Etude d’un fail

Le 28 décembre 2010

10 ans qu'internet est là. Peu à peu l'industrie s'adapte aux nouveaux usages introduits par le web, pourtant, certaines mauvaises habitudes persistent : étude de cas par Unicum.

Depuis le début de cette “crise”, les majors peinent à s’adapter, c’est un fait. Alors, on leur donne souvent l’excuse de l’envergure. Des “machines” lourdes, “ça viendra, il faut leur laisser un peu de temps”. Mais voilà, 10 ans après le début du naufrage, les majors oublient encore parfois qu’internet est mondial.

Il est 00h35 et j’ai sûrement mieux à faire que venir poser cette question mais vraiment, ça me taraude trop.

Pourquoi et même comment est-ce qu’une major peut encore faire ça en 2010?

Ca m’exaspère.

Le cas qui me fait réagir est “typiquement prodigieux” (expression savoureuse que j’emprunte humblement à un délicieux restaurant à Essaouira au Maroc qui se définissait tel quel).

- Une major a l’un des 15 artistes qui pèsent le plus dans le monde en ce moment.
- Elle a la chance qu’il sorte un énorme tube qui parle de Noël juste avant Noël.
- Et que les gens ne veulent qu’une chose : l’écouter, encore et encore. La chanter sous leur douche le matin et l’entendre à la radio le soir. La partager avec leurs amis parce qu’elle représente quelque chose d’important pour eux.

Mieux :
- Dès la 1ère diffusion, tout le monde s’est rué sur la toile pour l’avoir.
- Des dizaines, centaines (plus?) de personnes l’ont tellement aimée qu’ils l’ont spontanément synchronisée sur une photo de l’artiste trouvée je ne sais où et postée sur leur compte Youtube.

Quel est le problème me demandez-vous?

Sur quel média allait essentiellement se faire ce partage d’un titre lancé il y a moins de 24h? Sur le net, forcément.

Vous vous dites que le titre d’un artiste majeur et ce, d’autant plus s’il est saisonnier (Noël), étant passé à la radio, il serait disponible à l’achat ou en pré-achat sur les sites de téléchargement légal. Référencé sur les sites de streaming. Que nenni. Même pas posté par la maison de disque sur le compte Youtube de l’artiste – ou mieux en home page de son site ? Non plus. Il n’y est question que de l’album officiel sur lequel ce titre n’est pas, donc il n’apparaît pas.

Ah.

Mais les fans ne veulent pas attendre.

Le partage est social et spontané, impulsif même.

Les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook sont les meilleurs exemples de cela. Et le meilleur moyen de partager une oeuvre de manière impulsive et immédiate en 2010 est un lien. Streaming plus que de téléchargement. C’est plus rapide. C’est accessible partout, même via son mobile maintenant. Et c’est légal 99% du temps.

Il y a sûrement des tas de sites spécialisés. Mais le commun des mortels veut juste un site qui permette l’accès et le partage d’une chanson qu’ils aiment. Et le site le plus accessible pour streamer de la musique audio pour des artistes très connus est paradoxalement Youtube. Ce n’est pas Myspace qui est surtout plébiscité par les artistes en développement.

C’est pour ça que je ne comprends vraiment pas comment ce genre de situation peut encore exister à quelques jours de 2011.

L’accès à l’oeuvre par son public est contrarié.

Non pas parce que la chanson n’est pas réussie et qu’elle n’a pas suscité une frénésie immédiate, que l’artiste n’est pas identifié. Mais parce que la maison de disques de l’artiste reconnu et identifié à une échelle mondiale a peur du public qu’elle a dépensé tant d’argent à rassembler. Peur de ne pas / plus avoir le contrôle. Peur de ne pas rentrer dans ses frais tout de suite, de ne pas transformer leur investissement en vente / revenus sur le disque.

Vous ne rêvez pas:

les seuls liens disponibles étaient créés par les fans et …la major les a fait supprimer en 24h.

Si j’étais aux USA, j’aurais pu aller voir si le titre était disponible sur la page Vevo de l’artiste, mais comme Vevo (version Youtube officielle créée pour et en accord avec les maisons de disques qui permet de générer des droits d’auteur pour la maison de disque et l’artiste) n’est accessible que là-bas, la maison de disque n’a de toutes façons pas pensé à tous les fans de l’artiste vivant de l’autre côté de la frontière.
Peut-être même qu’elle a pensé que les non-Américains n’entendraient jamais la chanson, parce que culturellement, c’est différent. Je ne sais pas. Ca me paraît aberrant rien que de l’envisager.

Et tout ça pour quoi?

Par manque de préparation de la part de la maison de disque. Par manque de compréhension de comment fonctionnent les fans de l’artiste, à savoir que leur premier réflexe serait d’aller sur internet pour chercher la chanson. Par manque d’anticipation ou de lucidité sur la réalité d’aujourd’hui : les fans doivent pouvoir écouter et acheter le titre le moment où il est diffusé pour la première fois, surtout si c’est à une échelle nationale voire internationale.

Je ne sais pas ce qui m’effare le plus. Si c’est le fait que la major raisonne encore par pays avec des frontières ou qu’elle n’ait pas anticipé le succès de son artiste en ne créant pas, à défaut de clip disponible, un montage vidéo officiel avec une photo ou un visuel un peu chiadé de l’artiste avec les infos essentielles (date de sortie + lien d’achat ou pré-achat).

Rien que de faire ça, ils auraient :
- canalisé le flux de fans
- optimisé les ventes
- généré des revenus de droits d’auteur pour l’artiste et eux-mêmes
- pu profiter de l’occasion pour se donner le beau rôle au lieu de rester dans un registre répressif
- évité qu’une personne aimant la chanson ne se sente pas à la fois frustrée de ne pas y avoir accès et défiée par la propre maison de disque de son artiste préféré
- évité qu’un fan désireux d’acheter/écouter/promouvoir l’oeuvre ne se retrouve à errer sur le net comme une âme en peine pour ne trouver son bonheur que sur des sites de téléchargement illégal
Ce n’est pas mon genre de tirer sur une ambulance ou de tenir un discours anti-major. J’y ai travaillé par le passé et ça été une expérience essentielle, incontournable pour moi. J’y ai beaucoup appris et rencontré des gens formidables, intelligents, passionnés. Lucides sur l’état du marché, aussi. Faut pas croire.

Mais je suis aussi bien placée pour savoir que plus grosse est la machine, plus elle s’est centralisée dans l’espoir de simplifier ses procédures pour mieux gérer sa transformation à grande échelle… plus elle met de temps à s’adapter, parce que cela implique de changer des processus internes qui ont eux-même mis du temps à être en place.

Malheureusement, cela ne change pas ma question : combien de temps encore avant qu’elles n’en tirent les leçons? Combien de temps.

Article initialement publié sur: unicum-music

Crédits photos CC flickr: Kmeron’s; hans gerwitz

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