Pourquoi ne peut-on pas vandaliser la page Wikipédia de Sarkozy?

Le 9 décembre 2010

Les étudiants de l'Ecole de journalisme de Sciences-Po ont tenté de comprendre comment, et pourquoi, il était si difficile, voir impossible, de caviarder l'encyclopédie Wikipedia.

Cet article est une contribution des étudiants de l’École de journalisme de Sciences-Po.

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Vous pensiez que la page Wikipédia de Nicolas Sarkozy était surveillée 24h/24 par une équipe chevronnée de l’Élysée afin de traquer la moindre petite critique ? Vous vous trompiez !

Car au pays de Wikipédia, ne modifie pas les pages qui veut. La communauté toute entière garde un œil sur les pages les plus sensibles. D’invisibles soldats de la « wikisphère » écument ces pages polémiques, souvent politiques, et tentent de conserver la plus grande neutralité possible.

Nous avons contacté certains des contributeurs les plus actifs sur des pages polémiques (UMP, Réforme des retraites, Affaire Woerth-Bettencourt…). Ils nous ont raconté comment ils gèrent au quotidien les problèmes liés au vandalisme et à la manipulation des articles politiques.

« Il s’agit pour eux de défendre mordicus une “vérité” »

Turb, contributeur wikipédien depuis plus de six ans, promu au rang d’administrateur et également membre du comité d’arbitrage (sorte d’instance suprême de résolution de conflits), est formel : « Le plus souvent, les gens n’ont pas conscience d’avoir une posture militante : il s’agit pour eux de défendre mordicus une “vérité”, généralement sur les adversaires, souvent grossièrement… La résistance à ces tentatives est maintenant de l’ordre de la routine. » Et il sait de quoi il parle, puisqu’à ce jour, Turb a fait 437 modifications sur la page de Nicolas Sarkozy, même s’il n’est « affilié ni de près ni de loin à l’UMP. »

Cependant, les particuliers, militants ou non, ne sont pas les seuls à intervenir sur les pages de leurs « idoles » politiques. Turb le confirme : « il y a déjà eu des cas où des manipulations d’articles ont été tentées, et où l’on constate que l’adresse IP d’où provient la modification correspond à un ministère, ou une mairie. »

Il arrive aussi que des personnalités politiques, insatisfaites de leur profil, entrent en contact avec les administrateurs. Cela a été le cas de Nadine Morano, en 2007. Voyez plutôt:

Il y a donc bien des garde-fous de la neutralité sur Wikipédia, incarnés par les administrateurs, chargés de lutter contre les tendances militantes de certains contributeurs. Mais qui assure la neutralité des administrateurs, eux-mêmes contributeurs ? Turb, qui déclare être vaguement « centriste » et « libéral », s’appuie sur les trois règles d’or édictées par Wikipédia : la vérifiabilité des sources, la qualité des sources et la pertinence des informations.

Il arrive que des membres de la communauté se laissent aller à du partisanat, et tentent de maquiller certains faits. C’est le cas de Cheep, wikipédien très actif : pas moins de 19.000 contributions depuis son inscription en juillet 2008. Ce sarkozyste revendiqué est intervenu plusieurs fois sur la page « Mouvement social contre la réforme des retraites 2010 ». Ses contributions ont été qualifiées « d’arbitraires » par d’autres utilisateurs : il aurait tenté de réduire l’ampleur de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites en réduisant le nombre de manifestants. Épinglé par d’autres wikipédiens, et après moult discussions, Cheep a finalement accepté les critiques de ses pairs.

« On arrive souvent à un consensus »

Ascaron, étudiant ingénieur automobile, participe depuis près de trois ans à Wikipedia. Il consulte l’encyclopédie en ligne « matin, midi et soir ». Lui aussi constate que les « contributeurs lambda, qui ne cachent pas leur couleur politique, modifient facilement des articles pour les “arranger” à leurs goûts, ce qui mène généralement à des guerres d’éditions. » Proche des idées de l’UMP, ce contributeur estime qu’il est « important de mettre de côté ses propres opinions politiques. Ce n’est cependant pas forcément évident. La page de discussion des articles de Wikipédia permet alors de discuter avec d’autres contributeurs sur le contenu à ajouter à l’article. »

Toutefois, pour se prémunir d’éventuelles tentations, Buisson, autre utilisateur très présent sur la « wikisphère », préconise « d’en discuter avec des contributeurs qui n’ont pas les mêmes opinions dans les pages de discussion des articles et de faire un travail collaboratif. On arrive souvent à un consensus. » Prenant la défense de l’encyclopédie virtuelle, il estime que les « contributeurs réguliers ne sont pas là pour faire de la propagande pour leurs idées. »

HaguardDuNord, qui passe deux heures par jour sur Wikipedia, considère que la neutralité des points de vue n’est de toute façon pas une fin en soi. « La neutralité wikipédienne n’est pas de bannir tout jugement, mais de relayer les jugements pertinents en se basant sur les sources. » Malgré leurs opinions politiques divergentes, les contributeurs wikipédiens semblent, néanmoins partager des valeurs de neutralité, pour une autorégulation.

«Wikipédia fonctionne plutôt bien tout seul»

Autorégulation que les partis politique ont bien intégrée. Droite et gauche s’entendent sur un point : inutile d’intervenir directement sur Wikipédia. « Ça s’autorégule tout seul », explique Benjamin Lancar, président des Jeunes Populaires. « Si on s’amusait à attaquer la page de Martine Aubry, on se ferait censurer tout de suite. Ça ne sert à rien. » À l’UMP, deux personnes sont chargées de contrôler l’image du parti politique sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux. Mais Wikipédia n’est clairement pas leur priorité.

Une opinion partagée par Mathieu Dehgan, l’un des trois community manager du Parti Socialiste. « On jette un coup d’œil de temps en temps, mais ce n’est pas régulier. » Nul besoin de surveiller le site au quotidien : en cas de modifications intempestives, il est vite averti. « Les informations remontent très rapidement. Les militants nous appellent pour le signaler, ou nous contactent sur le compte Twitter du PS. »

Autre argument : l’indépendance de Wikipédia. « Wikipédia n’a aucun lien avec nous », affirme Jonathan Debauve, responsable de la communication sur Internet du Mouvement des Jeunes Socialistes. « C’est une encyclopédie totalement indépendante. On ne peut pas mettre le point de vue que l’on veut dans l’article consacré aux jeunes socialistes ! »

Mathieu Dehgan est du même avis. « Pour le lancement de la Coopol, on souhaitait créer un article sur Wikipédia. On a contacté un administrateur de Wikipédia en France, mais il a refusé. » Motif : le réseau n’était pas assez connu.

Aujourd’hui, le community manager admet ignorer si le PS dispose ou non d’un compte Wikipédia. Et de résumer : « Wikipédia fonctionne plutôt bien tout seul. »

NB : voir aussi la discussion qu’a suscité cet article sur Wikipédia.

Image CC Elsa Secco pour OWNI sur une image CC Flickr quartermane

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