Hommage à Georges Charpak et sa chambre à fils

Le 3 octobre 2010

Le chercheur Georges Charpak est mort le 29 septembre dernier. La chambre à fils est l'invention pour lequel il a reçu le prix Nobel. Petite description d'un outil qui a permis de faire avancer la physique des particules.

Georges Charpak nous a quitté cette semaine et je veux lui rendre hommage, à lui et à sa fameuse chambre à fils inventée au CERN en 1968.

L’homme

Georges Charpak fut un des symboles d’intégration pour la France. Immigré polonais dans les années 30, il devint résistant pendant la seconde guerre mondiale et fut déporté dans le camp de concentration de Dachau. Il survécut et rentra en France à la libération où il fut naturalisé français en 1946 et intégra l’école des Mines. Il fit ensuite son doctorat de physique avec Frédéric Joliot-Curie, rentra au CNRS puis au CERN (Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire à Genève) en 1963. En 1968, il inventa sa fameuse chambre à fils et obtint le prix Nobel de physique en 1992. C’est ce que j’appelle un succès d’intégration pour la France qui devrait rester une terre d’accueil et d’éducation comme l’a si souvent dit Charpak.

Georges Charpak était apprécié de tous et était un homme modeste mais engagé dans la Science et dans la société où il luttait contre les armes nucléaires et supportait de nombreux projets d’éducation avec son projet la main à la pâte. Je ne vais pas vous faire une biographie complète ici mais pour ceux qui veulent mieux connaitre cet homme de science, je vous suggère cette vidéo de 20 minutes faite l’année dernière à l’occasion de son 85ème anniversaire au CERN où Charpak nous raconte rapidement sa vie.

Avant Charpak : les chambres à bulles

Jusque dans les années 70, la physique des particules se faisait « à la main » dans le sens où les collisions de particules issues des accélérateurs étaient principalement réalisées dans des chambres à bulles.

Une chambre à bulles consiste à remplir de liquide une enceinte close. On utilisait généralement de l’hydrogène liquide qui était maintenu en dessous de -253°C pour rester liquide. On faisait en sorte de réaliser les collisions devant ces chambres où les particules laissaient de petites bulles dans leurs sillages.

On prenait alors des photos de ces bulles pour identifier la trajectoire des différentes particules. Par la suite, la courbure des trajectoires et la densité des bulles permettaient d’identifier les différentes particules. Évidemment, toutes ces mesures se faisaient à la main sur des tables de projection où les différentes photos pouvaient défiler rapidement.  La plus grande chambre à bulles du CERN, BEBC (Big European Bubble Chamber) qui mesurait 3,7 m de diamètre et 4 m de haut a fourni durant sa vie 6,3 millions de photographies (3 000 km de film) analysées entre 1973 et 1984 par près de 600 chercheurs dans le monde.

Charpak : la chambre à fils

A la fin des années 60, les premiers systèmes électroniques à base de transistors apparaissent et font miroiter des possibilités gigantesques en termes de traitement automatique des données: c’est le balbutiement de l’informatique. Or, les physiciens des hautes énergies réalisent de grandes expériences produisant de très nombreuses données encore difficiles à traiter comme avec les chambres à bulles.

En 1968, Georges Charpak qui était chercheur au CERN invente  alors  un nouveau genre de détecteur de particules qui allait tout simplement révolutionner l’avenir de la physique des particules : la chambre proportionnelle multifilaire, ou plus simplement la chambre à fils, pour laquelle Charpak sera récompensé par le prix Nobel de physique en 1992.

Le principe est en somme relativement simple et facile à concevoir. Une enceinte (chambre) est remplie d’un gaz noble (comme de l’Argon) puis des fils électriques parallèles sont tendus à l’intérieur de manière à faire une sorte de maillage dans un plan. L’extrémité des fils est ensuite connectée à un générateur de tension électrique à une borne positive (anodes) et des plaques conductrices sont intercalées entre les plans des fils et sont reliées à une borne négative (cathodes).

Lorsqu’une particule chargée (c’est-à-dire portant une charge électrique comme un électron ou un muon) traverse la chambre, cette particule ionise le gaz noble (elle « casse » des atomes de gaz en électrons chargés négativement et en ions chargés positivement). Les électrons sont alors attirés par les anodes (reliés à une borne positive) et les ions par les cathodes (reliés à une borne négative). Au bout de l’anode, on place un amplificateur pour permettre la mesure du courant électrique engendré par le déplacement des électrons dans le fil. La mesure de courant sur chaque fil peut être par la suite analysée dans un ordinateur afin de reconstruire la trajectoire de la particule comme avec une chambre à bulles mais de manière automatique.

Ce nouveau type de détecteur a permis de multiplier par un facteur 1000 la vitesse de traitement des données par rapport aux chambres à bulles où il fallait compter « à la main » les particules.

Les chambres à fils aujourd’hui

Le dernier accélérateur de particules du CERN dénommé Large Hadron Collider, ou LHC, permet de produire pas moins de 40 millions de collisions par seconde pendant plusieurs heures. Ces collisions sont réalisées au centre de 4 gigantesques détecteurs. Les détecteurs du LHC utilisent différentes techniques dont des chambres à fils pour détecter des particules chargées comme les muons.

Toutes les collisions du LHC sont  triées automatiquement par des systèmes électroniques puis analysées et reconstruites en 3 dimensions par des systèmes informatiques mobilisant plus de 100 000 processeurs répartis sur 170 centres de calcul dans 34 pays à travers le monde. A chaque seconde, le LHC fournit ainsi autant de données que la grande chambre à bulles BEBC aurait pu fournir pendant 60 ans d’exploitation.

Le principe de la chambre à fils a trouvé d’autres applications en dehors de la physique des particules comme en imagerie médicale. En effet, une méthode très innovante basée sur le principe des chambres à fils permet aujourd’hui de reconstruire en 3D  la colonne vertébrale et le bassin d’un patient avec une précision inégalée (voir ce lien pour plus de détails).

»» Ce billet a été publié initialement sur le blog “La Science pour tous”.

Illutration FlickR CC-by-nc-sa : tlukejones. WikiMedia Commons CC-By : Studio Harcourt

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