Cellules souches: idéologie et science parlementaires

Le 30 juin 2011

Les nouvelles lois bioéthiques vont rendre encore plus difficile la recherche sur les cellules souches en France et pourraient même faire mourir le secteur.

Dans un discours devant les militants, samedi 25 juin, François Fillon a fustigé le décalage entre les défis que le monde nous lance, et les réponses si légères et si décalées qui sont avancées (source Le Monde).

Il parlait bien sûr du Parti Socialiste. Peut-être aurait-il dû plutôt parler de ce que vient de voter le Parlement en matière de cellules souches.

Car s’il y a bien un exemple patent où l’idéologie modèle les décisions politiques, c’est dans le domaine de la recherche, et en particulier la recherche biomédicale.

En France, les nouvelles lois sur la bioéthique, bien loin de simplifier la donne, vont en effet mettre de nouveaux bâtons dans les roues du secteur. Il n’est pas impossible que le domaine des cellules souches embryonnaires, déjà bien peu vaillant car simplement toléré par dérogation, finisse par mourir en France. La raison est donnée par Marc Peschanski dans Nature News :

Désormais, il nous appartient à nous, chercheurs, de démontrer qu’il n’existe pas d’alternative à nos propres recherches sur les cellules souches [embryonnaires], alors que la charge de la preuve reposait auparavant sur l’Agence de la bio-médecine.

Bref, non seulement le chercheur doit penser, chercher, rédiger des demandes de financement (non garanties), mais en plus, il doit maintenant démontrer qu’il ne peut pas faire autrement dans ses recherches !

L’inattendu au cœur de la recherche

On est bien loin de l’idéal de liberté académique ou encore du programme Vannevar Bush et de la “République des Sciences” après guerre :

Les découvertes entrainant les progrès médicaux ont souvent pour origine des domaines obscurs ou inattendus, et il est certain qu’il en sera de même à l’avenir. Il est très probable que les progrès dans le traitement des maladies cardio-vasculaires, rénales, du cancer et d’autres maladies similaires seront le résultat d’avancées fondamentales dans des sujets sans rapport avec ces maladies, et peut-être même d’une façon totalement inattendue pour le chercheur spécialiste. Les progrès futurs nécessitent que la médecine toute entière, et les sciences fondamentales telles que la chimie, la physique, l’anatomie, la biochimie, la physiologie, la pharmacologie, la bactériologie, la pathologie, la parasitologie. etc… soient largement développées.

Oui, l’inattendu est au cœur de la recherche scientifique, il est donc absurde voire contre-productif pour le chercheur lui-même d’essayer de montrer que d’autres systèmes qu’il ne connaît pas pourraient (ou pas) potentiellement répondre aux questions posées ! Sans compter que si d’autres pistes alternatives existent pour résoudre un problème, seront-elles pour autant financées si elles sont beaucoup plus chères ?

Une volonté de tuer la recherche sur les cellules souches ?

En réalité, on peut même se demander si le but de la loi n’est pas fondamentalement de tuer le domaine tout en faisant bonne figure, lorsque la loi de bioéthique précise que :

Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées.

Le sous-entendu est clair : les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne seraient donc pas éthiques. Peu importe l’enjeu scientifique, peu importe même le débat éthique, les sous-entendus religieux (la fameuse équation embryon=être humain) l’ont emporté. Au Sénat, l’argument classique a été énoncé par M. Bruno Retailleau, sénateur MPF de Vendée :

Ce changement de régime juridique représente également une régression anthropologique. Je sais qu’il n’y a pas d’accord entre nous sur le moment où l’on franchit le seuil de la vie. Qui peut dire quand commence la vie ? Pourtant, nous voyons bien qu’il existe un continuum entre ces cellules qui se multiplient dans les premiers jours et ce qui deviendra vraiment une personne humaine, un sujet de droit. Or ce continuum, qui résulte du fait que chaque étape du développement de l’embryon contient la précédente, rend impossible la détermination précise du seuil d’entrée des cellules dans le champ de la vie humaine.

C’est vrai, je ne suis pas capable de dire quand un embryon devient un être humain, je ne suis pas capable de définir ce qu’est exactement un être humain. En revanche, je suis capable de donner une condition partagée par tous les être humains : par exemple, tous les être humains que je connais ont un cœur, des muscles, des neurones. Choses que n’ont pas des embryons au premier stade de développement. L’argument du continuum m’a toujours semblé fallacieux dans la mesure où les transformations successives de l’embryon (gastrulation, neurulation, etc…) changent évidemment sa nature, tout comme la fécondation elle-même.

Que penser aussi de ce genre d’arguments mystico-religieux sur la “toute-puissance” que les chercheurs transgresseraient (Marie-Thérèse Hermange, sénatrice UMP de Paris) :

Il ne s’agit pas de s’opposer à la recherche en tant que telle, mais il convient de ne pas oublier non plus que le coût de cette politique est la destruction d’un début de vie humaine. J’observe d’ailleurs que le début de la vie humaine intéresse les chercheurs dans les cinq premiers jours, c’est-à-dire au moment où les cellules sont « totipotentes », selon le terme technique employé, ce qui illustre bien le fait que cette « toute-puissance » initiale joue un rôle majeur dans le développement futur de l’être humain. Il me semble donc important d’utiliser au maximum les solutions de rechange existantes qui sont bien plus efficaces.

Pour répondre sur le même mode, la toute-puissance, c’est aussi le Chaos fondateur des mythes grecs, celui qui recèle tout le potentiel mais qui doit s’auto-organiser pour l’exprimer et engendrer les Dieux. Sans cette auto-organisation, il n’ est rien d’autre qu’un potentiel inutile, un chaos au sens commun du terme. Les Anciens avaient peut-être un sens plus développé du sacré que la civilisation judéo-chrétienne.

Le Parlement français est en réalité sur la même ligne que les mouvements chrétiens conservateurs américains, qui, suite à la levée des obstacles juridiques bushiens par Obama, se sont lancés il y a quelques mois dans une grande bataille judiciaire visant à interdire la recherche sur les cellules souches pour les mêmes raisons et avec les mêmes arguments “alternatifs” (cellules souches adultes, cellules iPS) utilisés par les Parlementaires français. J’en avais parlé ici; le dernier épisode en date étant que les choses ont l’air de s’arranger pour les chercheurs sur les cellules souches embryonnaires.

Alors que la campagne de 2012 se lance, et qu’à n’en pas douter on parlera d’avenir et de compétitivité future pour la France, le Parlement Français a pris une décision lourde de conséquence pour la recherche et la future industrie biomédicale française. Au nom de principes moraux pour le moins discutable, et sans réel débat éthique et scientifique fondé, le Parlement vient peut-être de porter le dernier coup fatal à ce domaine de recherche en France.

En 2012, votons pour la Science.


Photos Wikimedia Commons : Domaine public et CC-by Nissim Benvenisty

Article publié initialement sur Matières vivantes

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