HADOPI HIHI

Le 12 mai 2011

Après la sortie de Nicolas Sarkozy qualifiant Hadopi de "solution imparfaite", la Haute Autorité est de retour, et tient à la faire savoir. Pourtant, aucun des éléments qu'elle met en avant ne semble résister à l'analyse.

Un ministre de la Culture fuyant, aucun chiffre et une étude incomplète. On ne va pas se mentir : hier, au retour d’une énième conférence de presse de l’Hadopi, en présence, excusez du peu, de Frédéric Mitterrand lui-même, nous n’avions nullement l’intention de transformer l’essai en papier. Et pour tout dire, nous étions un poil irrités d’avoir assisté, avec cette assiduité qui nous caractérise (si, si) à cette nouvelle opération de com’ de la Haute Autorité. En même temps, si nous ne voulions pas nous faire le relais RP de l’Hadopi, nous ne pouvions nier l’évidence, même couverte par le voile de l’exaspération qui enfle telle une calzone trop cuite : de par sa vacuité, cette dernière mascarade a été l’occasion d’une bien belle marade. Alors autant qu’on la partage avec vous.

Plantons un peu le décor. Mardi 10 mai 2011 : la Haute Autorité représentée par ses infatigables secrétaire général Éric Walter et présidente Marie-Françoise Marais, donne rendez-vous à la presse dans un grand hôtel du 14e arrondissement de Paris. Exit la rue du Texel : on met les petits plats dans les grands, car le ministre de la Culture est de passage, et s’apprête à faire une communication “pour tirer le bilan des sept premiers mois d’activité.”. Une allocution -sur laquelle on reviendra- qui a fait suite à une visite des locaux de la Haute Autorité et à une “réunion de travail” avec ses représentants, ainsi que certains membres des Labs, comme Bruno Spiquel de Turblog, ou Jean-Michel Planche. Réunion qui, comme l’a relevé Marie-Françoise Marais dans un éclat de rire sonore, a été “live-tweetée” (“c’est comme ça qu’on dit ?” Oui, oui, madame la présidente, pas d’inquiétudes). Malheureusement pour nous, la couverture live en question n’a pas donné grand chose. Nous avons simplement appris que la Commission de protection des droits (CPD, le bras armé de l’Hadopi) n’a pas souhaité donner de chiffres, qu’ils étaient à la bourre et, qu’en gros, un ministre de passage, ça écoute et ça dit “oui”, trois fois:

Dommage, nous qui voulions nous mettre en bouche avant la grand messe, dans laquelle, logiquement, nous avons par la suite placé toutes nos espérances. Peine perdue, puisqu’après 45 minutes passées rue du Texel (“ce qui n’est pas rien pour un ministre”, selon Marie-Françoise Marais), Frédéric Mitterrand a expédié en dix minutes chrono (on ignore ce que ça représente pour un ministre) un texte écrit pour l’occasion, empruntant un débit “mitraillette”, pour reprendre les dires d’un confrère, qui empêchait de piper mot à ses propos. Suite à quoi le ministre s’en est simplement allé, refusant de répondre à toute question, et laissant une salle de conférence à moitié vide.

On retiendra quand même une chose de sa visite: la raison invoquée pour justifier son déplacement:

Je suis aussi ici pour dissiper les éventuelles allégations vues ci et là dernièrement et réaffirmer de la manière la plus forte ma totale confiance et mon appui à l’Hadopi

Redorer le blason de l’Hadopi en réaffirmant la confiance du gouvernement en son action, tel était donc l’objet de tout ce tremblement ? L’erreur… euh… l’épisode malheureux de l’installation du Conseil National du Numérique, pendant laquelle Nicolas Sarkozy avait évoqué l’erreur… euh… la “solution imparfaite” figurée par la loi Création et Internet aurait donc laissé des traces du côté de la Haute Autorité ? Pas du tout, ont rétorqué en cÅ“ur Marie Françoise Marais et Éric Walter. Cette conférence de presse est justifiée un peu par le Festival de Cannes (yeah, yeah, Robert, we’re talking to you) et beaucoup par une étude d’impact d’Hadopi, qui succède à un premier volet rendu en janvier dernier. Problème : ce rapport n’est pas finalisé et ne sera disponible dans sa version intégrale que le 18 mai prochain. Mais le rush provoqué par l’affront sarkozien à la Haute Autorité a du bon: celui de livrer des chiffres rigolos. Voyez plutôt.

A en croire les premiers résultats de cette étude réalisée sur un panel de 1.500 personnes et relayés par Le Figaro qui les a dépiautés en exclusivité: “50% des internautes avertis ont arrêté de pirater” grâce à Hadopi. Ce qui ne pèserait pas bien lourd, si l’on se fie au calcul de Guillaume Champeau. La Haute Autorité explique ainsi que “7% des internautes déclarent qu’eux-mêmes ou un membre de leur entourage a reçu une recommandation de l’Hadopi. Selon des informations de Numerama, parmi ces 7%, seul un individu sur cinq serait directement visé par un courrier de la Haute Autorité. On fait les comptes ? 20% de 7% de 1.500… Dix. Dix internautes avertis déclarent avoir changé de comportement.

Dix individus ont changé de comportement après avoir reçu un avertissement de l'Hadopi. Sauras-tu les retrouver ?

Pour certains, ce chiffre suffit à graver dans le marbre l’efficacité de la machinerie Hadopi. Quand la SACD1 les juge “très encourageants”, Emmanuel Torregano, qui a également contribué à la réalisation de ce sondage, écrit sur ElectronLibre qu’Hadopi est “apprécié de la France profonde”, et que si la réussite de cette “politique du bâton” est à “à désespérer de l’humanité, [...] sous les coups, le rebelle endurci fini par ployer. “ Sauf que dix personnes pour figurer l’humanité entière, ça fait plutôt maigre. Constat que reconnaît d’ailleurs volontiers l’intéressé, qui confiait à OWNI que ce chiffre “pouvait poser problème”, même s’il allait “certainement être confirmé par le prochain baromètre”. Du côté de l’Hadopi, si on ne confirme ni n’infirme les proportions données par Numerama, on concède néanmoins qu’il faut prendre ces chiffres “avec précaution”.

Du vent et du bullshit, voilà donc la soupe qu’a servi hier la Hadopi. Aucune information n’a été donnée sur les moyens de sécurisation, qui font l’objet d’une seconde consultation (mais, qui, rappelez-vous, ne servent de toute façon à rien), ou sur le rôle éventuel de la Haute Autorité au prochain e-G8. De même, aucun chiffre n’a filtré sur les volumes d’envois de la CPD -“vous saurez tout dans le prochain rapport annuel à paraître mi-juillet” étant la réponse passe-partout du jour.

Seule info: la labellisation des offres légales est en cours, et va faire l’objet d’une vaste campagne d’information. Vous n’en saurez pas plus, si ce n’est que l’Hadopi peut encore fréquenter les péages cet été. D’ailleurs, pour leur donner un coup de pouce, et pour meubler un peu l’actualité molle de la Haute autorité, OWNI lance un concours du meilleur slogan Hadopien. Plus d’info dans la journée, en attendant, à vos cerveaux /-)


Illustrations CC: Wikimedia Commons, FradiFrad

  1. Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques []

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