À modérer avec modération…

Le 18 février 2010

Nouveau venu sur la soucoupe, le journaliste Erwan Alix explique son travail de modérateur sur Maville.com : "Nous étions prêts à devenir modernes et libérer la parole des utilisateurs, mais… la Loi et l’Expérience viennent semer le doute dans nos consciences." Hadopi pointe encore son nez...

J'ai choisi cette photo pour illustrer mon profil de modérateur  sur Maville.com... A la fois accueillant et symbole d'autorité, main de  fer dans gant de velours. Classe, non ?

J’ai choisi cette photo pour illustrer mon profil de modérateur sur Maville.com… A la fois accueillant et symbole d’autorité, main de fer dans gant de velours. Classe, non ?


Je travaille sur des sites qui, historiquement, pratiquent la modération a priori. Les commentaires postés par les internautes sont donc relus avant d’être publiés. Nous étions prêts à devenir modernes et libérer la parole des utilisateurs, mais… la Loi et l’Expérience viennent semer le doute dans nos consciences.

En tant qu’internaute, j’enrage depuis des années de voir les commentaires publiés sur Maville.com parfois 48 h après avoir été déposés ! Longtemps, les journalistes du papier ont considéré avec méfiance les réactions d’internautes, ainsi que la direction du groupe Ouest-France, qui craignait que le moindre écart ne serve de cheval de Troie aux syndicats lors des négociations sur le multimédia (droits d’auteur, statut bi-média…). Les mentalités évoluent, mais beaucoup se méfient encore de ce qu’ils appellent avec dédain le « café du commerce » (et pourtant nous sommes le café du commerce !).

Il me paraissait évident qu’il fallait faire sauter cette barrière et passer à une modération a posteriori. Libérons le flot des réactions, le dialogue s’instaurera, les commentaires pleuvront et tout le monde sera content.

L’expérience

Seulement voilà… Sur Maville.com, nous avons récemment fait deux avancées en ce sens, en attendant d’ouvrir les vannes à fond. En mode connecté, un utilisateur enregistré peut écrire comme il veut sur le mur de son profil, et sur celui de ses petits camarades. Tout internaute peut alerter les modérateurs avec le traditionnel bouton « Signalez un abus » qui figure en regard de chaque commentaire. C’est la première avancée.

La seconde avancée réside dans la possibilité donnée aux internautes de réagir à quasiment tous les items présents sur le site (articles, bars, restaurants, films…), avec toujours une modération cependant.

Ces deux progrès ont permis de poser deux constats. Le premier, c’est que l’internaute de base ne comprend rien à la mention « Signaler un abus ». On nous signale tout et n’importe quoi : problème d’abonnement à Ouest-France, mot de passe perdu, et même des tarifs de cinéma trop cher (et ouais, « 9 € la place de ciné, c’est abusé ! »…). Pas sûr que ce soit la panacée comme sécurité…

Le second constat, c’est que sur un site d’infos de proximité, certains commentaires sont franchement gênants. Certains refont les procès, et auraient « mis bien plus » au prévenu. Tout récemment, en Basse-Normandie, deux personnes estimaient que la victime d’un viol jugé en correctionnelle n’était pas si victime que ça, parce qu’une fois bourrée, elle allumait tous les mecs… On tombe dans des cancans et des médisances, hyperlocaux certes, mais impubliables.

D’autres félicitent voire encouragent l’auteur d’un très grand excès de vitesse, ou à l’inverse lui souhaitent de crever la gueule ouverte… Récemment sur Rennes, deux ou trois trolls commentaient systématiquement les infortunes administratives d’une famille de kurdes sans-papiers, sur le mode « qui c’est qui paye, c’est nous » et « on devrait d’abord s’occuper de nous autres les Français que c’est la crise et qu’on a pas d’argent »… Idéal pour instaurer un débat glissant.

Si 95 % des propos tenus par les utilisateurs du site ne posent aucun problème, les 5 % qui frottent avec la ligne éditoriale font réfléchir. En tout cas, a posteriori, il faudra être rapide à faire le ménage.

La loi

Suivant la loi Hadopi, il faudra même être « prompt ». En effet, cette célèbre loi stipule ceci :

Sur les espaces de contribution personnelle des internautes, l’éditeur met en œuvre les dispositifs appropriés de lutte contre les contenus illicites. Ces dispositifs doivent permettre à toute personne de signaler la présence de tels contenus et à l’éditeur de les retirer promptement ou d’en rendre l’accès impossible.

Je ne suis pas juriste, mais vous trouverez une excellente analyse des difficultés que cela pose sur le blog Décryptages. En gros, l’éditeur est responsable des contributions des internautes, et en cas de problème, il doit intervenir « promptement ». Mais que veut dire « promptement » ? Dans la minute, dans l’heure, la semaine, le quadrimestre ? Ce sera à l’appréciation du juge… Et là, je ne parle même pas de la difficulté d’établir le caractère illicite d’un propos, tant les nuances sont parfois ténues.

Ce billet devrait en appeler d’autres sur le sujet… alors à bientôt…

++ La photo d’illustration provient du sublissime blog de Renzo, Sexy People.

> Article initialement publié sur le blog d’Erwan Alix

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