Google se paie la presse

Le 18 octobre 2012

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il référence leur contenu, le géant américain se rebiffe. Et menace tout simplement de ne plus les faire apparaître dans ses pages. Alerte ! Ils vont casser Internet !

Mise à jour (19h)
Forcément, après la salve de Google, la réplique ne s’est pas faite attendre.

Laurent Joffrin a immédiatement dégainé un édito sur le site du Nouvel Obs pour dénoncer la “censure” que menace d’appliquer le géant du web sur la presse française. Et de conclure, vibrant, sur : “il appartient maintenant au gouvernement et aux élus français de dire si la confection des lois reste l’apanage de la République ou bien si elle est abandonnée au pouvoir de fait d’une féodalité multinationale.”
Même agacement du côté de la ministre de la Culture, qui aurait déclaré à l’AFP : “Ce n’est pas avec des menaces qu’on traite avec un gouvernement”.

De son côté, Google diffuse ce même message auprès des rédactions : “nous pensons qu’une loi telle que celles proposées en France et en Allemagne serait très dommageable pour Internet. Ce n’est pas un secret, cela fait maintenant trois ans que nous le disons publiquement”.

Au-delà des diatribes, reste le fond du problème : comment obliger Google à ne pas déréférencer la presse ?


La presse en guerre contre Google. Et vice-versa. Au cœur : la “Lex Google”. Le projet de loi vise à faire payer la firme américaine pour l’indexation des articles de presse français dans son moteur de recherche. La confrontation s’annonce plus sanglante que jamais.

Tout désindexer

L’affaire a été relancée hier : à l’Assemblée nationale, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti s’est déclarée favorable à l’idée de créer un “droit voisin pour les éditeurs de presse” :

Parmi les outils qu’il me semble important de pouvoir développer, je pense qu’il y a cette idée de créer un droit voisin pour les éditeurs de presse – ce que l’on a appelé un peu facilement la « Lex Google » – qui me semble extrêmement pertinente.

Suite à la réaffirmation de son intérêt pour la “Lex Google”, Owni a cherché à savoir où en était vraiment le gouvernement. Et Google.

Résultat : chacun campe sur ses positions. Selon nos informations, l’Exécutif serait bien conscient de la complexité de ce mécanisme, et des problèmes qu’il serait susceptible de soulever. Mais serait prêt à tenter sa chance malgré tout, même si une une étude de faisabilité est toujours en cours.

Du côté de Google, on se dit prêt à entrer en campagne. En menaçant, précisément, de désindexer les sites de presse en ligne qui voudraient lui imposer ce dispositif. Estimant qu’il va à l’encontre de la nature du moteur de recherche du géant américain. Et qu’il n’appartient qu’à la presse française d’assumer ses choix, en récupérant le trafic perdu chez Google du côté d’autres services populaires sur le web : Facebook ou Twitter. Sans compter qu’a priori, rien ne peut forcer la boîte américaine à signaler ou non un site Internet. Les moyens pour faire plier Google sont donc limités.

Des informations que semble confirmer l’audition des équipes du géant américain, le 10 octobre dernier, auprès de la mission Lescure (vidéo). L’un des lobbyistes de la boîte, Francis Donnat, se voulait alors très clair (74e minute) :

Interdire le référencement non rémunéré est inutile et inopportun. [...] Cela va directement à l’encontre du modèle de l’Internet basé sur les liens hypertextes. C’est la remise en cause de l’existence même des moteurs de recherche si on doit payer à chaque fois qu’on référence. [...]
Les contenus en langue française seront les seuls pénalisés, car sur la toile, ne pas être référencé c’est tout simplement sortir du radar. La presse française y perdrait.

Sans compter que Google aurait mis bien ses menaces à exécution. Hasard du calendrier, l’AFP a affirmé dans l’après-midi avoir consulté une “lettre” adressée à différents ministères, dans laquelle Google expose clairement son intention de désindexer les sites de presse français en cas de mise en place du dispositif. Lettre qui ressemblerait plus à une note, transmise début octobre, et qui reprend les grandes lignes exposées lors de l’audition de Google à la mission Lescure. Signe qu’il ne s’agit pas seulement de paroles en l’air.

Aberration

Il faut dire que le projet des éditeurs de presse a tout pour étonner quiconque se balade un peu sur Internet.

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Concrètement, il consiste à étendre le Code de la propriété intellectuelle aux articles de presse publiés en ligne. Telerama, qui a publié fin septembre le contenu du projet de loi, explique que cette extension du droit d’auteur s’accompagne aussi de la volonté de sanctionner “le simple fait de faire des liens hypertextes” vers les articles en cas de non rémunération.

Le document est porté par la toute jeune association “de la presse d’information politique et générale” (IPG). A sa tête, on retrouve Nathalie Collin, la coprésidente du directoire du Nouvel Observateur et collaboratrice de longue date (déjà à Libération) d’un certain… Laurent Joffrin, dont on connaît l’amour qu’il porte au Net.

Le texte a d’abord fait l’objet d’une certaine prudence de la part de la Culture. “En l’état, ça ne va pas être possible”, confiait alors la rue de Valois à Telerama. De même, lors de l’installation de la mission Lescure, Aurélie Filippetti se montrait moins catégorique sur la question :

Il faut analyser cette proposition de créer des droits voisins pour la presse. Mais aussi être vigilants pour que les sites français ne soient pas déréférencés.

La perspective d’un tel dispositif avait fait hurler jusque dans les rangs des gratte-papiers. Particulièrement ceux rompus à la pratique du Net, qui dénoncent dans ce projet une incompréhension profonde du réseau et de ces mécanismes.

“Cette loi, c’est une idée un peu délirante” avait notamment confié Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate.fr, un site membre du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), à Libération. Et de poursuivre :

On en arrive à une aberration totale : les sites dépensent des fortunes pour être mieux référencés que le voisin sur Google, et ils voudraient que Google leur reverse de l’argent ? C’est une rhétorique qui n’a aucun sens. Ou alors, c’est une simple opération de lobbying.

Presse contre Google, Google contre presse : ce qui est sûr, c’est que chacun saura trouver le temps pour aller plaider sa cause du côté des ministères. On ne souhaite qu’une chose : qu’ils ne cassent pas notre Internet.


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