Octobre 2009, au rendez vous des rétrogrades

Le 31 octobre 2009

Décidément, il se passe quelque chose d’étrange en France en ce moment. De plus en plus de gens s’affirment comme de fieffés conservateurs. La droite nous y avait habitués. Mais nouveauté, c’est maintenant au tour d’une certaine frange non négligeable de l’intelligentsia. Nous avons vu les artistes défendre Hadopi et la réduction des libertés numériques pour [...]

Hoog

Décidément, il se passe quelque chose d’étrange en France en ce moment. De plus en plus de gens s’affirment comme de fieffés conservateurs. La droite nous y avait habitués. Mais nouveauté, c’est maintenant au tour d’une certaine frange non négligeable de l’intelligentsia.

Nous avons vu les artistes défendre Hadopi et la réduction des libertés numériques pour préserver leurs revenus (c’est ce qu’ils croyaient). Nous avons vu la gauche ne pas trop se mouiller dans cette histoire, et même parfois déraper. Et puis est arrivé octobre, ce fut une véritable avalanche de déclarations catastrophiques : Wolton, Finkielkraut, Séguéla, Plenel, Klein… Notre monde se désintègrerait et plus rien ne serait à sauver. Il faudra que quelqu’un ait le courage d’écrire l’histoire de cet octobre noir.

À vrai dire, je me réjouis. Tout ce beau monde comprend enfin qu’il se passe quelque chose d’important, quelque chose d’historique qu’ils ont raté. Alors ils cherchent à dénigrer. Un des derniers en date, Emmanuel Hoog, avec son livre Mémoire année zéro. J’avais vu l’annonce passer, j’avais laissé passer, un peu fatigué des rabat-joies. Puis aujourd’hui, Bertrand Keller me site et site Hoog en même temps. Du coup, je lis son interview dans Le Monde. Je respire, le bonhomme est plus modéré que ceux déjà épinglés.

Notre demande de mémoire a grandi plus vite que notre capacité à produire de l’histoire, dit Hoog. Voilà ce que j’appelle l’”inflation mémorielle”. Trop de mémoire tue l’histoire. Paradoxalement, faute de repères historiques clairs, nous nous réfugions dans la nostalgie, aggravée aujourd’hui par le phénomène d’Internet, qui fait mémoire de tout. Désormais, le concept s’est privatisé : on ne se contente plus du quart d’heure de célébrité promis à chacun par Andy Warhol, tout le monde veut sa part de mémoire, à travers lui-même, à travers le numérique.

Mais l’histoire est en mouvement, plus que jamais. Si je ne me trompe pas, si nous passons de l’Histoire au Flux, c’est un évènement extraordinaire qui est en train de se jouer. Et ce ne serait pas de l’histoire ça ? Et si avec ce passage au Flux nous réussissions à adresser quelques problèmes majeurs comme la pauvreté ou les dérèglements écologiques ? Comme toujours, il faut juste apprendre à regarder l’histoire dans la vie. Notre histoire n’est tout simplement pas écrite, c’est à nous de la vivre d’abord, puis de l’écrire en suite.

Quelle importance qu’il y ait inflation mémorielle ? Il y a déjà des siècles qu’un homme n’a aucune chance de lire tout ce qui a été produit, de voir tout ce qu’il y a à voir. Qu’il y ait cent fois plus, mille fois plus, ne change rien. Nous donnons simplement plus de chance à la sérendipité (je développe dans mon prochain livre).

Hoog voudrait que soit mise en œuvre une politique de la mémoire. Je commence à me méfier même si j’admets qu’on ne peut pas laisser faire n’importe quoi à Google. Mais eux, au moins, ils bossent. Une politique de la mémoire serait de ne pas empêcher tel ou tel de mémoriser, mais de participer à ce mouvement, de maximiser la duplication des données pour nous mettre à l’abri en cas de crash, de catastrophe, de dictature…

Au final, Keller pose une question qui me paraît beaucoup plus importante que celle de Hoog.

Pour autant nous pouvons nous poser la question de savoir si notre famille, nos amis, notre société conservent une histoire suffisamment partagée pour que nous puissions nous comprendre et continuer à communiquer.

Je crois justement que le flux rend indispensable les histoires, il les rend plus nécessaires que jamais car il n’y a plus pour chacun une histoire pré-tracée. Aucune case sociale ne nous attend. Nous devons nous construire un chemin de vie et les histoires des autres participent à notre initiation.

» Article initialement publié sur Le peuple des connecteurs

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