La Cnil court après les caméras

Le 22 novembre 2011

La CNIL compte les caméras de vidéosurveillance et ses maigres économies. Pas de quoi surveiller les surveillants et l’œil de leurs caméras, de plus en plus nombreuses. Constat désolé et alarmant à déchiffrer dans son dernier rapport annuel.

Comme l’an passé, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) souligne dans son dernier rapport annuel (publié le 16 novembre) [pdf]1 son manque criant de moyens. Mais cette fois, le lecteur est pris d’inquiétudes en lisant le bilan qu’elle dresse sur le décalage entre ses capacités et ses missions dans le domaine de la vidéosurveillance. Pourtant, celles-ci étaient déjà dans son programme en 2010 et ses champs d’investigation en la matière ont été étendues.

La Cnil, qui continue de faire maigre figure auprès d’autres pays européens, s’est vu ainsi confier en mars dernier par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) le contrôle des dispositifs sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. L’autorité, qui réclamait cette prérogative depuis 2008, s’en réjouit et annonce 150 contrôles en 2011, ce qui reste bien maigrichon si l’on fait le ratio avec le nombre de dispositifs. Faute de moyens supplémentaires, ce sera la disette, souligne-t-elle sans ambages :

S’il est en effet illusoire de vouloir contrôler l’ensemble des dispositifs de vidéoprotection, il conviendra néanmoins que la CNIL puisse contrôler un pourcentage raisonnable de ceux-ci. Cet objectif est à mettre en perspective avec les 400 000 caméras installées en France qui relèvent du régime de la loi de 1995, dont environ 33 000 sur la voie publique (avec un objectif de 45 000 fin 2011, selon le ministre de l’Intérieur). Et ces chiffres sont en constante augmentation (…) Afin que la CNIL puisse mener à bien cette mission confiée par le législateur, notre Commission souhaite que cette extension de compétence s’accompagne d’un accroissement de ses moyens.

Illégalité des dispositifs

Pauvre mais insolente, la Cnil fait aussi le constat de 15 ans de laxisme concernant la vidéosurveillance sur la voie publique :

Il est rapidement apparu à notre Commission que le mécanisme d’autorisation préfectorale préalable créé en 1995 n’était pas suffisant : d’une part, parce qu’il ne concerne que les dispositifs dont le préfet a connaissance et, d’autre part, parce que les dispositifs effectivement en place peuvent ne pas respecter, volontairement ou non, le cadre fixé par l’autorisation préfectorale.

Elle rejoint sur ce point l’avis de la Cour des comptes, dont le rapport rendu cet été soulignait l’illégalité d’une partie des dispositifs. Sur les 55 contrôles effectués, dans leur majorité dans le cadre de l’instruction de plainte, elle a relevé :

- 23 absences de déclaration CNIL ou déclaration incomplète ;
- 27 dispositifs disproportionnés (surveillance permanente des salariés concernés), dont 6 (10% des cas) “étaient délibérément orientés sur des salariés”. Ambiance dans l’entreprise. Or, rappelle la CNIL, la mise en Å“uvre d’un dispositif de vidéosurveillance ne peut pas avoir pour seule finalité la surveillance des salariés. En mars 2010, elle a ainsi demandé en urgence l’interruption d’un système de surveillance permanent. On ne saura pas le nom de l’entreprise car la CNIL, discrète de coutume, ne cite pas les fautifs, sauf cas rare2
- 10 cas de durée de conservation excessive des images ;
- 38 cas de défaut d’information des personnes ;
- 14 cas de défauts de sécurité ;

Cet échantillon lui a permis “de dégager une première orientation en matière de proportionnalité de dispositifs de vidéosurveillance filmant des salariés sur leur lieu de travail.” Et le vol de crayon n’entre pas dans ce périmètre, entre autres…

La mise en œuvre de dispositifs de vidéosurveillance destinés à lutter contre le vol est acceptable, sous certaines conditions : les zones sans rapport avec la finalité de lutte contre le vol ne doivent pas être filmées. Il peut s’agir notamment des zones de repos, des zones de travail sans présence de la marchandise. La marchandise peut être filmée ; éventuellement les salariés qui la manipulent – mais pas les salariés en tant que tels ; la CNIL apprécie également la légitimité du dispositif : la lutte contre le vol ne doit viser que les marchandises en lien avec l’activité de l’entreprise concernée (ce qui permet d’éviter une lutte trop « générique » : lutte contre le vol de papiers, de crayons, etc.) ; enfin, si des moyens alternatifs existent déjà (armoires fortes, sécurité des locaux), le recours à des dispositifs de vidéosurveillance ne paraît plus indispensable.

Encore faut-il que les salariés soient informés de ce cadre juridique. L’école a aussi des leçons à recevoir. On reproche aux jeunes qui baignent dans l’Internet de ne plus avoir de notion de vie privée mais ce sont pourtant des établissements qui filment leurs “lieux de vie tels que les cours de récréation, les préaux, les jardins ou les foyers des élèves”. Et la CNIL de déplorer :

les contrôles ont montré que l’orientation de certaines caméras était inadéquate notamment lorsqu’elles filment en permanence « les lieux de vie » permettant une surveillance permanente des personnes qui s’y trouvent, qu’il s’agisse des élèves ou des enseignants (…) Seules des circonstances exceptionnelles – établissements scolaires victimes d’actes de malveillance fréquents et répétés – peuvent justifier que des élèves et des enseignants soient filmés en continu

Le régime d’exception ne doit pas devenir la norme, souligne le rapport. Pour le reste, comme en entreprise, il faut mettre en Å“uvre d’autres moyens moins intrusifs. Enfin, les parents et les élèves n’étaient pas toujours informés de la présence du dispositif. Un détail. Une “collecte excessive de données [qui] a conduit le président de la CNIL à mettre en demeure cinq de ces établissements de modifier leur système.”

On notera enfin que l’imbroglio sur le nombre de caméras sur la voie publique continue : le ministère de l’Intérieur Brice Hortefeux avait évoqué “environ 30 000 caméras en 2009, et 40 000 en 2010“, et en voulait 60 000 fin 2011. Selon l’enquête de la Cour, effectuée à partir des données rassemblées par la direction de la police et de la gendarmerie, on est à 10 000 caméras fin de 2010. La Cnil annonce elle 33 000 caméras, “avec un objectif de 45 000 fin 2011, selon le ministre de l’Intérieur”.


Photos et illustrations par DrJohn 2005 [cc-by-nc-nd]

  1. le rapport couvre en fait “la période écoulée depuis le rapport précédent plutôt que l’année civile 2010″, pour des questions de cohérence. []
  2. Acadomia par exemple, suite au scandale des fichiers de son personnel et des élèves. []

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