Pesticides : une maladie professionnelle pour les paysans… et leurs familles

Le 19 avril 2011

Parfois reconnues comme maladies professionnelles, les conséquences désastreuses des pesticides sur la santé des paysans et de leurs familles souffrent d'un manque cruel de documentation, de prévention... et de reconnaissance politique.

Oser prendre la parole. C’est sans doute l’une des difficultés majeures auxquelles sont confrontés les agriculteurs victimes des pesticides. La France est, avec 65.000 tonnes pulvérisées chaque année, le premier consommateur européen. Gilbert Vendée, 55 ans, atteint de la maladie de Parkinson, fait partie de ceux qui ont choisi de témoigner. Salarié agricole, il était, en tant que chef de culture, chargé de préparer et épandre les pesticides.

Il ne s’est jamais protégé pendant la phase de traitement.

Avoir un masque, même dans une cabine climatisée, c’est horrible, précise-t-il. Surtout que l’on travaille souvent, dans ces périodes-là, de 12 à 22 heures !

Quand un jet du pulvérisateur est bouché, « on n’a pas le temps d’attraper le masque », ajoute-il. Résultat : un contact respiratoire et cutané très important avec des molécules dont on sait aujourd’hui qu’elles peuvent provoquer de très graves maladies.

Victimes officielles des pesticides

Après plusieurs années de combat, Gilbert Vendée a obtenu la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. Devenant l’une des toutes premières victimes officielles des pesticides. Soutenues par l’association Générations futures, ces personnes ont décidé de créer une association d’aide et de soutien aux professionnels victimes des pesticides. Constituée le 19 mars dernier à Ruffec, en Charente-Maritime, Phyto-victimes entend, pour commencer, « informer les professionnels de l’impact des pesticides sur leur santé ».

Le lien entre travail et maladie ne va pas de soi pour le corps médical français. Et la question du parcours professionnel est trop peu souvent posée aux personnes atteintes de maladie graves, comme des cancers ou des maladies neuro-dégénératives. Dans le milieu agricole, le déni est particulièrement fort.

Xavier Beulin, président de la toute puissante Fédération nationale des syndicats des exploitants agricoles (FNSEA) n’a-t-il pas annoncé sur RTL le 24 janvier dernier que le cas de Yannick Chenet, un agriculteur décédé quelques jours avant d’une leucémie due aux pesticides, était isolé ? Et que les dispositifs d’épidémio-surveillance étaient performants en France ?

Quand on dit qu’on est malade, on abonde en plus dans le sens de tous les citoyens qui assimilent les agriculteurs à de simples pollueurs. Et ce n’est pas facile à porter. Remettre en cause une vie entière de travail (souvent rude), n’est pas chose aisée non plus. La conséquence ? Pour le moment, sur le million d’agriculteurs et salariés agricoles français, dont la grande majorité utilisent des pesticides, ils ne sont qu’une trentaine à avoir obtenu la reconnaissance de maladie professionnelle.

Mais le silence se fait moins pesant. Au sein de la Mutualité sociale agricole (MSA), ce problème majeur de santé publique est pris très au sérieux. Au moins par une partie du personnel. En témoigne le travail mené depuis 10 ans par Phyt’attitude, le réseau de surveillance toxicologique de la Mutuelle, qui note que de plus en plus d’agriculteurs et de salariés se plaignent d’affections chroniques et persistantes, certainement liées aux produits chimiques : des symptômes cutanés (démangeaisons et brûlures), digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales), neuromusculaires (maux de tête, vertiges ou fourmillements) et ophtalmologiques.

Modalités de protection difficiles d’accès et combinaisons inefficaces

Si les données épidémiologiques manquent en France, on sait aujourd’hui, grâce à des études réalisées ailleurs dans le monde (et notamment aux États-Unis) que les pesticides peuvent causer des maux plus graves encore. Notamment ces cancers, des troubles de la reproduction (infertilités, malformations, morts-nés, fausse-couches) ou des risques neurologiques (comme la maladie de Parkinson). C’est par les voies respiratoire ou cutanée que les molécules mortelles pénètrent le corps des agriculteurs, à divers moments du traitement : pendant la préparation du produit, la manipulation des semences traitées, l’application (mécanisée ou manuelle) et le nettoyage du matériel ou de l’Équipement de Protection Individuel (EPI), qui comprend masques, gants et combinaison.

Les informations sur la dangerosité des molécules et les précautions d’utilisation – que les fabricants se vantent de fournir – sont très difficiles d’accès. Parce que très denses et parfois écrites avec des caractères illisibles. « Le système actuel de notification de l’information toxicologique n’est pas toujours accessible aux non initiés car le langage utilisé est souvent par trop scientifique  », note Laure Ledouce, Ingénieur prévention risques phytosanitaires à la MSA [1].

Les vendeurs conseillent par ailleurs aux agriculteurs l’utilisation de « matériel performant  ». Entendez : des tracteurs avec cabines, par exemple. Ou des pulvérisateurs dernier cri que la plupart des paysans n’ont pas les moyens de se payer. Dans la région du Beaujolais, 60% des équipements ne sont pas récents. À peine 15% des tracteurs ont des cabines. Le port des gants, évidemment recommandé, n’est quasiment jamais appliqué parce qu’ils font perdre en dextérité.

Quant aux combinaisons, préconisées, elles sont simplement inefficaces ! Dans un rapport rendu en janvier 2010, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) précise que les résultats des deux campagnes d’essais portant sur l’efficacité des combinaisons de protection chimique « indiquent que seulement deux modèles sur les dix testés sont conformes en matière de perméation aux performances annoncées par les fabricants ».

Des femmes enceintes exposées

Les agriculteurs ne sont pas les seuls à être touchés. On estime que 40 à 60% des produits n’atteignent pas le sol. Et restent en suspension dans l’air. Les femmes sont particulièrement concernées par cette exposition « post-traitement ». Mais les données épidémiologiques manquent sur l’état sanitaire de cette population qui, pendant longtemps, n’a pas eu de statut au sein des exploitations. Et cette contamination féminine est d’autant plus problématique qu’elle implique, en cas de grossesse, une contamination fœtale. En plein développement cellulaire, le fœtus est plus fragile aux agressions de son environnement. C’est ce qu’ont montré différentes études.

Outre les risques de malformations (notamment génitales) à la naissance, cette exposition précoce multiplie les risques de cancers : les effets additionnels ou synergiques des cocktail de substances chimiques s’avèrent (quand ils sont évalués) catastrophiques. Les enfants d’agriculteurs sont en contact avec les pesticides in utero et après la naissance avec les particules en suspension dans l’air à proximité de l’habitation, ou sur les vêtements et la peau des parents. Cette proximité directe en fait des victimes directes, et pas toujours identifiées.

Les fondateurs de l’association Phyto-victimes entendent bien aider leurs pairs, et leurs familles, à sortir de l’ombre.

Suite aux articles parus dans un quotidien régional, informant de la fondation de l’association, nous avons eu une trentaine d’appels, de personnes malades, rapporte Nadine Lauverjeat, porte-parole de Générations futures. C’est un signe à la fois encourageant et inquiétant. Nous soupçonnons qu’il risque d’y avoir des milliers de victimes…

Pour ce recensement, qui s’avèrera peut-être apocalyptique, Phyto-victimes entend mailler le territoire de comités régionaux. « L’objectif, c’est aussi d’apporter des réponses concrètes aux personnes concernées en leur prodiguant des conseils juridiques, médicaux et scientifiques », poursuit Nadine Lauverjeat. Parmi les conseils à retenir : l’importance de se faire épauler par un avocat compétent sur ces questions pour entamer les démarches de reconnaissance de maladie professionnelle. Un processus spécifique, notamment dans le milieu agricole. « Avoir l’appui d’un médecin, et des écrits de toxicologue(s) est un plus intéressant, précise Nadine Lauverjeat. De même que la liste précise des produits utilisés au cours de la vie professionnelle. »

Autre ligne d’attaque : l’évolution vers d’autres pratiques agricoles. Un apprentissage qui peut prendre du temps. La déconstruction d’un mode de travail pratiqué pendant de nombreuses années peut être longue et douloureuse. Mais elle est loin d’être impossible. Cela implique de revenir aux fondamentaux de l’agriculture, et de « faire plus d’agronomie et moins de chimie », comme le résume Paul François, agriculteur, victime de pesticide, et président de Phyto-victimes. Une démarche qui est « un vrai casse-tête mais très intéressante ».

Le gouvernement actuel semble malheureusement peu intéressé par ce possible renouveau agricole. En 2011, le crédit d’impôt dont bénéficiait l’agriculture biologique, qui n’utilise jamais de pesticides, a été divisé par deux. Et les agrocarburants, jamais bios, ont été gratifiés d’une aide de 196 millions d’euros (via des exonérations fiscales) ! L’Institut national de recherche agronomique (Inra) a pourtant expliqué que leur développement était incompatible avec une diminution des pesticides. Mais l’environnement, « ça commence à bien faire  », pour reprendre une célèbre saillie de notre Président de la république, au salon de l’agriculture 2010. La santé des agriculteurs aussi ?

Billet publié initialement sur Bastamag sous le titre Les agriculteurs et leurs familles, premières victimes des pesticides.

Photos FlickR CC Pacific Northwest Safety and Health Center University of Washington ; Jetsandzeppelins.

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