E-reputation et bénefs assurés

Le 27 mars 2012

Nous avons démonté la mécanique du nouveau contrat d'assurance d'Axa, supposé protéger l'e-réputation du bon citoyen. Une offre qui bénéficie ces jours-ci d'une forte exposition publicitaire, surfant davantage sur des peurs que sur la réalité. Et des prestations toutes relatives en cas de taches sur votre belle réputation.

À l’heure où le “personal branding” s’apparente chez certains à une quête existentielle, tôt ou tard le marché de l’assurance devait s’y intéresser.

Ainsi, le groupe Axa a lancé la semaine dernière une campagne de com’ pour son contrat Protection Familiale Intégr@le, couvrant notamment les risques liés à Internet, mais surtout l’e-réputation, dont on aurait pu penser qu’elle concernait un public restreint. Avec en outre des risques plus courants, qui passent au second plan dans ses pubs :

Usurpation d’identité, utilisation frauduleuse des moyens de paiements, litiges avec un e-commerçant suite à l’achat d’un bien mobilier, litiges avec un e-commerçant suite à l’achat d’un service.

Nombreuses restrictions

En juin dernier, SwissLife avait déjà mis un pied sur ce marché avec un produit ciblé exclusivement sur l’e-réputation, une nouveauté mondiale au coûteux prix de 9,90 euros par mois. Axa est le premier à proposer ce pack, pour une somme de 13 à 24 euros selon votre profil (solo ou famille), soit un surcoût de 8 à 10 euros pour ce volet numérique.

Toutefois, comme son concurrent suisse, Axa glisse une tripotée de restrictions dans ses conditions générales [pdf] (p 25 sqd). Certes vous bénéficierez d’une assistance juridique et psychologique, vos frais judiciaires seront remboursés et on fera le ménage mais sous certaines conditions.

Les contenus litigieux ne devront pas venir de vous-même. “Le problème aujourd’hui c’est que beaucoup de scandales, d’atteintes à l’e-réputation démarrent à cause d’une vidéo, d’un article posté par l’assuré lui-même”, explique Me Murielle Cahen, spécialisée dans le droit d’Internet. Mais l’assurance restera utile dans le cas d’atteinte à son image par des tiers, ce qui est une possibilité non négligeable, surtout aujourd’hui où le développement de l’Internet est très important, et où l’utilisation des réseaux sociaux est exponentielle.

Ils ne devront pas venir non plus “de la participation à l’administration ou à la gestion d’une association ou d’une société civile ou commerciale” , “d’une activité rémunérée ou professionnelle” ou “d’une activité politique ou syndicale, d’un mandat électif”. Si Xavier Niel se fait démonter sur un forum d’utilisateurs de Free mobile, si un médecin se fait trasher dans des commentaires sur un forum médical ou le député du coin sur un blog, tant pis pour eux.

Autre condition, l’atteinte ne doit pas être faite par voie de presse. Pas fou Axa : “la presse résiste davantage quand on lui demande de retirer un contenu”, précise Nicolas Benoit, avocat spécialisé dans l’e-reputation.

En outre, la recherche d’un arrangement à l’amiable est soumis à une restriction de territorialité :  “l’auteur de l’information préjudiciable, l’éditeur ou l’hébergeur du site” doit être localisé en Europe, pour faire court. Cette condition n’est pas la plus gênante.

Démocratisation

“Ce produit démocratise le financement de ce risque, qui s’est lui-même démocratisé et c’est une bonne chose, défend Sam Locker, de l’agence d’e-reputation Hington Klarsey. Les premières personnes touchées ont été des capitaines d’industrie, des stars, des ex-criminels, c’était des faits d’exception. De même les sites de e-ecommerce ont été en ligne de front. La gestion de ces problèmes a été rationalisée, avec des produits conçus pour eux, qui ont été traduits pour les particuliers, dans une certaine mesure. Certaines grosses problématiques restent en effet chères à traiter en terme de moyens techniques et juridiques.

Les assureurs financent maintenant des solutions professionnelles. Ce type de produit est une réelle nécessité pour faire face à des détresses morales, qui peuvent devenir des détresses professionnelles, et des détresses financières. Internet est utile et ludique, les gens ont autre chose à faire que de gérer ces problèmes.”


Après avoir énuméré les restrictions, Nicolas Benoit, avocat spécialisé dans l’e-reputation conclut :

C’est un produit intéressant pour un bon père de famille qui veut protéger ses enfants, la protection des enfants est en fait visée. La publicité correspond bien à cette cible, même si elle exagère un peu.

Toutefois, il estime qu’Axa ne prend pas beaucoup de risques. “La partie e-reputation peut être intéressante dans des cas exceptionnels.” Il cite le cas d’un de ses clients : une adolescente de 14 ans, mise en cause sur des sites de ragots. “L’école et les parents sont dépassés dans ce cas.”

Gloubi boulga

De même que l’installation de caméra vient plâtrer davantage un sentiment d’insécurité qu’une réelle insécurité, Axa semble surfer sur des peurs créées, entre autres, par quelques faits divers médiatisés. Ainsi, dans son argumentaire de vente, la compagnie annonce :

Pour 82 % d’entre vous, les risques sur Internet sont aussi forts que dans la vie courante.

Interrogé sur le nombre de litiges liés à l’e-réputation qu’ils s’attendent à couvrir par an, Axa n’a pas pu nous donner de chiffres. Ils ont indiqué des données sur l’usurpation d’identité : 3ème inquiétude des Français selon un baromètre et 210 000 usurpations d’identité relevées chaque année. “Nous avons fait le film sur l’e-reputation car c’est un sujet qui concerne tout le monde en particulier les ados, des jeunes qui seront sur le marché du travail un jour. Les employeurs ont le réflexe de googliser les candidats à un poste.”

Camille Alloing, spécialiste de l’e-reputation, auteur du blog CaddE-Réputation penche pour la communication anxiogène sans fondements :

C’est un épiphénomène, Axa est opportuniste, l’e-reputation est un terme qui monte. C’est un emploi abusif du terme e-reputation, un gros gloubi-boulga qui fait peur. Et pourquoi pas une assurance jeux vidéos ? Ce qui m’étonne, c’est qu’on arrive à une définition de l’e-reputation et qu’on construise une industrie derrière.

Quant au “noyage”, c’est-à-dire à la dilution des informations embarrassantes “ça me fait rigoler. Déjà il est difficile d’obtenir de Facebook et Google que les données disparaissent vraiment1 Et les résultats remontés par les moteurs de recherche sont personnalisés maintenant. Tout ce qu’on noie remonte. De plus quel est l’intérêt de faire remonter des contenus creux ? Il faut définir aussi ce qui est positif ou négatif pour une personne. Enfin, les échos sur Internet ne sont qu’une partie des échos.”

Noyé mais pas coulé

Là encore, Axa s’engage à pas comptés en précisant que “l’obligation de Juridica et du prestataire de procéder à la suppression ou au noyage des informations préjudiciables à l’assuré constitue une obligation de moyens et non de résultat.” Ces moyens sont à concurrence de 5 000 euros par an et par litige.

“Une information lorsqu’elle fait le « buzz » est reprise par des sites, qui sont ensuite repris par d’autres site, le champ d’intervention est tellement large dans certains cas qu’un nettoyage totale de la toile est improbable, c’est pourquoi une obligation de moyen est la seule obligation susceptible de s’imposer”, analyse Me Murielle Cahen.

“C’est une somme raisonnable”, estime Nicolas Benoit. Mais de poser la question :

A-t-on besoin d’être garanti pour ce risque ? Un avocat vous fait ça en deux temps trois mouvements. Beaucoup de résolutions à l’amiable sont faciles. L’hébergeur applique la Loi de confiance en l’économie numérique (LCEN) après une notification. Entre un hébergement à 10 euros par mois et un procès, ils ont un intérêt financier à le faire.”

Il précise au passage que ces hébergeurs ignorent souvent la prescription de trois mois concernant la diffamation et suppriment quand même des contenus qui ont dépassé ce délai.

“Je suis assez sceptique, renchérit son confrère Olivier Iteanu. Quand ça dégénère vraiment, un avocat ne coûte pas si cher, il y a aussi un processus d’autorégulation, l’e-réputation est un habillage marketing. En revanche l’usurpation d’identité est un vrai problème, les gens sont vraiment perdus.”


Albéric Guigou, de l’agence Reputation Squad, partenaire d’Axa sur ce produit d’assurance2 et déjà partenaire de SwissLife, défend son bout de gras face aux critiques récurrentes.

Nous recevons 10 à 15 demandes de particuliers par jour, ça fait plusieurs milliers par an. Ils sont vite arrêtés par les coûts, de 200 à 3 000 euros. Et c’est un cliché de dire que parce que les contenus sont à l’étranger, on ne peut rien faire. Facebook est un acteur extrêmement responsable. Par exemple sur l’usurpation d’identité, ils réagissent immédiatement, ils sont dans une logique de certification d’identité3. Mais on ne fait pas de demande de confort et ils sont très protecteurs sur la liberté d’expression, c’est donc plus compliqué avec les personnes publiques. Pour les moyens, nous avons regardé les typologies de litige, les budgets moyens, nous nous sommes basés sur la réalité.

Et la prévention, bordel ?

Camille Alloing regrette que l’accent ne soit pas davantage mis sur la prévention. Mais là, Axa a joué malin en lançant dès l’été dernier son “guide du bon sens numérique”. Ses  vidéos sur le sujet ont viralement été vues deux cents fois en moyenne.

Marché porteur

Quoi qu’il en soit, l’e-reputation semble bien partie pour devenir un risque à couvrir au même titre que votre voiture. Si le partenariat avec SwissLife n’a pas apporté beaucoup de clients à Reputation Squad car c’était un contrat spécifique, Albéric Guigou pense que ce ne sera pas le cas avec ce pack général. En attendant d’autres:

Beaucoup de compagnies nous ont déjà contactés sur le sujet, pour des demandes grands publics ou plus précises.

MAJ le mercredi à midi suite à l’appel d’Axa.


Photo de couverture par Noel Feans (CC-by) remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)
Photographies sous licences Creative Commons par Noel Feans, Belleza Grotesca, Grzegorz Łobiński et Dummy Dreams

À lire aussi : Assurance tous-risques (numériques) : le secret, déjà un luxe

  1. cf cet article d’Ars Tecnica : Près de trois ans après, les photos effacées de facebook sont toujours en ligne. []
  2. Zen réputation et Apoka le sont aussi []
  3. trop peut-être, cf Facebook tu me fais peur []

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