Le “Do it yourself” se boboïse

Le 22 mars 2012

Ce mardi avait lieu le Carrefour des possibles, un événement où des porteurs de projet numérique présentent leur idée. Cette année, le DIY (Do It Yourself, fais-le toi-même) était à l'honneur. L'impression d'ensemble ? Un entre-soi élitiste et lisse. Est-ce le DIY que nous voulons ?

Le dentier à roulettes, par Jérémie Legroux ©

Mardi soir avait lieu à Paris le Carrefour des possibles Île-de-France, une initiative de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération). Le concept : des porteurs de projet numérique innovants (bien sûr) présentent leur projet à un public susceptible de les accompagner. Cette année, le DIY (Do It Yourself, fais-le toi-même) était le fil conducteur. Très vite, l’événement m’a fait penser à une nouvelle de J. G. Ballard, le célèbre auteur de science-fiction britannique, L’Ultime cité1. Le point de départ, des communautés post-industrielles, Graal d’une technologie enfin au service de l’homme :

Ces groupes de colons – médecins, chimistes, agronomes, ingénieurs -, réduits en nombre mais déterminés, étaient partis s’installer dans les zones rurales reculées, décidés à créer la première société agraire scientifiquement évoluée. En une génération, ils avaient réussi, comme d’innombrables communautés du même type établies autour des grandes cités, à construire leur paradis pastoral, mariage forcé d’Arcadie et d’une technologie perfectionnée.

Ceux qui connaissent un peu Ballard se doutent que l’écrivain n’adhère pas vraiment à cet idéal. Ces colons high tech sont décrits comme des gens profondément lisses, pour ne pas dire ennuyeux :

“Avait-il vraiment passé toute sa vie avec ces gens tranquilles, civilisés et anémiques ?” se demande le héros.

Car l’ultime cité, ce n’est pas une de ces communautés, mais une ancienne mégapole littéralement remise en service à grands coups d’engins motorisés, de consommation effréné et… de délinquance.

Quel point commun avec notre Carrefour des possibles ? Et bien un même sentiment général de personnes certes motivées par des intentions louables mais lisses et au fond élitiste (je ne m’exclus pas du lot !). Les présentations s’enchainaient, propres, drôles, faites par des (jeunes) gens bien habillés. Le Carrefour des possibles mais des possibles pour qui ? Ce cocon était à l’image du 104 qui l’accueillait, ce centre culturel cultivé artificiellement au milieu d’un quartier populaire par la volonté de la Mairie de Paris. La greffe n’a pas pris, comme on dit.

La soucoupe, par Jérémie Legroux ©

Le long de la rue d’Aubervilliers qui mène à l’établissement, il y avait des gens moins propres sur eux, moins bobos, ça sentait bon le poulet grillé et les conversations de bistro, à la faveur du printemps naissant. Je repensais à ces images de rue pendant les présentations. Qu’est-ce qu’ils en ont à faire les habitants du XIXème arrondissement du DIY, du DIWO (Do It With Others), du lien social à tout va, de pollinisation, d’écoconcept, d’up-cycling, de cuisine mobile pour la street food, d’oldies caravanes réemployées, de metadesign, de pensée hybride, d’urbanisme collaboratif, etc (tous ces termes sont strictement extraits des présentations).

La prochaine révolution ? Faites-la vous même !

La prochaine révolution ? Faites-la vous même !

Les hackers ne s'intéressent pas qu'aux logiciels, mais font aussi dans le "Do It Yourself". Et quand ils s'en prennent aux ...

En sortant, j’avais envie de faire un générateur de bullshit numérique bien-pensant. Voilà deux ans, mon collègue Jean-Marc Manach a écrit un article intitulé La prochaine révolution ? Faites-là vous-même !

Pour l’instant, cette révolution se fait dans un entre-soi. Et le temps qu’elle gagne vraiment l’ensemble des couches de la population, j’ai le sentiment qu’il faudra attendre très longtemps. Une révolution qui met des années, ce n’est plus une révolution.

Certes cette impression d’entre-soi ne doit pas faire oublier l’intérêt général des projets. Chacun plus ou moins imprégné d’une patte entrepreneuriale, design, art, bidouille pure…

Ainsi la machine du voisin est un réseau social pour mettre en relation des gens qui possèdent une machine à laver et ceux qui sont abonnés à la laverie ou à la machine de maman. Simple et futé comme tout.

Fair trade electronics est une start-up qui propose de fabriquer des composants électroniques respectueux de l’environnement, à commencer par la LED (vidéo ci-dessous). Wiitha entend “donner une nouvelle vie aux objets en passant du déchet au design” (notre fameux “upcycling). Ça peut donner des objets vraiment chouettes, comme un fauteuil club en bouchons de liège.

La Paillasse, dont nous vous avions déjà parlé, est un bio-hacklab, c’est-à-dire un lieu où tout un chacun peut manipuler le vivant. Cela permet par exemple de savoir si vos aliments contiennent des OGM. Bref un contre-pouvoir potentiel à une tripotée de lobby. On a pu aussi voir le fab lab de l’université de Cergy-Pontoise, Fac Lab, dont OWNI vous a déjà largement parlé. Ouvert au public, il offrira bientôt des cursus intégrant la fabrication numérique dans leurs programmes.

Sculpteo, entreprise pionnière de l’impression de fichiers 3D, lance une application iPad pour imprimer en céramique. C’est pro, c’est propre.

Unlimitedcity.org a développé une application qui permet à tout citoyen de proposer sa vision de l’urbanisme d’un lieu (vidéo ci-dessous). Rio de Janeiro s’est emparé du concept pour l’aider dans sa reconstruction de sa plus grande favela. Les architectes de YA + K jouent les trublions des villes à travers ce qu’on pourrait appeler de l’activisme urbain. Le collectif He He a expliqué son Metronome, un véhicule de type chariot marchant à l’énergie solaire pour les voies ferrées franciliennes abandonnées.

Le projet le plus séduisant vient d’“un bidouilleur, un vrai” (sic le présentateur). Enfin, projets au pluriel. En guise de présentation, Jérémie Legroux, c’est son nom, a montré certaines de ces réalisations, un échantillon de son incroyable cabinet de curiosités qui sert entre autres pour des spectacles. Accessoiriste à l’Opéra comique, il s’est inscrit au Carrefour des possibles poussé par des amis :

Je n’y aurais pas songé autrement ! C’est vrai que je me suis senti un peu décalé, dans la mesure où je n’avais pas vraiment de projet à présenter, mon intérêt était surtout de rencontrer des gens dans le milieu des bricoleurs”geek”, et ça a été l’occasion pour moi de regarder un peu en arrière sur mon travail.

Ce que Jérémie Legroux ne sait pas, c’est qu’il est bien un bricoleur geek, un hacker au sens premier du terme : un passionné de la bidouille. Ces objets n’ont pas de prétention à être utiles. Sauf à considérer que concrétiser sa fantaisie débridée, servie par une capacité assez incroyable à hacker les rebuts d’objet, est un but fondamental, salvateur, autant que monter une start-up-numérique-qui-fait-du-lien-social.

  1. J. G. Ballard, Nouvelles complètes, vol. 3, éditions Tristram, 2010. []

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