Twitter, réseau social élitiste?

Le 16 août 2010

Twitter ne sera jamais grand public, tant son usage semble réservé à une élite. Le réseau de microblogging serait-il trop compliqué à configurer?

La simplicité du principe et son extrême modularité font de Twitter l’outil de communication le plus personnalisable et le réseau social le plus puissant qui soit. C’est précisément pour cela qu’il ne séduira jamais les masses.

Une nouvelle étude d’Exact Target parue le 9 août 2010 montre que les utilisateurs quotidiens de Twitter sont aussi les plus actifs sur Internet.

• 72% publient sur leur blog au moins une fois par mois
• 70% commentent sur d’autres blogs
• 61% écrivent au moins une note produit par mois
• 61% commentent sur des sites d’info
• 56% écrivent des articles pour des sites tiers
• 53% postent des vidéos
• 50% contribuent aux wikis

Ces hyper-actifs ont trois fois plus de chances de charger des photos, quatre fois plus de chances de tenir un blog, et trois fois plus de chances de partager des notes et des critiques que l’utilisateur moyen d’Internet .

Or ces utilisateurs quotidiens sont une minorité, environ 15% si l’on en croît l’étude publiée par la société de conseil Sysomos début 2009. L’analyse qui portait sur l’activité de 11,5 millions de comptes Twitter sur les cinq premiers mois de l’année concluait que :

90% des messages sont produits par 10% des utilisateurs
93% ont moins de 100 abonnés
85% twittent moins de une fois par jour
50% n’a pas twitté dans les 7 jours

Donc, si Twitter a dépassé il y a déjà quelques mois les 100 millions d’inscrits, le site de micro-blogging est préempté par une élite sociale, en majorité professionnelle. Cela vaut aussi pour les célébrités qui se servent de l’outil servent à la manière des médias, pour gérer leur popularité et leur capital-image.

Twitter : le lego de l’égo

Twitter est l’Ikea informationnel, le site à monter soi-même, le légo de l’égo. A la base, ce n’est qu’une coquille vide, un réceptacle de flux qu’il faut construire patiemment, abonnement après abonnement, jusqu’à ce que sa time-line soit pleine d’infos pertinentes par rapport à ses goûts et curiosités propres.

Cette ultra-personnalisation de l’outil en fait tout l’intérêt mais également toute la difficulté car le processus de paramétrage de son flux est long et laborieux. Et c’est là que le bât blesse.

La masse des gens n’a ni le temps ni l’envie de se fader un puzzle de 1000 pièces en revenant du boulot.

D’autant que si l’oiseau bleu semble simplissime dans son principe, il est particulièrement inaccessible dans ses usages pour l’internaute lambda. Interface alambiquée, langage ésotérique (RT, hashtags, @, DM, FF), étiquette précise, besoin d’applications tierces (racourcisseurs d’url, clients…).

Le mythe de la personnalisation de l’info

Twitter témoigne du décalage entre le discours positiviste sur les technologies de l’info et la réalité des usages. On nous promettait grâce à Internet l’émergence des fameux contenus « à la carte », des informations sur mesure qui s’adapteraient à la personnalité de chacun. Puisque les outils le permettaient, la tendance suivrait.

Même illusion lors du déploiement du plan « informatique pour tous » de 1985 par le Premier ministre de l’époque, Laurent Fabius. Souvenez-vous de ces dizaines de milliers d’ordinateurs restés dans leurs cartons ou mal utilisés, faute d’avoir pris le temps de former les enseignants.

Même utopie lors de l’émergence des blogs et du web 2.0, dont certains voyaient le signe d’une nouvelle démocratie participative numérique.

Même égarement qu’à l’époque des promesses de démocratisation culturelle via les formidables bibliothèques du savoir en ligne.

Les technologies ne corrigent pas les inégalités


Toutes ces prédictions optimistes, portées par des geeks et une élite sociale auto-centrée, se sont brisées sur le réalisme des différences socio-culturelles. Pour bénéficier culturellement des innovations technologiques, il faut en avoir envie et il faut en avoir les moyens économiques (l’argent pour s’équiper), sociaux (l’entourage pour se faire aider) et intellectuels (la formation et l’éducation pour comprendre).

S’agissant de l’envie, l’appétence pour les nouvelles technologies est très dépendante du milieu socio-culturel d’appartenance. Le goût pour la connaissance s’apprend, la curiosité s’éduque que ce soit en matière alimentaire, en art ou en culture.

Ceci est très bien résumé par Eric Guichard docteur en sciences de l’information à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) :

« Mais entre ces possibles et la réalité, il y a une marge, voire un fossé. Et c’est là que la notion de literacy, ce mélange de culture et d’alphabétisme, prend son sens. L’activité intellectuelle s’acquiert souvent par apprentissage. Il faut environ 20 ans pour maîtriser l’ensemble des instruments et méthodes liés à l’exercice d’une pensée rationnelle. On voit mal comment la diffusion d’objets matériels permettrait de raccourcir ce délai d’apprentissage, si ces objets sont – comme il semblent l’être – plus des objets de consommation pure que des outils qui prolongent effectivement les processus d’écriture : on imagine difficilement savoir chercher un livre dans une bibliothèque si on ne sait pas lire, ou devenir mathématicien du simple fait qu’on s’est fait offrir une télévision numérique. »

Lire l’article entier ainsi que sa thèse

Facebook: l’anti-personnalisation


Le succès croissant de Facebook auprès du grand public témoigne du succès de la logique inverse : la fourniture d’un service « clé en mains ». C’est la logique du “push” qui prédomine. On reçoit des informations et sollicitations diverses plus qu’on ne va les chercher.

Ceci est cohérent avec l’usage récréatif de Facebook. Il s’agit de s’amuser entre amis et non de « se prendre la tête » avec un outil qu’il faut construire soi-même.

Cette anti-personnalisation est également en adéquation avec la fonction première de Facebook : renforcer la socialisation de ses membres. Pour se faire, l’outil valorise les comportements et opinions communes et pas celles qui se distinguent. D’où notamment l’apparition du bouton « j’aime » qui va dans le sens de cette cohésion pour ne pas dire uniformité sociale. En ce sens Facebook favorise davantage le collectif que l’individu, et pour caricaturer un brin, serait davantage de gauche quand Twitter serait de droite.

Twitter ne percera jamais auprès du grand public

Voilà pourquoi l’oiseau bleu est condamné à rester dans la sphère du BtoB ou à toucher une cible retreinte ultra-éduquée. Sauf à changer tellement son principe qu’il y perdrait son âme. Comme par exemple intégrer des éléments multimédia ou ne plus limiter le nombre de caractères.

Je rejoins sur ce point Cédric Deniaud qui nous explique sur son blog les cinq raisons pour lesquelles Twitter ne deviendra jamais grand public.

En revanche le principe du fil d’actu personnel  a déjà fait tâche d’huile puisqu’on le retrouve maintenant sur Facebook, LinkedIn et autre réseaux sociaux.

Mais la personnalisation poussée dans Twitter ou dans les agrégateurs de flux RSS les condamnent irrémédiablement à une certaine confidentialité d’usage. Du moins tant que les écarts socio-culturels n’auront pas été un tant soit peu limités en amont, par l’école, notamment.

Article initialement publié sur mediaculture

Illustration CC FlickR huangjiahui , ul_Marga

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