A Paris, la police aura des yeux tout partout

Le 5 janvier 2011

Dans le cadre du programme de vidéosurveillance, la préfecture de police et la mairie de Paris annoncent un plan "1000 caméras". OWNI en dresse la carte. Mais en fait, il y en aura 10 fois plus. Pour l'instant.

Mise à jour : Aidez-nous à améliorer la géolocalisation des caméras de surveillance de Paris !.

Vidéosurveillance à Paris : c’est parti !“. Ce lundi 3 janvier 2010, date de la rentrée, Le Parisien publiait la liste des emplacements définitifs des quelques 1106 caméras de vidéosurveillance qui mailleront, d’ici à la fin 2012, la Ville Lumière, et dont OWNI fournit la carte, géolocalisée, mise à jour par rapport aux cartes proposées par la Préfecture de Police de Paris (avant / après) :

Mieux : non seulement la carte a été mise à jour, mais il vous suffit de cliquer sur les petits pictogrammes pour accéder au mode Google Street View, qui vous permettra de visualiser ce qui sera vidéosurveillé (vous pouvez même télécharger le fichier .kml des caméras géolocalisées si vous voulez vous en servir et l’exploiter autrement) :

Lorsque l’on regarde l’emplacement des caméras, comme l’a fait le site Megalopolis, on constate que les arrondissements du centre-ville sont plus densément couverts que la périphérie parisienne. On compte 23 caméras pour 10 000 habitants dans le 1er arrondissement, contre 2 pour 10 000 dans le 20e.

Doit-on en conclure que la préfecture ne s’intéresse qu’aux plus riches ? Non. Les caméras ont été placées dans les lieux qui concentrent la criminalité de voie publique. La préfecture est particulièrement avare de chiffres, mais, à en croire une étude de 1999, le centre de la capitale ainsi que les grands boulevards et les abords des Champs-Elysées sont les plus touchés. Normal, ces lieux attirent les touristes, qui attirent, eux, les voleurs à la tire.

Quoi qu’il en soit, avec une caméra pour 2 000 habitants, Paris reste loin derrière Londres. Là-bas, chaque caméra est dédiée à 14 personnes !

Caméras par arrondissement

Arrondissement Caméras Population Caméras pour 10 000 hab.
1 41 17745 23,1
8 78 39088 20,0
4 48 29138 16,5
7 75 56612 13,2
2 26 21259 12,2
9 51 58497 8,7
5 45 61475 7,3
6 33 45278 7,3
3 24 34721 6,9
10 54 92082 5,9
16 74 153920 4,8
14 57 134370 4,2
12 60 141519 4,2
18 75 190854 3,9
13 70 178716 3,9
19 65 186180 3,5
17 50 161327 3,1
15 67 232949 2,9
11 43 152436 2,8
20 45 193205 2,3

La carte n’est cela dit que très partielle, car ce ne sont pas 1000, mais 13 000 caméras, qui seront interconnectées, et reliées aux commissariats, suivant en cela la volonté affichée par Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy de tripler le nombre de caméras sur la voie publique.

Objectif affiché : protéger les citoyens et les biens. De fait, il s’agit aussi et surtout d’interconnecter les différents systèmes de vidéosurveillance existants, afin de donner plus de pouvoirs de contrôle à la préfecture de police de Paris, grâce à un recours accru aux nouvelles technologies (voir aussi La Loppsi “kiffe” les nouvelles technologies) :

Le plan de vidéoprotection pour Paris (PVPP) s’inscrit dans une stratégie globale de modernisation des moyens de commandement de la préfecture de police avec le projet de création d’un centre de commandement unique et le recours à toutes les technologies d’aide à la décision en matière de sécurité, radio et géolocalisation notamment.

Jean-Marc Leclerc, journaliste au Figaro, avait expliqué, en décembre dernier, que plus de 13 000 caméras publiques et privées seront reliées au système de ce « plan de vidéoprotection pour Paris » (PVPP), baptisé plus prosaïquement « plan 1000 caméras » :

Nice avait frappé un grand coup avec sa vidéo municipale high-tech. Paris va surprendre à son tour avec la concrétisation d’un projet de 200 millions d’euros, soit dix fois le budget niçois !

Et le journaliste de s’extasier sur “le lancement de travaux d’aménagement dans les 20 commissariats d’arrondissement de la capitale” :

Depuis quelques jours, on y passe des câbles, on vide des bureaux pour installer des murs d’écrans où seront projetées les images de nouvelles caméras, dont certaines à vision nocturne. La moitié sera commandable à distance, à l’aide d’un minuscule joystick semblable à celui des consoles de jeu. « La vidéo ne se substituera pas au policier, prévient le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, mais elle va indéniablement révolutionner sa façon de travailler ».

Car, et au-delà des 1106 caméras, explique Jean-Marc Leclerc, certains policiers habilités pourront, “d’un simple clic“, se connecter aux 10 000 caméras de la SNCF et de la RATP, ainsi qu’à celle des entreprises privées qui accepteront de mettre leurs caméras au service de l’État, “comme le magasin du Printemps ou les gestionnaires du Parc des expositions de la porte de Versailles, du Forum des Halles, du Palais des congrès, du Carrousel du Louvre, du Stade de France ou du Parc des Princes“.

Et ce n’est pas fini : le PVPP se donnait également pour objectif de “développer la vidéoprotection dans les transports publics, les sites d’habitat collectif touchés par l’insécurité et les commerces de proximité pour protéger davantage les lieux de vie des citoyens dans l’espace public“.

D’autres caméras seront donc probablement, à terme, interconnectées. En attendant l’adoption de la LOPPSI, qui prévoit aussi de “mutualiser les coûts des centres de supervision entre les communes“…

La vidéoprotection ? Un “système d’armes”

Ainsi, pour surveiller ces 1000 caméras de vidéosurveillance, ainsi que les 13 000 caméras hors voie publique, ce sont pas moins de 2500 policiers qui seront formés, le préfet Didier Martin tenant à préciser qu’”ils seront les seuls à pouvoir accéder aux images et ils devront s’identifier avec une carte à puce. Leurs interventions seront donc tracées” :

Selon la préfecture, ces policiers pourront suivre en direct des actes délictueux et, si besoin, basculer sur les milliers de caméras de surveillance des réseaux RATP et SNCF. Le système pourra-t-il être exploité à d’autres fins que la surveillance de la voie publique comme les infractions routières (feux rouges grillés par exemple) ? « Ce n’est pas le cœur du nouveau dispositif. Il n’a pas été conçu dans cet esprit, assure Daniel Martin. Mais il est aussi étudié pour être à la pointe des évolutions technologiques et législatives. »

En résumé : contrairement à ce que notre carte indique, ce ne sont pas 1000, mais 13 000 caméras qui seront reliées aux commissariats, et probablement bien plus au fur et à mesure du déploiement d’autres dispositifs, publics ou privés, dans le grand Paris. Et nul ne sait à quoi elles serviront, à terme.

Dans son article, Jean-Marc Leclerc donnait ainsi la parole au commissaire Jérôme Foucaud, de l’état-major de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) : « Le problème n’était pas tant le nombre de caméras disponibles que la façon dont elles allaient pouvoir être exploitées » :

En clair : il fallait un logiciel pour aider le policier à détecter et afficher uniquement les images utiles à son travail. Les étapes de l’élaboration de cet outil informatique, confiée à la société Iris, attributaire du marché, ont été supervisées par un ingénieur général de l’armement, Thierry Leblond. «Concevoir un tel projet, c’est comme imaginer un système d’armes », explique-t-il.

Étrangement, et alors que le gouvernement voudrait interdire l’utilisation du mot “vidéosurveillance“, qui fait bien trop peur aux gens, au profit du bien plus adouci terme de “vidéoprotection” (voir Docteur Alex et Mister Türk), l’ingénieur général de l’armement chargé de le rendre intelligent en parle, lui, comme d’un “système d’armes“… La conclusion de l’article du Figaro est à l’encan :

Si tout se passe comme prévu, dès la fin de l’année 2011, la police aura des yeux partout, pour les besoins d’un service d’ordre ou d’une filature, pour vérifier une information ou mettre sous surveillance un secteur à risques. Et pas seulement les commissariats. Car les 400 kilomètres de fibre optique posés à compter de février pour relier ce réseau tentaculaire vont alimenter 55 sites dans la capitale ou sa périphérie, comme la DCRI, à Levallois-Perret, centre névralgique du contre-terrorisme et du contre-espionnage, la caserne de Champerret, siège de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, ou encore la salle de crise du ministre de l’Intérieur, dans les sous-sols de la Place Beauvau. Même l’Élysée pourrait être connecté, pour les besoins de sa propre sécurité.

Voire plus si affinités : Pour Hortefeux, même la vidéo d’un mariage relève de la vidéosurveillance… Dans le rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection (voir Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance), le ministère de l’Intérieur avait en effet annexé une liste de 18 “faits marquants d’élucidation, grâce à la vidéoprotection“. Or, seuls 3 d’entre-eux reposaient sur des systèmes de vidéosurveillance de la voie publique, les autres ayant exploité les images de vidéosurveillance d’un bureau de tabac, d’un hôtel, de banques, supermarchés, et même la vidéo d’un film de mariage.

L’objectif n’est donc pas tant de tripler le nombre de caméras sur la voie publique, mais d’en interconnecter des dizaines, voire centaine de milliers, en considérant que toutes les caméras, dans les magasins, les banques, les administrations, partout… y compris votre propre caméra vidéo perso, participent en fait à l’effort de vidéosurveillance “vidéoprotection” du ministère de l’Intérieur.

Et bientôt, une mise à jour de la carte de France des villes sous vidéosurveillance, dont voici un premier aperçu :

Votre ville n’est pas sur la carte ? Aidez-nous à l’améliorer :
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Mise à jour : Aidez-nous à améliorer la géolocalisation des caméras de surveillance de Paris !

Illustrations: CC Leo Reynolds; extrait du rapport de présentation du plan de vidéoprotection de la ville de Paris.

Merci à Nicolas Kayser-Bril (nicolaskb), Pierre Romera (@Pirhoo) et Tom Wersinger (@tom_plays) pour leur aide précieuse dans l’élaboration de la carte.

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