Hadopi vs CNIL: l’une chante, l’autre pas

Le 3 février 2011

La CNIL a mis 32 ans pour obtenir un budget de 13 millions d'euros. La Hadopi, un an. La CNIL a effectué 300 contrôles l'an passé. La Hadopi, elle, envoie 10 000 avertissements, par jour... Petite étude comparée.

Créée en 1978, la CNIL fut la toute première autorité administrative indépendante (AAI), du nom donné à ces organismes administratifs qui agissent au nom de l’État et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement. En 1978, son budget était de 7 millions de francs, soit un peu plus d’1 millions d’euros.

Et il lui aura fallu attendre 32 ans pour arriver à obtenir du gouvernement un budget supérieur à 13 millions d’euros (13,1 en 2009, 14, 7 en 2010 (.pdf)).

La Hadopi, dernière AAI à avoir été créée, dispose quant à elle d’un “budget primitif” de 13,8 millions d’euros (.pdf) en 2011, après avoir été dotée, à sa création l’an passé, d’un budget de 10,6 millions d’euros.

La Hadopi, qui employait 40 personnes en décembre (qui nous a déclaré en employer 48 en janvier, et qui espère en employer 60 en 2011), compte pourtant trois fois moins de salariés que la CNIL, dont les effectifs sont passés de 58 agents en l’an 2000 à 80 en 2004 (.pdf), et 153 en 2010 (.pdf).

Dans l’attente du décret fixant le montant du traitement de Marie-Françoise Marais, la présidente de la Hadopi (qui est également Conseillère à la Cour de cassation, vice-présidente du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique -CSPLA-, Présidente de la Commission nationale des inventions de salariés -CNIS- et membre de la commission d’examen des pratiques commerciales -CEPC), on se reportera aux rémunérations (.pdf) des présidents de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE, 81 096 euros bruts annuels, plus un téléphone portable), de l’Autorité de la concurrence (183 486, plus une voiture avec chauffeur), de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP, 184 292, plus une voiture de fonction), du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, 184 964) ou encore de l’Autorité des marchés financiers (AMF, 302 986).

En tant que président de la CNIL (il est aussi sénateur), Alex Türk touche quant à lui une indemnité forfaitaire mensuelle de 3 250 euros, soit 39 000 euros bruts annuels (.pdf). Mais un récent rapport de la Cour des comptes, révélé par Le Monde, a déploré qu’il ait pris “l’initiative de s’attribuer, en supplément, des indemnités forfaitaires par séance ainsi que des vacations qui ont représenté un montant moyen de 1800 euros par mois“, le sommant de rembourser 51 000 euros d’indemnités trop-perçues, ce qu’il a fait dans la foulée.

Les conseillers de la Cour des comptes ont par ailleurs estimé que le salaire de 9 600 euros net par mois de Yann Padova, le secrétaire général de la CNIL, “excède notablement celui auquel il peut prétendre“, ce à quoi Padova a rétorqué que ses collègues du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), de la Halde ou du Médiateur gagnaient entre 9.400 et 11.500 euros par mois. Le salaire d’Eric Walter, le secrétaire général de la Hadopi, n’a pas encore été rendu public. Tout juste sait-on qu’il “ne pourra excéder un montant annuel brut de 180 000 euros” (soit 138 600 net, ou 11 550 €/mois).

Toujours en terme de salaires, la rémunération la plus importante s’élève à 36 000 euros annuel à la Hadopi, quand la rémunération des cinq personnels de direction les mieux payés est de 466 137 euros, soit en moyenne 93 227 euros annuel pour chacun en 2009 à la CNIL (source .pdf).

Quand la Hadopi souligne sa propre inefficacité

Le meilleur est pour la fin. L’étude qu’a effectué la Hadopi sur les usages des internautes françaises révèle en effet que “49% des internautes déclarent des usages illicites“.

Or, on ne dénombrait que 18% d’internautes pirates en 2008, et 30% en 2009. Autrement dit, les internautes consomment plus de biens culturels “de manière illicite” depuis que la Hadopi existe… Un comble.

La Hadopi se donne pourtant grand mal : fin 2010, elle avait en effet envoyé pas moins de 70 000 emails d’avertissement, rapporte Marc Rees sur PCInpact. Les ayant-droits, de leur côté, lui envoient 70 000 saisines “par jour“. La Hadopi s’est donc fixée un cap de 10 000 avertissements “chaque jour” à la fin du premier trimestre 2010, sachant qu’à la fin de l’année, elle “n’aura plus de limite“, et pourra donc en envoyer 20, 30 ou 100 000…

Récemment, PCInpact révélait que la Sacem avait, à ce jour, transmis à la Hadopi 2,2 millions d’”incidents” identifiés par la société Trident Media Guard (TMG) chargée de traquer les utilisateurs des réseaux P2P. Ce à quoi il convient de rajouter les autres “incidents” repérés par TMG pour le compte des quatre autres ayant-droits. Chacun d’entre-eux ayant le droit d’envoyer 25 000 PV par jour à la Hadopi, ce sont donc pas moins de 125 000 avertissements qui, potentiellement, pourraient être envoyés quotidiennement…

A 32 ans, la CNIL peine encore à sévir

Tout aussi récemment, une étude révélait par ailleurs que 82 % des entreprises et administrations ne respectaient pas la loi informatique et libertés, 32 ans après son adoption.

Si la CNIL compte trois fois plus de salariés que la Hadopi, elle n’a, de son côté, effectué que 300 contrôles l’an passé, contre une trentaine seulement (.pdf) en 2001.

De 2005 à 2010, la CNIL a adressé 25 avertissements (.pdf), ainsi que 61 sanctions dont 41 adoptées avec publicité, soit sur son propre site, soit sur Legifrance. 34 de ces sanctions étaient pécuniaires, pour un montant moyen de 15 000 euros.

A la CNIL, le service des sanctions est composé de deux juristes, d’une assistante et de plusieurs stagiaires, le service des plaintes comprend 13 personnes, et le service des contrôles 12 personnes. La Hadopi, elle, emploie, en plus des trois membres de la Commission de protection des droits, 12 agents dédiés uniquement à la gestion des demandes d’identification et de l’envoi des courriers recommandés. En 2011, ils seront 24.

Nous avons donc d’un côté une autorité qui veut obliger les internautes à devenir leurs propres Big Brother, qui paie une entreprise privée pour les placer sous cybersurveillance, afin de constituer un fichier de délinquants présumés, qui renverse la charge de la preuve de sorte qu’il sera impossible de prouver son innocence en cas d’erreur… et qui, à peine lancée, explique benoîtement qu’il y a plus de pirates aujourd’hui qu’avant sa création.

De l’autre, nous avons une autre autorité, garante de nos droits informatique et libertés mais qui, 32 ans après sa création, peine toujours à faire respecter la loi, alors même que le gouvernement cherche à la décapiter, et à lui couper les vivres.

Et si, plutôt que de continuer à inciter les gens à consommer illégalement en gaspillant de l’argent dans la Hadopi, on transférait son budget à la CNIL, afin d’aider ceux qui nous mettent dans leurs fichiers à respecter notre vie privée ?

En attendant, vous pouvez aussi télécharger le poster qui suit, par Marion Boucharlat, et qui résume ce duel de Titans :

Illustration CC DuneChaser.

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