïaques. Comment ça ? Sa paranoïa ne viendrait pas de sa passion numérique ? Peut-être qu’il ne fait pas partie de ces gens-là.

Certains traits de ce portrait-robot sont contradictoires ? Peut-être est-ce une preuve que le pirate n’est pas toujours celui qu’on aimerait voir. Yvan Martinet, réalisateur de “Internet : l’arme fatale” se défend d’avoir généralisé : “quand je fais le portrait de quelques-uns d’entre eux, je m’intéresse à des cas particuliers, ne disant pas qu’ils sont représentatifs.” Les voix off aux airs de Stentor n’aident cependant pas à se créer une vision nuancée.

Ce qui intéresse les télés est moins les enjeux diplomatiques ou économiques des piratages que de pointer du doigt les auteurs. Il est certes moins porteur de filmer un conflit informatique, des attaques de DDoS et la passion d’experts au discours abscons (ils parlent avec des termes anglais) qu’un petit génie aux cheveux gras manipulant des lignes de code. La recette télégénique est évidente : un nerd, un écran d’ordinateur difficile à comprendre et une voix off anxiogène. Vous avez votre reportage.

Photo FlickR CC AttributionNoncommercialNo Derivative Works purplemattfish

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