Néo-hippies & cyberpunks

Le 21 mai 2010

Les deux derniers mythes rock sont resucés par notre société en mal d'utopie, mollassons avatars vidés de leur substance originelle. Chronique acide.

Avatars boboïstes ou agents du capital honni ?

Enfant dégénéré du punk.

Les certitudes occidentales nées des Trente Glorieuses finissent de se dissoudre dans un magma balisé de crises financières remplaçant les guerres mondiales au rang de soucis planétaires. La tentation est grande d’injecter dans l’espace laissé vacant quelques utopies dont certaines, nourries de crypto-mysticisme numérique, se veulent libertaires et futuristes.

Il n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que les ultra-individualistes chantres de la révolution Internet (une par jour, 13 à la douzaine) veulent, eux aussi, être collectivement désignés par une étiquette qui fera bonne figure aux côtés de celle des résistants de 39-45 (papi), des soixante-huitards (papa), et de quelques autres (tontons).

Alors faut-il, pour s’aménager une place dans l’histoire, manier le corpus existant ? Ainsi, « néo-hippie » et « cyberpunk » : en quoi ces termes déjà anciens fondent-ils et/ou désignent-ils une réalité socio-culturelle maintenue au chaud par le vent de liberté soufflant du web ?

Nourrir les fantasmes occidentaux des enfants gâtés du confort moderne

À la racine de ces anciens néologismes, les deux derniers mythes rock. Deux mouvements qui n’en finissent pas de nourrir les fantasmes occidentaux des enfants gâtés du confort moderne. Point historique.

Les premiers hippies sont les tenants du Flower Power, apparu vers 1965, propulsé grâce au LSD vers le Summer of Love de 1967 et explosé en vol avec Altamont et Charles Manson en 1969. Les hippies mêlent pacifisme, tolérance et revendication de la liberté sous toutes ses formes, tout en refusant la politisation.

La naïveté des premiers temps fait le lit de tous les excès. L’héroïne se charge de nettoyer tout ça au début des années 70. L’utopie bêlante de l’amour universel devient le carburant toxique d’un hédonisme bordant à sa gauche le consumérisme triomphant. Depuis cette faillite, le terme « hippie » désigne tout chevelu assumant son deux de tension, pour qui s’habiller aux puces est l’acte militant fondamental.

Le punk tient dans une boîte encore plus petite : quelques groupes anglais, en 1975-76, se taillent cheveux et vêtements au sécateur et popularisent une formule musicale mise au point par les Américains (New York Dolls, Ramones). Un habile manager positionne quelques jeunes désœuvrés sur le créneau du bordel situationniste (« no future »), les baptise Sex Pistols, et leur fait dégoiser quelques horreurs devant les caméras. Jackpot. Derrière la pancarte punk s’agrègent pas mal de bourgeois énervés et quelques durs en mal d’excitation rock’n roll primitive, tout ça avec les cheveux dressés.

Mais dès 1978 l’affaire prend un coup dans l’aile avec la séparation des Sex Pistols, et sombre pour de bon avec la mort de Sid Vicious en 1979. Suite à cette faillite, le punk devient le ressort esthétique d’un salmigondis anarcho-libertaire autocomplaisant toutefois bienvenu pour les ventes de Doc Martens.

Pourtant, tout affadis qu’ils soient, ces deux mouvements gardent une puissance d’évocation extrêmement forte. La force et la pureté des élans originels se sont en effet diluées dans les cultures populaires pour devenir :

* des rites de passage à la vie adulte pour jeunes bourgeois ;
* des références de modes pour leurs petites sœurs.

Quid alors des néo-hippies et cyberpunks ? En l’absence de définition précise, il faut se tourner vers les usages pour circonscrire le sens de ces termes.

Le néo-hippie désigne le courageux qui, bravant les commandements de la métrosexualité, affiche crânement cheveux longs et vêtements flottants. Il s’agit d’une population composite, allant du baba branché Bouddha à l’écolo-macrobio, en passant par le gauchiste light dont les positions politiques tiennent dans l’affirmation capillaire et l’engagement associatif. Niveau discours, on oscille entre la spiritualité new age béate et l’énervement anti-civilisationnel permanent (une variante du « tous pourris », option terre du potager sous les ongles). Un ventre mou de la gauche alternative, que les pigistes de Elle aiment bien invoquer dès lors qu’il faut mettre un nom sur la tenue d’été de Vanessa Paradis.

Je roule à Vélib et je mange bio.

Le cyberpunk désigne un fantasme esthétisé de victime post-moderne plutôt qu’une population définie. Le monde cyberpunk relève d’un quotidien arrêté, noyé sous une pluie permanente, doublé d’une impossibilité mal définie de prise sur sa vie. Celle-ci s’avère mystérieusement régulée par des multinationales, corporations et autres forces obscures juchées au sommet de buildings en verre.

Ne reste à l’individu martyrisé par ce capitalisme ultra-technologique que d’assumer le « no future » originel en illustrant par ses vêtements ce destroy de synthèse un peu mollasse. Le kit de base : un cuir et un t-shirt orné du logo « Anarchy » (9,90 euros chez H&M). Tout cela est bien enraciné dans la théorie du complot et se pare d’un vernis futuriste. Côté mainstream, Matrix propose une version chewing-gum de l’univers cyberpunk, dans lequel l’individu est aussi connecté que réduit à pas grand-chose.

Autrement dit : déjà que « hippie » et « punk », on n’en avait plus grand-chose à battre, alors « néo-hippie » et « cyberpunk » : vide sidéral.

Il n’y a rien à attendre du télescopage de ces concepts vaporeux nés sur les cendres des derniers mythes rock, et de la première culture post-Trente Glorieuses.

Nul espoir à placer dans l’usage de ces termes pour désigner le monde à naître de la fornication fébrile de la myriade de réseaux numériques éphémères. Surtout si l’on attend qu’ils aient une action structurante.

Quels mots employer pour désigner les nombreux effets d’une culture atomisée, protéiforme, qui nourrit le paradoxe de la sublimation de l’individu et de son auto-engloutissement permanent par le flux qu’elle génère elle-même ?

Puisque cette culture favorise l’ultra-relativisme, elle devra donc accepter qu’aucun terme simple puisse la désigner, fût-ce à hérisser son narcissisme intrinsèque. Sans doute faut-il laisser aux historiens du futur le soin de donner un nom aux agitations contemporaines, ou ce qui en tient lieu (la somme des intérêts individuels ne formant pas tout le temps un tout qui façonne l’histoire).

La vérité est dans l’action.

Illustrations CC Flickr Jeremy Brooks et Vincent Boiteau

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