Le lonely planet des jihadistes

Le 15 mai 2012

Le testament de l'un des principaux membres de la branche d'Al Qaida dans la péninsule arabique a été diffusé ces derniers jours. Un fichier pdf de 16 pages, joliment illustré, dans lequel il livre ses recommandations et conseils pratiques aux jihadistes occidentaux et les avertit de ce qui les attend sur place, dans les redoutés camps d'entrainement d'Al Qaida.


“Prenez soin de vos pieds et lavez-les correctement.” Dans son testament, Samir Khan, l’un des leaders d’Al Qaida pour la Péninsule arabique (AQPA), livre conseils et recommandations pour mener un jihad convenable. Un retour sur expérience en anglais, découpé en douze courts textes, avec un graphisme soigné, illustré de photographies couleurs. Le petit précis à l’attention de ceux (en Occident) qui veulent mener le jihad (au Yémen, dans les zones tribales et ailleurs) est écrit par Samir Khan, un américain d’origine pakistanaise, tué en septembre dernier dans une frappe de drones de la CIA. La même frappe dans laquelle le chef de la branche, Anwar Al-Awlaki, avait péri.

Presque huit mois plus tard, le 14 mai, les organes de communication d’AQPA se sont fait l’écho du testament de Samir Khan, ciblant explicitement un public occidental. Comme la revue Inspire dont Samir Khan était l’un des principaux artisans, Expectations Full est écrit en anglais. Comme Inspire, sa présentation se veut soignée. D’après ses propriétés, le document au format pdf a été confectionné sur Adobe InDesign CS5, dernière version du logiciel de la prestigieuse série de graphisme du fabriquant Adobe.

“A must read”

Dès l’introduction, rédigée par l’équipe médiatique d’AQPA, les auteurs précisent, en forme d’avertissement, l’origine de celui qui écrit, un musulman occidental :

Certaines choses n’auraient pas été écrites de cette façon si l’auteur ne venait pas lui-même d’Occident.

Samir Khan lui emboite le pas et prévient dans les premières lignes qu’il s’adresse en priorité aux “musulmans qui viennent d’Occident” pour qui ce document “est à lire absolument”. De fait, Samir Khan les cible directement, les avertit, et les dorlote. Avec force de détails et d’attention, il raconte comment se préparer au jihad en passant en revue douze thématiques intitulées : “la propreté”, “d’une base à l’autre”, “vivre à l’extérieur”, “c’est un secret”, “Pourquoi pas l’Occident ?”, “bombardement aérien”, “s’occuper des blessures”, “khidmah (service”), “camp d’entrainement”, “venir avec sa famille”, “politique intérieure”, “l’importance d’Adhkar (les invocations)”.

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Samir Khan recommande aux candidats au jihad de s’habituer à la vie collective dans des espaces confinés. L’apprenti jihadiste devra passer une semaine ou plus “chez [lui], chez un ami, dans un hôtel ou motel, dans les montagnes ou dans une masjid [mosquée en arabe, NDLR]“. Interdiction d’utiliser son téléphone portable – sauf urgence – ou tout appareil électronique – sauf urgence aussi. En revanche, l’étude de “manuels militaires” imprimés au préalable et “les exercices de combats” sont fortement encouragés, de même que diverses tâches ménagères, comme “la cuisine et le nettoyage de vêtements”.

Sans chaussures ni duvet

Mener le jihad au Yémen ou en Afghanistan n’est pas une mince affaire, insiste Samir Khan. C’est dur, physiquement. “Dormir sur le sable, les cailloux ou l’herbe”, parfois “sans couvertures ou sacs de couchage”. “Parcourir nu-pieds dans les montagnes, en marchant sur des branches, des épines, dans la boue ou sur des cailloux pointus”. Le salut n’est donc pas dans la précipitation, mais dans la patience, valeur cardinale du bon jihadiste. Emphatique, Samir Khan écrit :

En résumé, prépare toi au pire et espère le meilleur.

Le pire : les bombardements aériens, “une expérience décisive dans une vie”, qu’ils soient le fait “d’avions de chasse, d’hélicoptères, d’avions furtifs [allusion aux drones, NDLR], de bateaux ou d’autres machins”. Il raconte l’une de ces attaques, utilisant des bombes assourdissantes. Le “moudjahid” (le combattant) se doit aussi de servir sa communauté de combattants comme elle le sert. Une partie est consacrée à ce point, avec une photographie d’un plateau de thé en fond. “Ne pense pas un seul instant que, parce que tu es étranger ou invité des moudjahidin, tu ne dois pas aider les frères” prévient Samir Khan. Il faut se proposer pour la cuisine et quelques autres activités du groupe, comme “creuser, nettoyer ou réparer”.

Il convient aussi de se prémunir contre “les mauvais djinns” qui travaillent avec des individus liés au “gouvernement apostat d’Arabie Saoudite”. De même que le gouvernement – lui aussi “apostat” – du Yémen, qui utilise le “sihr (la magie)” pour combattre les moudjahidin. “Néanmoins, par la grâce d’Allah, il y a beaucoup de bons djinns qui [nous] protègent et nous défendent” conclut Samir Khan, invitant les apprentis à ne pas négliger les invocations (“Adhkar”) avant la tombée de la nuit.

AOC Al Qaida

Son testament a reçu la validation de l’organe médiatique d’AQPA. Le document est estampillé Al-Malahem Media, sorte de label qui officialise la provenance de la propagande diffusée. En décembre dernier, Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, précisait le rôle de ces certificats :

À partir de 2004-2005 apparaissent les grands labels de communication : Al Andalous pour Al-Qaida au Maghreb islamique, Al malahem pour AQPA, Al Furqan pour l’Etat islamique irakien. Tous ces labels ont été utilisés pour diffuser les messages vidéos, sonores et la production écrite.

Des certificats AOC en somme, déclinés pour chaque branche régionale d’Al Qaida. Publicité est faite pour le pdf testamentaire, intitulé Expectations Full, sur des forums proches des milieux jihadistes. Le fichier en haute et basse définition est hébergé sur de nombreux sites de partage, comme souvent pour ces documents de propagande. Les miroirs permettent d’augmenter sa durée de vie en ligne, alors que les hébergeurs font la chasse à ces contenus radicaux.

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Le jihadiste occidental en devenir doit enfin s’informer sur la situation politique intérieure du pays qu’il choisira. Avant de partir, il se renseignera sur les forces en présence au Yémen ou dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Sur place, il ne dira rien de ses origines, ne posera pas trop de questions à ses camarades. Ces questions pourraient le rendre suspects auprès de ses co-combattants. Samir Khan, cyberjihadiste aux Etats-Unis avant de gagner les camps d’entraînement au Yémen en 2009, raconte en creux ce que d’autres ont dit en des mots plus crus devant la justice : les relations tendues entre les combattants venus d’Occident et les moudjahidin locaux.

Jihad local contre jihad occidental

Dans une affaire d’acheminement de combattants en Afghanistan et au Pakistan, jugée en France en février 2011, l’un des condamnés, Walid Othmani, était parti sur zone après avoir assidûment fréquenté des forums. Les conditions décrites dans le jugement entrent en résonance avec les avertissements du testament de Samir Khan. Walid Othmani était “cantonné à des tâches non-combattants comme la cuisine et en avait conçu du dépit” notent les magistrats dans leur jugement. Si bien que le cyberjihadiste sorti de son écran en était arrivé à se “demand[er] ce qu’il faisait là”.

Dans les zones tribales afghano-pakistanaises, avait-il expliqué aux enquêteurs, “les candidats qui venaient rejoindre les talibans afghans n’étaient pas les bienvenus auprès des Pachtounes, notamment pour des raisons culturelles de méfiance à l’égard des « arabes », a fortiori lorsqu’ils étaient, comme eux, occidentalisés”, rapporte le jugement. Plusieurs familiers de ces affaires confirment un climat de suspension et de tensions entre jihadistes occidentaux et jihadistes locaux. Samir Khan le suggère lui même, dans des termes choisis :

On vous demandera certainement pourquoi vous n’avez pas mené le jihad chez vous. Ils ne vous renverront pas dans votre pays, mais laisseront cette option ouverte au cas où vous changeriez d’avis et décidiez d’attaquer l’ennemi chez vous.

Dans la section dédiée, intitulée “Pourquoi pas l’Occident”, Samir Khan incite ses lecteurs à mener le jihad chez eux, c’est à dire en Europe et aux États-Unis. En fond visuel, une photographie du pont de Brooklyn à New-York et des conseils de l’auteur : “Je recommande fortement à tous les frères et soeurs venant d’Occident de penser à attaquer l’Amérique dans son arrière-cour. L’effet est bien plus grand”. En guise de conclusion, son testament se termine par cette phrase :

Aussi, maintenant que vous savez ce qui vous attend, vous pouvez faire la comparaison avec le jihad en Occident, peser le pour et le contre, prendre une décision.

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