La gentille milice du village

Le 10 août 2012

Les Rangers des Pyrénées-Orientales font grogner plus d'un dans la sécurité privée : cette association dans la tradition des Rangers canadiens et des scouts vient parfois en renfort de la gendarmerie, avec des tenues connotées. Bénévoles, ils sont en revanche bien appréciés des communes à qui ils rendent service pour pas grand-chose.

"C'est quoi cette société de sécurité privée avec le béret", "Ça fait milice, j'aime pas trop :(", "mais si c la claSSe hihi"... Une photo sur Facebook prise dans un album public d'un des membres des Rangers des Pyrénées-Orientales consacré à un événement qu'ils ont couvert.

Dimanche j’étais à ce vide grenier de Saint-Jean-Pla-de-Corts [...] dont les différents accès étaient gardés par des gens en uniformes dont je ne connaissais pas l’origine, pantalons kakis, chemises beiges avec épaulettes, bérets noirs bardés d’insignes sur les manches et sur la poitrine, K-Way, couleur camouflage, etc.

Me fiant à mes connaissances historiques, d’emblée ils m’ont fait penser à première vue par leurs insignes, galons et symboles à des miliciens (milice de Darlan sous le régime de Vichy), en disant cela je ne les identifie pas à ces personnes détestables de l’Occupation allemande en France de 1942-1945, mais cela m’a donné cette impression.

Un internaute commentait ainsi un article du journal régional de l’Aude et des Pyrénées-Orientales L’Indépendant intitulé “Il croit voir les gendarmes et abandonne 8 kilos de « shit » à la vue des Rangers”. Il relate comment un trafiquant présumé est passé à travers un contrôle douanier pour finalement s’enfuir devant des gens qu’il prend pour des forces de l’ordre assermentées et qui le coursent avec succès.

Ces personnes qui ont rappelé au lecteur les heures les plus sombres de l’histoire de France sont membres des Rangers, unités européennes de protection de l’environnement et de sécurisation rurale. Cette association est déclarée à la sous-préfecture des Pyrénées-Orientales dont le siège est… à la mairie de Céret, ladite sous-préfecture. Et pour cause, ils travaillent main dans la main avec des collectivités locales, où ils sont connus sous leur nom simplifié de Rangers des Pyrénées-Orientales (PO).

Tradition américano-canadienne des gardes montés

Ces Rangers sont l’antenne départementale d’une association nationale, les Rangers de France. Celle-ci s’inscrit dans une tradition américano-canadienne des gardes montés, ces cavaliers émérites amoureux de la nature et du cheval en particulier, traditionnellement vêtus d’une veste rouge et d’un chapeau. La filiation avec le scoutisme est aussi revendiquée. Dans ses statuts, il est uniquement question de cela et pas de missions de sécurité privée.

Dans les Pyrénées-Orientales, en revanche, leurs missions empiètent sur la sécurité urbaine. “C’est particulier, nous a précisé Eric Müller, le président du comité national des Rangers de France, c’est le seul groupement à avoir un accord avec la préfecture, ils sont demandés par la gendarmerie.”

Leur page Facebook1, la décrit comme une (sic) “unité européene de protection de l’environement et de securisation rurale, unité européene intervention, renfort effectif d’etat gendarmerie police municipale, recrute toute personne tout ages sans concour, formation et stage commando assuré par nous.”

Coupure de presse de L'Indépendant

Profession encadrée

Ce qui fait sursauter plus d’un professionnel de la sécurité privée, car ils y voient une concurrence déloyale qui n’est pas soumise à toutes les obligations liées à leur métier. Par exemple, ils ne comprennent pas pourquoi leur costume est toléré alors que les “vrais” professionnels sont soumis à des obligations. Le livre VI du code de la sécurité intérieure, qui fixe le cadre de la sécurité privée, est clair sur ce point : les personnes qui exercent des activités de sécurité privée porte une tenue qui “ne doit entraîner aucune confusion avec les tenues des agents des services publics, notamment de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes et des polices municipales.”

Les Rangers rétorquent qu’ils ne sont pas des professionnels de la sécurité privée et que leurs tenues ont été “déposées au ministère de l’Intérieur”, comme nous l’a détaillé Claude Pagnon, le président de la section départementale. Cet ancien légionnaire parachutiste souligne que c’est une tradition que les membres doivent respecter. Passées en revue sur leur site, elles sont au nombre de trois : la tenue “folklorique” donc, avec la veste rouge ; la tenue bleue de travail, celle qui prête à confusion avec celle de la police et de la gendarmerie ; l’uniforme kaki. Béret, badge, galon, treillis noir, etc., font partie des accessoires obligatoires. Une tenue qui fait “milice”, “paramilitaire” pour certains. Et d’après quelques profils Facebook de membres, cela ne semble pas déplaire, au contraire. Claude Pagnon tempère :

Les Rangers s’occupent de jeunes désociabilisés, pour les réinsérer. Ils sont à la recherche d’une identité, ils ne se sentent pas assez reconnus, d’où le rôle de l’uniforme.

Un second coup de fil d’Owni plus tard, l’uniforme bleu est rangé au placard :

Vous n’êtes pas la première qui nous le dit, là j’ai dit “on arrête”. On mettra la chemise kaki ou le tee-shirt blanc.

De même, leur formation n’est pas celle requise pour les agents de sécurité privée mais celle qu’ils dispensent. Être Ranger, ça se mérite, il ne suffit pas de payer une cotisation. Les moins de 35 ans font une formation qui s’étale sur six mois, tous les week-ends, à l’issue de laquelle les aspirants sont admis, ou pas. “Je veux une formation dure, difficile, pour les formater”, annonce Claude Pagnon. Au programme, connaissance de la nature, premiers secours, etc.

Taser égaré

Pour autant, pas question de débordements. Quand nous avons demandé à Claude Pagnon pourquoi un membre exhibait un taser sur une photo publique sur Facebook pendant une mission, il nous a expliqué qu’il n’était pas au courant :

Nous n’avons pas de taser, juste des bombes lacrymogènes dans certains cas particuliers. Et nous ne nous en sommes jamais servis.

Dans le cadre d’une association, ce n’est pas facile de contrôler tout le monde. Si je le vois, je le fais dégager rapidement. En même temps, nous sommes parfois dans des situations difficiles. La gendarmerie doit alors intervenir mais elle ne peut pas toujours agir vite.

Renseignement pris, le membre en question travaille dans la sécurité privée et il est venu avec l’arme deux fois de suite sur un événement, tancé en vain. “L’électron libre qui n’obéit pas” a été évincé. Et si le taser semble plutôt amuser d’autres rangers sur la photo ci-dessous, c’est que les voies des réseaux sociaux leur sont moins familières que les sentiers forestiers. Le président des Rangers des PO s’excuse de ce relâchement, “il vit dans la montagne, sans Internet.”

17 euros de l’heure versus un défraiement

Ces critiques n’empêchent pas les Rangers des PO de connaître le succès auprès des collectivités locales. Elles font appel à eux régulièrement rappelle Claude Pagnon :

Nous intervenons exclusivement pour les municipalités qui en font la demande. Nous faisons de la sécurité et de la prévention, en particulier sur les manifestations sportives et festives. On fait ce que la gendarmerie nous demande, on en discute lors des réunions préparatoires. À Céret par exemple, nous orientons les véhicules, nous regardons si les gens n’ont pas d’objets contondants. Nous faisons aussi de la surveillance de zone pour les incendies de forêts.

En 1974, Yves Le Foll, un député PSU avait demandé au gouvernement la dissolution des Rangers, arguant “d’une voie de fait et du délit d’immixtion dans des fonctions publiques” et soulignant leur organisation comme “une milice privée de type paramilitaire” [pdf, p 65]. Le gouvernement avait répondu que “les Rangers de France n’ont reçu ni du ministère de l’Agriculture ni de l’Office national des forêts aucune des attributions de la puissance publique résultant de la loi, et notamment du code forestier et n’ont bénéficié de leur part d’aucun soutien moral ou matériel.”

Mais à l’heure de la “coproduction de la sécurité intérieure”, une notion entérinée par Nicolas Sarkozy en 2008 et alors que les finances publiques sont en berne, il est probable que les Rangers continueront d’être de plus en plus appelés à la rescousse par des maires. Bénévoles, les Rangers des PO rendent bien service pour pas grand-chose :

Nous ne sommes pas payés, juste défrayés pour les déplacements, la nourriture, etc. Nous avons effectué plus de 280 missions depuis nos débuts, en moyenne ça se passe très bien, elles nous redemandent. Nous ne sommes pas en concurrence avec la sécurité privée, mais en complémentarité.

Il y avait un manque, la demande augmente, nous sommes pris tous les week-ends d’août et de septembre. Les municipalités n’ont pas les moyens de payer dix ou quinze personnes en soutien, c’est ça ou rien.

À Céret, ils ont pris 22 agents de sécurité privée, ça leur revient à 17 euros de l’heure. Des gens de la municipalité m’ont dit qu’ils n’étaient pas sûr de les reprendre l’année prochaine. Il faut dire que cette année, la feria a été beaucoup plus tranquille.

Contacté à plusieurs reprises, l’adjoint en charge de ce dossier à Céret, Jean-Pierre Piquemal, ne nous a jamais rappelé.

  1. publique au moment où nous écrivons cet article []

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