OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’Etat, actionnaire prédateur du nucléaire français http://owni.fr/2011/03/22/edf-etat-actionnaire-nucleaire-predateur/ http://owni.fr/2011/03/22/edf-etat-actionnaire-nucleaire-predateur/#comments Tue, 22 Mar 2011 16:00:26 +0000 Eric Ouzounian http://owni.fr/?p=52234 Dans la deuxième moitié des années 80, les objectifs assignés par l’État à la compagnie nationale d’électricité ont insidieusement évolué. La première étape prend la forme d’un rapport émanant de la direction de la prospective d’EDF. Il s’intitule “EDF dans vingt ans”. Ce document distribué en comité restreint aux cadres dans la seconde moitié des années 2000 analyse l’évolution probable de l’entreprise publique et initie les transformations qui vont se produire dans les deux décennies à venir.

La première manifestation concrète de la transformation de l’entreprise, la préparation de l’ouverture du capital et du changement de statut est la signature, en 2000, d’un contrat de groupe entre EDF et l’État. Le gouvernement socialiste de Lionel Jospin inaugure la transformation d’EDF en une machine à cash. Au sein de l’entreprise qui avait jusque là été dirigée par des ingénieurs, souvent issus du corps des Mines, les financiers prennent peu à peu le pouvoir.

Séparation des fonctions

La rentabilité des capitaux engagés devient la priorité et des termes anglophones comme ROCE (Return On Capital Employed) ou ROI (Return On Investment) déterminent l’orientation de l’opérateur public. C’est une révolution dans la culture d’EDF puisqu’auparavant, les critères sociaux, industriels et techniques, étaient une priorité absolue. La mission d’EDF était depuis 1946 de produire et de distribuer l’électricité au moindre coût pour les Français. En matière nucléaire, il s’agissait de prendre toutes les mesures pour assurer une sécurité absolue de ses installations.

Un exemple : jusque dans les années 2000, les ingénieurs étaient responsables des aspects techniques et de la gestion des contrats et des achats. Puis, les fonctions commencent à être séparées : d’un côté les techniciens, de l’autre les acheteurs. Ces derniers sont mis en avant afin d’obtenir un effet de levier financier et réorienter progressivement la politique d’achats. La direction des achats est de moins en moins composée par des experts du secteur nucléaire, mais par des financiers venant par exemple du secteur automobile pour imprégner l’industrie nucléaire de méthodes qui ont, paraît-il, fait leurs preuves. L’objectif unique est la réduction des coûts, le fameux “cost killing” mené par Carlos Ghosn au sein de Nissan, puis de Renault.

En 2003, Francis Mer, ministre de l’Economie et des finances du gouvernement Raffarin crée l’APE, l’Agence des participations de l’Etat. Cette structure rattachée à la direction du Trésor, puis directement au ministère en 2011, a pour mission d’aider l’État à jouer son rôle d’actionnaire au sein des entreprises dans lesquelles il détient des participations.

Dans le cas d’EDF, les représentants de l’État disposent d’une écrasante majorité et prennent rapidement l’ascendant. Les besoins financiers de l’Etat deviennent incontrôlables et tous les moyens sont bons pour accaparer les bénéfices dégagés par EDF. Le changement de statut et l’ouverture du capital ne sont effectués que dans ce dessein. Tout l’argent gagné est transféré à l’Etat, notamment sous forme de soultes.

Augmentation de la sous-traitance

En 2005, la direction financière d’EDF impose un plan d’économies appelé “Altitude 7500″, qui va s’étaler sur trois ans. Il s’agit ni plus ni moins de réaliser une économie de 7,5 milliards d’euros, en partie sur le personnel et en partie sur les achats et les besoins en fonds de roulement. Dans le secteur nucléaire, cet ensemble de mesures est décliné dans le plan “Phares et Balises”.

Cette recherche effrénée d’économies conduit à des aberrations. La direction financière s’aperçoit qu’il existe au sein du parc d’équivalent d’une centrale en pièces détachées et matériel de rechange. L’idée d’immobiliser plusieurs milliards est insupportable et des directives sont données pour réduire le stock et modifier l’organisation.

A l’heure actuelle, les agents sont alarmistes : il est devenu impossible de se procurer des pièces adéquates en cas de besoin. C’est un facteur de démotivation et de désorganisation puisque les temps d’arrêt s’allongent et qu’il faut parfois envoyer un taxi chercher dans une autre centrale la pièce manquante. Les conséquences des décisions prises sur des critères uniquement financiers s’avèrent très coûteuses sur le long terme.

Mais c’est surtout sur l’augmentation de la sous-traitance que les effets sont les plus néfastes. Quand la direction décide d’externaliser des activités en créant les contrats PGAC (Prestations Globales d’Assistance de Chantier), la plupart des opérations de maintenances, auparavant effectuées par des agents statutaires d’EDF, est confiée à des sociétés privées. EDF ne parviendra jamais à prouver qu’elle gagne de l’argent de cette manière, mais cela permet aussi d’externaliser les risques de cette activité. C’est ainsi que la totalité des travaux en arrêt de tranche, où l’on remplace le combustible, sont délégués à des tiers. Les sous-traitants étant choisis, quoiqu’en dise la direction d’EDF, en fonction des coûts, des opérations sensibles sont effectuées avec des rythmes de travail épuisants, par des salariés dont le moral et le salaire sont au plus bas, et les manquements aux règles de sécurité deviennent de plus en plus courants.

Bien sûr, il existe encore des garde-fous, comme l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et le contrat de service public passé entre EDF et l’État, mais on éprouve des difficultés croissantes à faire la différence entre la gestion de cette entreprise très particulière et celle d’une société commerciale privée. Dans cette affaire, l’État français se comporte comme un rentier uniquement préoccupé de ses intérêts à court terme, au détriment de la sécurité de la population et d’une vision ambitieuse de sa politique énergétique.

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Crédits photo: Flickr CC OllieD, Let Ideas Compete, Marylise Doctrinal

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Un AZF nucléaire est possible en France http://owni.fr/2011/03/16/un-azf-nucleaire-est-possible-en-france/ http://owni.fr/2011/03/16/un-azf-nucleaire-est-possible-en-france/#comments Wed, 16 Mar 2011 11:17:42 +0000 Eric Ouzounian http://owni.fr/?p=51730 Eric Ouzounian est journaliste. Il est l’auteur du livre Vers un Tchernobyl Français? (Nouveau Monde Editions, 2008)

Même les scientistes les plus extrémistes en conviennent, le risque zéro n’existe pas en matière nucléaire. Au Japon, il est particulièrement important. L’archipel nippon est situé au confluent de quatre plaques tectoniques, et on y enregistre 20% des séismes les plus violents de la planète. Les centrales nucléaires situées au bord de la mer ne pouvaient résister à un tsunami de cette violence, et aucune mesure de sécurité n’était capable d’empêcher un accident de l’ampleur de celui qui se déroule à Fukushima. Le risque a été délibérément sous estimé par les autorités japonaises, qui n’ont jamais vérifié sérieusement les affirmations de l’opérateur japonais TEPCO, pour d’évidentes raisons économiques.

En France, le risque sismique est bien moindre. Les antinucléaires évoquent pourtant des situations potentiellement dangereuses à Fessenheim ou Cadarache et surtout, il est maintenant avéré qu’EDF a sciemment minoré ce risque en se fondant sur d’autres chiffres que ceux qui figurent dans la base SisFrance, qui sert de référence. La loi fait pourtant obligation à l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) de définir et d’actualiser les règles fondamentales de sécurité (RFS). L’ASN détermine le séisme de référence et doit contrôler qu’EDF rend ses centrales conformes aux normes édictées. Or, l’attitude d’EDF est étrange. Pourquoi avoir fourni des chiffres tendancieux sur la réalité des risques ? Pourquoi avoir tenté de passer outre les avis des experts de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) ? Les coûts envisagés pour mettre à jour la sécurisation des centrales seraient extrêmement lourds et si EDF ment, pour des raisons d’économies, sur un risque où elle n’a pas grand-chose à craindre, quelle crédibilité peut on lui donner sur des types de risques autrement plus élevés ?

La France compte 58 centrales nucléaires qui produisent plus de 80% de l’électricité et permettent au consommateur Français de payer l’une des factures les moins chères du monde. En trois décennies, aucun accident d’envergure ne s’est produit, la technologie française est reconnue pour sa sureté, et son savoir faire s’exporte aux 4 coins du monde. Pourtant, si depuis 30 ans, aucun accident majeur ne s’est produit, c’est parce que les procédures de sureté mises en place par le CEA dans les années 60 et 70 ont été scrupuleusement respectées et que le matériel était récent. Or le parc nucléaire est vieillissant et il se dégrade lentement, faute d’un entretien suffisant. Les restrictions budgétaires font que les procédures routinières de sécurité ne sont plus systématiquement effectuées. La sous-traitance a augmenté de manière inflationniste, les personnels non statutaires sont moins bien formés et travaillent dans des conditions de stress inquiétantes.

Le tournant financier

Ce point est le plus alarmant. La maintenance est pratiquement entièrement externalisée. Lors des arrêts de tranche (rechargement en combustible), la pression est très forte pour que les délais soient respectés et que les centrales se remettent à tourner au plus vite. Les sociétés sous-traitantes reportent la pression sur les intérimaires qu’ils emploient et la souplesse de ces derniers est un élément clé de leur emploi.

Il faut accepter de travailler le samedi et le dimanche et ceux qui refusent risquent leur job. Quand un prestataire commence un travail sur un lieu donné, EDF ne tient aucun compte du fait que le salarié peut effectuer un trajet de 500 km pour s’y rendre. Il doit quitter sa famille le dimanche après midi et l’ambiance le lundi à l’embauche est tendue. La prise d’antidépresseurs est courante, la consommation d’alcool et de cannabis également. Les employés viennent souvent avec des caravanes et se retrouvent au camping. Parce que les frais journaliers ne dépassent pas 53 euros et qu’avec cette somme, il est impossible de se nourrir et de se loger. Un employé de la centrale de Bugey confiait récemment :

A ce compte là, il ne faut pas se demander si un accident va arriver, mais quand il va survenir.

De son côté EDF assure que le seul critère pour sélectionner ses prestataires est celui du mieux disant en matière de sécurité. Cependant les salariés sur le terrain, comme les représentants syndicaux au sein des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), constatent chaque jour que les sous-traitants retenus le sont parce qu’ils présentent des devis moins élevés. Dans son rapport annuel de 2009, l’ASN d’ailleurs avait exigé d’EDF de réaliser des progrès à ce sujet.

Lorsqu’ EDF est créée le 8 avril 1946, son rôle est de produire de l’électricité au moindre coût pour les français. C’est au cours des années 90 que la question de la répartition des bénéfices que dégage l’entreprise nationale commence à être évoquée. L’Etat, dont l’endettement devient inquiétant, exige une meilleure rémunération. Ensuite, l’ouverture du capital et la transformation du statut d’EDF amènent la société à mettre en tête de ses objectifs la croissance des bénéfices dans les années 2000.

EDF passe en 2004 du statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial à celui de société anonyme. Son capital reste détenu à 84, 48% par l’Etat, mais le leader mondial de l’électricité recherche désormais à maximiser  ses profits, fragilisé par la croisade que mène l’Union Européenne contre les monopoles d’Etat et les services publics. Ce qui avait auparavant été considéré comme une bonne gestion : redistribuer les bénéfices aux usagers en faisant en sorte de ne pas augmenter les prix, est à présent caduc. La recherche effrénée d’économies, le “cost killing” désorganisent le fonctionnement et altèrent jusqu’à la culture de sécurité qui prévalait jusque là.

Les risques sont bien réels. Le nucléaire est une industrie dangereuse et elle ne peut être confiée qu’à des entreprises commerciales. Le manque de transparence de l’entreprise Tepco au Japon est égale à celle des entreprises françaises, Areva ou EDF. L’opacité est de rigueur et le contrôle effectué par les pouvoirs publics est insuffisant. En France, en 2011, un AZF nucléaire n’est pas à exclure.

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Crédits photo: etgeek, carolinadoug, Emmanuel Salomon

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Image de Une CC Marion Boucharlat, pour OWNI

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