Revendiquer un “droit à la ville” hors de toute rentabilité

Le 21 septembre 2010

Hugues Lethierry, philosophe, développe dans une analyse de l’oeuvre d’Henri Lefebvre une vision humaniste et sociale de l’espace urbaine, contre “l’explosion-implosion” de la ville imposée par les diktats technoscientifiques.

A l’occasion d’un colloque organisé par Paul Ariès sur le thème Ralentir la ville, vous avez évoqué l’oeuvre du sociologue Henri Lefebvre. En quoi vous semble-t-elle utile à la compréhension des évolutions de la ville ?

Actuellement, la majeur partie de la population mondiale vit dans des mégalopoles en Asie et en Afrique. C’est ce que Henri Lefebvre décrivait déjà dans les années 1970 comme la “révolution urbaine”. A l’origine, il était sociologue rural mais, en perdant ses travaux sur les conflits sociaux dans les campagnes, il a décidé de travailler sur la ville : dans ses Pyrénées, il a vu apparaître l’une des premières villes nouvelles, Mourenx, et à commencer à appliquer à l’espace urbain une lecture rigoureuse, inspirée du marxisme qui l’a amené au constat de “l’implosion-explosion” de la ville.

Comment définissez-vous “l’implosion-explosion” de la ville ?

Il s’agit du mouvement par lequel la ville se déstructure, à la manière de Paris à l’approche des années 1980 : un centre de monument dont la visite est réservée à une élite, une hausse vertigineuse des loyers, la constitution de banlieue où la violence explose… La culture et le lien social y deviennent des luxes, les commerces se multiplient mais les librairies et les espaces verts disparaissent peu à peu. La rue n’est plus un lieu social mais un lieu de rentabilité. La ségrégation urbaine entre le centre et les diverses périphéries (banlieues pavillonnaires ou grands ensembles) se met en place et, avec elle, la violence qui est très vite interprété comme une violence ethnique. Les limites deviennent infranchissables : j’ai rencontré un instituteur à Nîmes, qui est loin d’être la plus vaste agglomération de France, dont certains élèves n’avaient jamais vu le centre ville. Dans un immeuble construit par Le Corbusier en banlieue de Saint-Étienne, l’architecte avait prévu au sommet des bâtiments des agoras, comme lieu de vie et de rencontre. Avec les exigences techniques urbanistiques, la mairie les a démantelé car elles permettaient d’installer des caméras de surveillance. La conséquence finale de cette l’implosion-explosion, c’est la fragmentation des individualités.

Quelle solution Henri Lefebvre imaginait-il pour résoudre cette fragmentation ?

Dans sa critique permanente de la vie quotidienne, Henri Lefebvre revendique l’importance d’un “droit à la ville” par opposition à des centres d’où le ghotta expulse les classes, les groupes, les individus vers les “ghettos”. A la peur que génère désormais la banlieue, Henri Lefebvre oppose l’idée de la reconstruction de l’espace urbain par ses fonctions non marchandes : la marche, le jeu, l’exposition d’objets usuels ou non dans une rue qui redevient un lieu d’échange… Tout ce qui ne tombe pas dans la rentabilité à laquelle les forces économiques tentent de réduire l’urbain. Lefebvre était partisan des utopies concrètes (ce qui lui a valu des fâcheries avec les situationnistes). Une grande partie de sa réflexion s’appuyait sur l’expérience de la Commune : que se passe-t-il quand le gouvernement est chassé de Paris et que le peuple réinvesti la ville dont il a été chassé ? La ville devient lieu et enjeu de la lutte et, à ce titre, elle vaut l’effort d’être réinvesti comme un droit plutôt qu’abandonnée.

Hugues Lethierry est auteur de Penser avec Henri Lefebvre : Sauver la vie et la ville ? aux éditions Chronique sociale.
Crédit photo cc FlickR urbanfeel.

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