Les consommateurs abandonnés aux FAI

Le 31 mai 2012

C'est aux consommateurs de garantir la neutralité du net. Pas aux institutions. Si les opérateurs limitent l'accès à Internet, Neelie Kroes indique que la Commission européenne n'interviendra que pour améliorer la transparence de leurs offres. Pas plus. Aux consommateurs, ensuite, de bien choisir leur forfait. En apparence, une bonne nouvelle. Qui risque fort de se retourner contre les usagers. Et Internet.

La transparence plutôt que la protection. En ce qui concerne la neutralité des réseaux, Neelie Kroes, la commissaire européenne en charge des questions numériques, se veut très claire : “vous n’avez pas besoin de moi ou de l’Union Européenne pour vous dire pour quel type de forfaits Internet vous devez payer”, peut-on lire sur un billet posté le 29 mai sur son blog. En bref, ne comptez pas sur l’Europe pour protéger ce principe, aux soubassements même d’Internet, qui assure que chaque contenu soit traité de façon égale dans ses tuyaux.

Restrictions

L’Europe délaisse la neutralité du Net

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Cette ligne, particulièrement mise en avant ces derniers temps, est donc confirmée. Et ce même si des entorses à la neutralité viennent d’être constatées par le très sérieux Berec (Orece en français, Organe des régulateurs européens des communications), le régulateur européen des télécoms. Selon les résultats d’une enquête sur la gestion de trafic sur Internet, menée de concert avec la Commission, “au moins 20% des usagers européens expérimentent des formes de restriction de leur capacité à accéder aux service de VoIP [NDLA : services de voix sur IP, tel que Skype] sur mobile.” Une limitation qui pourrait même atteindre “la moitié des utilisateurs en Europe”, a ajouté Neelie Kroes, suite à la publication de l’enquête. Le peer-to-peer, protocole qui permet d’échanger du contenu entre utilisateurs, est également concerné.

Pour autant, hors de question pour la Commission d’intervenir en conférant à la neutralité une portée normative et contraignante. “Je n’aime pas intervenir sur des marchés compétitifs sans être certaine que c’est la seule façon d’aider les consommateurs ou les entreprises.” Pour remédier au problème, Neelie Kroes plaide pour la clarté :

Je n’ai pas lu toutes les pages du contrat de mon forfait mobile et je parie que vous non plus ! Je crois que nous avons tous besoin d’une information plus transparente.

Résultat, les opérateurs sont sommés de bien vouloir rendre leurs offres plus lisibles.

Trois volets sont particulièrement concernés. La vitesse réelle des connexions d’abord, y compris au moment des pics de consommation. Quand trop d’internautes squattent sur le réseau, par exemple en fin de journée, les fournisseurs d’accès à Internet peuvent être tentés de bricoler pour désencombrer et faciliter l’écoulement des données. En restreignant, par exemple, le téléchargement sur peer-to-peer. Près de 20% des opérateurs appliquent ce genre de limitations en Europe, a encore indiqué Neelie Kroes.

Les limites des forfaits, ensuite. Une clarification sur le seuil à partir duquel votre accès à Internet est limité, ralenti, voire même interdit/ Selon la commissaire européenne, “des plafonds de données clairs, quantifiés, valent bien mieux qu’une vague politique de ‘fair use’ qui laisse trop d’amplitude à l’interprétation des FAI.”

Et enfin, la qualité de l’offre : s’agit-il ou non d’Internet ? Ou simplement d’un accès à une poignée de sites populaires, tels que, Facebook, Twitter ou encore Spotify ?Il s’agit ici d’éviter l’effet Canada Dry : “si ce n’est pas de l’Internet, cela ne devrait pas être marketé comme tel” a affirmé Neelie Kroes. Se montrant néanmoins timide quant aux modalités. “Peut-être [que l'offre] ne devrait pas être du tout présentée comme de l’Internet”, a-t-elle avancé, avant de se modérer : “du moins pas sans aucune réserve claire.”

Ces actions feront l’objet d’une recommendation de la Commission européenne, indique Neelie Kroes, “afin de mettre un terme au jeu de l’attentisme de l’Europe sur la neutralité du net”attentisme qui lui a été longtemps reproché.

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Lointain souvenir

La décision a donc tout d’une bonne nouvelle pour les consommateurs, qui se font parfois piéger par l’opacité des FAI. Elle risque néanmoins de se retourner contre eux : à quoi bon avoir des offres transparentes si aucune d’entre elles ne propose un véritable accès à Internet ? Ou s’il n’existe qu’à un tarif exorbitant ?

Pour rappel, c’est le scénario pour lequel a opté le Royaume-Uni, où les opérateurs font preuve d’une grande transparence sur leurs pratiques. Tableaux, glossaires… tout est là pour y voir clair. Ainsi le FAI Plus Net, qui explique différencier la qualité de ses prestations en fonction des services (voix sur IP, jeu en ligne, peer-to-peer, mail..), de l’heure… Et évidemment de la somme que l’abonné est prêt à engager. Internet est alors saucissonné selon différents services, plus ou moins bien traités en fonction de votre propension à payer. Travaillez chez soi, jouer en ligne, deviennent alors un luxe. Et l’Internet neutre, un lointain souvenir.

Neelie Kroes n’en démord pas pour autant. Et enfonce le clou à la fin de son communiqué :

Je ne propose pas néanmoins de forcer chaque opérateur à fournir un véritable Internet : c’est aux consommateurs de quitter le navire. Si les consommateurs veulent des réductions parce qu’ils n’utilisent que des services en ligne limités, pourquoi les en empêcher ?

L’option britannique a donc fait du chemin dans l’esprit de la commissaire. Pour a priori s’y installer confortablement. Quitte à laisser les consommateurs au bord du chemin. Car si l’on en croit Neelie Kroes, d’eux seuls dépend aujourd’hui le futur profil d’Internet. Mais le choix des usagers ne pourra aller puiser que dans les offres que les opérateurs façonneront à leur guise. La transparence risque de ne pas suffire. Le rapport de forces est inégal : le consommateur lambda a autre chose à faire que de veiller à ce que les FAI leur fournissent un accès à Internet véritable. C’est aux institutions de le faire. En se déchargeant de la responsabilité de contrôler le marché des télécoms, se pose alors grandement la question de leur utilité.


Illustration CC FlickR Re:publica 2012

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