Twitter et journalisme: les règles de l’art

Le 15 mai 2010

Voici une proposition de guideline du bon emploi du réseau social de microblogging à l'attention des journalistes. Il pose in fine la question de son intégration à une stratégie économique d’entreprise.

Nan mais il est pas fou de tweeter sa life ? Crédit William Lovell Finley; Herman T. Bohlman

Le passage annoncé du chroniqueur Techno de Radio-Canada au cabinet de relations publiques National a entraîné une discussion intéressante avec Philippe Martin sur les politiques des médias d’information vis-à-vis de l’usage de Twitter par leurs journalistes.
Résumé : Bruno Guglielminetti, qui est aussi réalisateur à la radio de Radio-Canada, a un compte Twitter correspondant au titre de sa chronique radio, RC CarnetTechno. Les abonnés de ce compte, dont Philippe et moi-même, ont été avisés il y a quelques semaines que Bruno Guglielminetti avait aussi un compte personnel, Guglielminetti. Sur sa page, la description est très justement : “Parce qu’il faut aussi avoir son coin à soi…”
On note que son compte à Radio-Canada porte le nom de son employeur (RC), que son compte personnel est à son nom et que, sur leur page respective, les deux comptes affichent son portrait et son nom au complet.

Bruno Guglielminetti est un professionnel des médias et du web de longue date, et il a exécuté ces étapes dans les règles de l’art. Mais quelles sont ces règles de l’art ? La conversation avec Philippe n’a duré que quelques minutes, en marchant de concert sur la rue Duluth à Montréal, mais nous avons eu le temps de distinguer quatre grands domaines :

  • une politique d’identité : qui écrit sur Twitter ?
  • une politique éditoriale : qu’est-ce que les journalistes écrivent sur Twitter ?
  • une politique d’entreprise : qui est propriétaire des noms – et URL – sur Twitter ?
  • une stratégie d’entreprise : à quoi ça sert que nos journalistes écrivent sur Twitter ?

Comme j’ai des observations sur les quatre sujets, je vais les partager ici, libre à Philippe – et à vous – de continuer la conversation, ici-même ou sur Twitter.

1 – Une politique d’identité : qui écrit sur Twitter ?

De multiples cas ont montré que, sur Twitter, la voix personnelle l’emportait sur les voix impersonnelles. L’exemple le plus célèbre est celui du comédien Ashton Kutcher qui avait parié qu’il aurait un million d’abonnés avant la chaîne de nouvelles CNN. Il avait gagné haut la main. Encore aujourd’hui, son compte aplusk a près de 5 millions d’abonnés et celui de CNN, cnnbrk, 3 millions.

Bruno Guglielminietti, on l’a vu, affichait son nom et sa photo dans sa page Twitter identifiée à Radio-Canada. Alors que, par exemple, Marie-Claude Lortie (de La Presse) identifie son média sur sa page et le compte de Mathieu Turbide est strictement personnel.

Un média peut jouer au mieux sur les forces de Twitter en identifiant à la fois la personne et son entreprise. C’est ce que fait de façon exemplaire Jay Rosen, professeur de journalisme à la New-York University (NYU) : jayrosen_nyu.

Tout média pourrait se doter d’une abréviation facile à ajouter sur Twitter à l’identité professionnelle de ses journalistes : on a vu RC pour Radio-Canada, et on peut imaginer cyp pour cyberpresse, jdm pour Le Journal de Montréal, thegaz pour The Gazette, ou autres variantes (merci de me corriger si certains le font déjà).

Qui écrit sur Twitter ? Des gens. Des voix. Des individus qui, dans leur média traditionnel, sont identifiés par leur signature. Sur Twitter, la solution qui présente le plus d’avantages est une identité qui combine le nom de la personne et celui de son média.

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Ok les gars mais c’est pas une raison pour causer que boulot ;-) Crédit William Lovell Finley ; Herman T. Bohlman

2 – Une politique éditoriale : qu’est-ce que les journalistes écrivent sur Twitter ?

Quand il a été question récemment que Radio-Canada rédige un code de journalisme pour les médias et réseaux sociaux, je m’en suis d’abord tenu à une formule lapidaire :

Quels que soient les médias – ou les réseaux – sociaux, faites du bon journalisme.

Je me suis par la suite exprimé plus longuement dans un commentaire sur le blog du Trente, le magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), mais l’essence reste la même : si une personne se présente dans son identité Twitter comme journaliste d’un média, il ne semble pas sorcier d’en conclure que le contenu est du journalisme.

Les erreurs qui sont commises actuellement ne sont pas graves, et sont parfois hilarantes (on ne nommera personne). Mais si l’on veut sortir de la phase du terrain de jeu pour entrer dans la sphère professionnelle, la solution est simple : toute personne identifiée sur Twitter comme journaliste d’un média y fait du journalisme.

Cela ne veut pas dire que tout discours sur Twitter doit devenir antique et solennel, loin de là ! La voix sur Twitter gagne à être personnelle : tout l’espace web s’enrichit des individualités. Il est non seulement permis mais recommandé de sortir du contexte strictement professionnel pour y parler de ses humeurs, de ses envies et de ses passions. Mais cela devrait sans doute demeurer une portion congrue du contenu (10 à 20% ?).

Pour tout ce qui déborde de ce cadre, n’hésitez pas à vous créer un compte personnel.

Dans le contexte professionnel, il suffit d’écrire toujours comme si on était en direct à la télévision :-)

3 – Une politique d’entreprise : qui est propriétaire des noms – et URL – sur Twitter?

Le contenu de Twitter est indexé dans les moteurs de recherche : s’il est identifié au média, il fait partie du média au même titre que le contenu de son site. Après avoir examiné ci-dessus la politique d’identité et la politique éditoriale, on observe que tout éditeur a intérêt à posséder les identités Twitter issues de son média.

Ce n’est pas difficile à mettre en œuvre : tout compte Twitter est associé à une adresse de courriel. Un compte Twitter, par exemple @blancheneige_media, peut ainsi être attaché à l’adresse de courriel blancheneige@media. Si le contenu diffusé sur ce compte l’est dans le cadre professionnel, tout le contenu et l’identité font également partie du média.

Comme pour la politique éditoriale, on n’a pas besoin de réinventer la roue à chaque nouveau moyen de communication, sinon on n’est pas sorti du bois. Le contenu diffusé dans le site du média fait partie du média, quel que soit son support traditionnel ; il peut en être de même sur tout autre support actuel ou futur. Le partage des revenus est bien sûr une autre histoire (qui est déjà en train de se développer). Mais, jusqu’ici, la nature du travail (journalisme) et la responsabilité de sa mise en marché (éditeur) ne changent pas.

On se calme, les boucliers. Il est évident que les médias qui n’en sont pas encore là vont négocier une transition, avec des règles “avant” et des règles “désormais”. Mais pour les médias et les journalistes qui veulent utiliser Twitter de façon professionnelle, le système à mettre en place n’est pas bien compliqué.

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À qui sont ces oiseaux qui twittent sur nos branches ? Crédit Phlippe Mangels

4 – Une stratégie d’entreprise : à quoi ça sert que nos journalistes écrivent sur Twitter ?

A priori la question semble prématurée : Twitter est après tout très jeune ; l’entreprise elle-même n’a pas mis en place son modèle d’affaires ; le service est en transformation permanente ; et l’espace du web est quasiment infini : on peut s’attendre à voir surgir de nombreux services complémentaires ou concurrents.

Mais, aussi exotiques que deviennent les médias, leur existence va demeurer dans la sphère du commerce qui, lui, nous est familier depuis le Paléolithique. Il n’est donc pas trop tôt pour commencer à réfléchir à des façons de faire participer Twitter à une stratégie économique d’entreprise.

Pour l’instant, deux options principales apparaissent sur le radar, et méritent d’être explorées.

Dans la première option, Twitter deviendrait le vecteur commercial : il semble qu’il sera bientôt possible d’attacher des publicités au contenu éditorial. L’espace est nouveau mais l’opération est bien traditionnelle. Chaque compte Twitter participerait ainsi à l’expansion du média (certains disent aussi son “atomisation”) et deviendrait, commercialement, un média en soi.

Même si ça oblige les responsables du marketing à œuvrer dans le détail, on connaît la chanson : mesurer les abonnés de chaque compte Twitter, mesurer la réception des messages, mesurer leur efficacité, mesurer leur mémorisation, mesurer leur taux de conversion, adapter la pub au contenu, etc. (bâillements).

L’effet de la stratégie économique sur la politique éditoriale est inchangé : il s’agit toujours que les journalistes publient du contenu pertinent et intéressant pour être lus le plus possible par les membres de notre cible.

Comme ils le font dans nos médias traditionnels, nos journalistes sur Twitter vont colporter dans leur plumage des messages commerciaux et les livrer aux lecteurs de fil en fil.

Ça peut rapporter de l’argent ces bestioles ? Crédit gaab22

Dans la deuxième option, le site du média demeure le principal vecteur commercial.

La stratégie économique demande alors que la politique éditoriale sur Twitter consiste à orienter les lecteurs vers le site principal du média. On voit que s’ouvre ici tout un chantier pour les rédactions : de concert avec les journalistes, trouver mille raisons et mille façons d’attirer les lecteurs vers le site principal.

J’entends d’ici un ouragan de froissements d’ailes et des concerts de piaillements : tant mieux. Ce sont des débats qu’il faut avoir. Les habitués de Twitter savent qu’on se lasse vite des gens qui ne font que de l’autopromotion. Heureusement, les rédactions sont par définition des nids de personnes curieuses et créatives. On peut leur faire confiance pour explorer, expérimenter et trouver des solutions. Encore faut-il leur donner des directions.

Quand on attire nos lecteurs vers notre site, l’opération commerciale à laquelle on pense en premier est bien sûr la publicité. On sait cependant qu’elle ne génère pas sur le web l’équivalent des revenus des médias traditionnels.

Autre opération commerciale : faire payer les lecteurs pour l’accès à des contenus. On connaît quelques succès mais, jusqu’à présent, ce n’est pas non plus une panacée.

Une troisième voie est en train de s’ouvrir. Des exemples récents comme celui qui se prépare à Washington montrent que des médias sur le web structurent leur rédaction autour du modèle des communautés. On sait déjà que ce modèle permet d’ordonner la contribution du public au contenu du média, tout en fidélisant les membres.

Dans le cadre d’une communauté, la stratégie d’utilisation de Twitter consisterait à inciter les lecteurs à devenir membre de la communauté, vraisemblablement par du contenu original et des privilèges liés à la participation.

Reste à développer des modèles d’affaires autour des communautés. De nombreux médias d’informations, petits et grands, font des expériences en ce sens. Mais on ne peut essayer ces nouvelles solutions tant qu’on n’a pas de communauté. C’est pour cela que TBD commence par bâtir une structure d’accueil.

Ça tombe sous le sens : quand on veut attirer des oiseaux dans sa cour, on leur donne, chez nous, leur propre espace.

Viens à nous, petite communauté, nos graines sont fraîches. See-ming Lee

Billet initialement publié sur Webmédias sous le titre “Twitter, journalisme et médias”

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