OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pourquoi Google est apollinien et Facebook dionysiaque http://owni.fr/2011/01/06/pourquoi-google-est-dionysien-et-facebook-apollinien/ http://owni.fr/2011/01/06/pourquoi-google-est-dionysien-et-facebook-apollinien/#comments Thu, 06 Jan 2011 17:30:14 +0000 Adriano Farano http://owni.fr/?p=41357 L’information selon laquelle, en 2010, Facebook a détrôné Google en devenant le site le plus visité des États-Unis est absolument étonnante. Mais on peut se poser cette question: qu’est-ce que ce renversement signifie pour les usages du web d’aujourd’hui? Facebook et Google ressemblent aux deux compétiteurs de deux conceptions différentes d’Internet.

D’un côté, le géant de Mountain View représente l’empire de la raison, la quintessence de ce qu’on pourrait appeler le “web froid”. Google sert – c’est son déterminisme – à trouver les informations qu’on recherche. Son moteur peut-être extrêmement utile, mais rarement excitant; nous l’apprécions parce que ses algorithmes ordonnent les données d’Internet, dont la profondeur est abyssale. En ce sens, Google est apollinien. Comme le dieu grec du soleil, de la lumière et de la poésie, plus tard de l’ordre et de la raison, Google nous aide à jeter de la lumière sur l’abondante information disponible en ligne.

De l’autre côté, Facebook symbolise le “web chaud”. Il sert essentiellement à rester en contact avec ses amis ou ses proches, ou a satisfaire une inclination naturelle pour le voyeurisme ou d’autres interactions sociales. Facebook est peut-être addictif, mais ses utilisateurs compulsifs sont rarement fiers du temps qu’ils passent sur la plateforme. Comme le tabac ou l’alcool, Facebook est moins un service conçu pour résoudre des problèmes qu’un vice de la société globalisée. C’est la raison pour laquelle Facebook est dionysiaque. A l’instar du dieu grec du vin, plus tard de l’irrationalité, Facebook parle directement à notre côté émotionnel.

A une époque où la plupart des plateformes essaient de devenir sociales, les concepts apolliniens et dionysiaques peuvent être utiles pour comprendre les profondes différences entre eux. Prenez l’exemple de LinkedIn. Ne s’agit-il pas d’un réseau social apollinien, essentiellement bâti pour servir les besoins d’une vie professionnelle? Twitter est un autre exemple signifiant. Parce que son discours commercial l’identifie comme un “réseau d’informations” plus qu’un réseau social, cette précision en dit long sur sa volonté d’évoluer dans le champ de l’échange “froid” d’informations plutôt que dans celui des émotions “chaudes”.

Mais le distinguo apollinien/dionysiaque ne doit pas être regardée comme une dichotomie permanente. Dans La Naissance de la Tragédie, Friedrich Nietzsche affirme que la primauté esthétique de la tragédie grecque ancienne vient du fait que les travaux d’Eschyle ou de Sophocle marient Apollon et Dionysos.

En un sens, la tentative de Google pour devenir social (avec Buzz) et l’alliance de Facebook avec Bing pour fournir une expérience de recherche sociale peuvent être toutes deux perçues comme des efforts embryonnaires pour équilibrer le chaud et le froid, le dionysiaque et l’apolinien. Mais dans les deux cas, les résultats sont encore loin d’être satisfaisants. Et Google et Facebook restent prédominants dans deux aires différentes, bien définies.

Il faut peut être appréhender la nouvelle guerre de la Silicon Valley dans cette perspective, plutôt qu’avec les outils compliqués et rarement efficaces du système métrique du web. Cette guerre entre Facebook et Google sera probablement remportée par celui qui arrivera à supplanter le champ d’origine de l’autre, sans abandonner sa première définition.

Ce billet a initialement été publié en anglais sur OWNI.eu

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Crédits photo: Flickr CC Shoes on Wire, Dunechaser

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“Singularity University n’est pas une secte” http://owni.fr/2010/11/21/singularity-university-nest-pas-une-secte/ http://owni.fr/2010/11/21/singularity-university-nest-pas-une-secte/#comments Sun, 21 Nov 2010 15:56:16 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=36487 Si elle n’a pas commencé à programmer dès l’âge de quatre ans, Eugénie Rives n’a rien à envier aux exploits de ses camarades de la Singularity University, dont elle a suivi le dernier programme d’été.

Chez Google France depuis cinq ans, la jeune femme a commencé à monter des projets dès l’âge de 19 ans, qui marque son départ vers la Californie. S’ensuivent le Mexique et l’Argentine, où elle met en place un festival de courts-métrages, dont elle assure la promotion à travers le monde grâce aux nouvelles technologies. L’année dernière, elle décide de compléter son savoir-faire en participant aux deux mois et demi de formation intensive proposée par la Singularity University dans le domaine des nouvelles technologies. Direction la Silicon Valley et le campus de la Nasa, dont la demoiselle ressort émerveillée.

Eugénie Rives revient avec nous sur cette expérience et en profite pour dissiper les confusions entretenues autour de “SU”. Si l’institution compte parmi ses fondateurs l’un des papes controversés du courant transhumaniste Ray Kurzweil, il faut, selon la jeune femme, opérer la distinction entre ces idées et la visée pragmatique de Singularity University, qui interroge l’impact des nouvelles technologies sur la planète.

Singularity University, temple du transhumanisme ?

Pas du tout. Il faut décoreller Singularity University et transhumanisme. L’université donne des billes pour réfléchir à l’impact pratique des technologies sur des grandes problématiques : énergie, eau… C’est vraiment pour cet aspect concret, le lancement de projets, que j’y suis allée. En comparaison, l’université n’a vraiment rien à voir avec le Singularity Institute qui comporte une unité spécialisée sur les questions transhumanistes.
Certes, le discours de SU, notamment d’ouverture, est très emphatique, très américain, mais il ne diffère en rien de ce qu’on pourrait entendre à Harvard ou à Stanford.

Singularity University n’a rien d’une secte ! C’est juste une université très avancée sur les questions relatives aux nouvelles technologies.

Après, il est vrai que Kurzweil fait partie des fondateurs et des intervenants. Mais ses cours abordent la Singularité, ce moment qui marquera une explosion de la technologie telle qu’elle dépassera l’intelligence humaine (ndlr : aussi appelé “small-bang”). Ray Kurzweil aborde de façon très succincte les questions transhumanistes.

C’est Peter Diamandis, un entrepreneur à l’origine de tout un tas de projets, qui est allé à sa rencontre suite à la lecture de Singularity Is Near, pour fonder l’université. Mais l’institution n’est vraiment pas à relier au transhumanisme pour autant. Ils ont même songé à en changer le nom, pour bien marquer la distinction, c’est dire !

Donc le chef de SU, issu des cuisines de Google, ne sert pas une centaine de pilules pendant les repas ?

Non ! Et Ray Kurzweil ne nous a pas dit d’en prendre !
Il est vrai que le programme faisait attention à notre alimentation et à notre santé. Nos repas étaient bio et surtout à base de tofu, et nous faisions deux heures de yoga par semaine.

Et en dehors des repas, quelle était l’ambiance à SU ?

C’était extraordinaire. J’ai rencontré des Prix Nobel, des gens à l’origine de projets incroyables. Larry Brilliant de Google.org ; Robert Metcalfe, l’inventeur d’Ethernet… En tout, 160 interventions différentes ! Mais au-delà des professeurs, j’étais aussi au milieu d’étudiants complètement passionnés par les technologies. Un véritable patchwork de plein de pays différents.

Un cours à Singularity University

Vous étiez en permanence ensemble pendant les deux mois et demi du programme ?

Oui, du lever au coucher. On dormait sur place, sur le campus de la Nasa, situé en plein milieu du désert, dans la Silicon Valley. Presque en dortoirs !

On se levait tous les jours très tôt, parce qu’il était vraiment difficile de louper des cours aussi intéressants. On était donc ensemble de 9 heures du matin à 8 heures du soir. Les fondateurs de l’université passaient régulièrement nous voir… C’était vraiment intense : des conférences venaient s’ajouter au programme et quand on sortait des cours, on poursuivait souvent les discussions jusque tard dans la nuit.
J’ai gardé le contact avec tout le monde. Certains viennent d’ailleurs à Paris cette semaine.

Lors du dernier entretien vidéo avec Jean-Michel Billaut, vous étiez sur le point de présenter votre projet sur l’eau. Comment ça s’est passé et sur quoi cela a débouché ?

Encore une fois, c’était assez américain : je m’attendais presque à me voir remettre un chapeau de diplômée ! C’était aussi solennel : il y avait 200 à 300 personnes présentes, dont une partie des intervenants, pour la présentation des 14 projets.
La nôtre s’est très bien passée, une ONG s’est depuis montée au Chili. L’une des filles de notre groupe de travail, chilienne et juriste, y investit désormais 100% de son temps. Depuis que je suis rentrée en France, je m’y consacre pour ma part surtout pendant mon temps libre, le week-end.
On a aussi monté une ONG qui fait du monitoring de jeunes femmes à travers le monde.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comment fait-on pour entrer à Singularity University ?

Ça va assez vite. J’ai rempli un dossier en ligne. Il faut fournir un CV, des lettres de recommandation, et montrer une certaine passion pour les technologies. Je pense qu’il est également bon d’indiquer qu’on a déjà été entrepreneur une fois dans sa vie.
Le coût de la formation est assez élevé, mais l’université donne des bourses, qui couvrent parfois intégralement le cursus. Ainsi, pas mal d’étudiants en provenance de pays en développement ont pu participer au programme. Singularity University est d’abord une fondation, son but est non lucratif.

Il y a eu 1.800 candidatures pour le programme que vous avez suivi l’an dernier. Pensez-vous que votre appartenance à Google France a joué un rôle dans votre sélection ?

Je ne sais pas. Peut-être. À l’époque, les gens de Google France ignorait l’existence de Singularity.
Les personnes sélectionnées venaient toutes d’horizons très divers : étudiants, entrepreneurs… Même si finalement, nous n’étions pas beaucoup à venir du business et de grands groupes comme Google.

Pensez-vous retourner à Singularity University dans un avenir proche, pour vous remettre à jour sur les dernières avancées technologiques ?

Il faut avoir à l’esprit que Singularity se veut être une formation sur la durée. C’est assez particulier : en France, on va à l’université et c’est terminé. Dans le domaine particulier des technologies, il y a bien sûr les cours en ligne du TED, mais rien de comparable à Singularity University. Là-bas, on reste en contact et les étudiants de l’année précédente sont souvent les intervenants du programme de l’été qui suit.
Personnellement, je pense retourner sur le campus l’été prochain, pendant une semaine. Je ne vais pas refaire la formation, je vais simplement aller à la rencontre des étudiants, des intervenants.

Les bannières de Singularity University

À quand la création d’une version française de SU ?

Je ne pense pas qu’il y aura une Singularity University en France, en tout cas pas sous la forme du programme d’été. Déjà parce que cette organisation est assez lourde en termes logistiques : il n’est pas évident de mobiliser un endroit pendant plus de deux mois. Par contre, je pense qu’il y a de forte chance que les Executive Programs soient lancés ici. Les membres de Singularity diffusent leurs idées en Europe : ainsi, le directeur de SU, Salim Ismail, intervient cette année à LeWeb.
Diffuser les informations, réfléchir aux questions posées par les technologies permettront certainement de réduire la peur qu’elles suscitent, c’est une bonne chose. Les choses évoluent en France, dans la santé par exemple.

Il est important que les gens se confrontent aux questions soulevées par les technologies. Il faut se préparer à vivre avec, en gérant au mieux les risques qu’elles comportent.

Que penser justement des réticences suscitées par les projets transhumanistes ?

Je ne suis pas une spécialiste, mais je pense que les gens ont peur du changement… de se voir remplacés par des robots. Mais ce n’est pas nouveau, chaque technologie a d’abord suscité une crainte. Là, c’est d’autant plus fort que cela touche l’humain.
Singularity University aborde ces problématiques : nous avons suivi des cours d’éthique. À chaque fois qu’une nouvelle technologie était évoquée, nous nous interrogions sur les impacts et les risques qu’elle soulevait.

Je comprends tout à fait cette peur, je ne suis pas du tout adepte moi-même du transhumanisme, mais il faut penser aux apports positifs des avancées technologiques, comme les nanobots qui seront capables de guérir des cellules cancéreuses. On ne peut pas dire non à ces choses là.

Retrouvez le blog d’Eugénie Rives, qui retrace son expérience à Singularity University.

Son témoignage également à retrouver sur Place de la Toile, l’émission de Xavier de la Porte sur France Culture.

À lire aussi sur le sujet : “Humain, trans-humain” ; “L’Homme “augmenté” selon Google…vers une transhumanité diminuée ?” ;

“Kyrou: face au dieu Google, préserver ‘l’imprévisible et des sources de poésie’”

Images CC Flickr david.orban

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Intellectuels.fr vs culture Internet: l’autre fracture numérique http://owni.fr/2010/09/11/intellectuels-fr-vs-culture-internet-l%e2%80%99autre-fracture-numerique/ http://owni.fr/2010/09/11/intellectuels-fr-vs-culture-internet-l%e2%80%99autre-fracture-numerique/#comments Sat, 11 Sep 2010 15:44:09 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=27835

Alain Minc est perdu sur le ouèbe, du coup il n'y met pas les pieds.

Deuxième partie de cette réflexion sur la relation plus que fraîche qu’entretiennent nos élites intellectuelles avec les réseaux sociaux et la culture 2.0 en général.

La première partie passe en revue les lignes directrices de la pensée hexagonale sur le sujet, comment celle-ci s’avère peu pertinente et ne jouit d’aucun écho à l’extérieur de nos frontières (ouvrages références, conférences etc.). Elle décrit en outre un premier motif de rejet des intellectuels à l’égard d’Internet : la menace que ces réseaux sociaux, vecteurs de fluidité sociale, représente dans un pays où les institutions et les statuts qu’elles octroient ont une importance fondatrice.

Ce second billet, énumère quelques-uns des piliers de la culture Internet et essaye de compléter les propositions ci-dessus pour expliquer en quoi elle rebute nos élites.

Méritocratie

Une notion que l’on retrouve dans toutes les études sur le sujet. Clay Shirky parle d’une culture “brutalement méritocratique”, Manuel Castells de techno-meritocracy. Richard Florida dans Rise of the creative class ou Les Netocrates d’Alexander Bard la mentionnent aussi dans leurs ouvrages.

La culture numérique est née d’ingénieurs surdoués mais plutôt rustauds (accessoirement : n’ayant pas lu La Princesse de Clèves, ils sont l’incarnation parfaite de cette middle class méprisée par nos intellectuels). La qualité d’un individu n’y est pas fonction de ses diplômes, de la marque de ses vêtements, du rang social de ses parents ou encore de son code postal. Cette qualité est fonction de sa contribution. Principe éminemment druckerien au demeurant.

Dans ce nouveau système, une bloggeuse de 14 ans venant de nulle part peut devenir en quelques mois une personnalité incontournable du monde de la mode. Un succès précoce équivalent chez nous pourrait être la benjamine de la rentrée littéraire 2010 mais en y regardant de plus près : son père est le prix Interallié de 2008.

Cette méritocratie passe difficilement dans une culture profondément institutionnalisée ou le statut inoxydable octroyé par la vénérable école républicaine, revêt toujours une importance primordiale. Les places et les chances de François Dubet souligne ce particularisme français.

Ces statuts comportent des avantages implicites : des poly-techniciens peuvent ainsi évincer un ingénieur sous prétexte qu’il leur fait de l’ombre avec ses idées innovantes ou encore la moitié des places de Polytechnique est réservée aux enfants d’enseignants. Dans une culture où l’ultra-centralisation des pouvoirs invite au népotisme (cf Julie Bramly) et où des normaliens s’élèvent contre ces médias qui ne leur garantit plus la primauté au savoir, ce principe de méritocratie est plutôt mal perçu.

Esprit d’entreprise

(dans sa définition la plus générique : ce que l’on met à exécution)

Dans cette culture, seul compte ce qui fonctionne et apporte de la valeur. Les belles idées sont vaines tant qu’elles ne sont pas mises en œuvre, qu’elles ne fonctionnent pas, ou ne sont pas utilisées : elles demeurent insignifiantes tant qu’elles ne changent pas le monde.

Dans cette apologie de l’action permanente, réside une forte culture d’entreprise. L’innovation au cœur du développement d’internet dans la Silicon Valley illustre bien cette dimension essentielle : elle est le fruit de l’étroite collaboration de l’université (principalement Stanford) avec les entreprises et start-ups de la Valley.

Durant ces quinze dernières années, de nouveaux métiers sont apparus. Des individus ont pu acquérir grâce au système méritocratique une réputation florissante. Cela leur a ouvert de nouvelles opportunités et permis, à un coût très bas et avec très peu de risques, de prendre en main leur destin professionnel.

Comme le rappelle l’excellent Serge Soudoplatoff, les barrières d’entrée sur le marché Internet sont ridiculement basses. La tentation est grande d’entreprendre et de monter un business florissant. Sans parler de Myspace ou de Facebook, de petites entreprises de vingt personnes peuvent ainsi mettre en œuvre des business de plusieurs millions de dollars et être classées dans le top 10 des entreprises informatiques par les SMB américaines.

Dans l’unique pays européen à avoir remplacé la compétence “esprit d’entreprise” par “autonomie et initiative” dans le socle commun des connaissances et compétences agréé par les pays de la communauté européenne, cet aspect saillant de la culture Internet est particulièrement rédhibitoire.

Simplicité

Simplicity is the shortest path to a solution : make the simplest thing that could possibly work (Ward Cunnigham – l’inventeur du Wiki)

Sur Internet il y a des milliards de page web. Statistiquement, qu’un internaute passe du temps sur la vôtre (site professionnel, blog, Myspace, application, etc.) relève du miracle. Aussi l’économie de l’immatériel est-elle une économie de l’attention où le producteur est redevable à l’internaute de l’attention qu’il lui prête.

Pour conserver l’attention de ces visiteurs, le contenu publié doit être simple et pratique : il doit apporter quelque chose à l’internaute. L’effort est donc requis au niveau du rédacteur pour être le plus clair possible. Le lecteur a mille autres sites/blogs à surfer plutôt que se casser à la tête à chercher à comprendre ce que l’auteur a voulu signifier/réaliser. En conclusion : dans le système de communication des outils sociaux, le récepteur est roi.

Cette simplicité est considérée comme une insulte à l’intelligence d’intellectuels qui sanctifient l’obscurité comme le remarque Benjamin Pelletier, ou qui, pour citer Michel Onfray

ont cette approche institutionnelle, universitaire de la pratique de la philosophie : il y a eu une pratique de l’intimidation langagière. (…) Un langage pour intimider (…)  Bourdieu l’a bien montré dans un livre qui s’appelle Ce que parler veut dire : le langage philosophique peut-être un langage intimidant, un langage de classe, un langage qui classe : un langage de la distinction. (…)

Forts de leur statut institutionnel, nos intellectuels ont été habitués à une audience soumise, intimidée par le langage et le ratio des 20% incompréhensibles (Bourdieu). L’attention portée à leurs propos est un dû.

En conclusion : dans le système de communication auquel ils sont habitués, l’émetteur est roi. C’est au récepteur de faire l’effort de compréhension. Un présupposé inacceptable dans la culture Internet.

Global english

Un point qui n’est pas des moindres : la culture Internet qui nourrit les réseaux sociaux est anglo-saxonne et sa langue est le global english, langue impure s’il en est.

Dès lors le territoire d’échange devient incommode pour nos intellectuels : au foot on dirait qu’ils jouent à l’extérieur (point remonté fort justement par Olivier Le Deuff). Il s’agit d’un contexte étranger, non maitrisé où nos intellectuels sont dépourvus des repères qu’ils maitrisent totalement dans la culture française.

L’anglais présente en outre cette formidable aptitude à la plasticité qui invite au néologisme. Un exemple parmi les milliers du vocabulaire Internet : la notion merveilleuse de digital natives/digital immigrants inventée par Marc Prensky. En creux, une preuve de l’absence de réflexion pratique dans l’Hexagone sur ces nouveaux outils et usages : l’absence de dénomination aussi évidente dans notre langue.

Dans global english on retrouve  la notion de “globalisée”, vécue comme une agression en France où cette culture globale expose la nôtre à la comparaison. Problématique formulée avec éloquence par Gérard Grunberg dans Sortir du pessimisme social :

Si nous voyons dans la mondialisation un phénomène de dépossession ce n’est pas parce que celle-ci est inéluctable mais parce que nous ne parvenons pas à nous repenser politiquement (…) la mondialisation agit comme un formidable révélateur des forces et faiblesses des sociétés (…) elle exerce une fonction de dévoilement de soi face aux autres.

Post-idéologique

Les idéologies ont été inventées pour que celui qui ne pense pas puisse donner son opinion (Nicolas Gomez Davila).

Dans la monde  ultra-pragmatique du Net où seul ce qui marche a de la valeur, la culture est résolument post-idéologique.

Comme déjà discuté par hypertextual dans les principes caractérisant les digital natives, génération imprégnée de cette culture, la culture Internet est irrévocablement pragmatique et post-idéologique. La raison :

Les évènements des vingt dernières années -(mur de Berlin, Twin Towers, Chine et US construisant le monde globalisé, crise des subprimes …) ont immunisé les digital natives contre les belles paroles, les grand élans lyriques et les vues de l’esprit. La seule réalisation remarquable et indiscutable que cette génération a vu en direct se mettre en place et grandir avec elle est le web.

Il est d’ailleurs significatif que deux des blogs les plus visités de la recherche française (Affordance d’Olivier Ertzscheid et l’excellent Recherche en histoire visuelle d’André Gunthert) soient à ce point ouvertement orientés politiquement.

Croyance en l’avenir

Au-delà du souhait de fortune rapide, le désir qui sous-tend les actions d’un grand nombre des contributeurs historiques d’Internet et des réseaux sociaux, c’est cette volonté ingénue et authentique de changer le monde et “to make the world a better place”. Le pourcentage d’entrepreneurs qui sont revenus aux affaires après être partis six mois savourer leur retraite de millionnaire est considérable. Il s’agit d’un but qui revient inlassablement dans toutes les conférences et éditoriaux.

Probablement le point de blocage principal, un point qui suscite une incompréhension totale dans notre société de défiance. Encore Sortir du pessimisme social de Gérard Grunberg :

Cela renvoie à une narration du monde dont l’adéquation avec le monde réel n’est pas prioritaire. Une narration de laquelle se dégage un pessimisme social dépouillé de toute solution sinon celle d’une résistance au changement. (…) La pensée réparatrice se construit fortement au détriment de la pensée créatrice et donc anticipatrice. (…) Être de gauche aujourd’hui c’est être pessimiste car l’optimisme social est implicitement identifié à l’adversaire, aux représentants des couches sociales qui tireraient avantage de l’ordre à venir.

(note : les universitaires et intellectuels français sont souvent, et ouvertement, de gauche – cf. Olivier Ertzscheid et André Gunthert ci-dessus).

L’autre fracture numérique

Si nos institutions structurent un socle social remarquable que le monde nous envie, elles présentent aussi un nombre d’inconvénients importants. Corporatisme, inertie, statuts et “siloïsation” sociale : des strates socio-culturelles isolées hermétiquement les unes des autres. Le mélange des cultures est peu courant.

La première fracture numérique est celle entre les initiés au monde numérique et ceux qui ne peuvent y accéder pour des motifs matériels : il s’agit d’une fracture subie.

La seconde est celle, tout aussi profonde, entre la culture internet et les intellectuels : une fracture sciemment entretenue par ces derniers.

Conséquence de ces silos socio-culturels elle s’avère dommageable au 21e siècle, dans une société de la connaissance où la richesse est générée par l’innovation et la créativité. Hors, ces innovations et créativité ne peuvent survenir que grâce aux mélanges des compétences, savoirs et culture.

Il est de la responsabilité des intellectuels d’aller au-delà du rejet pour s’immerger enfin dans cette culture numérique pour l’enrichir, lui donner du sens et stimuler une innovation et une créativité numérique qui s’inscrit dans la tradition culturelle hexagonale. Sans quoi, l’adoption (inéluctable) de ces outils restera sans “conscience” et, en France, le 21e siècle n’aura pas lieu.

Ce qui serait dommage, il a tant à nous apporter :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Billet initialement publié sur hypertextual, le blog de Cecil Dijoux ; image CC Flickr paulthielen OWNI remix

Premier volet Réseaux Sociaux: des intellectuels français inaudibles

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