Les poissons mutants de Sanofi

Le 26 septembre 2011

Une étude scientifique révèle la pollution des rivières par l'industrie pharmaceutique. Démonstration dans le Puy-de-Dôme, où une usine Sanofi fabrique des hormones mais aussi des poissons mutants en rejetant ses déchets dans la rivière d'à côté.

Une étude scientifique à paraître dans l’édition du mois de novembre de la revue Environment International [en] confirme la pollution des rivières françaises par l’industrie pharmaceutique. Les recherches ont été menées par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Et ont pris pour cas pratique une rivière coulant aux abords d’une usine Sanofi implantée dans le Puy-de-Dôme. Le site, basée sur la commune de Vertolaye, produit des hormones et des stéroïdes.

Les scientifiques ont réalisé plusieurs prélèvements au fil de l’eau, en amont et en aval de l’usine. Et ils relèvent des troubles incontestables : présence de perturbateurs endocriniens dans l’eau (influant sur les hormones) ; malformations sexuelles observées chez les goujons à l’abdomen hypertrophié ; taux de goujons intersexués (organes sexuels difficiles à déterminer) allant jusqu’à 80% en aval de l’usine ; et déclin de la densité de poissons.

Un chercheur qui a participé à l’étude de terrain confie même qu’il a rarement vu une rivière aussi dépeuplée. « Si le problème persiste, on pourrait assister à une diminution voire une disparition de certaines espèces », analyse Wilfried Sanchez, l’auteur de l’étude.

Du goujon venu d’une autre dimension

Hervé Maillard, responsable de l’usine Sanofi depuis mars 2011 insiste sur les difficultés rencontrées pour endiguer le phénomène :

On est en train de chercher l’équivalent d’un sucre dans une piscine olympique. De plus, seuls les goujons sont pour l’instant victimes de malformations (…) Peut-être que notre activité a un impact, c’est pour ça que nous mesurons nos rejets et investissons plusieurs millions d’euros par an pour les réduire.

Le phénomène des goujons au gros ventre était déjà constaté dans un rapport datant de 1996 réalisé par le Conseil supérieur de la pêche (CSP). « Au départ, on pensait que c’était dû à des retards de ponte chez les femelles », indique William Sremsky de l’Office nationale de l’eau et des milieux aquatiques (l’Onema).

Mais le problème subsiste. En 2000, des goujons présentant des malformations similaires sont de nouveau pêchés. L’information est transmise à la Direction départementale des services vétérinaires. Dès 2003, l’usine mise en cause par des associations de défense de l’environnement promet de réduire ses émissions d’hormones dans le milieu aquatique.

Pourtant, il faudra attendre 2007 pour que la situation se débloque. L’Onema signale une nouvelle fois le problème aux services de l’eau. Une étude visant à rechercher des pathologies chez les poissons est alors lancée. En 2008, la prise de conscience s’accélère. « Avec le Grenelle de l’environnement, les mentalités ont changé », estime Daniel Vigier, Président de la Fédération départementale pour l’environnement et la nature et Vice-président du Comité de surveillance de l’usine Sanofi (Clic) créé en 2005. Un arrêté préfectoral interdit la consommation des poissons de la rivière Dore ainsi que l’abreuvement du bétail. La même année, le ministère de l’Environnement mandate l’Ineris pour analyser le phénomène. Un comité de suivi de l’étude regroupant institutionnels, associatifs et scientifiques est chargé de gérer le problème.

Le goujon transgenre s’installe

Et au cours de l’année 2011, les rapports d’étape de l’étude de l’Ineris provoquent la signature d’un nouvel arrêté préfectoral obligeant Sanofi à faire mesurer ses rejets par un cabinet indépendant et à trouver une solution pour les réduire. Les expérimentations sont toujours en cours et les premiers résultats tomberont à la fin de l’année.

Au plan du droit, il n’existe pas à ce jour de loi limitant les rejets de ce type de substances. Le site est pourtant classé Seveso seuil haut, soumis à la réglementation européenne Reach sur les produits chimiques, certifié ISO 14001 et fait partie des Installations classées pour la protection de l’environnement (Icpe). Mais en l’absence de règles sur les rejets de substances pharmaceutiques, cet arsenal législatif et sécuritaire est peu efficace. L’article 232-2 du Code rural et le Code de l’environnement indiquent bien qu’il est interdit de polluer l’eau mais, sans précisions, cette mesure reste lettre morte, comme une loi sans décrets d’application.

À Vertolaye, associations de protection de l’environnement et direction de l’usine cherchent déjà des solutions, avec l’espoir de servir d’exemple. Daniel Vigier doute pourtant qu’une évolution rapide survienne.

Tant qu’il n’y a pas de risque humain avéré personne ne réagit. La moitié de la faune et de la flore peut disparaître, ce n’est pas grave, les conséquences se mesurent uniquement en victimes humaines et en indemnisation que l’entreprise devra verser.

Si ce vide juridique et scientifique n’est pas comblé, usines pharmaceutiques, stations d’épuration et hôpitaux pourront continuer à recracher des substances médicamenteuses actives sans être contraints de modifier leurs comportements.

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