Le palmarès des villes sous surveillance

Le 15 décembre 2011

La vidéosurveillance serait un outil apolitique. Notre enquête sur les 60 plus grandes villes de France montre, au contraire, que les caméras sont surtout imposées par l'UMP. C'est l'un des enseignements de notre palmarès 2011 de la vidéosurveillance en France.

OWNI a étudié les systèmes de vidéosurveillance mis en place dans soixante municipalités françaises. Cette enquête a consisté à répertorier le nombre de caméras et leur densité au regard de la population, lorsque ces systèmes étaient ouvertement déployés et administrés par la municipalité (et non par des gérants de parkings privés par exemple) aux fins de surveiller la population (et non pas le trafic automobile). Notre classement des villes les plus vidéosurveillées s’établit ainsi :

1- Nice
2- Avignon
3- Orléans et Strasbourg
4- Asnières-sur-Seine

(voir plus bas le palmarès complet et la cartographie de la vidéosurveillance en France)

Les chiffres que nous avons recueillis dégagent par ailleurs de fortes tendances politiques. Sur les soixante plus grosses villes de France, presque un tiers, dix-sept exactement, n’ont pas recours à la vidéosurveillance, et ce sont toutes des villes de gauche.

Vidéo maniaque

Le clivage politique droite gauche se révèle très opératoire pour déterminer l’existence de dispositifs de vidéosurveillance dans les municipalités. En moyenne nationale, dans les villes gérées par l’UMP, on compte une caméra pour 1831 habitants, contre une caméra pour 4732 habitants dans les villes socialistes. Si l’on compare les moyennes droite gauche tous partis confondus, l’écart est encore plus marqué : 1858 contre 4961.

Il y a par exemple le cas de Lille : la maire Martine Aubry a préfacé l’ouvrage Sécurité, le fiasco de Sarkozy, les propositions du PS, qui passe à la trappe la vidéosurveillance parmi les mesures que les PS mettra en Å“uvre en cas de retour au pouvoir.

Toutefois, en terme de densité de caméras, il n’est pas rare d’avoir des villes socialistes davantage équipées que des villes de droite : Lyon a une caméra pour 1 996 habitants contre une caméra pour 4 212 à Bordeaux. Il faut dire qu’Alain Juppé n’est pas « vidéo-maniaque », pour reprendre les termes de Jean-Louis David, le maire adjoint chargé de la politique de proximité. Inversement, Gérard Collomb, maire PS depuis 2001 voulait faire de Lyon :

un laboratoire d’une politique alliant répression et prévention, lutte contre la délinquance, aide aux victimes et soutien des policiers.

Expérimentation qu’il poursuit puisque la ville teste la “vidéosurveillance intelligence” (sic). On mettra de côté Marseille. Actuellement “parent pauvre” de l’UMP avec 23 caméras, elle doit déployer 1 000 caméras d’ici 2013. Un bond spectaculaire qui la rapproche du champion, Nice, une caméra pour 553 habitants. Avec un total de 624 caméras, elle dispose aussi du réseau le plus important de France. Sur les dix villes les plus équipées, huit sont de droite, trois sont socialistes (Asnières-sur-Seine, Colombes et Strasbourg)1. Tandis que Paris n’a que 293 caméras.

De même, si des villes communistes se sont équipées, comme Echirolles, aucune de celles qui figuraient dans notre échantillon n’en possède : Saint-Denis, Saint-Paul (La Réunion), Nanterre et Vitry-sur-Seine. Il n’est pas question non plus de projet. Idem pour la seule municipalité verte de la liste, Montreuil, de façon logique. Contrairement aux socialistes et aux communistes, la question semble en effet faire consensus à Europe écologie les Verts (EELV).

nombre d'habitants par caméras dans les 60 plus grandes villes de France et leur étiquette politique.

Méthodologie

Nous avons calculé pour chaque commune le ratio nombre d’habitants/nombre de caméras. Le chiffre de la population correspond aux données 2008 de l’Insee, les dernières en date. Toutes les données sont disponibles dans ce fichier. Chaque chiffre est sourcé : presse, souvent locale, service de presse, de voirie, police, etc.

Par caméra, nous entendons les équipements mis en place par la municipalité sur la voie publique à des fins de lutte contre la délinquance. En effet, l’objectif est de voir dans quelle mesure une ville va revendiquer l’outil dans ce but, car c’est la finalité première pour laquelle il est mis en avant par le gouvernement.

Il a été difficile de trancher dans certains cas. Ainsi nous avons considéré que Nantes n’a pas de caméras, car la municipalité affiche un discours hostile, même si les images des 200 cameras destinées à la régulation de trafic par les PC de Nantes Métropole et du réseau de transport en commun ont été transférées à la police depuis fin 2010 “pour une utilisation pouvant être utile en matière d’enquête judiciaire ou opérationnelle”. De même à La Rochelle, où des caméras vont être installées sur le vieux port, zone entre le domaine public et le domaine privé. De plus, le maître de port a piloté le projet et la mairie n’a pas participé financièrement. De même, nous n’avons pas pris en compte les caméras dans les lieux fermés comme les parkings souterrains. A contrario, Nice utilise maintenant ses caméras pour faire de la “vidéoverbalisation” (sic).

Autre point problématique sur le papier, l’attribution de la couleur politique. Deux cas de figures principaux se présentent  :

- une municipalité X installe des caméras. Des élections ont lieu, la municipalité X est reconduite. La couleur politique est donc X. Exemple : Toulouse (PS), Marseille (UMP).

- une municipalité X installe des caméras. Des élections ont lieu, le groupe Y l’emporte. Elle ne remet pas en cause l’utilisation des caméras. La couleur politique est donc Y. C’est par exemple le cas d’Asnières. Les caméras ont été mises en place par l’UMP Manuel Aeschlimann, qui a été remplacées par le PS Sébastien Pietrasanta, d’abord opposé au système et qui voulait les réduire. Finalement, il s’y est tellement mis que l’installation de nouvelles caméras fait la une du journal municipal.

Autre enseignement : une fois que les caméras sont là, elles ne sont pas désinstallées, ce qui a simplifié le travail. Au pire elles sont mal-aimées, comme à Caen ou Reims, où la tendance est pour l’heure à la stagnation. On pourrait même parler de désinstallation temporaire par manque de soin à Aulnay : sur 23 caméras, 17 ne sont pas en état de marche car le contrat de maintenance n’a pas été renouvelé par la nouvelle majorité socialiste, ce qui lui avait valu une polémique et une pétition en 2010. La désinstallation ne semble cependant pas à l’ordre du jour : “Doit-on les déplacer ? Doit-on en rajouter ? Sont-elles efficaces ?” s’interrogeait en octobre le magazine municipal.

À ce jour, aucune ville en France d’envergure n’a pris la décision de supprimer ses caméras. Pour l’heure, les initiatives sont rares, comme à Lallaing dans le Nord (6 500 habitants), où le maire PC a débranché les cinq caméras, une expérience “pas intéressante” :

On ne reconnaissait personne parce qu’elles avaient été installées en hauteur et puis de toute façon il ne se passe pas grand-chose autour de la mairie. En plus, ça prenait de la place dans mon bureau. On a poussé les jeunes à créer leur association. Ils font aujourd’hui du futsal et de la danse hip hop. Elle a permis de calmer les choses autour de la mairie.

Le récent rapport de la Cour des comptes, qui tacle très sévèrement la vidéosurveillance, incitera peut-être des villes à faire marche arrière.

MAJ le 18 décembre, suite au commentaire de Simon Recht, étudiant en journalisme à Grenoble qui enquête sur la vidéosurveillance à Grenoble : “Il y a bien 49 caméras, mais seulement 18 servent à lutter contre la délinquance, dans trois zones d’expérimentations, depuis 2010, et 5 autres à l’Hotel de Villes. Les autres sont utilisées pour surveiller le trafic routier.” Grenoble ne compte donc actuellement qu’une caméra pour 8245 habitants, ce qui la place en 37ème position, au fond du classement.

Dossier réalisé avec l’aide de Benoit Le Corre.

Crédit photo CC Flickr Paternité I See Modern Britain

Datavisualisation et image de une Marion Boucharlat

  1. deux villes sont à égalité sur la troisième marche []

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