Les femmes, clés de la lutte contre la faim

Le 19 avril 2011

Alors que les prix alimentaires flambent, des experts se penchent sur une solution jusque-là négligée : les femmes, et leur responsabilisation dans l'agriculture.

Ce billet a initialement été publié sur Global Voices, sous le titre “Pour éradiquer la faim dans le monde, faut-il impliquer les femmes ?”

Les femmes sont essentielles à la production de denrées alimentaires dans beaucoup de pays en voie de développement. Elles représentent en moyenne 43% de la main-d’Å“uvre agricole. Certains estiment que 80% des travailleurs impliqués dans l’agriculture en Afrique, et 60% en Asie, sont des femmes.

La semaine dernière, lors du forum Envision à New York, au cours d’une commission consacrée au rôle des femmes dans la réduction de la faim et de la pauvreté, l’administratrice associée et sous-secrétaire générale au Programme de Développement des Nations Unies, Rebeca Grynspan, a déclaré :

Même en parlant uniquement des zones rurales, les femmes produisent 50% de l’alimentation mondiale. Elles perçoivent seulement 1% des crédits mais elles produisent 50% de la nourriture.

En plus de ce manque de reconnaissance, un rapport publié le mois dernier par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture indique qu’alors que le rôle des agricultrices peut varier selon les régions, elles ont partout un accès moindre aux ressources et aux opportunités que les cultivateurs masculins. Supprimer cette inégalité pourrait sortir de la faim pas moins de 150 millions de personnes.

Ma. Estrella A. Penunia, secrétaire générale de l’Association des agriculteurs d’Asie pour le développement rural durable, liste six raisons-clés pour lesquelles nous devrions nous soucier des agricultrices, y compris pour les problèmes de sécurité alimentaire. Dans le même temps, Emily Oakley, une Américaine qui a étudié la petite agriculture dans des douzaines de pays, réfléchit à la place des femmes dans l’agriculture dans un billet sur son blog intitulé “In Her Field”:

Dans la plupart des endroits que j’ai visités, les femmes ne sont pas juste des soutiens à l’agriculture : elles font équipe avec leur mari dans les tâches quotidiennes, prennent des décisions et planifient. Au Kenya, il est bien plus courant de voir une femme seule, avec un enfant emmailloté sur son dos, bêcher un champ avec une houe que de la voir accompagnée par son mari. Dans un village isolé du Népal occidental (le genre d’isolement qui signifie une demi-journée de marche jusqu’à la route la plus proche), l’agriculteur que tout le monde s’accordait à trouver le plus innovateur était une femme. Son exploitation se tenait sur le coteau comme une oasis de croissance et de diversité là où les autres fermes connaissaient l’érosion du sol et la pauvreté des champs. J’ai récemment participé à un projet entre agriculteurs en République Dominicaine, qui suivait les agricultrices dans la production commerciale en serres de poivrons. C’est juste un petit avant-goût du travail des femmes dans l’agriculture.

Une inégalité persistante et contre-productive

Beaucoup de femmes travaillent comme cultivatrices dans une économie de subsistance. Elles sont de petits entrepreneurs ou des travailleuses non payées, ou intermittentes. Donner à ces femmes les mêmes outils et les mêmes ressources qu’aux hommes, notamment un meilleur accès aux services financiers, aux équipements techniques, à la terre, à l’éducation et aux marchés, pourrait accroître la production agricole  des pays en développement de 2,5 à 4%, selon le rapport des Nations Unies. Ces gains de production pourraient, à leur tour, réduire le nombre de personnes souffrant de la faim de 12 à 17%, soit de 100 à 150 millions de personnes. En 2010, près de 929 millions de personnes étaient sous-alimentées.

D’après le rapport, l’implication des femmes pourrait aussi améliorer la sécurité alimentaire de leurs familles toutes entières, les femmes étant davantage prêtes que les hommes à dépenser un revenu supplémentaire pour la nourriture, l’éducation et d’autres besoins domestiques basiques. Pour Dipendra Pokharel, chercheur au Népal, le rôle domestique des femmes peut aussi conduire à l‘absence de prise en compte de leurs besoins:

Les agricultrices ont souvent des priorités différentes des hommes, et cela peut, dans beaucoup de cas, être lié à leur rôle direct dans l’alimentation de leurs familles. Dans les zones rurales du Népal, les hommes contrôlent traditionnellement le monde extérieur et les femmes l’intérieur de la maison. De telles perspectives traditionnelles peuvent contribuer au déséquilibre de l’information collectée par des étrangers, avec l’intention d’aider la communauté. Ce sont habituellement les hommes qui fournissent l’information aux personnes extérieures. Cela signifie que les priorités des femmes sont souvent négligées, à moins qu’elles ne soient spécifiquement prises en compte. Cela explique également le fait que les agricultrices reçoivent moins de services d’extension nécessaires à la transformation de leur système d’agriculture basé sur la subsistance vers un système plus commercial.

Les femmes agricultrices gèrent des exploitations plus petites que celles des hommes, en moyenne inférieures d’un tiers voire de la moitié de celle d’un homme, selon le rapport, et leurs fermes ont habituellement de plus faibles rendements.  Elles sont aussi moins susceptibles de posséder des terres ou d’avoir accès à des terres louées. Le rapport montre, par exemple, que les femmes représentent un peu moins de 5% des exploitants agricoles dans l’Asie occidentale et l’Afrique du nord.

Jane Tarh Takang, qui a travaillé avec des agriculteurs en Afrique de l’ouest et du centre, discute des problèmes de droit foncier dans un entretien avec Edith Abilogo, publié sur FORESTSBlog, le blog du Centre de Recherche Forestière Internationale :

Dans la plupart des communautés en Afrique, les femmes et les filles ont un accès très limité à la propriété et à la terre comparé aux garçons et aux hommes. Sans terre, elles ne peuvent pas produire de ressources pour nourrir leurs familles ou générer des revenus, et cela conduit à une reproduction du cycle de la pauvreté avec leurs enfants. Cette situation est pire quand il s’agit de veuves ou de femmes non mariées… Dans des cas où les terres agricoles existantes ont été épuisées par des pratiques agricoles intensives, les hommes préfèrent réserver les zones fertiles pour leur propre usage et laisser les moins fertiles aux femmes.

Elfinesh Dermeji, une agricultrice éthiopienne qui a assisté au séminaire sur l’égalité des sexes et l’agriculture à orientation commerciale à Addis-Abeba, raconte dans un billet sur le New Agriculturist, qu’il n’est pas toujours facile d’impliquer les femmes dans l’agriculture:

Dans certaines familles, lorsque les hommes sont ouverts et veulent que leurs épouses participent, la femme n’a pas toujours l’esprit d’entreprise ou elle n’est pas motivée. D’un autre côté,  certains hommes, lorsque les femmes sont motivées et veulent participer, ne veulent pas qu’elles quittent la maison. Ils préfèrent renoncer à ce revenu plutôt que d’avoir leur femme impliquée dans une association.

De nombreux projets déjà en route du Ghana au Philippines

Cependant, dans le monde entier, de nombreux projets impliquent des femmes agricultrices : du mouvement pour encourager les femmes à acheter des tracteurs au Ghana, aux pressions sur le gouvernement des Philippines pour autoriser la mention du nom des épouses sur les titres de propriété jusqu’à l’augmentation de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication parmi les agriculteurs ougandais.

Sur OneWorld South Asia, Ananya Mukherjee-Reed décrit comment 250 000 membres de Kudumbashree, un réseau de 3,7 millions de femmes dans l’état indien de Kerala, ont formé des coopératives agricoles pour conjointement louer et cultiver la terre :

Dhanalakhsmi, une jeune femme à Elappully, me dit que passer d’un rôle d’ouvrière à celui de productrice a eu un profond effet sur ses enfants. “Ils me voient différemment maintenant. Lorsque nous nous réunissons pour discuter de nos fermes, de nos revenus, ou partager simplement nos problèmes, ils observent avec beaucoup d’intérêt”.

Mais les blogueurs estiment que l’on peut faire plus. Dans un billet sur Solutions, Yifat Susskind avance l’idée selon laquelle les États-Unis devraient acheter des récoltes aux agriculteurs locaux africains dans le cadre de leur aide internationale. Dipendra Pokharel affirme que les femmes des milieux ruraux doivent gagner de l’espace social et politique dans les domaines privé et public. Melissa McEwan, blogueuse sur Shakesville aux États-Unis, dénonce l’idée reçue selon laquelle seuls les hommes seraient agriculteurs, en compilant presque 100 photos de femmes agricultrices dans le monde entier.

Ma. Estrella A. Penunia insiste sur le nécessaire soutien des hommes à l’évolution du statut des femmes:

L’agriculture étant un effort de toute la famille dans beaucoup de pays en voie de développement, le soutien que les femmes agricultrices auront de leurs époux et des membres dirigeants masculins de leurs organisation peut s’avérer essentiel et d’une aide majeure pour elles. Dans des exploitations où à la fois hommes et femmes ont été sensibilisés à la dynamique de l’égalité des sexes et croient en des droits et des opportunités égaux, le potentiel d’une femme agricultrice est exploité dans sa totalité.

Illustration FlickR CC par anaxila et Aquistbe

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