Hey! Teacher! Tweet them kids alone!
Utiliser Twitter en classe, c'est simplement adapter les outils pédagogiques à l'évolution de la société, explique Laurence Juin, professeur à La Rochelle. Elle balaye au passage certains clichés sur les jeunes et l'enseignement.
Nombreuses occasions entre Intertice mercredi et Educamp samedi de réfléchir sur mon expérience de Twitter en classe. Ajoutons à ces deux très riches événements, le tapage médiatique qui déferle ces jours-ci.
Twitter en classe : est-ce légitime ? Bernard Guetta chez Bourdin sur RMC ce matin a posé des problématiques suite à ma présentation :
-l’enseignant a-t-il besoin de Twitter pour communiquer avec ses élèves ?
-l’école doit-elle intégrer les réseaux sociaux puisque appréciés des élèves ?
C’est ici l’enseignant et le « jeune » qu’on met au pilori. Débat récurent dans la société. Ajoutons à ce duo magique Internet et nous avons ainsi la recette la plus diabolique de ce début du XXIème siècle.
Le jeune, depuis qu’il existe (né dans les années 50), est ausculté dans ses pratiques. Le jeune a été successivement fan hystérique des Beatles ou rockeur à hurler du Johnny Hallyday, révolutionnaire en 68, hippie en 72, punk dans les années 80, fan hystérique (encore) de Patriiiick ou raver drogué dans les années 90. Aujourd’hui le jeune ne communique plus, ne regarde même plus la télé puisqu’il passe tout son temps devant un ordinateur à organiser de sombres apéros qui font doucement rire les ancestrales fêtes de Dax ou de Bayonne.
Oui ! Le jeune c’est le mal.
Face à lui, l’enseignant. Qui va mal lui aussi. Qui ne tire plus rien de ses élèves. On regrette ces années bénies où l’élève était soumis à la parole sainte de l’enseignant souvent équivalente à celle du curé et, son sermon du dimanche. L’enseignant en ces temps, avait le pouvoir, aucun élève ne bronchait, ne parlait même pas et encore moins, donnait son opinion. Seul le « maître » avait ce pouvoir là . On emmenait l’élève au certificat d’études : il savait lire, écrire, compter. Les fonctions de base étaient acquises. La culture générale, l’ouverture au monde, la capacité à réfléchir et à décider n’étaient pas des compétences à acquérir. D’ailleurs on ne parlait pas de compétences, à peine de savoirs. Aujourd’hui, l’enseignant apprend à changer la configuration matérielle de sa salle : il n’y a plus d’estrade, l’enseignant n’a plus forcément son bureau face à l’élève.
L’enseignant va mal.
Entre l’élève et l’enseignant, Internet ! Vulgarisation du savoir : comme à l’époque le livre de poche a été annoncé comme la mort du Livre avec un grand L, aujourd’hui Internet fait peur. Et l’enseignant lui donne accès avec la pratique des TICE en classe à utiliser plus Internet, à accéder à plus de connaissances. Parfois l’élève dépasse l’enseignant : il sait utiliser les réseaux sociaux, manie le web 2.0 alors que l’enseignant ne consulte que les pages jaunes.
Prenez une enseignante comme moi qui utilise Twitter en classe et vous avez là la recette diabolique qui met en péril tout le système éducatif français. C’est toujours plus simple que de parler des coupes budgétaires, de la fin de la formation initiale, de la suppression de milliers de postes enseignants, de la faillite de la famille qui se déresponsabilise totalement et de cette société qui se pose en victime et jamais en citoyenne.
À Educamp, à Intertice, j’ai eu l’occasion de rencontrer bon nombre d’enseignants et de professionnels de l’éducation avec qui j’échange déjà beaucoup via Twitter. Nous avons lors de ces rencontres confronté nos pratiques pédagogiques dites innovantes : utilisation des nouvelles technologies pour enseigner.
Une journaliste m’a demandé ce matin : « Et que pensent vos élèves d’avoir une prof geek qui leur impose ses pratiques ? » J’ai souri : la prof que je suis est loin d’être une geek. Je suis férue de web 2.0, certes, pas pour l’outil mais bien pour les possibilités que ces pratiques permettent. Écriture collaborative, échanges, transmissions. Au centre : l’écrit et la production d’écrit. Adolescente, je criais « Patriiick » dans les concerts et j’écrivais nombre de lettres et journaux intimes. Aujourd’hui j’ai échangé le papier contre le clavier.
L’enseignant, l’élève n’ont guère changé. C’est l’outil qui change. Certains parleront de tendance, ils n’ont pas tort. Le web 2.0, Twitter, Facebook, Etherpad, Moodle, etc. seront rapidement remplacés par un 3.0 qui les rendra obsolètes. C’est l’évolution de la société, sa modernisation qui font évoluer les outils et les pratiques.
Que retiendront mes élèves de cette année scolaire ? Qu’ils auront passé une année en classe, devant un cahier ou/et devant un ordinateur. Qu’ils ont acquis des savoirs et des compétences. Et ils auront tweeté. Ils auront appris en cours de français, d’histoire et de géographie à utiliser un autre réseau social du Net, à s’en servir pour apprendre différemment.
Nous n’avons pas eu besoin durant cette année de Twitter pour communiquer, n’en déplaise à Monsieur Guetta. Twitter a été un outil créant un espace virtuel où la communication s’est accrue, où les échanges culturels ont été riches, où l’élève le plus timide, celui qui a le plus de difficultés a pu trouver une tribune adaptée, une écoute à ses questions. Un espace de travail entre élèves et entre élèves et enseignants. Et un espace où nous nous sommes retrouvés au lendemain de Xynthia pour soutenir ceux qui avaient été victimes.
Sans Twitter ? J’aurais fait cours, j’aurais aussi transmis savoirs et compétences. J’ai juste ajouté un outil à ma pédagogie. Comme tous ces enseignants rencontrés à Intertice et Educamp. Ces enseignants qui, malgré tous les obstacles sus-nommés, cherchent, découvrent, appliquent et font partager des outils pour mieux enseigner, pour impliquer cet adolescent qui ne va pas plus mal qu’il y a 50 ans dans sa scolarité et sa réussite.
Tant qu’il y aura un espace, qu’il soit réel ou virtuel, avec un enseignant et des élèves, le Savoir sera transmis.
Pour en savoir plus:
Sur Intertice : http://www.intertice.fr/
Sur Educamp : http://web.me.com/educamp/educamp/Accueil.html
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Billet initialement publié sur Ma dixième année, qui retrace l’expérience de Laurence Juin, sous le titre “L’enseignant, l’élève, l’Internet ou la recette diabolique” ; photo CC Flickr davidsilver, roujo, Will Carroll
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