“Google est un contre-pouvoir politique”
Le patron de Google, Eric Schmidt, était reçu par le président français avant-hier. Sur la table, un dossier législatif - la fameuse Lex Google – et la fiscalité. Le géant de l'Internet ne parle pourtant pas d'égal à égal avec les États, estime François-Bernard Huyghe, chercheur en sciences politiques.
Le géant de l’Internet, Google, est partout. Des révoltes arabes aux négociations avec la Chine, et plus récemment dans le bras de fer qui s’engage avec le gouvernement français soutenu par certains éditeurs de presse. Google parle-t-il d’égal à égal avec les États ? Non, répond en substance Bernard-François Huyghe, chercheur en sciences politiques et responsable de l’Observatoire Géostratégique de l’Information à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Pour le chercheur, “le pouvoir de Google s’exerce par son influence sur les États, son volume financier et l’idéologie portée par son algorithme.”
Absolument, Google est un acteur politique et ce n’est pas entièrement nouveau. Google a d’abord le pouvoir d’attirer l’attention. Lorsqu’Eric Schmidt rencontre François Hollande, ce sont des milliards de clics qui font face à des millions d’électeurs. Google est aussi structuré par son idéologie, le “don’t be evil”, soit le gain financier en respectant des normes morales. L’entreprise dispose d’un think tank, Google Ideas, qui lutte contre l’extrémisme et la violence et milite pour l’avènement de la démocratie libérale.
Google entretient aussi des relations proches avec le pouvoir américain, avec la Maison-Blanche. Pendant les révoltes arabes, Wael Ghonim a été l’une des figures en Égypte. En Chine, Google a négocié la censure de son moteur de recherche. Des négociations politiques ! Il a ensuite menacé de se retirer, ce qui a provoqué l’enthousiasme d’Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine.
C’est un diagnostic erroné. L’algorithme lui-même est un vecteur d’influence ! Il permet de faire remonter ou non des informations. Google représente parfaitement une forme d’influence douce, de softpower.
Google est un cas un peu différent des autres entreprises. Apple, Microsoft et Amazon vendent des produits. Google donne principalement accès à l’information, il hiérarchise l’information disponible, même s’il vend aussi des tablettes etc.
Les entreprises produisent des normes techniques qui influent sur le pouvoir politique. Ce n’est pas une coïncidence si la Chine essaie de reproduire un Google chinois. Le défi est de conserver la souveraineté et le contrôle. Les géants d’Internet ne produisent pas des lois au sens classique, mais ils ont une capacité d’influence grandissante en s’opposant aux gouvernements.
Sur la propriété intellectuelle, de grandes entreprises se sont mobilisées pour bloquer les projets de lois SOPA, PIPA… Google et les autres sont des contre-pouvoirs politiques et non des pouvoirs politiques. Ils ne remettent pas en cause la souveraineté étatique à ce jour.
Internet dans son ensemble pose la question de la souveraineté, de l’autorité suprême sur un territoire. Les États ont des difficultés à contrôler les flux : les flux d’informations comme l’a montré la tentative récente d’adapter Twitter au droit français, et les flux financiers. Le bénéfice de Google en France, environ 1,4 milliard, se joue des frontières.
Les outils de souveraineté classique ne sont pas très efficaces. Le pouvoir de Google s’exerce par son influence sur les États, son volume financier et l’idéologie portée par son algorithme.
Photo par Spanaut [CC-byncsa]
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