Pourquoi Google est apollinien et Facebook dionysiaque

Le 6 janvier 2011

Pour Adriano Farano, Facebook et Google ressemblent aux deux avatars significatifs de l’Internet d’aujourd’hui, avec deux conceptions différentes.

L’information selon laquelle, en 2010, Facebook a détrôné Google en devenant le site le plus visité des États-Unis est absolument étonnante. Mais on peut se poser cette question: qu’est-ce que ce renversement signifie pour les usages du web d’aujourd’hui? Facebook et Google ressemblent aux deux compétiteurs de deux conceptions différentes d’Internet.

D’un côté, le géant de Mountain View représente l’empire de la raison, la quintessence de ce qu’on pourrait appeler le “web froid”. Google sert – c’est son déterminisme – à trouver les informations qu’on recherche. Son moteur peut-être extrêmement utile, mais rarement excitant; nous l’apprécions parce que ses algorithmes ordonnent les données d’Internet, dont la profondeur est abyssale. En ce sens, Google est apollinien. Comme le dieu grec du soleil, de la lumière et de la poésie, plus tard de l’ordre et de la raison, Google nous aide à jeter de la lumière sur l’abondante information disponible en ligne.

De l’autre côté, Facebook symbolise le “web chaud”. Il sert essentiellement à rester en contact avec ses amis ou ses proches, ou a satisfaire une inclination naturelle pour le voyeurisme ou d’autres interactions sociales. Facebook est peut-être addictif, mais ses utilisateurs compulsifs sont rarement fiers du temps qu’ils passent sur la plateforme. Comme le tabac ou l’alcool, Facebook est moins un service conçu pour résoudre des problèmes qu’un vice de la société globalisée. C’est la raison pour laquelle Facebook est dionysiaque. A l’instar du dieu grec du vin, plus tard de l’irrationalité, Facebook parle directement à notre côté émotionnel.

A une époque où la plupart des plateformes essaient de devenir sociales, les concepts apolliniens et dionysiaques peuvent être utiles pour comprendre les profondes différences entre eux. Prenez l’exemple de LinkedIn. Ne s’agit-il pas d’un réseau social apollinien, essentiellement bâti pour servir les besoins d’une vie professionnelle? Twitter est un autre exemple signifiant. Parce que son discours commercial l’identifie comme un “réseau d’informations” plus qu’un réseau social, cette précision en dit long sur sa volonté d’évoluer dans le champ de l’échange “froid” d’informations plutôt que dans celui des émotions “chaudes”.

Mais le distinguo apollinien/dionysiaque ne doit pas être regardée comme une dichotomie permanente. Dans La Naissance de la Tragédie, Friedrich Nietzsche affirme que la primauté esthétique de la tragédie grecque ancienne vient du fait que les travaux d’Eschyle ou de Sophocle marient Apollon et Dionysos.

En un sens, la tentative de Google pour devenir social (avec Buzz) et l’alliance de Facebook avec Bing pour fournir une expérience de recherche sociale peuvent être toutes deux perçues comme des efforts embryonnaires pour équilibrer le chaud et le froid, le dionysiaque et l’apolinien. Mais dans les deux cas, les résultats sont encore loin d’être satisfaisants. Et Google et Facebook restent prédominants dans deux aires différentes, bien définies.

Il faut peut être appréhender la nouvelle guerre de la Silicon Valley dans cette perspective, plutôt qu’avec les outils compliqués et rarement efficaces du système métrique du web. Cette guerre entre Facebook et Google sera probablement remportée par celui qui arrivera à supplanter le champ d’origine de l’autre, sans abandonner sa première définition.

Ce billet a initialement été publié en anglais sur OWNI.eu

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Crédits photo: Flickr CC Shoes on Wire, Dunechaser

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