Sarkozy trébuche en allemand

Dimanche soir, dans la bouche du Président Nicolas Sarkozy, l’Allemagne avait valeur d’exemple pour illustrer la plupart des propositions qu’il a annoncées. Bases de données à l'appui, nous avons vérifié ses références allemandes. Dans la majorité des cas, celles-ci se révèlent très éloignées de la réalité. Elles tracent les contours d'un pays certes enviable. Mais qui ne ressemble pas à l'Allemagne.

L’Allemagne prise pour exemple par Nicolas Sarkozy lors de son interview d’hier n’existe pas vraiment. Si quelques uns des chiffres cités par le chef de l’État pour vanter le miracle allemand s’avèrent exacts, la plupart des références utilisées sur les volets sociaux et économiques de sa démonstration sont erronées ou dissimulent une autre réalité que celle présentée par le Président. Notamment pour convaincre sur l’augmentation de la TVA, une initiative inspirée par Berlin.

La défense des emplois industriels, au premier rang des priorités économiques annoncées par Nicolas Sarkozy, s’appuie grandement – à l’entendre – sur les enseignements fournis par l’économie d’outre-Rhin. Selon lui, l’Allemagne est :

Le seul pays d’Europe qui, non seulement a gardé ses emplois industriels mais les a développés.

Baisse continue

Centralisé par l’agence statistique européenne Eurostat, l’indice de la main d’oeuvre dans l’industrie (hors construction, assainissement, gestion des déchets et dépollution) montre au contraire une Allemagne qui se désindustrialise presque aussi vite que la France. Entre 2002 et 2010, à l’exception des années 2007 et 2008, la baisse est continue et même plus forte en Allemagne en 2009 (-2,8%) et en 2010 (-2,4%).

Une tendance partagée par l’ensemble des pays européens, même ceux ayant connu une embellie d’avant-crise, comme la Pologne. Dans son entretien, Nicolas Sarkozy déclare en outre que, malgré la hausse de trois points de la TVA :

Les Allemands n’ont eu aucune augmentation des prix. Le risque d’inflation n’existe pas.

Les données européennes montrent sur ce point des tendances contraires. Base des comparaisons entre pays, l’indice des prix à la consommation harmonisé augmente continuellement sur les cinq dernières années : avec pour base 100 l’année 2005, il passe ainsi en 2008 à 107 points pour atteindre 111 en 2011, soit 3,7% d’augmentation depuis le début de la crise.

Sur certains volets, cependant, le Président de la République pointe de justes références. Avec 450 000 jeunes en apprentissage en France et 1,6 million outre-Rhin, l’avance allemande dans ce type de formation est incontestable. En revanche, si le taux qu’il évoque de “moins de 8% de chômage” est juste, il couvre des réalités sociales bien moins enviables, notamment celle du sous emploi.

Depuis 2003, Berlin a en effet mis en place une série de dispositifs de retour à l’emploi par des temps partiels exonérés de charge, les “mini jobs” (loi Hartz I à IV), qui complètent un autre emploi ou petit boulot. Au départ limités à 15 heures par semaine, ces boulots ciblant principalement les jeunes sont plafonnés à 400 euros par mois, avec 25 % de charges salariales forfaitaires mais sans couverture sociale. Malgré la création d’emploi de transition (les “midi jobs” de 400 à 800 euros avec une couverture sociale), les “mini jobs” ont explosé et concerneraient, selon le rapport sur les performances de politiques sociales en Europe des députés Michel Heinrich et Régis Juanico, un travailleur sur quatre.

Le nombre important et croissant de “mini jobbers” conduit à nuancer les chiffres du chômage. Plusieurs études et syndicats soulignent qu’une part significative des “mini jobbers” (surtout les femmes, majoritairement concernées par ces dispositifs) souhaiterait travailler davantage. Or, le mini-job a échoué dans son objectif de permettre une transition vers un midi-job ou un emploi régulier à plein temps. Au contraire, il conduirait à une précarisation croissante de l’emploi, de même qu’à une paupérisation des bénéficiaires dans la mesure où une rémunération de 400 euros est en deçà du salaire de subsistance.

Bien que décriés par les syndicats (et remis en cause par Angela Merkel elle-même lors du congrès du Parti chrétien démorate le 14 novembre 2011), les “mini-jobs” garantissent depuis cinq ans à l’Allemagne un taux de chômage plutôt bas.

Sauf la France

Mais l’Allemagne n’aurait pas eu l’air si bon élève si le Président de la République n’avait pas si lourdement décrit la France en cancre, notamment sur les questions de logement :

Dans tous les pays du monde, quand ils sont en crise, le prix de l’immobilier baisse. Sauf un : la France, où il continue à monter.

Pas besoin de passer en revue le monde entier pour voir que cette exagération dans le propos ne se retrouve pas dans les chiffres. Au niveau européen, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg et la Finlande ont vu leur indice des prix de l’immobilier augmenter du lendemain de la chute de Lehmann Brothers (quatrième trimestre 2008) au troisième trimestre 2011. En Suède, il est même passé de 125,4 (avec 2005 pour base 100) à 142,5 sur la même période, avec seulement un léger fléchissement fin 2010.

Quand il ne s’essaie pas aux comparaisons, les chiffres du chef de l’Etat sont heureusement justes : aucune erreur sur l’ampleur de la dette (“presque 1700 milliards”) ou la destination des exportations (60 % vers l’Union européenne, troisième fournisseur de l’Allemagne et premier client). Mais bien qu’il ait martelé la suppression de 160 000 emplois publics comme un accomplissement de son quinquennat, Nicolas Sarkozy grossit encore la note à vouloir faire de la France l’Etat le plus dépensier :

Nous sommes le pays d’Europe qui a les dépenses publiques les plus lourdes

Si la France est dans le peloton de tête avec 56,6 % de son PIB en dépenses des administrations publiques, elle est dépassée par deux autres Etats membres : d’une courte tête par le Danemark (58,2 % en 2010) et de dix gros points par l’Irlande (66,8 % pour la même année). Si Dublin a connu un accroissement très sensible de ses dépenses depuis 2009, le Danemark battait déjà la France pour la part de PIB dans le budget de l’Etat l’année précédente.


Ilustrations et photos par Stefan (CC-BYSA) remixée par Ophelia Noor pour Owni.fr
Vérifications réalisées par Sylvain Lapoix, Pierre Leibovici et Marie Coussin. Sources Les dépenses publiques ; L’emploi industriel en Allemagne ; Les prix à la consommation ; Prix du logement (pdf)

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