Lui, président, implantera-t-il des fab labs ?

Le 6 décembre 2012

Ce matin, une réunion a eu lieu au cabinet de la ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique sur les fab labs. Une rencontre motivée par le passage du DG de TechShop, une chaine d’ateliers géants pour bricoleurs pointus américaine, la version lucrative des fab labs. Selon nos informations, des TechShops ouvriraient à Paris, Londres, Milan.

Jean, nouvel utilisateur du Fac Lab, le fab lab de l'Université de Cergy basé à Gennevilliers, fabrique une sculpture en bois (inspiré d'une oeuvre de George W Hart) avec la découpe laser . Le 6 décembre 2012. (cc) Ophelia Noor

Enfin ! Les fab labs et autres lieux dédiés à la fabrication numérique personnelle, sont arrivés aux oreilles du gouvernement français. Ce matin, une table ronde était organisée au cabinet de Fleur Pellerin sous la houlette d’Aymeril Hoang, conseiller innovation et économie numérique de la ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique.

Les fab labs en route vers le Grand Soir

Les fab labs en route vers le Grand Soir

Le Parti communiste français met le nez dans les fab labs. Avec comme une vieille envie de se remuer un peu le logiciel. Et ...

Intitulé “Développement des fab labs en France”, le séminaire avait surtout pour but de présenter deux visions de la fabrication personnelle, entre gros sous et visées moins directement lucratives. La quarantaine de participants étaient issus du ministère, de l’industrie comme PSA ou SEB et du microcosme numérique start-upers incontournable tel FaberNovel.

Fabien Eychenne de la Fing a d’abord présenté les fab labs, puis Emmanuelle Roux et Laurent Ricard ont exposé un cas concret avec leur FacLab, premier fab lab porté en France par une université. Enfin, Mark Hatch, le DG de TechShop, une chaine d’ateliers géants pour bricoleurs très pointus, est revenu sur sa société. La rencontre était d’ailleurs motivée par la venue de Mark Hatch, il ne s’agissait pas d’une initiative du cabinet.

L’entrepreneur a dévoilé ses plans de déploiement, en présence de Paul Duggan, en charge du développement en Europe : Paris, Londres, Milan… sont en ligne de mire, entre autres.

TechShop, s’il met en avant son côté communautaire – mais quelle société qui ne vit pas sur la planète Mars ne le fait pas ? – est une entreprise classique, déjà forte de six ateliers, tous aux États-Unis. Elle vise maintenant le vieux continent, forte de l’engouement pour la fabrication personnelle, dont les possibilités ont été décuplées par les machines-outils assistées par ordinateur et la force de partage et d’entraide propre à Internet. Elle se décrit ainsi :

Studio de prototypage et de fabrication, hackerspace, centre d’apprentissage, TechShop offre l’accès à de l’équipement et des logiciels d’une valeur d’un million de dollar.

Son appétit de déploiement rappelle celui des pionniers du PC dans les années 70-80. On va changer le monde, en se faisant des dollars au passage, pour votre bien et celui de l’économie en général puisque les TechShops sont des endroits idéaux pour faire du prototypage rapide et donc incuber son entreprise, entre autres. Le premier a d’ailleurs ouvert en 2006 à Menlo Park, au cÅ“ur de la Silicon Valley, où les hackers-futurs entrepreneurs tripatouillaient les machines au Homebrew computer Club. Google y serait aussi né, dans un garage bien sûr.

Success story

Devant les petits frenchies, Mark Hatch a fait la démonstration de son gros potentiel avec une présentation bien calibrée illustrée d’exemples propres à faire rêver. Une rafale de chiffres à faire pâlir en cette période de crise. Les participants ont pu voir la photo d’Obama au bureau oval tapotant sur son iPad avec une coque DODOcase. Le prototype du DODOcase a été conçu pour moins de 500 dollars et faisait cinq mois après son lancement 1 million de dollars de CA. Sans le TechShop, son idée serait restée au placard puisque sa réalisation requiert une machine qui coûte 25 000 dollars. Il a juste dû payer des frais d’entrée, 125 dollars par mois ou 1 395 dollars par an. Même parcours étincelant pour Square, un lecteur de carte de crédit que l’on branche sur son mobile ou sa tablette. Deux millions d’Américains l’utilisent maintenant, en versant au passage à chaque transaction une commission de 2,75%.

L’entreprise incarne l’état d’esprit maker, si cher aux Américains : une foi en la capacité créatrice qui a fait le succès du modèle américain, cette idée d’une nation qui se forge elle-même. Son slogan en témoigne :

Build your dream here. What do you want to make ?

En face, pour représenter les fab labs, nous avions donc Emmanuelle Roux et Laurent Ricard. Une tout autre vision, même si les deux types de lieux permettent de faire du prototypage rapide et de faciliter de façon générale l’innovation ascendante et la créativité. Déjà, c’est moins l’usine : les machines y sont plus modestes et la dimension reste humaine alors qu’un TechShop fait 1 500 m2.

Gros sous vs charte

Surtout, les fab labs s’appuient sur une charte où les valeurs de partage, d’ouverture, d’entraide et d’éducation sont fondamentaux. On y privilégie les formats ouverts, qu’il s’agisse du logiciel ou du matériel. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on ne puisse pas y faire développer un produit pour développer derrière une activité, mais ce n’est pas le but final :

Secret : les concepts et les processus développés dans les fab labs doivent demeurer utilisables à titre individuel. En revanche, vous pouvez les protéger de la manière qui vous choisirez.

Business : des activités commerciales peuvent être incubées dans les fab labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du lab plutôt qu’en son sein et de bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.

En théorie, les fab labs sont ouverts et gratuits, dans la réalité, c’est parfois un mix des deux, car il faut bien financer l’endroit. Au Fac Lab, c’est totalement gratuit, mais trois formations autour des fab labs vont être proposées pour assurer des revenus en ces temps de disette de fonds publics.

Les différentes étapes de la fabrication de la sculpture en bois (inspiré d'une oeuvre de George W Hart) avec la découpe laser , en passant par le logiciel de modélisation 3D et la découpe de bois. Le 6 décembre 2012 au Fac Lab de Gennevilliers. (cc) Ophelia Noor

Nos deux intervenants ont souligné ces dimensions propres aux fab labs, explique Emmanuelle Roux, en particulier l’aspect éducatif :

J’ai insisté sur l’importance de permettre aux plus jeunes d’accéder à ce genre de lieu. Et il faut mailler tout le territoire, ne pas se cantonner à Paris.

Avis à Vincent Peillon, notre ministre de l’Education qui souhaite refonder l’école, chapitre 42. Aux États-Unis, une association comme School Factory essaye déjà depuis quelques années d’amener ce type de lieu dans l’école, pour favoriser l’apprentissage par le faire, en mode projet et dans une optique de partage des connaissances. Bref l’envers du système français actuel.

S’appuyer sur les EPN

Emmanuelle Roux a attiré l’attention sur les nombreuses structures publique déjà existantes, mairies, écoles et surtout EPN (espace public numérique), qui pourrait accompagner ce développement. Incubateur de fab lab, voilà une belle reconversion potentielle pour les EPN.

Apparemment, le message est passé : “Aymeril Hoang m’a dit qu’il en parlerait à la ministre, il a évoqué la possibilité de visiter le FacLab. Il souhaite aussi avancer la réflexion sur les EPN.” Owni est ravi, qui a sollicité le cabinet de Fleur Pellerin pour une table ronde sur le sujet le mois dernier, ainsi que celui de Montebourg, sans succès.

L’impression 3D vend son âme

L’impression 3D vend son âme

Le fabricant d'imprimante 3D grand public MakerBot incarnait la possibilité d'un business model basé sur l'open ...

Les préoccupations des industriels n’étaient pas forcément sur la même longueur d’onde. Non pas que ces représentants aient découvert le sujet : travaillant sur la R&D, ils étaient déjà bien sensibilisés. En revanche, les questions de propriété intellectuelle les préoccupent davantage. “Seb était inquiet à l’idée de se faire copier, je leur ai expliqué qu’ils ne pourront pas l’empêcher”.

L’exemple de MakerBot, qui a mis de l’eau propriétaire dans son vin open source, parce que des fonds ont mis gros dessus, n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd : pour faire du cash, il faut fermer les modèles ont compris certains dans un raccourci erroné. Les nouveaux outils ne servent à rien si les schémas mentaux et économiques sont toujours ceux du 20e siècle.

Si la Chine ou la Russie se sont déjà engagées dans des plans de subventions à ce type de lieux, tout reste à faire en France. Plus que les sommes mises sur le tapis, l’orientation qui sera choisie sera décisive, création d’euros ou de valeur sociale.

On attend avec impatience le positionnement d’Arnaud Montebourg, qui vantait la troisième révolution industrielle que les fabs labs sont censés porter. Qui sait, François Hollande annoncera peut-être lors de son grand rendez-vous avec la presse :

Moi, président, j’implanterai des fab labs sur toute la France.


Photos par Ophelia Noor. Réalisées au Fac Lab, le fab lab de l’Université de Cergy basé à Gennevilliers, le mercredi 5 décembre 2012.

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