OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Free Cultures: des levures au service des Indonésiens http://owni.fr/2011/04/03/free-cultures-des-levures-au-service-des-indonesiens/ http://owni.fr/2011/04/03/free-cultures-des-levures-au-service-des-indonesiens/#comments Sun, 03 Apr 2011 14:00:37 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=54908 À l’occasion de la présentation d’Intelligent Bacteria:Saccharomyces Cerevisiae à la Gaité Lyrique dans le cadre du festival Mal au Pixel qui aura lieu du 9 au 19 juin à Paris, nous vous proposons de relire l’histoire de cet alcool do-it-yourself. Nichée sous les toits du bâtiment, l’installation nous fait entendre une douce mélodie organique, au rythme des gouttes d’eau tombant dans les verres d’éthanol.


L’art et la matière

transmediale. [en] Un festival berlinois sans majuscule mais pas sans superbe. Chaque année, pendant une petite semaine, la capitale allemande et sa Maison de la Culture deviennent le lieu privilégié des arts et des cultures digitales. Créé en 1988 comme une sorte de Salon des Refusés de Berlinale [de, en] – un festival local de cinéma – transmediale s’est imposé depuis comme un lieu alternatif où l’on peut voir ce qui n’a pas toujours sa place ailleurs.

Avec pour thème « Response : Ability », l’édition 2011 réunissait des artistes et des collectifs se demandant comment la technologie et les valeurs qu’elle véhicule affectent voire modifient nos corps physiques et sociaux.

L’espace d’une semaine, le digital et l’organique s’articulent autour de cellules de réflexion et d’installations à partir d’ADN ou de processus chimique, à l’instar de « Intelligent Bacteria – Saccharomyces cerevisiae », une œuvre du collectif indonésien House of Natural Fiber (HONF) [en] qui exposent des jus de fruit en pleine fermentation. Désignés vainqueurs du prix prestigieux décerné par le festival, les organisateurs ont avant tout récompensé leur action dans l’archipel. En valorisant les pratiques « Do It Yourself » et utilisant les technologies open source, HONF tente de répondre à une contradiction culturelle par… la culture et l’emploi de levures.

Par le biais d’expositions et d’ateliers, ce collectif donne à la population les connaissances et les pratiques adéquates pour réaliser le processus de fermentation alcoolique dans les meilleures conditions. Parfois activité hors-la-loi, souvent alternative économique, et toujours nécessité sanitaire, produire et boire du bon vin est aujourd’hui en Indonésie un enjeu et un défi pour la société.

Boire : la roulette indonésienne

The House Of Natural Fiber est une plateforme née de la collaboration d’artistes « new media » et de scientifiques indonésiens spécialisés en microbiologie et en biotechnologie. Créée en 1999 à Yogyakarta – ville universitaire, centre de la culture javanaise et de la pensée musulmane – comme un laboratoire rempli de pipettes, d’idées et de bonnes volontés, HONF se donne pour objectif de mettre au quotidien la technologie au service de la société.

« Pour le projet Intelligent Bacteria, nous avons décidé d’utiliser l’art comme moyen de médiation et de médiatisation. Nous avons d’abord réalisé une exposition itinérante en Indonésie afin de rendre un peu plus attractif notre projet auprès des locaux que nous voulons sensibiliser et éduquer… Être présent à transmediale est aussi une manière de faire connaître la situation indonésienne à l’international », explique Irfan D. Prijambada, président du Laboratoire d’agriculture microbiologique à l’université Gadjah Mada de Yogyakarta, membre du collectif The House of Natural Fiber.

Avec ses grandes bonbonnes dans lesquelles fermentent des jus de fruit, l’installation acoustique, « Intelligent Bacteria – Saccharomyces cerevisiae » semble n’être qu’un prétexte, une opportunité de figer dans le temps et dans l’espace un projet dont les dimensions dépassent largement celle de la galerie qui la contienne.

C’est à la lecture du cartel que l’ampleur du projet se révèle : par le biais de cette installation les membres de HONF ambitionnent d’attirer l’attention sur un problème qui affecte mortellement la société indonésienne. En consommant sans le savoir de l’alcool frelaté, nombre de leurs concitoyens trouvent – bêtement selon leurs termes – la mort en lieu et place de l’ivresse.

Aujourd’hui, plusieurs raisons poussent les Indonésiens à se procurer des breuvages alcoolisés sur le marché noir et à risquer leur vie ou leur vision. Car toutes les bouteilles ne sont pas bonnes à boire ! Certaines d’entre elles contiennent du méthanol. Cette substance hautement toxique qui n’est pas  décelable au goût ou à l’odeur affecte le système nerveux central de ceux qui en ingèrent, entraînant la cécité voire la mort dans les pires cas. Or, sans une spectrométrie, il n’est pas possible de savoir si les boissons sont contaminées.

L’alcool : une contradiction culturelle

Bien que le pays soit fort d’une longue et riche tradition de fermentation alcoolique, la consommation d’alcool est devenue, au fil du temps, une véritable contradiction culturelle.

L’Indonésie compte environ 238 millions d’habitants et plus de 80 % d’entre eux sont de confession musulmane. Le pourcentage place ce pays laïc en tête sur la liste des pays à majorité musulmane pour le nombre d’habitants. Pourtant, les réglementations d’influence religieuse rendent de plus en plus difficile la consommation et la production de breuvages alcoolisés dans certaines parties du pays.

Bien que les partis religieux aient tenté, sans y parvenir, de faire voter une constitution islamique – qui aurait abouti à l’interdiction de la consommation d’alcool à l’échelle nationale en 1999 – les réglementations divergent dans l’archipel. En fonction de l’endroit où l’on se trouve, la consommation d’alcool peut-être tout à fait tolérée, soumise à conditions (boire chez soi par exemple) ou strictement interdite.

Après la chute de Soeharto en 1998, les structures politiques et gouvernementales ont été largement réformées et le pouvoir décentralisé au profit des régences – villes et régions. Libres d’établir leurs propres règlementations, nombre d’entre elles ont voté des perda, des règlements locaux inspirés de la charia. Ainsi, des villes à forte tradition islamique comme Gresik (Java), Tangerang (Ouest Jakarta) ou Bulukunba (Sulawesi du Sud) et les provinces de Kalmento (Borneo) et d’Aceh (Nord Sumatra) ont promulgué entre 2000 et 2005 des perda interdisant totalement la consommation et la distribution d’alcool sur leur territoire.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire ces lois d’inspiration islamiques ne sont pas uniquement le fait de dirigeants islamistes, comme nous l’apprend Andrée Feillard, chargée de recherche au CNRS spécialiste de l’Indonésie et de l’islam traditionaliste en Asie. Il arrive que certains politiciens laïcs, en quête de voix pour de  prochaines élections, n’hésitent pas à les soumettre au vote d’une population souhaitant plus de morale publique dans un pays vicié par la corruption.

La bouteille, un produit de luxe

Si la spécialiste française et le professeur indonésien s’accordent à dénoncer un durcissement des lois islamiques depuis une dizaine d’années, contraintes législatives et tabous religieux ne sont pas les seules causes poussant la population à se fournir en alcool sur un marché noir comme la mort.

« À Yogyarkarta, temoigne Irfan D. Prijambada, la consommation d’alcool dans un lieu public est passible de prison mais nous ne risquons rien si nous buvons à la maison. Ici, l’alcool est soumis à de lourdes taxes. Peu d’Indonésiens peuvent se permettre d’acheter des bouteilles à prix d’or dans les magasins et se tournent vers le marché noir. Le problème tient au fait que les producteurs amateurs ne maîtrisent pas les processus de fermentation alcoolique et ne respectent pas les conditions d’hygiène nécessaires pour faire du vin propre à la consommation. Suite à une contamination bactériologique, certaines de leurs cuvées contiennent du méthanol.»

En imposant de lourdes taxations sur l’importation et la distribution des boissons alcoolisées le gouvernement indonésien fait bondir le prix des bouteilles ; et il n’est pas rare, quand le bar est vide ou quand le portefeuille est trop léger, de voir les touristes descendre dans la rue se procurer de l’alcool local.

Jusqu’au début 2010 les boissons labellisées étaient soumises à la taxe sur les produits de luxes, infligeant aux prix une hausse de 40 à 75 %. Cette taxation a été levée, il a un maintenant un an, par la régulation du 17 mars 2010 [pdf, en] énoncée par le PMK, le ministère des Finances indonésien. Pourtant au lieu de diminuer significativement le prix des bouteilles, cette régulation le fait croître dramatiquement : en supprimant la taxe sur les produits de luxe, elle augmente le droit d’accise en fonction du degré d’éthanol qu’elles contiennent. Un droit d’accise est une taxe perçue sur la consommation d’un certain produit dans un territoire donné. En majorant ce droit sur les boissons alcoolisées, le gouvernement a marqué sa volonté de décourager les Indonésiens à consommer : dès le mois d’avril, les prix en boutique avait augmenté de 100 à 300 %.

Depuis qu’elle n’est plus considérée comme telle, la bouteille est vraiment devenue un produit de luxe. À titre d’exemple, le prix d’une bouteille de vin rouge de marque Orang Tua est passé de 15.000 à 45.000 roupies indonésiennes suite à la régulation soit environ de 1,25 à 3,75 euros. Dans un pays ou de nombreux ménages sont proches ou en-dessous du seuil de pauvreté national – approximativement 1,10 euros par jour – la mesure remplie partiellement sa fonction. Elle dissuade tout à fait la population d’acheter en magasin mais pas vraiment de lever le coude.

Ipung Nimpuno, porte-parole de l’Association des brasseurs indonésiens, le GIMMI, avait tiré le signal d’alerte en affirmant que cette régulation allait « encore accroître le marché noir » qui représentait déjà selon lui 80% de l’alcool consommé dans le pays. Les chiffres semblent malheureusement abonder dans son sens. Paradoxalement, en voulant réduire la consommation d’alcool avec des mesures fortes, le gouvernement semble avoir contribué à l’augmentation du nombre de décès liés à sa consommation.

Éthanol vs Méthanol

Il semble qu’il y a toujours eu des décès liés à la consommation d’alcool frelaté en Indonésie. Andrée Feillard se souvient de quelques cas quand elle travaillait comme journaliste à l’AFP à Jakarta dans les années 80. Mais leur nombre n’a jamais été aussi élevé qu’à l’heure actuelle. Pour les membres de HONF la corrélation est évidente : cette augmentation macabre est directement liée à celle du droit d’accise.

Ainsi, 120 Indonésiens et 3 techniciens russes auraient trouvé la mort en 2010 suite à un empoisonnement au méthanol selon les chiffres avancés par DetikFinance, un journal d’économie indonésien. Des chiffres que l’on pourrait sans trop se méprendre revoir à la hausse pour avoir une idée plus juste du nombre de victimes. Et ce pour deux raisons : d’abord cette cause de décès ne peut être confirmée que par une autopsie, ensuite il faudrait comptabiliser tous ceux qui ont perdu la vue ; pour ces derniers, Irfan D. Prijambada suggère de multiplier par deux la première approximation obtenue.

C’est donc avec des levures et non pas des bactéries que HONF tente de faire changer les choses et peut-être même d’apporter une solution à ce problème. « Nous avons employé le mot bactérie car les Indonésiens l’utilisent comme terme générique pour désigner l’ensemble des micro-organismes. Mais les saccharomyces cerevisiae sont bel et bien des levures et non pas des bactéries. Nous voulons apprendre à la population que faire du vin n’est pas une choses facile et qu’il est fondamental de respecter scrupuleusement une équation pourtant assez simple : eau minérale bouillie + fruits + sucre + levures + hygiène = vin propre à la consommation. »

Cliquer ici pour voir la vidéo.


L’empoissonnement bactériologique résulte de mauvaises conditions d’hygiène. Les levures ont besoin d’un environnement salubre pour faire leur besogne – transformer le sucre contenu dans le jus des fruits en éthanol et en dioxyde de carbone – et rester majoritaires dans la faune microbiologique.

Sylvie Dequin, directrice de recherche à l’Institut National de Recherche en Agronomie et spécialiste de la physiologie intégrative des levures ne cache pas sa surprise : « Je n’ai jamais entendu parler de ce genre de contamination bactériologique sous nos latitudes. Les bactéries incriminées telles que les salmonelles ou les staphylocoques sont celles que l’on trouve généralement dans les fosses septiques et les eaux usées. Elles se développent dans des environnements privés d’air – la fermentation est un processus s’opérant en anaérobie – et produisent du méthanol. »

Just Do It Yourself

Avec ce projet, les membres de HONF ne souhaitent pas uniquement éviter la mort d’une partie de leurs concitoyens. Ils sont aussi désireux d’améliorer les conditions de vie de toute la population. Via l’élevage des levures et la fabrication de vin, ils souhaitent contribuer à renforcer l’autonomie alimentaire des habitants en leur montrant qu’ils peuvent pourvoir à leur besoin à partir de ce que la nature met à leur disposition.

Les Indonésiens boudent ainsi le raisin, préférant piocher parmi le large spectre de fruits tropicaux (ananas, mangue, salak, guanábana, etc.) pour faire leur vin. Ils réalisent par la même occasion de sacrées économies : grâce à eux produire 5 litres de vin ne coûte que 15.000 roupies indonésiennes, soit l’ancien prix d’une bouteille de vin rouge Orang Tua de 75 centilitres.

Apprentissage de technologies abordables, lutte contre la paupérisation, capacitation des individus : HONF essaie de mettre en place un système alternatif pour pallier les difficultés de la population tout en essayant d’inclure les gouvernements dans leur démarche, les obligeant bon gré mal gré à regarder en face ce qu’ils essaient d’ignorer.

« Nous avons proposé aux régions de nous aider. Même si les régions à majorité chrétienne et bouddhiste sont évidemment plus promptes à accepter le programme, certaines régions musulmanes sont prêtes à nous suivre à certaines conditions –  que le vin soit produit pour l’industrie et non pas pour être consommé par la population locale ou qu’on leur enseigne comment faire du vinaigre plutôt que du vin – d’autres encore nous envoient tout simplement balader », conclut Irfan D. Prijambada.

Grâce à de toutes petites levures, une poignée de scientifiques et d’artistes tendent à modifier la société dans laquelle ils évoluent en donnant les moyens à ceux qui n’en ont pas vraiment de se débrouiller par eux-mêmes.

Avec Intelligent Bacteria ils espèrent que tous – les gouvernants et les quidams mais aussi la communauté internationale – comprendront l’ampleur et l’importance vitale de leur cause. Et si ce n’est pas le cas, on dirait bien qu’ils espèrent amener les Indonésiens réceptifs par des chemins de traverse suffisamment loin d’un système qui les met en difficulté pour qu’ils puissent le regarder, sans heurts, s’effondrer lentement mais sûrement sous le poids de ses propres contradictions.

Illustrations AttributionNoncommercialNo Derivative Works Anne Helmond

Les autres articles du dossier :
Mark Suppes, l’homme qui fusionne des atomes dans son garage

La prochaine révolution ? Faites-la vous même !

Image de une Marion Boucharlat. Téléchargez-là :)

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Mark Suppes, l’homme qui fusionne des atomes dans son garage http://owni.fr/2011/04/03/mark-suppes-lhomme-qui-fusionne-des-atomes-dans-son-garage/ http://owni.fr/2011/04/03/mark-suppes-lhomme-qui-fusionne-des-atomes-dans-son-garage/#comments Sun, 03 Apr 2011 12:41:48 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=54820

Mark Suppes et son Fusor.

Musique, voyages et fusion nucléaire

Depuis l’été 2010, Mark Suppes doit souvent rassurer les voisins de l’entrepôt qu’il a investi à Bedford–Stuyvesant : “ne vous inquiétez pas, je ne ferai pas exploser Brooklyn.” Les travaux de ce trentenaire hyperactif, chercheur obsessionnel et entrepreneur compulsif inspirent tantôt la crainte, tantôt l’espoir mais toujours l’étonnement car son petit hobby et sa grande passion, c’est la fusion nucléaire.

Un soir de juin dernier, Mark Suppes est prêt à mettre en route son Fusor, ou plus précisément son Farnsworth-Hirsch Fusor du nom d’un autre autodidacte dont les bidouillages ont conduit aux premières expérimentations en fusion nucléaire et à l’invention de la télévision. Ce Fusor, Mark l’a construit lui-même à partir de pièces détachées qu’il a majoritairement achetées sur eBay.

Le Fusor est un petit réacteur à fusion qui fonctionne selon le procédé de confinement électrostatique. Le nom est barbare mais la méthode est assez simple : on injecte dans une chambre à vide les atomes de deutérium qui serviront de combustible, on augmente le courant électrique afin que les atomes deviennent ionisés formant ce que l’on nomme un plasma. Ce plasma se trouve alors confiné dans le centre de la chambre à vide et si l’on a un peu de chance des atomes se rapprochent et la fusion prend.

Et ça a pris ! A la suite de l’expérience, la capsule de fluorine scotchée sur la paroi du réacteur porte les stigmates du passage d’un neutron émis lors d’une fusion. Même s’il ne va pas faire sauter New York, il n’est pas illogique de s’inquiéter de la dangerosité du dispositif :

Dans cette installation, c’est le courant à haute tension alimentant le réacteur qui est le plus dangereux. Quand on s’attelle à la fusion, il y a quand même quelques précautions à prendre et des consignes de sécurité à suivre. Pendant l’expérience je me suis éloigné du réacteur afin d’éviter les neutrons ou les rayons X, même s’ils ne sont émis qu’en faible quantité.

La minuscule bulle d’air prisonnière de la fluorine atteste que la réaction a bien eu lieu et intronise Mark dans la communauté restreinte des amateurs ayant réalisés une fusion atomique. Déjà en 2006, Thiago Olsen – alors âgé de 17 ans – avait mis en émoi l’équipe enseignante de son lycée et le département de la santé du Michigan en réalisant une fusion dans le labo de physique. Mark est le trente-huitième mais n’est déjà plus le dernier membre en date. C’est que la liste a tendance a rapidement s’allonger.

Fusion vs Fission

Force est de constater que la fusion fascine. Sur la plateforme fusor.net, les “fusionnistes” se retrouvent pour partager méthodes, plans et projets. La communauté grandit lentement mais sûrement et des clubs bourgeonnent désormais dans les garages du monde entier. Les amateurs mènent leurs propres expériences en parallèle de celles des scientifiques – les vrais, les durs – qui tentent depuis les années 1950, de dompter les atomes autrement.

Pour remettre tout cela en contexte, la fission est tout comme la fusion, une réaction nucléaire. La fission consiste à briser un atome lourd tel que l’uranium ou le plutonium en atomes plus légers. À l’inverse la fusion, se produit quand deux atomes légers comme l’hélium, le deutérium ou tritium (isotopes de l’hydrogène) s’assemblent pour former un atome plus lourd.

Aujourd’hui, nous savons comment casser des noyaux atomes pour produire massivement cette énergie que nous utilisons avec gloutonnerie. Toutefois, l’histoire et l’actualité du Japon nous obligent à regarder la vérité en face : nous brisons bien plus que des atomes, que nous cherchions délibérément à nuire ou que nous persistions vainement à nous croire maîtres et possesseurs de la nature.

Les États sont souverains dans le choix de leurs options énergétiques et les politiques en œuvre sont très contrastées à l’échelle mondiale : certains n’ont pas eu à se poser la question, d’autres ont pris la décision de s’en passer, d’autres encore de tenter de s’en passer, et les derniers, lourdement équipés, vont certainement devoir prendre leur responsabilités. La France avec ses 80 % d’énergie provenant du nucléaire – un triste record mondial – fait partie de ceux-là.

Ces derniers temps, les dangers de l’énergie nucléaire nous sont cruellement rappelés chaque fois qu’une information émane de la centrale de Fukushima, faisant de la recherche d’autres moyens de production énergétiques autant une nécessité qu’une gageure.

À l’instar de Mark Suppes, un nombre croissant de spécialistes pensent qu’une des meilleures alternatives au nucléaire n’est autre que le nucléaire. Ils voient ainsi dans la fusion un moyen à long terme de remplacer la fission.

Lorsque j’ai découvert sur YouTube une conférence sur la fusion nucléaire donnée par Robert Bussard lors d’un Google Talk en 2006 [vidéo, en], j’étais entrepreneur depuis dix ans. Tout ce que j’avais tenté de mettre en place avait échoué au fil des années. Je ne cherchais pas spécialement à me lancer dans un nouveau projet mais j’étais curieux et bien disposé. En l’écoutant j’étais fasciné : il parlait d’énergie nucléaire abondante, propre et à faible coût. Sa méthode s’opposait non seulement à la fission tout en divergeant des recherches actuellement en cours dans le domaine de la fission. Tout ce qu’il disait m’a semblé vraiment plausible. Même si à ce moment là je n’y connaissais strictement rien en physique, son discours faisait sens. J’y ai vu la première idée véritablement excitante dans le domaine de l’énergie.

Sur le papier – car ce sont bien de vieilles feuilles jaunies que Robert Bussard a projeté lors de cette intervention – l’idée est séduisante, élégante et dissidente. En effet il existe en théorie plusieurs types de combustibles utilisables, de réactions possibles et de méthodes envisageables pour bâtir les réacteurs qui les contiendraient.

Au-delà de ces divergences sur lesquels nous reviendrons, les pro-fusion se retrouvent sur les grandes lignes quand il s’agit d’argumenter. Ils vantent les avantages du contrôle de la fusion nucléaire pour la production d’électricité en les confrontant à celui de la fission et de toutes les nocivités qui la caractérisent.

À quantité de combustible égale la fusion serait bien plus puissante ; elle engendrerait trois à quatre fois plus d’énergie que la fission. Il y aurait suffisamment de combustible pour combler nos besoins énergétiques pendant quelques centaines de milliers d’années et, en fonction du combustible sélectionné, il n’y aurait pas ou peu de déchets radioactifs. Pour couronner le tout, la fusion ne ferait pas encourir des risques de réactions en chaine incontrôlées et incontrôlables.

La raison pour laquelle l’ensemble est au conditionnel, c’est que tout cela reste purement théorique. Les bémols sont nombreux car si la fusion de noyaux atomiques est un phénomène anodin dans le soleil et les étoiles qui constellent le ciel, ce n’est pas du tout le cas sur notre bonne vielle Terre.

La possibilité d’un réacteur

Quand on demande à Mark comment fonctionne la fusion nucléaire sa réponse surprend par sa franchise, et peut-être est-ce son statut d’amateur qui le dispense de langue de bois :

On me pose souvent cette question mais je suis bien embêté quand il s’agit d’y répondre. Je suis capable de vous expliquer comment marche un Fusor qui permet d’aboutir à une fusion, et j’ai ma petite idée sur le mécanisme d’un Bussard qui fournirait de l’énergie grâce à la fusion… Mais ni moi, ni personne ne sait vraiment comment ça fonctionne… D’ailleurs, le véritable problème est là : ça ne fonctionne pas ! Si j’étais capable de construire une machine permettant de générer et d’utiliser de l’énergie grâce à une fusion nucléaire je la construirais en ce moment même. Pour le moment nous ne savons pas la mettre en œuvre, mais nous ne cessons d’y tendre par nos expériences.

Quand Mark dit “on”, c’est à la communauté des passionnées qui bricolent dans leur garage qu’il fait référence mais à l’ensemble des fusionnistes mettant dans le même panier les amateurs et les scientifiques qui planchent depuis des dizaines d’années sur la construction de réacteurs de fusion thermonucléaire.

Le contrôle de la fusion nucléaire est perçu comme un enjeu considérable et nombreuses sont les nations de par le monde investissant temps et argent dans sa recherche et son développement. Cette recherche, comme nous l’avons dit précédemment, s’engage dans plusieurs directions. Celle qui a le vent en poupe auprès des gouvernements s’incarne dans les Tokamaks, des immenses structures expérimentales de confinement magnétique visant à contrôler le plasma. À ce sujet, le projet ITER est exemplaire et l’on note au passage que trois jours après l’accident de Fukushima la plateforme science.gouv.fr republiait un dossier datant de 2008 intitulé La fusion contrôlée, le rêve du nucléaire propre.

Ce Réacteur Thermonucléaire Expérimental International en construction à Cadarache dans le sud de la France a pour objectif de “démontrer la faisabilité scientifique et technologique de l’énergie de fusion, et d’ouvrir ainsi la voie à son exploitation industrielle et commerciale”. France, Japon, Chine, Corée du Sud, Russie et États-Unis sont engagés depuis des années, l’Inde a rejoint un peu plus tard, le Brésil et le Kazakhstan ne demandent qu’à rallier l’équipe déjà constituée.

Cette “expérience scientifique à très grande échelle” à un coût proportionnel. Estimée à 12,8 milliards d’euros pour la construction, 5,3 milliards pour les vingt années d’exploitation, 280 millions pour la période de cessation d’exploitation et 530 autres millions d’euros pour le démantèlement : la note prévisionnelle d’ITER est salée et le sera peut-être encore plus.

Un joli rêve

Si la théorie est communément admise, c’est encore sa faisabilité technique qui est testée avec ITER, en faisant donc un prototype et non pas un véritable réacteur capable de produire de l’énergie. La fusion nucléaire implique de grandes contraintes que nous ne savons pas encore résoudre.

Par conséquent, les attaques fusent. Il faut d’abord convoquer de grandes quantités d’énergie afin de déjouer les forces qui repoussent naturellement les noyaux atomiques les uns des autres et rapprocher suffisamment les atomes pour provoquer une fusion. Bien plus d’énergie que la fusion ne génère en retour. Le fameux “break-even”, le point de rentabilité énergétique, se dérobe encore.

Un Tokamak n’est pas non plus capable de produire la quantité de chaleur adéquate pour qu’opèrent des réactions aneutroniques de type PB-11 (Proton – Boron 11). Les réactions envisageables impliqueraient du deutérium et du tritium libérant des neutrons à grande vitesse. Il faudrait donc parvenir à constituer des matériaux spécifiques pour bâtir des enceintes de confinement capables de résister aux flux de ces neutrons et espérer que les bobinages supraconducteurs seront capables de tenir le choc pendant la durée de vie du réacteur, ce que des scientifiques comme feu Pierre-Gilles de Gennes mettent en doute.

Enfin, beaucoup blâment les sommes investies dans ces projets perçus comme “des gouffres à fric” monumentaux et pensent que si jamais les machines atteignent un jour le point de rentabilité énergétique, elles ne parviendront jamais celui de rentabilité économique.

Pour résumer, si parvenir à construire les structures et à rassembler les conditions adéquates pour générer une fusion relève de l’exploit dans un garage, sa mise en œuvre industrielle n’est clairement pas pour demain. Personne n’oserait fanfaronner en annonçant une date précise pour une production significative d’énergie par ce moyen. Nombre de scientifiques ayant connu avec enthousiasme les débuts de la recherche en fusion nucléaire s’en sont détournés, abandonnant ce “joli rêve qui n’est pas prêt de se réaliser » pour reprendre une phrase de Georges Vendryes (directeur honoraire des applications industrielle du CEA) à propos d’ITER.

Le Tokamak de Varennes, une initiative canadienne qui s'est finie en 1999.

Les Tokamaks et la volonté de Bussard

Robert Bussard était lui aussi très critique envers les Tokamaks. Il blaguait qu’en quarante années de recherche, le seul enseignement qu’on avait pu en tirer était qu’ils ne fonctionnaient pas. Il est tout aussi sévère envers les gouvernements investissant à tire-larigot dans cette technologie. Il avait d’ailleurs salué l’initiative du jeune Thiago Olson : “Ce gamin étudie de la physique bien plus utile que celle pour laquelle le gouvernent américain dépense des millions.”

Mais contrairement à Georges Vendryes et tant d’autres, Bussard n’a jamais cessé de croire qu’il arriverait à réaliser son rêve de son vivant. Plus qu’un projet de laboratoire, la fusion était pour lui la quête d’une vie. Il s’est battu jusqu’à son dernier souffle, mais sans succès, pour trouver des financements essentiels à la construction de son réacteur communément appelé Bussard ou Polywell.

Né dans les années 20, Bussard a dévoué sa vie entière à la fusion, rêvant aux grands projets que celle-ci pourrait fournir à l’humanité : une énergie propre et propice aux missions spatiales. Malheureusement pour lui, ses projets ont souvent suscité plus d’engouement dans le monde de la science-fiction que dans celui de la science ; dans Star Trek tous les vaisseaux sont équipés d’un Collecteur Bussard les propulsant grâce à la fusion d’atomes d’hydrogène directement prélevés dans l’espace interstellaire.

Une décennie plus tard, il s’active sur des Tokamaks pour le gouvernement américain mais abandonne l’affaire, désenchanté. Pour le bon mot, il dira que c’était perdu d’avance : travailler sur des plans russes en pleine guerre froide était forcement une mauvaise idée. Il monte alors sa propre entreprise, EMC2, afin de se consacrer à la construction d’un réacteur alternatif : ce fameux Polywell.

Même s’ils tendent vers le même but, les Tokamaks et les Bussards ne s’appuient pas sur les mêmes procédés explique Richard Nebel [en], dirigeant de EMC2. Le Bussard est un réacteur hybride utilisant à la fois confinement magnétique et électrostatique tandis que les “les Tokamaks sont des instruments qui n’emploient que le confinement magnétique. L’avantage de notre système c’est que nous obtenons facilement de très hautes températures. Par contre, nous luttons pour avoir de fortes densités, ce qui n’est pas un problème pour les Tokamaks : ce qui est difficile pour nous est simple pour eux, et vice versa. Mais nous pensons que notre concept est bien meilleur et ce pour plusieurs raisons : ce système hybride utilise le PB-11 (Proton – Boron 11) comme combustible et qu’il ne produit aucun matériel radioactif. Il est compact et peu onéreux à développer et à exploiter – il ne requiert pas d’énormes budgets de développement comme c’est le cas pour les Tokamaks.”

Une fois encore tout est question de proportions : plus petit qu’un Tokamak le cœur d’un Polywell mesurerait quand même 3 mètres de diamètre ; moins cher qu’un Tokamak, il implique quand même de pouvoir poser 200.000 dollars sur la table.

Pendant près de onze ans, c’est l’US Navy qui a financé les recherches de Bussard mais son silence sera une des conditions sine qua non du deal : le scientifique ne publiera rien sur ses avancements pendant toute cette période. Bussard enchaîne essais et erreurs, ses ressources s’amenuisent. Elles arrivent à leur terme quand sa dernière machine s’autodétruit. Le labo est démantelé faute de budgets. En lisant a posteriori les données de cette ultime expérience Bessard est persuadé qu’il a touché au but.

Il n’a alors plus qu’une obsession : trouver des investisseurs. Nous sommes en 2006, Bussard sort de l’embargo imposé par la Navy et présente ses recherches à des colloques et même à l’occasion d’une Google Talk qui sera filmée et postée sur Youtube. En appuyant sur play, Mark Suppes va complétement changer de vie.

La rencontre

L’étrange rencontre de Suppes et Bussard aussi peu probable qu’elle soit (entre un profane et un scientifique, entre un vivant et un défunt) n’est a posteriori pas si étonnante. Les deux hommes partagent certains traits de caractère.

Ils ont en commun la patience et le calme pour supporter la pression des dysfonctionnements et des échecs, l’ambition et la volonté d’aller toujours plus loin dans leur travaux, la confiance si ce n’est la foi dans leur projet pour tolérer les ricaneries et les découragements passagers, l’humilité et l’abnégation essentielles pour se savoir toujours ignorant et en quête, le verbe piquant pour contrer les attaques ou les provoquer, l’impérieuse nécessité de poursuivre une grande idée et de s’engager viscéralement pour tenter de la mettre en œuvre.

Je suis parvenu à faire une fusion en construisant un Fusor mais je veux désormais passer à l’étape suivante en construisant un Polywell, qui n’est finalement qu’une version améliorée du Fusor.

Mark poursuit donc désormais les travaux et les rêves de Bussard. Pourtant rien ne le destinait vraiment à s’impliquer corps et âme dans le domaine de la fusion nucléaire.

Quand j’ai vu cette vidéo, je n’ai pas pu m’empêcher d’y penser. C’est devenu une obsession. Pendant un mois je n’ai pas arrêté d’en parler à mes amis et j’ai fini par ouvrir un blog. Je pensais qu’il n’y aurait qu’un post, un seul et unique. Puis je me suis mis à désigner, via un logiciel CAD, un réacteur à fusion en métal qui pourrait être imprimé via une imprimante 3D. À ce moment là, j’ai su que j’étais complètement pris par ce projet et que je ne pourrais pas revenir en arrière.

Son blog [en] fait partie intégrante de sa recherche, à la fois carnet de bord et plateforme d’échange. Il y poste ses idées et ses avancements. L’ensemble de son projet est open source. Tout un chacun peut ainsi avoir accès à ses codes, ses plans, ses idées et ses doutes mais aussi lui donner des avis ou des conseils. “Je sais que de véritables scientifiques lisent mon blog, explique-t-il, certains même me laissent des commentaires. Pourtant je ne sais pas vraiment ce qu’ils en pensent. Pas forcément du bien, cela doit être assez désagréable de voir un amateur disqualifier vos efforts.

Un amateur qui commence à être assez spécialisé donc ! Son agenda est déjà défini et n’a rien à envier à celui des vrais scientifiques.

Je réplique actuellement une expérience menée par une équipe de chercheur australiens. Joe Khachan [en] a construit un réacteur Bussard à bobines de cuivre. Je m’y essaie à mon tour et mène des essais cinétiques. J’envisage d’ailleurs d’écrire un papier à ce sujet et j’espère qu’il sera publié par une revue scientifique. Mais ce n’est qu’un pas parmi d’autres. C’est bien de se faire la main en reproduisant des choses qui ont déjà été faites avant de se lancer dans ses propres aventures. La prochaine étape, et pas des moindres, sera de mettre au point un réacteur Bussard agrémenté d’aimants supraconducteurs. Ce genre d’aimant est utilisé dans les Tokamaks. Si cela fonctionne je ne serai pas seulement le premier amateur mais le premier homme a en avoir créé un. L’idée n’est pas de moi mais personne n’en a jamais réalisé auparavant. J’ai déjà construit une Magrid en acier inoxydable (une sorte de polyèdre formé par des rouleaux de métal), il me reste à m’atteler aux bobines en cuivre. Grâce à ce procédé la fusion pourrait perdurer indéfiniment et nous pourrions l’étudier à volonté.

Mais Mark reste un amateur qui s’auto-finance et qui doit de fait mettre sporadiquement ses projets sur pause. Régulièrement, il lâche ses bobines pour le turbin : pendant les trois prochains mois, il développera des des applications web pour une boîte. Sa passion à un coût non négligeable, il lui avait fallu rassembler 35.000 euros pour construire son Fusor et avait obtenu presque 4.000 euros de la part d’investisseurs privés via Kickstarter [en].

L’amateur

Les avantages des uns sont les inconvénients des autres, et vice versa. L’image est pertinente quand elle met en exergue les différences entre un Tokamak et un Polywell et elle sied tout autant quand il s’agit de distinguer la posture du scientifique de celle de l’amateur. Chacun à ses contraintes, le scientifique a des deadlines, des objectifs fixés par d’autres, des financements appropriés, des résultats à présenter, des gens à satisfaire. L’autre n’est jamais vraiment considéré comme légitime et doit toujours faire ses preuves, s’interrompre momentanément quand le compte en banque est vide mais il sait parfois aller très loin avec des dispositifs qui ne coûtent rien et ne paient pas de mine. Il a aussi l’opportunité de choisir ses propres défis ce qui les rend généralement audacieux mais accessibles et souvent accomplis.

L’amateur a aussi l’opportunité de changer de posture, de “jouer” au professionnel. Mark souhaite par exemple publier dans des revues ne comportant que des textes de scientifiques. Si jamais cela se produisait nous serions ravis pour lui, mais personne ne pardonnerait à un professionnel de se comporter comme un amateur. L’amateur a un autre temps et un autre espace pour manœuvrer à sa guise : il jouit aussi des marges, des chemins de traverse, des sillons déjà tracés qu’il peut suivre ou qu’il peut bouder pour s’enfoncer dans les orées, n’ayant d’autres contraintes que son propre enthousiasme et sa curiosité.

Il ne faut pas oublier que les découvertes majeures ne sont pas arrivées par inadvertance mais parce que le scientifique confronté à cet évènement a eu les connaissances mais aussi le temps et la curiosité pour le considérer. La véritable chance de l’amateur c’est qu’il a le luxe de perdre du temps, le privilège d’attendre et sa véritable force, c’est qu’il est celui qui n’est jamais attendu.


Illustrations Flickr AttributionNoncommercial quinnums, AttributionNoncommercialNo Derivative Works Marylise Doctrinal et AttributionNoncommercialNo Derivative Works cstmweb

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McCandless datavisualisé http://owni.fr/2010/12/20/visualisation-de-donnees-rencontre-avec-david-mccandless/ http://owni.fr/2010/12/20/visualisation-de-donnees-rencontre-avec-david-mccandless/#comments Mon, 20 Dec 2010 17:51:54 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=39455 Boire un thé avec David McCandless d’Information is beautiful quand on s’intéresse à la visualisation de données revient un peu à partager un pétard avec ses rockers préférés quand on est une groupie. Je souris béatement tandis qu’il peste contre sa nouvelle maison qu’il juge bien trop grande et trop froide. David met de l’eau à bouillir et je remarque que même sa théière est recouverte d’une petite laine. Quelques instants plus tard, je le suis, sans sucre et sans lait, dans les escaliers qui mènent à son bureau.

Work In progress

Là, il me montre une infographie sur les exoplanètes qu’il termine actuellement pour The Guardian. Briefé en février, il se désole de sa lenteur justifiée par un emploi du temps surchargé et une volonté farouche de tout concevoir à la main.

“J’ai vraiment voulu prendre le temps de sélectionner les informations pertinentes afin de créer une bonne histoire mais aussi de trouver l’échelle adéquate pour rendre le tout compréhensible.”

La notion d’échelle est fondamentale pour moi ; je crois que c’est véritablement la clé de la visualisation de données car elle donne à la fois le contexte et le sens.

Sans échelle, quelles que soient les formes qu’elle prend, nous ne pourrions effectivement pas nous repérer dans ces complexités. Elle est ce qui rend les informations vivantes et donne sens aux grandeurs physiques et temporelles. La visualisation sur les exoplanètes permet par exemple d’appréhender simplement l’immensité de l’espace dans lequel nous vivons et l’immensité des nombres qui le décrivent.

Je débute toute visualisation en partant non pas des nombres auxquels je suis confronté mais de ma propre confusion à leur égard. J’avoue ne pas comprendre ces nombres à l’état brut. Présentés de manière absolue, comme c’est souvent le cas dans les médias, il est difficile de cerner leur portée. Ces présentations ne permettent pas d’établir des liens entre divers éléments. Or, je crois que ce sont ces liens qui sont les plus importants.

La genèse

Après avoir trainé ses basques pendant plus de 20 ans dans les rédactions en tant que journaliste, David a eu l’impression d’avoir fait le tour de son job. Un peu d’ennui, en français dans le texte, le poussait à rechercher une activité neuve et récréative sans qu’il ne sache trop vers quoi s’orienter. Il y a 3 ou 4 ans, il décide d’enquêter sur les théories évolutionnistes et créationnistes, peu convaincu de la dichotomie simpliste véhiculée par la presse. ll est persuadé que les théories sur l’origine du monde ne se cantonnent pas à deux simples blocs s’opposant frontalement. Sans surprise, il découvre de nombreux désaccords entre les partisans, faisant émerger de multiples groupes dissidents. Il éprouve pourtant des difficultés à rendre par écrit l’ensemble de ces disparités.

“C’est alors que j’ai commencé à dessiner un schéma, pour faire le point et m’y retrouver. Je me souviens m’être dit : “Je n’ai plus à écrire l’article, il est déjà sous mes yeux! Je viens déjà de faire mon job de journaliste en expliquant clairement la situation que je veux dépeindre.” Tout était figurativement décrit. J’ai su que c’était le début de quelque chose et que je pourrais continuer dans cette voie… Je n’ai pas de diplômes en art ou en design mais une approche pratique des formes. En quelque sorte, je ne sais pas vraiment ce que je fais. Je suis simplement mon instinct…”

Source: http://www.fastcompany.com/pics/biggest-stories-our-time-visualized#1

Le design et la publicité

Cette concision, il me dit l’avoir appris dans la publicité quand il officiait en tant que concepteur-rédacteur en agences digitales. Il lui fallait alors distiller un maximum d’idées de façon claire et efficiente dans des espaces réduits.

Le minimum de mots possible certes, mais pas l’élimination des mots. C’est ça le design! Le design n’est rien d’autre que la capacité de pouvoir soustraire pour optimiser. Quand je dis “le minimum de mots” j’entends “appliquer le design aux mots et à l’information “

Cette optimisation David ne l’a pas uniquement avec la publicité, qu’il considère aujourd’hui – après y avoir été longtemps réticent – comme une discipline conceptuelle. Il m’explique qu’il ne lit plus à proprement parler mais plutôt qu’il scanne et consomme beaucoup d’informations, récupérant des bribes de sens par-ci par-là. Son esprit, comme le notre s’est plié à de nouveaux codes de lecture et d’apprentissage définis par Internet.

Is information beautiful ?

Avec ses visualisations, David se donne pour objectif de condenser du sens dans des espaces restreints afin de transmettre aux gens des informations auxquelles ils n’auraient pas eu accès autrement. Il mentionne aussi que les visualisations permettent de captiver l’attention des internautes, si difficile à retenir face à l’amoncellement d’informations disponibles sur le réseau. Je rebondis : est ce que l’information a toujours été belle ou est-elle, de fait, devenue nécessairement esthétique ?

“Bonne question. Je pense en effet que c’est une manière d’attirer l’œil toujours sollicité de l’internaute et de mettre en avant une histoire dans le grand blizzard de l’information disponible. Mais, à mon avis, l’information a toujours été belle. Elle est belle, captivante et magnétique. Même si elle n’a pas été perçue comme telle auparavant, les gens apprécient la beauté de l’information, de la connaissance, des systèmes, des idées et des concepts. Malheureusement, leur accès a souvent été restreint par les terminologies et le jargon des spécialistes. Aujourd’hui c’est un véritable dévoilement de cette beauté qui s’opère.

La visualisation de données ne se cantonnerait donc pas à attirer l’œil. David croit qu’elle relaxe aussi l’esprit : sollicitant sans trop d’effort les processus cognitifs.

Supérieur ou Égal

La visualisation de données permettrait donc de révéler la beauté intrinsèque de l’information, et même de rendre toutes informations belles. N’importe quel sujet peut ainsi être traité visuellement, déjouant les hiérarchies conventionnelles. Ici pas de Une ou de brèves. Quelque que soit le sujet représenté – les sites internet partiellement ou totalement bloqués en Chine (image ci-après) ou les pics de rupture sur Facebook – la visualisation de données semble lui donner un statut particulier. Elle aurait selon David la capacité de rendre tout intéressant.

Pratiquer la visualisation de données m’a conduit à réfléchir sur ce qui est intéressant. C’est une notion que l’on considère presque pour acquise alors qu’elle ne l’est pas du tout. Qu’est ce qui rend une chose intéressante et pas une autre ? Cette question me passionne. Je n’ai pas de réponse, mais mon intuition me dit que cela se joue au niveau des relations: non pas forcement les faits mais la façon dont il sont liés et ce qui les lie.

Montrer des imperceptibilités, révéler des motifs et découvrir des liens insoupçonnées entre divers éléments semblent contribuer à l’esthétique – si ce n’est à l’éthique – relationnelle de la visualisation de données.

Le Data Journalisme

L’entrée des données dans le journalisme est supposée en théorie bouleverser le métier. En théorie insiste David car à ses yeux, le phénomène reste encore émergent dans les rédactions, même les plus progressistes. Et encore, quand il n’est pas complètement boudé.

La difficulté avec les données, c’est que l’on ne sait pas immédiatement l’histoire que l’on va raconter. Il faut fournir un travail colossal de déchiffrement et de défrichement dans la jungle des données pour hypothétiquement voir un motif émerger. Cela n’attire pas forcément des journalistes soumis à des deadlines.

Pourtant, le journalisme de données ne diverge pas tellement du journalisme dans sa volonté de révéler des événements et d’établir des liens entre eux. Seulement, selon David, les méthodes et l’état d’esprit nécessaires ne sont pas exactement similaires.

De nombreux journalistes sont encore cantonnés à l’approche traditionnelle de l’article fini. On l’écrit, on l’imprime et on n’y retourne plus. Si jamais une modification doit être faite, on publiera un erratum quelques jours plus tard. Le document n’est plus vivant. Or je crois qu’il y a une véritable opportunité pour le journalisme avec la visualisation de donnée. On peut modifier son « article », le développer, le faire grandir. Cela nécessite d’être transparent, de montrer son travail ainsi que le processus, les sources et les contacts qui ont permis d’y aboutir. Beaucoup de journalistes ont encore peur de cela.

Timeline des sujets catastrophistes dans les médias

Inter-Activité

Si David se targue de la transparence qu’il s’impose c’est aussi parce qu’il y est obligé, habitué à recevoir de nombreux retours sur ses visualisations. Les commentaires postés sur son site sont parfois sévèrement critiques au point qu’il reprend actuellement l’une d’entre elles intitulée « How I Learnt To Stop Worrying And Love The Bomb (Kinda)».

C’est vraiment difficile d’être transparent afin de donner aux gens la capacité de jouer avec les donnés, de les partager et de les corriger. J’aime beaucoup que les gens commentent même si c’est pour me dire que je me trompe. Cela est inhérent au média, c’est une forme de la pensée participative issue d’internet.

David apprécie les démarches participatives. Toutefois, dans certains cas de figure, il module son enthousiasme:

«Le crowdsourcing et les processus démocratisés ne donnent pas toujours de bons résultats. Le processus est formidable en lui-même mais il ne produit pas forcément de bonnes histoires ni de travaux journalistiques pertinents.»

Le Storytelling

Donner forme à l’information et modeler les perceptions voilà ce qui semble animer David. Ne se contentant pas uniquement de visualisations figées, il lui arrive de créer des visualisations interactives comme par exemple « Snake Oil? » et des petites animations graphiques.

« Ces dernières sont plus narratives que les visualisations figées. Le lecteur voyage dans un paysage d’informations et je guide son parcours dans cet environnement. J’aime faire ces visualisations car j’y raconte des histoires. J’en raconte une principale mais en en dessous j’en convoque beaucoup d’autres. C’est une nouvelle forme de storytelling »

Avec la visualisation de données, l’image se fait narration; dans ce domaine, ce qui est suggéré est aussi important que ce qui est montré.

This is Serious Game

David raconte bien les histoires, présentant avec légèreté des sujets sérieux et sérieusement des sujets légers. Brillant orateur, l’auditoire de ses conférences rigole autant qu’il prend des notes.

La visualisation de données c’est à la fois divertissant et sérieux. Je pense avoir peut-être une approche plus espiègle que les autres data-journalistes. Les données permettent et obligent le jeu. Il est nécessaire d’entrer avec elles dans un processus ludique afin d’en extraire des motifs mais aussi pour ne pas laisser leur formalisme paralyser notre imagination.

Dans sa démarche créative David se sert du rire pour déjouer la tension formelle inhérente aux données et du ludique comme méthode s’appliquant aux processus et aux esprits, pour produire et pour communiquer.

Toutes les illustrations sont issues du site de David McCandless, Information is Beautiful, exceptée l’image de clé CC FlickR par davidsmalley

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Le Self-Tracking: Quand les chiffres parlent http://owni.fr/2010/10/15/le-self-tracking-quand-les-chiffres-parlent/ http://owni.fr/2010/10/15/le-self-tracking-quand-les-chiffres-parlent/#comments Fri, 15 Oct 2010 16:34:48 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=31724 Assise à la terrasse d’un café, j’écoute Denis Harscoat de Quantter – site de self-tracking permettant à chacun de mesurer ses efforts – me vanter la beauté et l’utilité des nombres. Avec lui, je commence mon immersion dans la communauté des self-trackers : ceux qui collectent, analysent, visualisent et partagent leurs propres données.

Je ne lui cache pas mon scepticisme premier à l’égard de cette pratique que je cherche à connaitre et à comprendre. Denis me confie:

j’ai l’habitude qu’on nous prenne pour des tarés. J’entends toujours les mêmes choses. Les gens se demandent ce que l’on peut bien faire avec les chiffres.

Je n’arrive pas à contenir un sourire. Denis ne m’en tient par rigueur et continue : ” ils répètent que la vie ce n’est pas cela, que c’est la qualité qui importe et pas la quantité. La belle affaire ! Je pense que la vie c’est la quantité, que la qualité c’est la quantité. Quand une œuvre d’art ou une bonne bouteille de vin nous émerveille c’est parce qu’elles sont riches et qu’une vaste somme d’impressions affluent simultanément à notre cerveau. La qualité ce n’est que de la quantité”. Voilà le postulat de départ. C’est donc avec quantité de mots – et même d’anglicismes – que je vais vous parler des qualités des chiffres.

Le life-logging ou la mémoire de sa vie

Avant, l’agenda et le journal recueillaient rendez-vous notés à la va-vite, gribouillis en tout genre, ratures et pensées intimes. Ils étaient les seuls à conserver les vestiges du quotidien. Désormais, diverses méthodes permettent de garder une partie ou même l’ensemble des traces qu’on laisse derrière soi. Le life-logging en fait partie.

Kevin Kelly, rédacteur en chef du magazine Wired, le définit comme l’action “d’enregistrer et conserver l’ensemble des informations de la vie d’une personne. A savoir la totalité des textes, des images et des documents audios qui la concerne mais aussi le rapport qu’il entretient aux différents médias et l’intégralité de ses donnés biologiques relevées par des capteurs apposés à même le corps. L’information, archivée au profit du life-logger, peut être partagée avec d’autres à divers degrés et selon son bon-vouloir.”

Si l’est un nom qui doit être associé au life-logging c’est celui de Gordon Bell : pionnier de la pratique mais aussi détenteur des plus vastes archives personnelles au monde. Cet ingénieur américain a intégré le laboratoire  de Microsoft Research à San Fransico en 1995 et travaille depuis sur le projet MyLifeBits qui n’est autre que l’archivage exhaustif de sa vie. L’aventure a débuté quand il a décidé de se passer définitivement du papier et donc de faire scanner l’ensemble de ses documents. Plus le projet prenait de l’ampleur et plus il importait de l’implémenter encore. On y trouve aujourd’hui des photographies d’époque et des clichés pris automatiquement par un appareil photo qu’il porte sur lui, l’ensemble des sites web qu’il a parcouru et des applications qu’il utilise sur son ordinateur, l’intégralité de ses e-mails et de sa correspondance, ainsi que les enregistrements audio de toutes ses conversations.

Pratique extrême, le life-logging n’est que l’aboutissement d’un autre concept plus répandu, le life-caching – conserver des traces et les partager avec d’autres – permis par les technologies actuelles. En recommandant un lien sur Twitter, en mettant à jour son statut sur Facebook, en postant des photos sur Flickr, nous pratiquons tous le life-caching. Certains poussent même le vice à la démarche artistique, à l’instar de Joost Plattel qui prend et poste chaque jour un cliché à 20h36 précise ou encore de feu l’artiste new-yorkais Dash Snow dont les polaroids furent les seuls souvenirs de ses nuits sous héroïne.

Les self-trackers, des individus quantifiés

Même s’ils utilisent parfois la photographie, nos self-trackers sont généralement plus obnubilés par le compteur que par le déclencheur.

Collecter des données sur soi-même n’est rien d’autre que l’équivalent geek de tenir un journal

dit Andy Cotgreave de The Data Studio. Life-logger et self-tracker collectent ainsi données et reproches. Surnommés les data-freaks, ces gentils monstres dévoreurs de chiffres font parfois peur aux bien-pensants… et aux autres. Pour expliquer leur mode de vie – et le fait qu’ils ne soient pas si différents du reste de la population – ils font souvent l’analogie entre le journaling – tenir un journal – et le data-journaling – tenir un journal avec des données. Pour autant le data-journaling n’abandonne pas que le papier; dans certains cas il se passent tout simplement des mots.

A la différence des life-loggers – qui s’adonnent à l’écriture, l’audio ou encore la vidéo – les self-trackers se concentrent surtout dans les chiffres, leur grande marotte. En effet, le self-tracking (ou l’auto-monitoring ou le personnal informatics si vous appréciez les tags affiliés) consiste à compter des paramètres de sa vie, pour ensuite pouvoir les analyser et les partager. Le self-tracking est d’abord une affaire de collecte, et donc de procédures. Pour pouvoir bien se logger, et se compter ensuite, il est important d’avoir des outils fiables et adaptés à ses besoins. Quantité d’applications sont à disposition pour ce faire. Il en existe pratiquement une dédiée à chaque activité. On peut ainsi aisément trouver son bonheur si l’on souhaite suivre ses performances sportives ou sexuelles, surveiller sa nourriture ou ses humeurs, contrôler sa santé ou ses finances.

Ces applications ne prennent généralement en compte qu’un seul paramètre et parfois quelques uns tout au plus. Sur Daytum, une des plus plateformes les connues de self-tracking, les membre peuvent customiser leur pages. Ils choisissent dès lors ce qu’ils veulent tracker – nourriture consommée, nombre de cafés bus, programmes télé regardés par exemple – et la forme visuelle (histogrammes, camemberts, etc.) sous laquelle apparaitront leurs “résultats”.

Exemple de page Daytum

Smartphones et capteurs, des outils indispensables

Si la feuille de calcul Excel reste un must, le smartphone (surtout l’Iphone, même si l’Android commence à gagner du terrain) occupe une place centrale dans la vie du self-tracker. Toujours à portée de main, il lui permet d’actualiser ses données en temps réel. Aux dires des trackers, cette pratique, supposée chronophage, ne prendrait pourtant pas plus de temps que d’écrire d’un tweet: sur le site YourFlowinData, les updates se font en envoyant un DM à @yfd.

Même s’ils se défendent que le logging manuel soit si fastidieux, les traqueurs souhaitent évidemment plus d’automatisation dans la collecte de leur données. Les capteurs – ou sensors – existent déjà mais leur usage reste encore cantonné à certaines applications. On en trouve par exemple dans les semelles des Nike+ ou sur les vélos intelligents nommés The Copenhagen Wheel. Les self-trackers rêvent en fait du moment proche où ils pourront porter des sensors – sous la forme d’une montre par exemple – qui relèveraient en continu les données et les enverraient directement aux applications en vue de leur traitement.

Concrètement, ils veulent toujours plus de chiffres et de paramètres au menu et à la carte. Certains pris au jeu tombent parfois dans un véritable piège. L’histoire d’Alexandra Carmichael, fondatrice de la plateforme CureTogether et pionnière de la pratique est éloquente. Monitorant plus de quarante paramètres quotidiennement, elle a dû mettre un terme à son tracking pour se protéger de son emprise aliénante. Dans un un article à la prose syncopée posté sur le blog The Quantfied Self, elle écrit :

Comme n’importe quel outil, le self-tracking peut être utilisé pour aider ou pour blesser. Je ne le laisserai plus être un instrument de torture. Plus. Du tout.

Une pratique qui séduit de plus en plus

Entre mesure et démesure, les chiffres n’aidaient plus Alexandra. Pourtant, ils semblent servir la majorité de ceux qui débutent et poursuivent l’aventure. S’il n’en est qu’à ses balbutiement, le self-tracking séduit déjà beaucoup de monde. En fonction des centres d’intérêts, les self-trackers se comptent en centaines, en milliers et maintenant en millions. Au mois de mai dernier, l’application RunKeeper ( qui compte entre autre distance parcourue et calories brulées, nombres de minutes de l’effort et de battements de cœur pendant celui-ci ) a dépassé les deux millions de téléchargement. Le succès de la Wii-fit en est un autre exemple.

Au début de mes recherches, j’ai ouvert un compte sur Daytum pour y suivre des paramètres simples. Je n’ai pas tenu deux jours. J’en ai déduis que le self-tracking, avant d’être un mode de vie, est une histoire de motivation. Et je n’en démords pas, une inclinaison naturelle pour la rigueur ou un caractère obsessionnel et compulsif semblent être des avantages considérables voire des qualités indéniables dans cette pratique.

Les motivations qui poussent les self-trackers à commencer leur aventure et à la poursuivre sont individuelles. Pour la majorité d’entre eux, le self-tracking est un outil qui accompagne un projet de vie permettant de s’y tenir en s’auto-surveillant en permanence. Les sportifs voulant mesurer leur performances, les malades qui doivent surveiller leur paramètres vitaux, les dodus qui suivent un régime ou les travailleurs curieux de connaitre leur productivité, y trouvent leur comptent. Pour d’autres, le self-tracking permet la réalisation de projet graphique. C’est par exemple le cas pour les designers Nicholas Felton rendu célèbre par ses “Annual Report” (voir interview) ou Florent Guerlain et son projet “Hyper, Consommation Alimentaire”.

La connaissance de soi par les nombres

Au delà de leurs motivation divergentes, les self-trackers considèrent cette méthode comme une véritable aventure. Ils font de leur vie une expérience, dont ils sont à la fois le cobaye et la blouse blanche. En confrontant les résultats de différents paramètres, ils cherchent à découvrir des choses sur eux-mêmes, à être surpris par leur comportement, à les comprendre et à les infléchir. Ils démentent vouloir correspondre à une norme mais entrer dans une communauté d’individus dans laquelle prouesses et imperfections seraient montrés avec honnêteté, ne craignant pas le regard de l’autre et le cherchant.

Car le self-tracking, pratique on ne peut plus personnelle, se déploie aussi dans l’interaction avec les autres et les trackers aiment à partager leur résultats sur le net ou en comité. Nées aux Etats-Unis, les réunions “The Quantified Self”- du nom du blog monté par Kevin Kelly et Gary Wolf de Wired – commencent à arriver en Europe. Après Londres et Amsterdam en septembre, un meeting parisien ne devrait pas tarder. Lors de ces réunions, les membres échangent des informations et présentent outils et méthodologies. Armés de présentation PowerPoint richement pourvues de graphiques, les self-trackers font le récit de leurs péripéties devant un auditoire attentif. Intérêt pour autrui ou comble du narcissisme ? A la place d’une réponse voici une autre question : peut-on parler d’exhibitionnisme dans un camp de naturiste ?

Les self-trackers rejoignent Walter Benjamin dans sa définition du bonheur : être heureux, c’est se connaitre soi-même sans avoir peur. Si The Quantified Self devait être légendé, Gary Wolf opterait pour “la connaissance de soi par les chiffres”. Le self-tracking se revendique comme une nouvelle facette de la fameuse devise socratique “connais-toi toi-même”. Les trackers envisagent à travers les chiffres, un accès inédit à soi-même, une alternative à la démarche psychanalytique. Ils préfèrent la machine au divan trouvant leur méthode bien plus féconde et efficace du fait qu’elle se passe de mots; ces mots soumis à l’équivoque, qui peuvent tromper, trahir et mentir.

L’universalité du langage mathématique

Pour les trackers le chiffre pallie les défaillances du mot, le suppléé et peut-être même le supplante. C’est même le langage dans son intégralité qui est jugé trop limité et qui est critiqué à cause de sa linéarité, sa longueur, sa subjectivité, sa capacité à être excluant. Car les langues, à contrario du langage mathématique, ne sont pas communément partagées par tous. Elles cloisonnent et limitent la communication entre les hommes, mais aussi entre les espèces. Grâce aux capteurs, les trackers espèrent même pouvoir parler numériquement avec les plantes et les animaux.

Avec les nombres, les trackers visent à une meilleure connaissance d’eux-mêmes et du monde qui les entourent. A l’instar des pionniers d’internet, ces fanas de chiffres croient qu’il faut d’abord envisager de modifier les comportements individuels avant de pouvoir bouleverser l’ordre du monde. Qu’il faut œuvrer soi-même et ensemble, pour améliorer sa qualité d’être humain, pour tendre à de meilleure conditions de vie… si ce n’est à une meilleur humanité.

Les chiffres regroupent les individus par la pratique et le partage. La confrontation des données d’un groupe de personnes volontaires peuvent être parfois bénéfiques à la communauté. Dans le domaine de la santé, les initiatives se font de plus en plus nombreuses. Grâce à des sites comme PatientsLikeMe, les malades s’organisent pour mener leurs propres études. Alexandra Carmichael rapporte par exemple que des patients souffrant de sclérose latérale amyotrophie ont décidé d’observer l’effet du Lithium sur la progression de leur maladie. Qu’ils en prennent ou non, les malades ont répertoriés leurs données. La comparaison des progrès des deux groupes n’a pas été concluante mais jamais aucune étude médicale sur la SLA n’avait réuni autant de patients, et n’avaient obtenu de résultats aussi rapidement, pour si peu d’argent.

De la vie privée à l’attention publique


Il existe aujourd'hui d'autres moyens de tout enregistrer

Agir sur soi-même pour agir sur le monde, c’est aussi remettre en cause les systèmes établis et non pas uniquement celui de la langue. Les feuilles de calculs sont généralement le pré-carré des scientifiques, des économistes, des comptables, des gouvernants et des commerciaux. En s’emparant des méthodes de ces derniers et en pistant eux-mêmes leurs chiffres, les self-trackers prétendent en fait désamorcer la tyrannie d’un système qui nous demande de faire toujours plus de chiffres ou qui nous en affublent sans cesse.

Quittes à être trackés par les gouvernements et chiffrés à mauvais escient par les entreprises, les self-trackers préfèrent autant le faire eux-mêmes. Considérant le self-tracking comme une subversion, les datactivistes ont décidé de prendre le contrôle de leur données. C’est le cas par exemple de l’artiste Hasan Elahi (voire l’article) qui à mis l’ensemble de ses données personnelles sur le site Tracking Transience permettant au FBI de tout savoir sur lui tout en dévaluant ces informations par leur nombre et leur accessibilité.

Mais on peut légitimement se demander si les chiffres utilisés pour contrecarrer le système ne pourraient pas se retourner contre les self-trackers. Mark Zuckerberg co-fondateur de Facebook annonçait au début de l’année 2010 que l’époque de la vie privée était révolue. Les questions concernant la vie privée sur Internet ne cessent d’être posées sans pour autant trouver de réponses. Mais qu’en est-il de la vie privée quand celle-ci s’exprime par des chiffres? Y-a-t-il des paramètres qui doivent rester confidentiels, quand d’autres peuvent être largement communiqués ? Encore une fois, les réponses sont à inventer car la pratique est encore neuve et nous n’avons rien d’autres à offrir que des suppositions.

Les self-trackers, eux, ne paraissent pas très inquiets de ce qui pourrait advenir des chiffres qu’ils partagent avec tant de générosité, franchissant sans aucune difficulté l’état de data-loggers à celui de data-bloggers. D’après le critique Hal Niedzviecki  les self-trackers n’ont que faire de la vie privée et n’accordent que peu de valeur à ce concept désuet. Ils lui préfèrent celui d’attention, ce qui est un véritable changement de paradigme culturel.

Le meilleur des mondes

Dans cette histoire, la vraie question tient surtout à savoir si les self-trackers ne se moqueraient pas de la vie privée pour la bonne raison que la leur – s’exprimant en chiffres – n’a pas encore affectée. Imaginons que je me sois appliquée à tenir mon compte Daytum. En un click, n’importe qui, aurait pu découvrir mon penchant pour le chocolat et la nicotine ainsi qu’une certaine irrégularité dans ma pratique sportive. N’importe qui dont mon père, mon assureur ou un chef de projet dans l’industrie agro-alimentaire. J’aurais pu alors recevoir les trois mails que voici :

Je viens de voir tes chiffres sur Daytum. Ta mère et moi sommes très déçus. Encore plus que la fois où nous t’avons vu ivre sur YouTube. J’espère que tu vas arrêter de fumer, c’est mauvais pour toi. Tu devrais le savoir c’est inscrit sur le paquet que tu fumes chaque jour. J’ai décidé d’enlever un euro sur ton compte épargne chaque fois que tu cliqueras sur +1. Je fais ça par ce que je t’aime. Bisous

Mademoiselle, ayant constaté la faible qualité de vos chiffres, j’ai le regret de nous annoncer que nous ne pouvons accepter de vous couvrir. Le mode de vie que vous menez ne peut en aucun cas vous permettre de bénéficier d’une assurance-vie dans notre compagnie. Votre tabagisme – vous conduisant à une mort prématurée – et votre attrait pour le chocolat combiné à de faibles performances sportives – faisant de vous une personne potentiellement en sur-poids et hypothétiquement sujette à des maladies cardio-vasculaires – vous classent dans la catégorie des individus à risques. Risques, Mademoiselle, que nous se sommes pas en mesure de prendre. Cordialement

Bonjour, je vous écris car je voudrais vous vanter les mérites de notre toute nouvelle barre chocolatée et nicotinée low-carb : Chococlop. Chococlop vous permettra d’assouvir votre gourmandise sans culpabilité ! Vous pourrez grignoter tout en gardant la ligne et même diminuer votre consommation de cigarettes : ) Sachez qu’en plus pour l’achat de 8 cartons de Chococlop vous ferez partie de nos clientes privilégiées et aurez droit à un bon de réduction de 50% sur un vélo d’appartement chez notre partenaire Les Machines de Machin. Super non ?

Personnellement, cela me donne la chair de poule. D’autres histoires de ce genre restent à imaginer, et peut-être nous les expérimenterons dans un futur proche, si nous les vivons pas déjà.

Pratique numérique, pratique magique

Au contact des self-trackers – et par delà les motivations concrètes qui les ont amenés à le devenir – il m’a semblé qu’ils ne cherchaient pas uniquement des nombres mais aussi des valeurs. En instaurant des manières inédites d’être et d’agir pour soi et pour les autres, ils ont crée un système dont chacun est à la fois le centre et une des multiples particules périphériques qui le composent.

En s’imposant une ligne de conduite rigoureuse, les trackers semblent vouloir ancrer leur quotidien dans des rites et donner du sens à leur actes. Y aurait-il du spirituel dans les chiffres ? Les trackers sont affirmatifs. En investissant leurs données, ils ont découvert un monde fait de nombres, traversés de flux de données que les graphiques donne à voir partiellement.

Nos self-trackers l’expérimentent et l’explorent à foison sans pour autant connaître le précis but de leur quête. Qu’ils soient datafreaks, savanturiers ou maitres ignorants, les self-trackers nous apprennent avec leurs feuilles que l’émancipation de soi peut s’envisager à travers les chiffres et que notre environnement est une élégante équation remplie d’inconnues, de mystères et de magies.

Crédits photos CC FlickR par theskinimin, Heartbeatbox

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Hasan Elahi: un homme sur sousveillance http://owni.fr/2010/10/15/hasan-elahi-un-homme-sur-sousveillance/ http://owni.fr/2010/10/15/hasan-elahi-un-homme-sur-sousveillance/#comments Fri, 15 Oct 2010 16:33:32 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=31790

Le life-logging – pratique consistant à capturer grâce à des moyens numériques l’ensemble ou une grande partie de sa vie – se décline sous autant de formes qu’il y a d’individus pour s’en emparer et de motivations pour l’employer. Pour Hasan Elahi, cette méthode relève à la fois de la pratique artistique, de l’expression contestataire et de l’alibi permanent. Elle lui assure de pouvoir continuer à circuler librement, la main sur le déclencheur de l’appareil photo de son smartphone, plutôt que de croupir en combinaison orange, entravé par des chaines dans un centre de détention de l’armée américaine. Click.

Garde-meubles et garde-frontières

Hasan Elahi est un artiste conceptuel qui enseigne actuellement les arts plastiques à l’université du Maryland. Ses œuvres sont souvent sérielles et toujours en rapport avec la lumière et l’image. Elles s’articulent autour des traumatismes de l’Histoire et de l’Humanité dont les outrages sont figurés par des lieux à la symbolique puissante. Dans son film Gorée Island Remix (2003), l’esclavagisme prend la forme de la Porte du Voyage Sans Retour. La folie meurtrière d’un régime politique se matérialise dans S.21 (2005) par des images de Tuol Sleng (lycée de Phnon Penh transformé en camp de détention par les Khmers rouges) et de Cheoung Ek ( un champ à quelques kilomètres de là où les prisonniers étaient exécutés). L’immigration, enfin, se donne à voir dans l’installation Flow Wet Feet (Dry Feet) (1999-2006). Une série d’écrans y montre la sérénité de la plage de Sunrise Beach en Floride, à l’exact endroit où des gardes frontières américains ont intercepté des immigrants cubains et les ont forcé à retourner à la mer.

Ces œuvres, et d’autres encore, sont exposées de par le monde, comme récemment au SITE à Santa Fe, au centre parisien Georges Pompidou, au Sundance Film Festival, ou bien à la biennale de Venise. Hasan Elahi est donc un artiste pluridisciplinaire et engagé, un citoyen américain originaire du Bangladesh voyageant énormément au fil de ses actualités. C’est aussi un type lambda qui a une vie comme tout le monde. Ou plutôt qui avait une vie comme tout le monde jusqu’au lendemain du 11 septembre 2001. Effectivement, le 12 il se rend chez le propriétaire du garde-meubles qu’il loue pour lui payer en main propre ce qu’il lui doit, ne comptant plus en faire usage à l’avenir. La chose parait anecdotique. Elle prend pourtant sens quand on sait qu’il sera victime d’une dénonciation anonyme et calomnieuse. L’informateur (Hasan a son idée sur la question) le suspecte d’y avoir entreposé des explosifs. Hasan n’est au courant de rien jusqu’au 19 juin 2002. De retour d’un voyage au Sénégal, où il exposait, il est interpellé à Détroit par les gardes-frontières. Soupçonné d’activités terroristes, il est longuement interrogé par les autorités et passe tout près de la réclusion. Et dans ces cas là, le pénitencier se nomme Guantánamo.

Tracking Transience : The Orwell Project

Lorsqu’un nom figure sur la liste des terroristes potentiels dressée par les autorités américaines, il est difficile de l’en effacer. Même (presque) libre de ses faits et gestes, Hasan Elahi sait qu’il y a toujours un œil qui veille sur lui. Sa pratique artistique – faisant déjà preuve d’un intérêt indéniable pour la surveillance, les frontières et les conditions géopolitiques qui les produisent et les maintiennent – s’en trouve d’autant plus marquée.

Dès la fin de l’année 2003, il met en place un site Internet sur lequel il amasse et laisse à disposition une quantité incroyable d’informations le concernant. Hasan porte en permanence un GPS et il uploade en temps réel, via son smartphone, des photographies de son environnement immédiat. Une assiette, click, des toilettes, click, un panneau sur l’autoroute, click, une salle de conférence, click, un hall d’aéroport, click, un rayon de supermarché, click. “Take an other picture with your click click click camera” comme le chante Bishop Allen. Il en ajoute entre une et cent par jour en fonction de la quantité de ses déplacements. Actuellement, on trouve plus de 45.000 clichés sur Tracking Transience, un nombre qui ne cesse de croitre.

“Quand j’ai commencé à monter mon projet, les gens pensaient que j’étais complètement fou de vouloir mettre en place un système qui permettrait à tous de savoir où j’étais et ce que je faisais à chaque instant. Aujourd’hui, à peine sept ans plus tard, il y a 500 millions de personnes qui font approximativement la même chose que moi.” Hasan fait référence au life catching : l’acte d’emmagasiner et de partager des moments de son quotidien dans des espaces ouverts comme les réseaux sociaux.

Parfait alibi, le projet Tracking Transience sert d’abord à préserver Hasan d’hypothétiques accusations. Les clichés ont pour objectif de clamer son innocence et de montrer bonne volonté et patte blanche aux enquêteurs qui savent toujours où il se trouve exactement, et de fait, le laisse en paix pour l’instant. “Pendant l’investigation, j’ai dû raconter au FBI absolument tout de ma vie : me raconter dans les moindres détails, leur montrer mon PDA, passer des batteries de tests, etc. J’ai alors commencé à garder des traces de mes activités à intervalles réguliers pour leur prouver qu’en aucun cas je ne pouvais être mêlé de près ou de loin à une quelconque attaque terroriste. La volonté et la transparence sont cruciales dans le succès d’un tel projet. Ces traces étaient cataloguées dans des bases de données distinctes. Il y avait plus qu’à faire un travail d’enquête pour en extraire du sens. Si l’on prend le temps de croiser ces bases de données, il est possible de connaitre l’ensemble des petites choses qui font de ma vie ce qu’elle est : où j’aime trainer, d’où je décolle et où j’atterris, où je passe la nuit, mes habitudes alimentaires, la façon dont je dépense mon argent et aussi où et quand je vais aux toilettes.”

Mais Tracking Transience n’a pas pour unique objectif de blanchir Hasan Elahi. L’enjeu pour l’artiste consiste aussi à ne plus uniquement subir une traque mais d’en être au contraire l’acteur principal, de redevenir possesseur de sa vie en choisissant de l’offrir à tous. “Manifestement, il y a un gros dossier au FBI avec mon nom écrit dessus. Pourtant la probabilité pour que quelqu’un qui n’est pas un officiel, y compris moi-même, puisse y avoir accès est nulle. Car au-dessus de l’étiquette avec mon nom, il y en a une autre : “sécurité nationale”. J’ai commencé à me demander : qu’est-ce que ces gens peuvent savoir exactement à mon sujet ? Et pourquoi le FBI devrait être le seul à connaitre toutes ces choses ? Et si, je devenais simplement volontaire pour délivrer chaque information me concernant à tout le monde ?”

De l’art de la contestation

Suspect ad vitam æternam Hasan Elahi met l’intégralité de sa vie sur Internet aussi bien pour se protéger que pour se moquer de ceux qui le traquent. Il tourne en dérision leurs méthodes et les retournent contre eux. Une grande partie du trafic sur le site Tracking Transience provient ainsi d’agences de renseignements en tous genre. À ce propos, au cours de nos échanges, Hasan m’a fourni une “petite liste non exhaustive” de celles qui viennent le visiter. Or cette petite liste contient presque une quarantaine de noms parmi lesquels le FBI, la CIA, la NSA, le NRO. On apprend donc que les types de la Maison Blanche, entre autres activités, matent régulièrement des JPEG d’assiettes de frites et d’urinoirs pour préserver la sécurité de leur pays.

“De prime abord, Tracking Transcience semble être une masse inutile d’informations. Pourtant c’est ce qui fait sa force. Les services de renseignements ( le FBI, la CIA, la NSA ou n’importe quelle autre agence) fonctionnent dans une industrie de la connaissance. L’information en est la monnaie et le secret ou la restriction de son accès lui confèrent sa valeur.” En filant la métaphore, on pourrait dire qu’avec Tracking Transience, Hasan Elahi inonde le marché de l’information le concernant. À la fois consentie et massivement offerte à tous, ces informations se trouvent complètement dévaluées. Ces photographies, même si elles en apprennent beaucoup sur son mode de vie, restent finalement complètement a-personnelles vu ce qu’elles montrent. Selon lui, dans un monde où nous serions extrêmement et délibérément exposés aux yeux de tous, nous deviendrions des absolus anonymes libres et maitres de nos données.

Voulant inverser le paradigme, il nous encourage à l’imiter pour ne plus être les proies de ceux qui tiennent les rênes de ce business.”Nous ne devrions pas craindre les systèmes de surveillance mais au contraire les embrasser pleinement. En embrassant le système et même en devenant le système, nous en prenons contrôle et lui dictons les directions qu’il doit prendre. Nous avons tous des appareils photos sur nous car rares sont les téléphones aujourd’hui qui n’en sont pas fournis. Nous pouvons donc tous prendre des photos. Nous n’avons pas à rester là, les bras ballants, à attendre d’être victimes de “leurs” appareils de surveillance. Au contraire, il faut prendre le contrôle et monitoire ceux qui nous surveillent. Il n’est aujourd’hui plus question de Big Brother car il y a des millions de Little Brothers. Et Big Brother ne doit certainement pas apprécier quand ces millions de Little Brothers le pointent avec leurs objectifs.” L’allusion à Big Brother est assez convenue, je rappelle que l’installation est sous-titrée The Projet Orwell.

Cette œuvre perpétuelle se déclinant sous de multiples formats questionne le regard et le statut de l’observateur ; le rendant à la fois spectateur et voyeur. De fait, elle a été considérée par beaucoup comme un manifeste de protestation politique. Pourtant, pour Hasan Elahi ce projet semble rester avant tout un projet artistique, une proposition de contestation individuelle et quotidienne parmi un vaste panel de méthodes envisageables, n’apportant pas de réponses toutes faites mais ouvrant sur des questions plus ardues. Et comme il le dit : “Il s’avère souvent que les choses les plus importantes véhiculées par l’art soient à peine considérées comme artistiques…”

Moi, toi et tous les autres

Œuvre personnelle donc. Et c’est pour cela que les photos qui composent l’immense collection de Tracking Transcience sont aussi exemptes de figures humaines que la plage de Sunrise Beach dans l’installation Flow Wet Feet (Dry Feet) précédemment mentionnée. Hasan Elahi n’a aucune objection à partager chaque détail de sa vie mais comprend que les membres de son entourage souhaitent préserver leur intimité. C’est par respect mais aussi par automatisme qu’il ne faillit jamais. Pourtant lorsque l’on mène ce mode de vie, les relations personnelles sont difficiles à maintenir correctement. Ses amis rechignent à l’accueillir chez lui : ne voulant pas que les photographies montrent au reste du monde comment ils ont aménagé leur salon ou que le GPS d’Hasan indique comment venir chez eux. Les limites entre ce qui relève du privé et du public sont floues dans la vie d’Hasan Elahi, pourtant il arrive à conserver des espaces d’intimité.

Il semble s’en réjouir, même s’il s’en défend… “Je pense que j’ai une vie privée. Il y a un un certain nombre d’informations à mon égard que vous pourrez trouver extrêmement facilement. Cependant si vous essayez de creuser, vous ne trouverez pas grand chose. Cette semaine par exemple j’ai été invité en tant que conférencier dans une université de la région. La personne qui était chargée de me présenter à l’auditoire n’avait pas pu trouver où j’avais fait ma scolarité et quel diplôme j’avais obtenu. Ce n’est pas que j’essaie de le cacher, et ce n’est vraiment pas intentionnel, mais c’est une des choses qu’il n’est pas simple de savoir. Jusqu’à récemment, de nombreux commissaires d’exposition (même ceux avec qui je suis en étroite collaboration) ne savaient pas quel âge j’avais. C’est un peu différent maintenant que quelqu’un s’est permis d’ajouter ces informations sur Wikipédia…”

Mais finalement, ce qui semble important pour l’artiste et pour son œuvre c’est l’idée d’anonymat. Il a su ou pu en conserver un certain degré en dépit de son exposition. Ce concept est fondamental dans la dimension conceptuelle de l’œuvre se voulant tant l’exact miroir de sa vie que la possibilité de refléter de quotidien de tous. En se montrant ainsi devant nous, Hasan Elahi nous fait part de sa vie en figurant celles que tant d’autres reclus ne peuvent plus mener. Il donne à voir les rouages d’un système qui nous observe et nous traque tous. Un système qui, à l’intérieur ou à l’extérieur des murs, surveille et punit.

Un bonus pour les curieux, voici la petite liste des agences de renseignements qui se connectent régulièrement sur le site Tracking Transience d’Hasan Elahi :

Les point mil :

Air Force Space Command (afspc.af.mil)

Technical Data Management Division (amrdec.army.mil)

United States Central Command (centcom.mil)

Department of Defense Cyber Crime Center (dc3.mil)

Defense Intelligence Agency (dia.mil)

Defense Information Systems Agency (disa.mil)

Naval Surface War Center (dt.navy.mil)

Air Force Headquarters (hq.af.mil)

US Joint Forces Command (jfcom.mil)

Department of Defense Network Information Center (js.mil)

Missile Defense Agency (mda.mil)

Naval Surface War Center (navsses.navy.mil)

National Geospatial-Intelligence Agency (nga.mil)

Navy Information Operations Command (nioc.navy.mil)

Space and Naval Warfare Systems Command (nosc.mil)

National Reconnaissance Office (nro.mil)

National Security Agency (nscs.mil)

Naval Undersea Warfare Center (nuwc.navy.mil)

Office of the Secretary of Defense (osd.mil)

Pentagon (ptr.hqda.pentagon.mil)

United States Special Operations Command (soc.mil)

United States Special Operations Command (socom.mil)

United States Special Operations Command (sofsa.mil)

United States Southern Command (southcom.mil)

Space and Naval Warfare Systems Command (spawar.navy.mil)

Department of Defense High Performance Computing (usafa.hpc.mil)

United States Army Security Assistance Command (usasac.army.mil)

les point gov :

Federal Bureau of Prisons (bop.gov)

Customs and Border Protection (cbp.dhs.gov)

Department of Homeland Security (dhs.gov)

Executive Office of the President (eop.gov)

United States House of Representatives (house.gov)

National Security Agency (nsa.gov)

Terrorist Screening Center (techtrack.gov)

Transportation Security Agency (tsa.dhs.gov)

Central Intelligence Agency (ucia.gov)

Department of Justice (FBI) (usdoj.gov)

Images CC Elsa Secco, laverrue, re_birf et Mr. T in DC

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Nicholas Feltron: le self-tracking, “de nouvelles formes de communication condensées” http://owni.fr/2010/10/15/nicholas-feltron-le-self-tracking-de-nouvelles-formes-de-communication-condensees/ http://owni.fr/2010/10/15/nicholas-feltron-le-self-tracking-de-nouvelles-formes-de-communication-condensees/#comments Fri, 15 Oct 2010 16:30:42 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=31745 Vous travaillez actuellement à l’élaboration d’un livre sur les moyens de production artistique. Considérez-vous qu’aujourd’hui, l’information et les données font partie de ces moyens ?

L’information est quelque chose qui se répand partout. Avant, les données étaient le pré-carré des scientifiques et des comptables. Maintenant de plus en plus de gens y ont accès et en produisent à leur tour. Ils ont pu découvrir ou même créer des outils leur permettant d’analyser et de comprendre les données, d’en faire quelque chose. Je répondrais donc qu’en art ou dans tout autre domaine, l’information est un média qui est aussi devenu du contenu.

On ressent un vif intérêt pour les infographies et les visualisations en tous genres. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un engouement passager ou plutôt d’une tendance lourde ?

C’est assurément une tendance lourde. On perçoit un attrait grandissant pour les visualisations de données. Elles permettent de se rendre compte des nombreuses complexités qui font le monde qui nous entoure. Je me réjouis que l’on s’y intéresse de plus en plus et que l’on tende vers la simplicité. Pourtant, et je le déplore, la majorité des visualisations produites et diffusées attirent l’œil et le détournent des bons travaux de la discipline.

Elles sont généralement réalisées dans un style cartoon et ce sont elles qui sont mises en avant alors qu’il y a tant d’informations pertinentes et de belles histoires à communiquer ! Je préfère quand les histoires vont plus en profondeur plutôt que quand elles se cantonnent à montrer la complexité et les connections. et que l’on peut en extraire de véritables enseignements.

Vous êtes devenu célèbre grâce à vos Annual Reports. Ce n’est pas votre premier projet graphique mais c’est celui qui a su rencontrer une large audience. Aucun d’entre eux ne se ressemble, qu’est-ce qui vous pousse à modifier les paramètres que vous sélectionnez et les formes que vous leur donnez ?

L’information est dirigée par la curiosité. Je vis chaque année comme une quête. Je traque au fil des jours les données qui constitueront mon Annuel Report. Je me demande comment, à travers elles, je vais raconter de nouvelles histoires et comment je vais trouver de nouvelles manières d’appréhender cet enregistrement permanent de ma vie. Je sauvegarde donc l’ensemble de ces données pour les mettre en forme l’année suivante. Il m’arrive même d’avoir deux années de données conservées dans des bases que je n’ai pas encore explorées.

Plus j’y pense et plus je crois que la curiosité y est pour beaucoup dans cette aventure. Je me demande à quoi une année va ressembler à travers la focale que j’aurais choisie, c’est-à-dire comment je l’ai ressentie et comment elle a été perçue par mon entourage. Je suis curieux de voir les traits qu’elle va prendre une fois que j’aurai résumé ses divers aspects en nombres ! Je regarde l’ensemble de mes transports par exemple et je compte le nombre de kilomètres que j’ai parcouru en avion durant ces 365 jours. Cette année je m’intéresse attentivement au temps que je passe dans différents lieux, et avec qui je m’y rends. J’ai aussi deux ou trois autres idées mais vous verrez cela bien assez tôt ! J’ai besoin que cette recherche reste fraiche et excitante. Il faut que l’Annual Report reste un projet neuf chaque année. C’est aussi mon laboratoire visuel. Je peux y essayer de nouvelles formes et de nouvelles manières d’explorer les données, sans qu’un client me dise que cela lui déplait ou que l’aventure ne l’intéresse pas. C’est très libérateur et productif pour ma pratique.

Un extrait de l'Annual Report 2007

Vous avez commencé à réaliser l’Annual Report comme un projet graphique et personnel. Est-ce que c’est toujours le cas ou bien est-ce qu’il tend à devenir une nécessité, vous permettant de mieux vous connaître et de mémoriser l’ensemble de vos faits et gestes ?

L’Annual Report est toujours un projet personnel. Pourtant je crois qu’il s’y ajoute quelque chose d’autre. Quelque chose qui serait peut-être, allez disons-le, une sorte d’addiction. Maintenant je dois le faire. J’ai découvert tous ces flux invisibles de données qui circulent autour de moi et il est désormais trop tard pour que je les laisse ne pas être collectés ou visualisés graphiquement.

Vous dites que les chiffres sont pauvres en enseignements vous concernant et que vous ne les utilisez pas pour influer votre comportement et quand bien même vous le voudriez ou le pourriez. Pensez-vous que des gens ont véritablement des choses à découvrir sur eux-même en collectant et en visualisant leurs données ?

Absolument, le simple fait de collecter des données est déjà suffisant pour modifier le comportement d’un individu. Je crois que quand l’on commence à scruter quelque chose on y devient véritablement attentif et que l’on est déjà en train de changer. Si demain vous vous mettez à enregistrer le nombre de cafés que vous buvez vous serez plus conscients de votre consommation et de votre comportement. J’admets ne pas regarder pas mes chiffres pour influer sur mon comportement car j’ai toujours considéré l’Annual Report comme une sorte d’agenda personnel ou de journal intime où j’essaie de conserver les événements sans tendre à modifier leur cours. Les motivations qui poussent à se traquer et les paramètres traqués varient en fonctions des individus. Ils peuvent décider de changer leurs agissements ou bien simplement de les regarder, d’enquêter sur leurs habitudes et de les mémoriser. Je fais plutôt partie de ceux-là.

Êtes-vous particulièrement sensibles aux petites choses du quotidien ? Celles qui sont en sourdine et pourtant porteuses de sens, celles qui peuvent s’effacer de la mémoire par leur fragilité en dépit de leur accumulation ?

J’aime les motifs et les collections. J’admire l’obsession, la rigueur et l’organisation. Je pense que c’est tout cela que l’on retrouve dans mon travail et dans celui des artistes que j’admire comme par exemple Sophie Calle, Mark Dion ou encore Candy Jernigan.

Combien de bouteilles d'eau ai-je bu cette année ?

Vous avez cofondé la plateforme Daytum grâce à laquelle tout un chacun peut enregistrer et visualiser les données qu’il souhaite. L’avez vous créée car vous sentiez qu’il y avait une demande et un véritable besoin ?

J’ai été très surpris de voir le nombre de personnes qui ont été enthousiasmées par mon projet. J’ai peu à peu remarqué qu’il y avait des gens qui reprenaient ma démarche. En fin d’année, je reçois souvent des mails d’inconnus qui m’envoient leur propre Annual Report. J’avoue ne pas savoir ce qui les motive. Peut-être est-ce l’aspect collection ou le côté design de la chose, peut-être même les deux. Or, il est difficile de collecter des données quand on ne possède pas les outils appropriés et les méthodologies efficaces. Lorsque la collecte des données a été menée à bien, l’étape suivante – celle de leur représentation – est un tout autre challenge. J’ai donc créé cet outil en reprenant le concept et les procédures de l’Annual Report afin de les rendre accessibles à tous.

Y a-t-il des paramètres qui sont majoritairement traqués par les membres inscrits sur Daytum ?

Oui et les tendances sont très simples à repérer. Les gens commencent le self-tracking à partir de paramètres simples, comme par exemple leur consommation de boisson ou de nourriture, les séries télévisuelles ou les films qu’ils regardent. Ces choses sont à la fois discrètes et omniprésentes, inscrites dans une temporalité et vouées à l’oubli dans la répétition. Il est aussi très intéressant de voir comment certains membres s’emparent de cet outil pour l’étendre à des usages auxquels nous ne nous attendions pas. Je pense par exemple à un jeune homme qui se sert de Daytum pour raconter l’histoire de son canapé. Il comptabilise le nombre de personnes qui y passent la nuit, qui s’assoient dessus, et aussi les tâches et restes de nourriture qu’on peut trouver dessus. J’aime beaucoup ce genre d’initiatives qui sont bien plus expressives et créatives.

À votre avis, qu’est-ce qui pousse des personnes qui ne sont pas designers à se traquer ?

C’est la question à un million de dollars. Je pense que de multiples raisons peuvent nous conduire à cette pratique pourtant je ne saurais vous dire laquelle est propre à chaque individu. Le jogging est moyen efficace pour créer des histoires dans une forme autant pudique qu’expressive. La liste n’est pas exhaustive mais je crois que certains le font par curiosité, d’autres l’envisagent comme un moyen de se raconter, d’autres ressentent une véritable satisfaction quand ils parviennent à connaitre leurs chiffres, d’autres encore pour changer leurs comportements, regarder a posteriori leurs activités, ou mesurer leur productivité et leurs accomplissements.

Vous dites que l’on peut mesurer sa productivité et ses accomplissements, le self-tracking pourrait-il être un moyen aussi libérateur qu’aliénant ?

Je ne pense pas que cette méthode doit être appliquée pour mesurer la productivité ou les accomplissements des gens. Par contre, quand une personne narre une histoire statistique sur son canapé ou qu’émergent des avis communs à propos d’un film, je crois que l’on se retrouve confronté à de nouvelles formes de communication condensées.

Que pensez-vous que cette nouvelle forme de communication peut nous apporter ?

Je crois que cette méthode permet de renforcer la communication non seulement entre les individus mais aussi entre eux et les plantes et les objets inanimés. Par exemple, sans se baser sur des structures grammaticales ou syntaxiques, une plante peut vous exprimer clairement qu’elle a soif grâce à des capteurs implantés dans le sol. De la même façon, sans écrire des paragraphes sur mon week-end, je peux vous raconter toutes les choses que j’ai faites (à savoir où j’étais, qui j’ai vu, ce que j’ai bu ou mangé) en quelques updates condensées. Ces updates peuvent aussi être associées entre elles pour raconter des histoires bien plus vastes, se modifiant au fil du temps. Et puis, n’y a-t-il pas, peut-être, quelque chose qui ment entre l’image et le mot ?

J’aimerais vous retourner la question ! D’ailleurs, la visualisation de données est-elle une réponse ou plutôt un tout nouveau set de questions ?

J’espère qu’elle est les deux. Je la perçois comme une approche qui peut nous mener à de meilleures réponses et à de meilleures questions.

À consulter

Le site de Nicholas Feltron

Daytum, plateforme accessible à toute personne souhaitant enregistrer et visualiser des données

Images : traces de pas CC Flickr ankengine, Annual Report 2007 copyright Nicholas Feltron ; bouteilles d’eau CC Flickr Klearchos Kapoutsis

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