Sans doigt ni droit

Le 23 novembre 2011

Une note interne de l'Office des réfugiés montre un nouveau durcissement, visant les demandeurs dont les empreintes digitales sont "altérées". L'initiative va diminuer la portée de récentes décisions de justice qui renforçaient les droits des demandeurs d'asile.

Dans une note interne dont OWNI a obtenu copie, le directeur de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) demande aux officiers d’opposer des refus à tous les demandeurs d’asile ayant “pris le parti d’altérer délibérément l’extrémité de leurs doigts”. Donc : de se brûler au feu ou à l’acide, ou de s’entailler au rasoir ou avec des morceaux de verre le bout des doigts. Jean-François Cordet, directeur général de l’Ofpra écrit :

Cette absence manifeste de coopération place en définitive l’Office dans l’impossibilité de se prononcer en toute connaissance de cause (…) Par conséquent, vous voudrez, bien, pour toutes les demandes d’asile en cours relevant de ce cas de figure, statuer sans tarder par la prise d’une décision de rejet.

La lettre type de refus est jointe au document (voir ci-dessous). Exit les demandeurs d’asile aux doigts “délibérément altér[és]“, que les associations appellent “les doigts brûlés”.

Auxiliaire de justice

“L’Ofpra adopte l’attitude de la préfecture. Il devient l’auxiliaire de la justice” réagit Jean-Pierre Alaux, le responsable du droit d’asile de l’ONG Gisti qui défend les droits des immigrés. A l’Ofpra, Pascal Baudouin, directeur de cabinet, se défend de restreindre les droits des demandeurs d’asile :

Ce n’est pas sur ce motif que le directeur a pris cette décision. Il s’est basé sur l’augmentation du nombre de cas de fraudes à l’identité (…) Depuis plusieurs mois, nous avons observé un phénomène nouveau des demandeurs d’asile qui s’altèrent les doigts pour que leurs empreintes ne soient pas exploitées dans Eurodac.

Eurodac est un fichier européen qui recense les empreintes digitales des demandeurs d’asile. En vertu de la procédure dite de Dublin II, les demandes d’asile doivent être déposées dans le premier pays qui a pris les empreintes du demandeur. Ces pays sont généralement à la périphérie de l’Union Européenne : la Grèce, mais de plus en plus la Slovénie et la Bulgarie, connaissent un très grand nombre de demandes d’asile dont très peu sont acceptées. En se mutilant les doigts, les demandeurs d’asile tentent d’échapper à ces mesures de renvoi dans le premier pays d’entrée, anti-chambre vers le pays d’origine.

Continuellement, un feu est gardé allumé. Il permet de chauffer l’eau, mais également d’y faire brûler des barres en fer avec lesquelles les migrants se mutilent le bout des doigts pour effacer leurs empreintes digitales.

Interrogé sur la nouveauté d’un phénomène dont la presse s’était fait l’écho dès septembre 2009, Pascal Baudouin reste évasif :

Des rapports de préfectures nous ont alerté de l’augmentation de cette pratique.

Sans être en mesure de nous préciser de quelles préfectures il s’agissait, hormis “la préfecture de Paris”, ni du nombre de cas observés.

Nouveaux droits

La note du directeur de l’Ofpra tombe à point nommé après d’importantes décisions juridiques depuis le début de l’année. Toutes ouvraient des droits aux demandeurs d’asile, dont certains sont aujourd’hui restreints par les nouvelles consignes de l’Ofpra. En janvier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) avait condamné la Grèce pour ne pas avoir hébergé un demandeur d’asile. Les magistrats avaient considéré qu’il s’agissait de “traitements inhumains et dégradants”, soit une violation de l’article trois de la Convention.

En France, la plus haute juridiction administrative s’est prononcée à deux reprises en juillet et août dernier sur l’hébergement et les allocations attribués aux demandeurs d’asile. Dans des arrêts du 21 juillet et 5 août 2011, le Conseil d’Etat affirme qu’ils doivent obtenir une allocation et un hébergement “quelle que soit la procédure d’examen de sa demande”. Une petite révolution que Jean-Pierre Alaux, du Gisti explique par la jurisprudence européenne et “la campagne de harcèlement juridique” lancée par plusieurs ONG et association.

La préfecture peut décider de placer un demandeur d’asile en procédure normale ou en procédure prioritaire. Avant les décisions du Conseil d’Etat, les demandeurs en procédure prioritaire ne recevaient ni hébergement, ni l’allocation temporaire d’attente d’un montant de 310 euros par mois. En cas de rejet, les demandeurs d’asile peuvent faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), mais l’appel n’est pas suspensif en procédure prioritaire. Le ministère de l’intérieur incitait d’ailleurs en avril dernier les préfectures à délivrer des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) :

Le demandeur d’asile placé en procédure prioritaire et débouté du droit d’asile après la décision de l’OFPRA n’ayant plus de droit à se maintenir sur le territoire, je vous encourage à notifier une mesure de refus de séjour et une OQTF immédiatement après la notification du rejet de la demande d’asile par l’Ofpra. [En gras et souligné dans la circulaire, ndlr]

Mais le rejet coupe surtout les demandeurs d’asile d’un hébergement et d’une allocation pendant l’examen de leur appel. Des rejets simplifiés avec ces nouvelles consignes données aux officiers de l’Ofpra.


Crédits photo CC Julie Rebouillat / Contre-Faits [by-nc-nd]

Infographie CC Marie Crochemore /-)

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