OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Grand prix de la répression http://owni.fr/2012/06/19/quebec-canada-manifestations-prix/ http://owni.fr/2012/06/19/quebec-canada-manifestations-prix/#comments Tue, 19 Jun 2012 13:03:10 +0000 Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=113618

Police montée québécoise. Photo Xddrox

Lors du Grand prix de Formule 1 qui s’est tenu dimanche 10 juin à Montréal, les dispositifs policiers ont été renforcés pour tenir les manifestants à distance du lieu de l’événement et éviter toute perturbation. Protestant contre la hausse programmée des frais de scolarité et contre la liberticide loi 78 limitant leur droit de manifester, de nombreux contestataires mais aussi citoyens lambda se sont vu interdire l’accès à certaines stations de métro ainsi qu’au parc jouxtant le circuit. En un week-end, 139 personnes ont ainsi été arrêtées, dont 34 pour la seule journée du dimanche 10 juin. Sans compter le nombre de personnes gentiment -mais fermement- reconduites au métro par une escorte policière.

Depuis l’arrêt des négociations entre le gouvernement Charest et les associations étudiantes le 31 mai, le conflit s’enlise. Certains manifestants s’étaient donné rendez-vous dimanche pour tenter de perturber le trafic en utilisant la ligne jaune du métro desservant le lieu du Grand Prix.

Le Québec vibre

Le Québec vibre

Le Québec tranquille c'est fini. La Belle Province se rebelle avec force, dans la rue et sur les réseaux, contre des ...

Profilage politique

Une tentative de manifestation contrée par la police qui a employé les grands moyens pour évacuer les jeunes du métro et du parc Jean Drapeau. Depuis, les témoignages de cette journée circulent massivement sur internet laissant penser que les agents du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) étaient à l’affut de toute personne arborant le symbole de la contestation : un carré rouge, ou un quelconque accessoire du kit du manifestant comme des lunettes de ski (permettant de marcher incognito sans pour autant contrevenir au règlement de la ville de Montréal qui interdit de manifester le visage couvert) un sac à dos, ou même le roman 1984 de George Orwell. De nombreuses personnes dénoncent dans la méthode d’arrestation un profilage politique. Une accusation réfutée par le directeur de la police de Montréal Marc Parent lors d’une conférence de presse lundi 11 juin :

Des usagers du métro se sont fait demander qu’on puisse fouiller leurs sacs. Il y en a eu une cinquantaine. La moitié ou plus n’avait pas de carré rouge. Et certains qui avaient un carré rouge sont entrés sur le site. Il n’y avait pas de fouille et d’intervention systémique sur les gens au carré rouge.

Nous nous sommes entretenus avec Ian Lafrenière, porte-parole du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) qui conteste également cette version des faits :

Les personnes arrêtées de manière préventive sont des gens reconnus comme ayant participé à des manifestations violentes. Sur 180 000 personnes ce jour-là, seules 34 ont été arrêtées. Et sur les 250 000 personnes qui ont transité par le métro, seules 50 ont été dirigées vers la sortie.

Louve PB, de son vrai nom Virginie Bergeron, réfute ce motif d’arrestations. Dans un témoignage publié sur sa page Facebook, elle raconte avoir pris le métro pour se rendre au parc, sans porter de carré rouge, afin de passer inaperçue :

J’avais décidé de ne pas porter de carré rouge. Ni noir. En fait j’avais mis ce que j’avais apporté de plus candide. Une petite robe bleue et des sandales lacées. J’avais mon sac à dos rouge.

Tentative avortée, elle est arrêtée au bout de quelques minutes dans le métro. Escortée par les policiers, elle est alors obligée de prendre une rame en sens inverse pour retourner dans le centre de Montréal, où un comité d’accueil policier l’attend là aussi :

Une policière nous attend et nous dit que si on nous revoit dans une sation de métro, on va être arrêtés.

Pour la jeune femme, le profilage est donc bien réel, toute personne jeune arborant la couleur rouge et n’ayant pas de billets pour le Grand prix étant d’emblée déclarée persona non grata :

De ce que j’ai vu, les gens comme moi se faisaient arrêter à tout vent, on ne m’a jamais demandé de m’identifier. Du moment que j’ai dit que je n’avais pas mes billets je n’avais “pas d’affaire là” (rien à faire là, NDLR) et j’étais évacuée comme si j’avais commis une infraction

Deux journalistes qui étaient ce jour-là en immersion, portaient chacun une pièce de couleur rouge ainsi qu’un foulard et un sac à dos, laissant penser qu’ils étaient manifestants. À peine arrivés dans le métro, des agents demandent à fouiller leurs sacs mais les laissent monter dans la rame. Arrivés au parc du Grand prix, ils rebroussent chemin devant la forte présence policière mais se font arrêter avant de pouvoir regagner la bouche la plus proche, alors qu’ils discutent avec François Arguin, un citoyen qui filme, dit-il, toutes les manifestations. Ils racontent leur périple dans un article paru sur le devoir.com :

Deuxième fouille, donc, en moins de quinze minutes. Un groupe d’agent est formé autour de Raphaël Dallaire Ferland et Catherine Lalonde, un autre autour de François Arguin. Ils sont, en tout, seize agents pour trois individus. L’attitude, pour la même intervention, est beaucoup, beaucoup plus nerveuse que celle adoptée par les agents qui patrouillaient le métro. Les journalistes coopèrent, mais retournent une question pour chacune qu’on leur pose. Pourquoi nous fouiller? “Parce que vous arborez un signe révolutionnaire”, répondra un agent, visiblement excédé, “pis parce que je suis tanné du monde comme vous.”

Menaces fantômes

Ian Lafrenière, nous a expliqué que suite à certaines menaces et tentatives d’intimidation le SPVM avait décidé pour la sécurité de tous d’accroître la présence policière. Allusion à une phrase qui circula massivement lors des manifestations, faisant craindre un rassemblement important :

Charest tu ris mais check bien ton Grand prix.

En prévisions d’éventuelles violences, le SPVM avait donc massivement placé des agents sur la ligne jaune du métro jusqu’à l’entrée du circuit. Entre interpellations, arrestations et fouilles, 21 personnes ont même été placées en détention dans un bus, garé en plein soleil, qui les a reconduit en ville. Une arrestation dont une victime de la répression policière fait le récit :

Nous (les 21 citoyens détenus, NDLR) avons passé plus de trois heures dans le bus (un véhicule de la Société de transport de Montréal affrété pour l’occasion, NDLR), pour un total de quatre heures de détention, sans jamais avoir d’explications. J’ajoute d’autre part qu’à aucun moment nos droits ne nous ont été lus, bien que nous l’ayons réclamé à plusieurs reprises ; le seul droit qui me fut énoncé est l’absurde « droit de garder le silence » qui ressemblait davantage à un « ta gueule » à peine camouflé.

Nul n’est censé ignorer (ni bafouer) la loi

La manière dont les arrestations sont orchestrées suscite le débat. Les policiers ne semblent pas avoir de méthode précise, prenant pour cible des personnes qui leurs semblent sensibles et bafouant le code de déontologie des policiers du Québec.

Les citoyens sont bien décidés à ne pas rester muets face à une telle situation. Si bien que la police est aujourd’hui la cible d’attaques récurrentes. Anonymous a ainsi piraté les mails de 11 000 policiers la semaine dernière, publiant les listes d’adresses privées ainsi que le nom et le matricule des agents. Tandis que Moïse Marcoux-Chabot, un documentariste engagé dans le mouvement depuis ses débuts a réalisé un minutieux travail de documentation sur sa page Facebook. Il a relevé tous les articles de loi relatifs aux arrestations et s’est intéressé à la jurisprudence pour prouver que ces actions étaient illégales et abusives.

Cet intérêt pour la loi donne aussi aux citoyens les moyens de se défendre et les policiers se retrouvent bien souvent face à des personnes qui connaissent leurs droits et ne se démontent pas. Les détenus ne cessent ainsi de questionner les policiers sur leur arrestation. Le détenu du bus relate qu’il n’obtiendra aucune réponse en quatre heures de détention, si ce n’est la justification évasive de sa détention par l’article 31 du code criminel :

La seule raison légale de notre situation fut l’article 31 (1) du code criminel, sans que jamais ne soit précisé ce qui aurait pu les pousser à croire que nous allions troubler la paix.

L’alinéa 1 de l’article 31 stipule en effet qu’ « un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ».

Que constituent des « motifs raisonnables » ? Porter un sac à dos, comme cet enfant de cinq ans qui a du tendre son sac à un policier pour qu’il le fouille ? Ou même un foulard rouge comme Raphaël Dallaire Ferland, ce journaliste parti en reportage incognito dimanche?
Mais les arrestations préventives, qui ne sont  fondées que sur la conviction qu’une personne va commettre un délit, ne s’arrêtent pas là. Les personnes arrêtées sont fouillées, et leurs effets personnels parfois confisqués et altérés comme en témoigne François Arguin. Arrêté dimanche alors qu’il discutait à la sortie du métro avec les deux journalistes, il a été menotté, questionné et s’est vu saisir ses effets personnels, dont la caméra avec laquelle il filmait, avant que les policiers le relâchent après le contrôle d’identité:

On nous annonce que nous allons être escortés en dehors du site et on me remet ma camera, après avoir effacé toute la séquence vidéo d’évènements qui ont précédé notre interpellation, le harcèlement dont j’ai été victime et de la documentation des bris de mes droits fondamentaux de citoyen. C’est a dire profiter d’une journée du samedi a me promener au Parc Jean-Drapeau et filmer sans me faire harceler, insulter, menotter et expulser du parc sans raison par des policiers.

Les policiers se sont emparés de sa caméra pour en effacer le contenu, ce qui est arrivé à de nombreuses autres personnes. Des actes rapportés à Ian Lafrenière en début de semaine et qu’il ne comprend pas :

Ça me surprend beaucoup que les images aient été effacées. puisqu’il y a des caméras partout, des citoyens avec leurs téléphones et aussi les caméras de Radio Canada.

Les images circuleraient donc quoi qu’il arrive. Et quelles images. Cette vidéo de Radio Canada montre que les policiers sont sur les dents et font parfois preuve d’une brutalité qui ne semble pas nécessaire.

Enquête et surveillance

En théorie, l’état-major doit être informé de tout ce qui se passe sur le terrain. Mais face au comportement de certains agents, le SPVM dit avoir lancé des vérifications. Une enquête nécessaire pour faire disparaitre cette impression que les agents peuvent agir en toute impunité. Ian Lafrenière, lui, nous explique que les manifestants sont les auteurs d’une véritable campagne de désinformation :

On ne se bat pas à armes égales, nous de notre coté on se bat avec des faits. Nous faisons des vérifications et des contre-vérifications. On a entendu pendant des jours qu’un homme avait été tué par le SPVM. On a envoyé une équipe à la morgue et au final c’est un journaliste qui a retrouvé la personne, chez elle, bien vivante.

Les témoignages sont parfois à prendre avec des pincettes, mais lorsque beaucoup d’entre eux concordent, y compris avec ceux de journalistes sur place, le doute n’est plus possible. Aujourd’hui, des associations de victimes sont bien décidées à ne pas en rester là. Le comité légal de la CLASSE a ainsi annoncé sur une page Facebook dédiée, être à la recherche de témoins pour un recours judiciaire. De nombreux Québecois dénoncent sur les réseaux la montée en puissance de cet État policier à l’aide de vidéos, comme MrTherio6 qui a lancé sa chaine Youtube agrégeant les vidéos montrant la brutalité policière au Québec.

Cette vigilance des citoyens -copwatching-, s’est accrue depuis la répression massive des manifestations lors du G20 de 2009 à Toronto, mais elle ne semble pas être un problème pour Ian Lafrenière :

Une surveillance est souhaitée et souhaitable donc c’est bien qu’ils nous surveillent, mais il y a une différence entre la surveillance et la désinformation. En tout cas, une cohabitation est nécessaire.

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Le Québec vibre http://owni.fr/2012/05/22/le-quebec-vibre/ http://owni.fr/2012/05/22/le-quebec-vibre/#comments Tue, 22 May 2012 16:14:22 +0000 Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=110927

100. C’est le nombre de jours qui se sont écoulés depuis qu’a débuté le “printemps érable”, ce mouvement des étudiants québécois contre l’augmentation programmée de leurs frais de scolarité. D’ici 2017, ils pourraient ainsi passer de 2 168 dollars à 3 793 dollars par an, soit une augmentation de 75%.

Mais depuis vendredi, la contestation s’est étendue à toute la population, suite à la promulgation d’une loi spéciale.  Votée après vingt-et-une heures de débat, la loi 78 vise à limiter toute manifestation et à éradiquer les piquets de grève devant les établissements universitaires, jusqu’en juillet 2013. Les organisateurs de manifestations sont désormais tenus de prévenir huit heures à l’avance les autorités pour tout événement rassemblant plus de cinquante personnes. Ils doivent en communiquer le parcours ainsi que la durée. Rien que nous ne connaissions déjà en France.

Mais pour les Québécois, très syndiqués, cette mesure, qui vise en premier lieu à museler les étudiants, prive surtout la population dans sa globalité de sa liberté d’expression et de sa liberté d’association. En cas de non-respect de la loi, les sanctions sont drastiques : de 1 000 à 7 000 dollars d’amende pour un individu et jusqu’à 125 000 dollars pour une association. Pour Moïse Marcoux-Chabot, documentariste québécois, cette loi censée ramener l’ordre a eu l’effet inverse :

Supposée ramener l’ordre, cette loi est aujourd’hui en passe de devenir l’objet et la motivation principale de la manifestation.

Au lendemain de la promulgation de la loi, la 27ème manifestation nocturne (et consécutive) des étudiants était déclarée illégale par le service de police de la ville de Montréal, dix minutes après avoir commencé. La situation a rapidement tourné au grabuge : trois cents arrestations, une dizaine de blessés dont un blessé grave dénombrés le lendemain.

Brutalités

De nombreux journalistes ont été arrêtés avant d’être finalement relâchés une fois leur identité vérifiée. Un soulèvement et une répression sans précédent au Québec, réputée pour être du coté tranquille de la force. Et c’est par le biais d’un tweet que les manifestants ont vite été prévenus de l’illégalité de leur mouvement :

Aujourd’hui, manifestants et forces de police s’affrontent dans les rues comme sur les réseaux. La police de Montréal, déjà très présente sur Twitter, live-tweete les actions de ses brigades et le parcours des manifestants. À chaque manifestation nocturne, les messages de 140 signes s’enchainent, rassurent, dédramatisent, informent ou désinforment les 29 000 twittos qui suivent le compte @spvm. Les questions abondent et les accusations de brutalité policières pleuvent. Des accusations qui ne nous étonneraient pas en France où la défiance à l’égard des forces policières est fort, mais au Québec, où la confiance est maitresse, ces messages courts et incisifs semblent montrer un basculement progressif de l’opinion vis-à-vis des forces de police.

En cause, les dispositifs de sousveillance ou copwatching (consistant à surveiller les surveillants) gérés par de nombreux manifestants qui publient des vidéos, parfois sans contexte, montrant le comportement agressif de certains policiers. Sur Facebook, une vidéothèque a même été montée, alimentée par les 410 membres pour inciter les grands médias à parler de ces dérapages. Si les sources et le contexte sont insuffisants, les vidéos sont explicites : coups de matraques, voiture de police vs manifestants, et usage abusif de bombes lacrymogènes sur des manifestants certes un peu provocateurs mais pas agressifs. Cette page Facebook illustre bien la désobéissance qui peut naitre sur internet, selon le concept d’”electronic civil disobedience” (ECD), qui a émergé dans les années 90.

Sur Twitter, les mêmes hashtags #manifencours #GGI (Grève Générale Illimitée) sont utilisés à la fois par les manifestants et par les forces de police. Pourtant, le risque d’une utilisation des tweets par la police pour tracer et sanctionner les manifestants n’est pas à écarter. Une méthode laissée cependant à l’appréciation du juge comme l’indique la nouvelle ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, qui a remplacé au pied levé Line Beauchamp après sa démission :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Loi matraque

Face à la probable instrumentalisation judiciaire de Twitter, @leclown, un twittos français a décidé de contourner la législation et d’offrir aux Québécois un espace de parole bien chaud, protégé et anonyme. Le compte @manifencoursQbc propose ainsi depuis lundi de retwitter anonymement les messages privés qui lui sont envoyés. Pour le moment, seuls 372 utilisateurs se servent de ce robot. Si les utilisateurs de Twitter ne semblent pas inquiets, l’épluchage du réseau par la police est tout à fait envisageable pour @leClown :

Un grand nombre de personnes dévoilent leur véritable identité sur Twitter et je suppose que cela peut faciliter le travail d’une police déterminée à identifier les personnes diffusant des messages allant a l’encontre de l’ordre établi. Les réseaux sociaux peuvent être légalement passés au peigne fin. C’est cela qui m’a incité a créer le robot manifencoursqbc

Facebook et Blackberry tout contre les émeutiers

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Déterminé à punir tous les casseurs du Royaume-Uni, le gouvernement britannique pourrait profiter de l'aubaine pour ...

Ses craintes sont étayées par des précédents récents puisque des réseaux sociaux ont déjà été utilisés pour condamner des manifestants. Lors des émeutes de l’été dernier au Royaume-uni, la Metropolitan Police a épluché les conversations Blackberry des émeutiers. Une dérive très Big brother qui, au Québec, n’écorne pas la détermination des manifestations à utiliser Internet.

Amir Khadir, député de Québec solidaire, un parti qui tend vers l’extrême gauche, a dénoncé la loi spéciale, surnommée “Loi matraque” et a appelé la population à “réfléchir à la possibilité de désobéir à cette loi de manière pacifique”. Le site arretezmoiquelqu’un.com agrège ainsi les photos des “désobéissants”. Lancée hier soir, 2 728 personnes ont déjà participé à cette opération, et le site ne cesse d’enregistrer de nouvelles contributions.

Des Anonymous ont apporté leur soutien en publiant deux vidéos–communiqués intitulées “OpQuébec” et diffusées sur YouTube depuis ce week-end.  Au vu de l’usage de termes français et non québécois, elles ne semblent pas avoir été créées par une frange québécoise du collectif informel, comme l’analyse Florent Daudens sur Radiocanada.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Devise

Devant l’entrave à la liberté d’association et d’expression que constitue la loi 78, des Anonymous ont appliqué leurs sanctions habituelles. Ce lundi, le site Internet du ministère de la Sécurité publique du Québec, ainsi que celui de la Déontologie policière ont été “défaçés”. Ainsi, en lieu et place du site d’origine, on pouvait lire la devise Anonymous sur fond blanc :

Attaque DDos d'Anonymous

Cette grève étudiante est la plus importante que le pays ait connu avec un pic de  200 000 à 300 000 manifestants (pour sept millions d’habitants) qui ont défilé dans les rues de Montréal le 22 mars 2012, attirant les médias internationaux. Laquelle a récemment trouvé un second souffle dans la fronde grandissante des rues québécoises depuis samedi. En soutien, de nombreux rassemblements sont organisés aujourd’hui à New York ou à Paris, comme l’indique Occupy Paris sur son compte Twitter.

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Une Défense occupée http://owni.fr/2011/11/06/une-defense-occupee-occupy-indignes-manif/ http://owni.fr/2011/11/06/une-defense-occupee-occupy-indignes-manif/#comments Sun, 06 Nov 2011 09:28:00 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=85857 Ce samedi soir à Paris, quelques Indignés bravaient encore les limites fixées par la Préfecture de police. Ils continuaient à occuper La Défense, quartier d’affaires de l’Ouest parisien siège de plusieurs grands groupes du CAC 40, et symbole des dérives de la finance selon les occupants. La manifestation était autorisée par la Préfecture jusqu’à 21 heures vendredi soir, mais certains irréductibles comptent y rester plus longtemps et y installer un camp sur le modèle du mouvement Occupy Wall Street, lancé le mois dernier outre-atlantique.

17h35, vendredi. Sur l’escalier de l’Arche de La Défense, Jean-Jacques annonce au mégaphone :

Occupons La Défense vient de commencer.

Applaudissements et sourires lui répondent dans l’assemblée, un petit millier de personnes réunies pour protester contre le capitalisme en général et ses dérives financières en particulier. Le rassemblement n’occupe qu’une maigre part de l’immense esplanade, sous le regard des tours GDF-Suez, SFR, Areva, EDF et Coeur Défense. Un symbole sur lequel ironise un homme, la cinquantaine, à la nuit tombée. Désignant la tour GDF, il plaisante : “Ils parlent d’économies d’énergie et regarde toutes ces lumières qui restent allumées !”

L’ambiance est détendue. A la tribune, l’un des organisateurs intervient :

Selon une rumeur, la préfecture a demandé aux personnes qui travaillent à La Défense de partir plus tôt ce soir. Si c’est vrai, nous aurons au moins réussi à leur faire perdre quelques centaines de milliers d’euros, et ce n’est pas si mal !

Concert de rires et agitations des mains en signe de satisfaction.

Tribune libre

L’assemblée générale populaire est régie par les codes usuels des mouvements alters : agiter les mains pour signifier son approbation, mimer une roue pour demander à un intervenant d’abréger son propos, croiser les bras pour exprimer sa forte désapprobation, signe qui entraine forcément une justification à la tribune. Se succèdent interventions galvanisantes et analyses économiques et politiques : “Lisez les travaux d’Arrow, le prix Nobel d’économie en 1972, sur le démocratie. Il a prouvé que la démocratie, le vote, tout ça ne pouvaient pas fonctionner. Par contre, le collectif, oui !” lance un homme d’une trentaine d’année, apôtre de l’auto-gestion et de la prise de décision par consensus. Un autre, cheveux longs, allure christique, prêche : “Nous sommes les lumières, nous devons éclairer ce monde !”

Isabelle, 45 ans, regrette que le rassemblement ne soit pas plus festif sur le modèle du mouvement Indignados à Madrid auquel elle a participé :

A Paris, les participants pensent qu’un rassemblement festif ne peut pas être pris au sérieux. C’est dommage. On a du mal à casser le silence alors qu’on pense tous la même chose.

Tout en parlant, elle jette un œil aux feuilles disposées sur une petite table devant elle. Un peu en retrait de la tribune, des ateliers créatifs ont été mis en place.

“Qu’est-ce qui vous fait battre le cœur ?” interroge une grande affiche que reprend en chantant un groupe de jeunes. “Mes enfants, la révolution, ma copine” ont écrit des passants. “L’argent” découvre le groupe, un peu étonné. L’objectif était d’attirer un public plus large que les militants habituels nous expliquait, deux jours avant le lancement, Nico très impliqué dans le mouvement. Un objectif partiellement atteint, mais la masse n’est pas au rendez-vous vendredi soir.

Jean-Jacques, professeur de psychologie à Paris Diderot et HEC, avance plusieurs pistes pour expliquer le succès très mitigé :

La Défense n’est pas l’endroit idéal. C’est loin du centre et pas très convivial. La situation socio-économique n’est pas encore dramatique à la différence de l’Espagne par exemple. Et puis, il y a le poids de la pensée unique, diffusée par TF1 et d’autres.

Certains aspects tiennent selon lui à la nature même du mouvement Indigné en France : “Le mouvement n’est pas guidé par un seul groupe ce qui rend la médiatisation complexe. Et puis, en France, une importante structure syndicale existe, elle entraine une atomisation des luttes. Beaucoup croient encore au pouvoir des urnes. Mais on sait bien que Hollande ne changera rien…” explique-t-il sans perdre le sourire. Une jeune, le visage maquillé de blanc et le nez peint en rouge, l’interrompt pour lui proposer une stratégie à mettre en place contre l’intervention de la police.

Rêver à ciel ouvert

L’autorisation de manifester arrive à échéance à 21 heures. Déjà, vers 18h, un petit groupe de gendarmes avaient fait deux interventions pour confisquer les tentes tout juste déployées. Les manifestants avaient répondu d’abord par des chants et slogans pacifistes “El pueblo unido jamás será vencido”,“On l’appelle démocratie et c’est comme ça”, puis plus provocateurs “Police partout, justice nulle part”. A la tribune, un orateur s’en désolait :

Nous n’avons pas le droit de rêver à ciel ouvert.

A 21h30, les gendarmes mobiles, la police et des agents en civil se mettent en place. Quelques centaines de manifestants se regroupent autour des tentes, s’agrippent les uns aux autres. Pendant plusieurs heures, les forces de l’ordre chargent, extirpent une tente ou deux, parfois un manifestant, et reculent. Deux blessés légers sont évacués. Visiblement rompus aux méthodes de résistance non-violente, une centaine y a passé la nuit, d’autres sont revenus, hier samedi, moins nombreux que la veille. Les Indignés tiennent.


Photos CC Pierre Alonso [by-nd]

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La France équipe la police iranienne http://owni.fr/2011/10/19/la-france-coopere-avec-la-police-iranienne/ http://owni.fr/2011/10/19/la-france-coopere-avec-la-police-iranienne/#comments Wed, 19 Oct 2011 06:27:40 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=83882 En toute discrétion, la France coopère avec les services de police iraniens, par l’entremise de la société de conseil et de service du ministère de l’intérieur français. Contacté par OWNI, un responsable de la société, Civipol, confirme l’envoi de 20 chiens renifleurs. Cette première livraison, sur un total de 52 chiens, sera effectuée le 25 octobre. Elle est financée par le Quartier général de contrôle de la drogue (Drug Control Headquarters) iranien qui dépend du président de la République.

Officiellement, il s’agit de lutter contre le trafic d’héroïne importée d’Afghanistan et transitant par le sol iranien avant d’abreuver les marchés européens. Mais ces chiens pourraient avoir d’autres usages répressifs.

L’opération fait grincer des dents jusqu’au sein du ministère français de la défense, à qui revient la charge de former les chiens en collaboration avec la police nationale. La transaction n’est pas du goût de la Grande Muette, peu encline à endosser la responsabilité de la coopération en matière de sécurité alors que les relations avec Téhéran sont pour le moins tendues. Sans compter le sort – expéditif – réservé aux trafiquants de drogue en Iran…

Vindicte des capitales occidentales

Dernier exemple en date des tensions diplomatiques, le Conseil des affaires étrangères de l’Union Européenne a voté le 10 octobre une nouvelle vague de sanctions. Elles ciblaient 29 responsables iraniens « impliqués dans la répression et la violation des droits de l’homme » a expliqué le Quai d’Orsay dans un communiqué. Deux jours plus tard, Washington accusait l’Iran d’être derrière une rocambolesque tentative d’assassinat de l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis.

Dans ce climat, la formation des chiens n’a pas fait consensus. C’est l’Etat-Major particulier, directement relié à l’Elysée, qui a donné le feu vert, nous a-t-on confié. Personne ne désirait endosser cette responsabilité au ministère de la défense. Un affront inhabituel d’une institution à la réputation moins rebelle, mais l’utilisation des chiens renifleurs inquiète. Il n’est pas impensable que les chiens renifleurs soient utilisés comme chiens mordants. Comprendre pour le contrôle des foules.

Un rapport d’information de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée, déposé le 5 octobre 2011, consacre un long développement à la « répression ferme, suivie d’une dégradation de la situation des droits de l’Homme » depuis 2008. Et de citer, rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch à l’appui, « un système de répression massif dirigé contre tous les manifestants » que des chiens déjà dressés pourraient renforcer.

Plus inquiétant, les trafiquants de drogue arrêtés par le régime iranien sont promis à un funeste destin. Les députés de la Commission rapportent que l’ambassade de France en Iran comptait jusqu’à 360 exécutions entre le début de l’année et mi-juin 2011, dont 274 seraient confirmées, la différence étant liée aux « pendaisons de masse des trafiquants de drogue » partiellement confirmées.

En 2010, l’Iran arrivait juste derrière la Chine avec plus de 252 exécutions, contre plus d’un millier par Pékin. Un triste record ramené au nombre d’habitants. Le 13 mai dernier, le secrétaire général du Haut Commissariat pour les droits humains en Iran avait reconnu « le nombre élevé d’exécutions et les avait attribuées aux efforts pour combattre le trafic de drogue » précise un rapport du secrétariat général des Nations-Unies publié le 15 septembre 2011.

Coopérations culturelle et scientifique au point mort

La coopération a connu de meilleurs jours entre la France et l’Iran. Sur les plans culturel et scientifique, elle tourne au ralenti depuis la réélection jugée frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Côté iranien, un diplomate nous a assuré que la coopération s’était dégradée avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, unique responsable de l’actuel état des relations conformément à l’antienne diplomatique iranienne.

A propos de la coopération cynotechnique – les chiens, donc – le site de Civipol mentionne trois expériences passées : deux audits en janvier et septembre 2007, ainsi qu’une livraison de vingt chiens en septembre 2008. D’autres ont eu lieu, nous a assuré un responsable de la société, ajoutant que le site n’était plus à jour, sans préciser le détail des opérations antérieures. Les tensions apparues en juin 2009 avaient provoqué une interruption dans les livraisons de chiens. Une information dont le ministère des affaires étrangères assure aujourd’hui ne pas avoir connaissance : « Nous n’avons pas d’information sur l’interruption des livraisons ».


Photo via FlickR LeoAmadeus [by-nc-sa] Defence Images [by-nc]

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Les anti-schistes en garde à vue http://owni.fr/2011/10/05/les-anti-schistes-en-garde-a-vue-sarkozy-schiste-cevennes/ http://owni.fr/2011/10/05/les-anti-schistes-en-garde-a-vue-sarkozy-schiste-cevennes/#comments Wed, 05 Oct 2011 17:23:47 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=82359 Pas de banderoles anti-gaz de schiste à l’arrivée de Nicolas Sarkozy dans les Cévennes mardi 4 octobre ? Rien d’étonnant : la quinzaine de militants réunis pour manifester a été mise en garde à vue plus de trois heures avant que n’arrive le chef de l’État. Mobilisé via les réseaux locaux, le petit groupe avait décidé de s’installer la veille au soir dans le stade de la commune de Mialet (Gard) où l’hélicoptère présidentiel devait atterrir. Ils ont tous été relâchés le mardi en début d’après-midi, après le départ du président de la République du Musée du Désert où il avait prononcé un discours confirmant l’abrogation de trois permis de recherche de gaz de schiste.

Dès lundi soir, vers 18h30, une militante présente sur place a vu débarquer 30 à 40 gendarmes munis de boucliers : « nous étions en rond au milieu du terrain de foot et ils ont commencé à nous courser, rapporte-t-elle. Au bout d’un moment, tout le monde s’est lassé et ils ont lancé : « de toute façon, on vous sortira demain matin ». » A l’ouverture de leur duvet, les anti-gaz de schiste ont pu constater que les gendarmes avaient tenu parole.

Un tag « Sarko dégage » à la bombe de chantier

Plus nombreux et munis de protections anti-émeutes, les gendarmes, présents à sept heures et demi le mardi 5 au matin, ont formé un cordon avant de menotter puis d’emmener un premier militant, bientôt suivi par les autres. Selon un témoignage recueilli par un confrère du Monde.fr, au signal d’hommes en costume-cravate, « probablement du service de sécurité de la présidence ». Tous sont embarqués plus de trois heures avant l’heure prévue de l’atterrissage de Nicolas Sarkozy sur la pelouse communale.

Les militants se voient alors signifier le motif de leur garde à vue : « dégradation de bien public en réunion ». Au matin, en effet, des tags rose brillant « Sarko dégage » étaient apparus sur les vestiaires du stade (voir la photo ci-dessus). Parmi la quinzaine de manifestants, aucun n’avait amené de bombe de peinture, ni n’avait sur lui de traces du “barbouillage”. Celle ayant servi à confectionner les messages d’accueil du président de la République avait été retrouvée au pied du muret puis était passée entre les mains des gendarmes présents sur place sans autre précaution, selon les militants.

Transférés à la gendarmerie d’Anduze, les activistes sont contraints d’attendre dehors, les locaux ne disposant que de deux cellules largement insuffisantes pour accueillir le petit cortège. Alerté par une des prévenus, José Bové contacte la conseillère générale du canton, Geneviève Blanc qui renonce alors à l’invitation du chef de l’État à Alès pour faire un tour à Anduze.

Le gendarme qui les gardait ne faisait pas partie de ceux qui les avaient interpelés. Nous avons contacté le barreau de Nîmes pour demander des avocats pour assister aux interrogatoires. Une seule avocate a pu se libérer, en plus du conseil dépêché par la Ligue des Droits de l’Homme du Gard, les autres étant retenu par le bouclage policier de la ville d’Alès.

Ce n’est que vers midi et demi, à l’heure où Nicolas Sarkozy prend la parole à Alès pour vanter « l’esprit de résistance » des Cévennes qu’arrive le premier des deux avocats : deux prévenus seulement sont interrogés en présence d’un conseil, les autres ayant déjà répondu aux questions des gendarmes.

A quatorze heures, tout le monde est relâché et « pas inquiété » selon les gendarmes. Contacté par OWNI, la mairie de Mialet confirme avoir été prévenue de mesures exceptionnelles mises en place pour la venue de Nicolas Sarkozy mais renvoie à la préfecture pour son organisation. « Dispositif classique », nous répond-on à Nîmes, sans souhaiter donner plus de précision.

De son côté, la conseillère générale Geneviève Blanc n’a guère eu plus de détails sur la procédure, malgré un appel au substitut du procureur : « il y a eu beaucoup de discussions dans la matinée pour qualifier les faits », nous a-t-elle confié. Des débats qui auront en tout cas duré juste assez longtemps pour permettre au président de la République de se réclamer du « courage » des Cévenoles sans être dérangé par leurs inquiétudes.

Les illustrations ont été envoyées par des militants sur place.

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Le « dégagisme » se manifeste http://owni.fr/2011/07/04/le-%c2%ab-degagisme-%c2%bb-se-manifeste/ http://owni.fr/2011/07/04/le-%c2%ab-degagisme-%c2%bb-se-manifeste/#comments Mon, 04 Jul 2011 06:10:42 +0000 Damien Spleeters http://owni.fr/?p=72492 Quel rapport entre le « Ben Ali, dégage ! », ce slogan qui a fait le tour du monde, et Laurent d’Ursel, cet artiste belge entré dans l’art par derrière comme un courant d’air contemporain et dont les créations s’appellent, logiquement, des loeuvrettes ? Réponse : le « dégagisme ».

Pour vous donner une idée du bonhomme : il s’est fait tatouer le premier article de la Constitution belge sur les fesses, en y corrigeant les fautes de français.

Après bien des péripéties, en 2005, d’Ursel lance le collectif Manifestement pour faire de la manifestation une forme d’art contemporain, avec ses règles très précises : il faut des flics, une autorisation, un slogan et des concepts. Il faut que ça soit un peu chiant, comme toute manif.

Si j’ai rendez-vous avec d’Ursel à la Loeuvrette Factory, c’est pour qu’il me montre, « en primeur mondiale », comment le collectif prépare la parution d’un Manifeste du dégagisme. Un -isme d’inspiration tunisienne qui ne serait ni anarchie, ni révolution, mais plutôt une solution de génie, un savant mélange pamphlétaire que d’Ursel tente d’expliquer avec une ironie et une mauvaise foi bien assumées.

Bon, Laurent, est-ce que tu peux m’expliquer comment est né le dégagisme ?

Nous sommes à la fin du mois de janvier 2011, le collectif Manifestement est en train de fêter l’achèvement de sa dernière manifestation en date qui avait pour slogan « Tous unis contre la démocratie ». On était en plein dans les événements en Tunisie et comme la terre entière on était tous un peu émoustillés par ça. Et puis ma femme, la salope, sort le mot « dégagisme » et on se
regarde tous et on se dit putain ça y est on y va. J’ai l’habitude de dire que quand j’ai la bouche pleine, elle parle à ma place. Mais ça m’humilie qu’elle ait sorti le mot avant moi.

Okay, mais c’est quoi finalement le dégagisme ?

L’intuition est toute simple : ça serait la première fois que des mouvements d’une telle ampleur réclament le vide de pouvoir sans solution de remplacement. Le fait de parler de démocratie, ça n’est venu qu’après. D’abord c’était « Ben Ali dégage », et après : le vide – ce fameux vide qui nous fait bander terriblement. Le siège du président ou du dirigeant est là, mais il est vide. Et après, concrètement, la vie continue. Et donc, logiquement, après le dégagement (dont le dégagisme est la philosophie), il y a une forme de proto-démocratie marquée par la vigilance – pour ne pas se faire couillonner une nouvelle fois – où le proto-démocrate est revenu de toutes les illusions. C’est une forme de maturité, le proto-démocrate sait que ça ne marche pas, que la démocratie a plein de défauts, qu’elle génère des catastrophes, voire des carnages. Et fort de ça, il continue dans ce système, mais en se méfiant de tout, et c’est ça la clé. La proto-démocratie vient après la version romantique de la démocratie-post-babacool-on-est-tous-frères à la Tahrir.

Le fait de ne pas remettre quelqu’un sur le siège du pouvoir, c’est l’anarchisme et c’est du n’importe quoi. Il y aura forcément tôt ou tard quelqu’un sur le siège mais avant il y a ce grand vide – et c’est ça le coup de génie des dégagistes – c’est d’avoir osé ce vide. On enlève Ben Ali, on enlève Moubarak, on enlève Sarko sans dire ce qu’on va mettre après. On va d’abord contempler ce vide. Et c’est pour ça que, de manière très significative, la première action que font les dégagistes c’est une nouvelle constitution. Et ça prend beaucoup de temps. Ce sont des élections pour des assemblées constituantes. J’ai encore entendu une klette sur France Culture ce matin qui disait « oui ça prend du temps, ils tardent à passer aux élections » ce qui est d’une bêtise totale. D’un point de vue dégagiste, on ne prendra jamais trop son temps pour méditer, mûrir et se demander par quoi on veut remplacer celui qu’on a dégagé.

Bien sûr, le dégagisme a ses problèmes, il ne garantit pas que celui qu’on met à la place du dégagé soit meilleur. Mais je suis tellement enthousiasmé par le dégagisme parce que c’est la preuve d’une très grande maturité. Qu’est-ce qu’il y a derrière tout ça : l’absence de cette foi naïve, infantile, puérile et à la con qui fait dire qu’on a la solution et qu’on est prêt à mourir pour l’avancer. Il y a aussi une espèce d’anthropologie du pouvoir, toute simple, qui renoue avec le début de la démocratie : les premiers à être dégagés, ce sont ceux qui sont sur le siège depuis trop longtemps, tout simplement.

Le dégagisme c’est juste une nouvelle révolution alors ?

Le révolutionnaire, c’est celui qui entend supplanter le détenteur du pouvoir. Le dégagiste, c’est celui qui entend déloger le détenteur du pouvoir. Les démocrates sont tous des révolutionnaires, et il n’y a rien de moins dégagiste que des élections, qu’un programme qu’on remplace ou qu’on reconduit. Il faut le vide pour le dégagisme. Le point cardinal, c’est qu’on dégage celui qui est au pouvoir. Ce qu’il y a après on ne sait pas, c’est le vide. À l’horizon : la proto-démocratie. Dans le Manifeste, on va devoir comparer dégagisme et révolution, ça va être un bel exercice de mauvaise foi.

[Tout enthousiasmé, d'Ursel me montre ce qu'il appelle « une première historique » : dans le tableau excel qui recense les mouvements artistiques, leurs manifestes et leurs credos, une colonne vide est laissée après celle du dégagisme]

C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’avant-garde, consciente d’elle-même, est assez critique et relativiste pour savoir qu’il y en aura une autre après. Tous les grands mouvements, dans l’histoire de la pensée, ont eu le sentiment d’être les derniers, d’avoir tout dit. Nous avons cette extrême sagesse de dire qu’en 2011 ça sera le dégagisme, mais peut-être qu’en 2025 il y aura un autre truc. C’est très important. Nous en sommes très fiers.

C’est l’idée de génie, parce que ça pense l’action politique d’une manière totalement différente. On ne doit plus s’emmerder à dire en quoi on a quelque chose de mieux. Maintenant c’est clair, le ras-le-bol est un concept politique. Le « dégage » a ses lettres de noblesse. Ça change tout. C’est beaucoup plus cool. Avant il fallait faire tout un programme. Aujourd’hui plus du tout : tu peux
t’improviser dégagiste du jour au lendemain

Et finalement, est-ce qu’il va falloir qu’on s’immole tous comme Mohamed Bouazizi pour être dégagiste ?

Ouais alors on a réfléchi sur l’immolation aussi, c’est fondamental. On s’est dit putain est-ce qu’il faudrait tous s’immoler, quoi ? Comme le couillon qui a fait ça sur le parking à France Télécom l’autre jour. Mais, en fait, étymologiquement, ça vient de farine, mettre dans la farine, rouler dans la farine. Donc on pourrait se fariner. On est rassuré : on peut être dégagiste sans bidon d’essence.

Manifeste du dégagisme, révolutionnaires d’hier et d’aujourd’hui : dégageons !
Collectif Manifestement
maelstrÖm réEvolution
Sortie fin juin

Publié aussi sur Vice

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Des lacrymos contre les parents d’élèves http://owni.fr/2011/04/06/des-lacrymos-contre-les-parents-deleves/ http://owni.fr/2011/04/06/des-lacrymos-contre-les-parents-deleves/#comments Wed, 06 Apr 2011 14:09:15 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=55423 Ce devait être une manifestation bon enfant, bruyante, certes, mais sans volonté de nuire. Elle a fini avec du gaz lacrymo, utilisé pour repousser les manifestants, des parents d’élèves, des enseignants et des élèves du Doubs, mobilisés contre les fermetures d’écoles primaires prévues pour la rentrée dans leur département; 35 en tout.

Après l’occupation expresse de l’inspection d’académie lundi, les membres du collectif Écoles en danger 25 se sont retrouvés ce matin à Besançon, direction le rectorat. Ils étaient environ 500 à s’être donnés rendez-vous à 10 heures place de la Révolution, avec l’intention de faire un « boucan d’enfer », à grands coups de casseroles.

Arrivés devant le rectorat, le ton monte, comme le raconte le blogueur local Bison Teint, présent sur les lieux :

« Une fois sur place, vers 11 heures, ce petit monde poursuit son tintamarre en chantant « on lâche rien ! »… Un cordon de policiers défend l’accès au Rectorat.

Aux alentours de 11h30, certains tentent de s’approcher des portes du bâtiment et les policiers s’équipent de boucliers en plexiglas. Les familles avec enfants sont quelques mètres en arrière.
Quelques manifestants sont repoussés assez fermement par les policiers qui font usage de leurs matraques. L’un d’entre eux sort alors un pulvérisateur de gaz lacrymogène et arrose en direction des manifestants. Le jet touche directement les plus actifs qui se trouvent devant mais se répand également en direction des familles et des enfants qui se trouvent juste en arrière. »

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Du côté de la police, c’était un cas classique de légitime défense : « Il y a eu un mouvement de foule comprimant les policiers contre les portes du rectorat, explique le chef d’état major chargé de la communication à la direction départementale de la sécurité du Doubs. Du gaz lacrymogène a bien été utilisé pour les repousser, ils n’avaient pas le choix pour défendre l’édifice. Nous comptons quatre blessés légers, qui présentent des coupures au niveau des mains, provoquées par le heurt contre les portes, des griffures, des morsures. » Certains manifestants mettent en doute ces blessures. Recontacté, le chef d’état-major a simplement indiqué que des certificats médicaux avaient été établis.

« Certaines personnes poussaient devant en effet mais les repousser avec les boucliers me semblait suffisant. Le lacrymo, c’était abusé, vraiment. Surtout qu’il y en a eu une quantité démesurée, il ne s’agissait pas de ne toucher que les premières personnes qui poussaient. Là toutes les personnes présentes dans les 7 à 8 mètres autour pleuraient et toussaient », rétorque le blogueur Bison Teint.

« L’usage de la force par la police ne pouvait absolument pas être justifié »

La version de L’Est républicain va dans le sens de ce témoignage :

C’est alors que sous les ordres du commandant de police Mairet, une dizaine de policiers a distribué des coups de matraque pour récupérer cet espace, aspergeant les manifestants de gaz lacrymogène. Il n’en a pas fallu davantage pour qu’une échauffourée de plusieurs minutes s’en suive. Un face à face tendu a suivi pendant une demi-heure avant que les manifestants lèvent le camp.
L’usage de la force par la police ne pouvait absolument pas être justifié par une quelconque menace ou pression des manifestants sur le portail du rectorat. Tout était calme avant les coups de matraque dans les jambes, les bousculades et l’utilisation du gaz.

Un tel fait divers provoqué par des fermetures d’école témoigne des angoisses autour de l’avenir du service public de l’éducation nationale. À la rentrée 2011, 16.000 postes doivent être supprimés dans l’enseignement, dont plus de la moitié touche le primaire. Une manifestation nationale doit avoir lieu le 18 mai, à l’appel du SNUIpp-FSU, premier syndicat des enseignants du primaire.

Suite à cet événement, le maire de Besançon Jean-Louis Fousseret (PS) a exprimé son soutien aux manifestants dans un communiqué [pdf] :

« Si c’est ainsi que l’Éducation Nationale et l’État entendent répondre aux revendications des parents, des enseignants et des élus, cela ne peut que conduire à une impasse. [...]

Le Recteur et l’Inspectrice d’Académie doivent prendre la mesure de la mobilisation des dernières semaines à Besançon et dans le Doubs.
Cette carte scolaire, en l’état, a des accents d’abandon du service public d’éducation qui n’est plus, visiblement, une priorité nationale pour ce gouvernement.»

Photos : Bison Teint

MAJ : à 19h10, pour compléter le passage sur les blessures des policiers ; à 20h12 : une nouvelle vidéo, montrant explicitement l’utilisation de gaz lacrymogènes, a remplacé la première ; le 7 avril à 11h 53 : rajout du communiqué du maire.

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Les voix des migrants se rassemblent à Dakar http://owni.fr/2011/02/18/les-voix-des-migrants-se-rassemblent-a-dakar/ http://owni.fr/2011/02/18/les-voix-des-migrants-se-rassemblent-a-dakar/#comments Fri, 18 Feb 2011 10:11:35 +0000 Eros Sana (Bastamag) http://owni.fr/?p=47203 De la manifestation contre l’Agence européenne Frontex, symbole de la militarisation de la lutte contre les migrations, à l’adoption d’une Charte mondiale, sur l’Ile de Gorée, les migrants ont fait entendre leurs voix au Forum social de Dakar. Inlassablement, ils ont rappelé l’insoutenable réalité : depuis 1988, plus de 14.000 migrants sont morts aux portes de l’Europe.

De l’expulsion dans le désert à la création d’un collectif

Marcel Amyeto a quitté la République démocratique du Congo pour des raisons politiques. Il s’est retrouvé au Maroc, où le Haut commissariat des réfugiés (HCR) lui a reconnu le statut de réfugié. En 2008 dans le cadre de ses études en audiovisuel, il décide de réaliser un documentaire sur le sort des migrants à la frontière entre le Maroc et la Mauritanie. Sur la route qui le mène de Rabbat à Agadir, des policiers – qui interpellent systématiquement toute personne noire – le contrôlent et lui affirment que l’Etat marocain ne reconnaît pas la validité de son titre de réfugié.

Marcel est alors incarcéré plusieurs nuits dans la ville de Dakhla. Avant d’être expulsé. Non pas vers le Congo, cela coûterait trop cher à l’Etat marocain, mais vers le désert : dans une « zone neutre » qui ne relève ni de la juridiction marocaine ou mauritanienne. Cette zone, peuplée de contrebandiers et trafiquants, a d’ailleurs été rebaptisée « Kandahar », à l’instar de la région d’Afghanistan où règne les talibans.

Cette zone est extrêmement dangereuse. En plus de la grande violence dont peuvent faire preuve les trafiquants, de nombreuses mines anti-personnel tapissent le sol. Durant les sept jours passés dans cette zone, Marcel a vu mourir une jeune femme nigériane et son enfant, tués par une mine. 14.921 migrants sont morts aux frontières de l’Europe depuis 1988. Dont 10.925 en Méditerranée et dans l’océan atlantique.

Marcel Amyeto, lui, a survécu à son séjour à « Kandahar ». Il a pu revenir au Maroc, y faire reconnaître son statut de réfugié, et venir présenter son collectif d’associations de migrants au Forum social mondial de Dakar.

En marche contre Frontex et sa gestion des frontières

Ce 10 février, le jeune congolais et près de 400 autres participants ont entamé à Dakar une marche contre Frontex. Dans le cortège, une banderole reprend l’immense liste des 14.000 migrants morts aux frontières de l’Europe. Créée en 2004 pour gérer les frontières extérieures de l’Europe, l’agence Frontex est la cause de l’errance de Marcel Amyeto dans le désert, et de la mort de nombreux migrants qui y sont refoulés. Cette agence est censée être en charge de « la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures », former les garde‑frontières nationaux, et suivre les questions « présentant de l’intérêt pour le contrôle et la surveillance des frontières extérieures ».

Mais Frontex ne se limite pas à « gérer les frontières extérieures » de l’Union européenne depuis les côtes européennes. Elle agit aussi depuis les côtes d’Afrique, et du Sénégal en particulier, avec lequel Frontex a signé un accord de « coopération ». Avec la collaboration des autorités sénégalaises, des navires « militaires » européens, agissant dans le cadre de Frontex, arraisonnent directement les embarcations de migrants. Avec, souvent des conséquences mortelles : des migrants meurent, se noient, disparaissent loin des regards.

Cette capacité de projection de Frontex au-delà des eaux européennes est rendue possible par ses immenses moyens : un budget de plus 88 millions d’euros en 2009, 21 avions, 25 hélicoptères et 113 navires armés. Un arsenal conséquent en comparaison de la marine sénégalaise, qui ne dispose que de 10 navires… « Combattre Frontex, c’est combattre la militarisation de la lutte contre les migrations et refuser que le Nord s’érige en forteresse qui dénie tous droits aux migrants », explique Mamadou Diop Thioune, président du Forum permanent de la pêche artisanale en Afrique. S’il s’implique dans cette mobilisation, c’est aussi parce que les navires de Frontex confondent souvent les barques des pêcheurs avec celles des migrants…

Les droits des migrants est l’une des questions majeures abordées au Forum social de Dakar. Du 3 au 4 février s’est tenue la Conférence mondiale des migrants, sur l’île de Gorée. Un lieu symbolique de l’esclavage, au large de Dakar, d’où partaient des navires européens remplis de femmes et d’hommes noirs, forcés à l’esclavage dans les Amériques.

De manifester à rédiger une charte des droits des migrants, le pas est fait

300 participants ont adopté sur cette île une Charte mondiale des migrants. Issue d’un processus initié en 2006, cette charte proclame une série de droits en faveur des migrants. Elle réaffirme qu’ils « sont les cibles de politiques injustes », auxquelles il s’agit d’opposer le « droit à la liberté de circulation et d’installation » sur l’ensemble de la planète.

Jelloul Ben Hamida, coordinateur des travaux, rappelle l’opposition des organisations de migrants à « toutes formes de restrictions des déplacements » : aux visas et autres formalités administratives, mais aussi aux frontières elles-mêmes. Cette charte représente une innovation. Une preuve que la société civile est capable d’élaborer des propositions concrètes. Adoptée sous les applaudissements, la charte incarne le « rêve de Gorée » pour de nombreux migrants.

En dépit du symbole et de l’enthousiasme des participants, de nombreuses interrogations demeurent sur la portée de cette charte. Seules les «  personnes migrantes » peuvent être signataires de la Charte, c’est-à-dire les personnes qui ont « quitté leur région ou pays, sous la contrainte ou leur plein gré, de façon permanente ou temporaire, pour une autre partie du monde ». Comment cette Charte peut-elle avoir un impact si elle n’est signée que par ceux qui sont directement victimes des politiques migratoires ? Pourquoi ne pas l’ouvrir à d’autres organisations ? Voire à des collectivités territoriales, comme cela a été demandé par des participants ? Comment établir un rapport de force avec les Etats, si seuls les migrants sont signataires ?

Mis à part la demande « de refonte de la conception de la territorialité et du système de gouvernance mondiale », peu de nouveaux droits sont proclamés. Il est regrettable que la Charte ne se prononce pas clairement sur la question des migrations écologiques. Alors que les crises climatique et énergétique, la perte de la biodiversité s’accélèrent et que le nombre de migrants écologiques devrait dépasser les 50 millions d’ici 2050. A la fin de la conférence, une proposition est faite pour donner plus de force à la Charte : chaque signataire pourrait disposer d’un « passeport universel ». Une façon pour les migrants de prouver qu’ils sont signataires de la Charte et de pouvoir invoquer, en cas de besoin, les droits mentionnés par cette Charte.

Illustrations Flickr CC Noborder, Geshmally et Mozzoom

Article d’Eros Sana publié initialement sur Bastamag sous le titre 14.000 personnes mortes aux frontières de l’Europe

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Yémen: l’effet domino? http://owni.fr/2011/02/04/yemen-manifestations-tunisie-egypte-effet-domino/ http://owni.fr/2011/02/04/yemen-manifestations-tunisie-egypte-effet-domino/#comments Fri, 04 Feb 2011 14:22:55 +0000 marine poirier http://owni.fr/?p=45286

Les mobilisations du 3 février au Yémen ont rassemblé des centaines de milliers de Yéménites à travers le pays. Corroborent-elles l’hypothèse d’une « contagion » des révoltes tunisienne et égyptienne à la seule République de la péninsule Arabique ? Si les protestations en sont solidaires, elles s’inscrivent pourtant dans des dynamiques internes spécifiques au champ politique yéménite.

Jeudi matin à Sanaa, des milliers de personnes se sont rendues aux portes de l’université pour demander le changement, la réforme du système politique et la lutte contre la corruption, voire, de façon plus minoritaire, le départ immédiat du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978. La dynamique protestataire yéménite n’est évidemment pas étrangère aux développements politiques régionaux. Les manifestants, qui rendent hommage et expriment leur soutien aux peuples tunisien et égyptien, semblent en effet fortement inspirés par le « gouffre immense dans le mur des dictatures arabes » occasionné, selon un journaliste local, par la chute de Ben Ali. En témoigne également la reprise par certains groupes des slogans scandés par les foules en Tunisie et en Égypte, relevés par la presse yéménite et diffusés en boucle sur les chaines satellitaires arabes au cours des dernières semaines : « Dégage », « Le peuple veut faire tomber le système » ou encore « Dehors les corrompus ».

Le Yémen, unique République de la péninsule arabique

Source: Wikimedia Commons

Pourtant, il ne semble pas inutile de rappeler les singularités de la configuration yéménite afin de ne pas comparer hâtivement ni de confondre des situations fortement contextualisées et évolutives. Née de l’unification en 1990 de la République Arabe du Yémen (au nord) et de la République Démocratique et Populaire du Yémen (au sud), la République du Yémen a longtemps représenté une exception à l’échelle du monde arabe. En effet, le processus démocratique engagé au lendemain de l’unité s’est traduit par l’essor des partis et organisations de la société civile ainsi que d’une presse libre, et l’organisation d’élections pluralistes en 1993.

Or, cette expérience est rapidement remise en question suite à la guerre de 1994 (qui voit les unionistes triompher de l’élite sécessionniste au sud) par la monopolisation du pouvoir par le président Saleh et son parti, le Congrès Populaire Général (CPG). Depuis, le contexte de la lutte contre le terrorisme a favorisé un recours plus systématique à la répression, alors même que le régime privilégiait historiquement l’intégration des forces politiques réelles, et notamment des islamistes. Malgré le déclin du pluralisme et le rétrécissement des libertés, le Yémen se distingue encore aujourd’hui par le pluralisme et le dynamisme de sa société civile, notamment « traditionnelle » (tribale et religieuse), qui représente à de nombreux égards des freins aux ambitions centralisatrices de l’Etat.

Aujourd’hui, le Yémen se trouve face à de nombreux défis économiques, politiques et sociaux, mais aussi énergétiques, démographiques et identitaires. Avec la dégradation du niveau de vie et la hausse du chômage, d’importants segments de la société yéménite sont marginalisés (le taux de chômage approcherait de 50% chez les jeunes, qui représentent plus de 75% d’une population de presque 24 millions d’habitants). La persistance de la guerre à Saada au nord du pays, qui oppose depuis 2004 les partisans du renouveau zaydite (chiite) à l’armée nationale, la poussée contestataire et sécessionniste dans les gouvernorats de l’ex sud Yémen, ou encore la multiplication des actions des mouvements affiliés à Al-Qaida, soulignent la multiplicité des fronts de l’opposition au régime du président Saleh. Ces facteurs d’instabilité et de violence représentent des sources majeures d’insécurité pour les Yéménites.

Des mouvements marqués par le contexte politique local

Ainsi, bien plus que l’effet des soulèvements dans la région, les manifestations récentes témoignent d’un mécontentement populaire lié à une situation complexe. Elles s’inscrivent surtout dans une bataille pré-électorale entre le parti au pouvoir, le CPG et la coalition des partis d’opposition, la Rencontre Commune, qui rassemble depuis une dizaine d’années des partis de la gauche nationaliste arabe et socialiste et plusieurs partis islamistes. En effet, depuis les dernières élections présidentielles en 2006, la Rencontre Commune, confortée dans son rôle d’opposant, est partie prenante du dialogue avec le CPG en vue d’une réforme de la loi électorale et de la constitution yéménite devant assurer davantage de transparence aux prochains scrutins. Les espoirs nés de cette première présidentielle concurrentielle sont rapidement déçus : le dialogue interpartisan n’aboutit pas aux réformes promises mais entraine une impasse politique majeure qui paralyse et polarise depuis plusieurs années la scène politique. Les élections parlementaires, initialement prévues en 2009, sont reportées à 2011 suite à une campagne de boycott de l’opposition qui refuse de s’y engager sans l’assurance des réformes électorales escomptées. En décembre dernier, suite à l’échec de nombreuses tentatives de conciliation avec l’opposition, le CPG se lance seul dans la compétition électorale et organise ses premiers rassemblements à travers le pays.

C’est en réponse au lancement de cette campagne électorale ainsi qu’à l’annonce d’amendements à la constitution (devant permettre au président d’être candidat à sa propre succession de façon illimitée) que la Rencontre Commune des partis d’opposition s’engage dans sa propre campagne, celle du boycott du scrutin et des projets de réforme du CPG, avec le soutien plus ou moins explicite de la communauté internationale. La mobilisation nationale du 3  février est venue conclure la première étape de ce programme de protestations, initié le 15 janvier dernier. Le président Saleh s’est engagé la veille de ces manifestations à ne pas se représenter aux prochaines élections et à ne pas transmettre la présidence à son fils Ahmad, annonçant également l’annulation des élections d’avril prochain et appelant l’opposition à reprendre les négociations.

Ces concessions, ainsi que l’annonce de la hausse des salaires des agents de la fonction publique et des forces de sécurité, et de la création d’un million d’emplois, n’ont eu que peu d’effets sur les partis d’opposition. Ces derniers ont préféré poursuivre leur programme, exhortant le pouvoir à une réforme complète du système politique. Les rassemblements se sont déroulés en accord avec les autorités yéménites et sans trop de violences, malgré des affrontements, dans le port d’Aden notamment. Ils ont pourtant vu la mise en place d’un important dispositif sécuritaire (encadrement policier, hélicoptère de surveillance mais aussi restrictions à la mobilité et intimidations). Les partisans du CPG ont organisé, quant à eux, des contre-manifestations de soutien au président, s’appropriant à Sanaa l’espace initialement prévu pour l’opposition.

Si la stratégie des partis de la Rencontre Commune n’est pas toujours très claire et cohérente, il semble peu probable que ses leaders optent pour une stratégie plus offensive. Eux mêmes fortement intégrés aux réseaux du pouvoir, ils semblent privilégier l’option d’une transition pacifique et progressive du pouvoir, à travers la réforme des institutions yéménites et des élections libres et transparentes. Ils ont donc tout avantage à canaliser les mécontentements populaires et s’en faire le porte-parole légitime. Cette politique n’est évidemment pas accueillie favorablement par tous, notamment au sud, mais aussi à Sanaa, où à la tombée de la nuit, des dizaines de jeunes poursuivent leurs protestations devant l’université.

Contrairement aux rassemblements de la matinée du 3 février, largement médiatisés et relativement réservés vis-à-vis du régime, les manifestants demandent expressément le départ du président et dénoncent les partis politiques dans leur ensemble, qu’ils considèrent incapables de soutenir leurs revendications.

Photographies par Jameel Subay

Carte du Yémen sur  Wikimedia Commons par Eric Gaba (CIA World Factbook)

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Manifestation contre Moubarak à Paris http://owni.fr/2011/01/29/manifestation-contre-moubarak-a-paris/ http://owni.fr/2011/01/29/manifestation-contre-moubarak-a-paris/#comments Sat, 29 Jan 2011 19:08:41 +0000 Ophelia Noor et Romain Saillet http://owni.fr/?p=44568

Mourabarak, Dégage ! Moubarak, Décadence ! Moubarak, Dictateur !

Le ton est donné par les manifestants rassemblés aujourd’hui à Paris près de l’ambassade d’Egypte. Dans la foule, de nombreux Égyptiens, mais aussi des Tunisiens et Algériens, venus “défendre la cause de [leurs] frères égyptiens” et relayer l’appel à la démission du gouvernement Moubarak.

Ils font écho aux nombreux manifestants qui secouent l’Egypte depuis hier, réclamant parfois au péril de leur vie la fin du régime d’Hosni Moubarak, à la tête du pays depuis 30 ans.  A 23h30, Moubarak était intervenu sur Al Jazeera, annonçant la démission du gouvernement, effective ce matin. Aujourd’hui, la mobilisation du peuple égyptien ne faiblit pas: des milliers de personnes étaient encore dans les rues des grandes villes du pays, et massivement sur la place Tahrir, au Caire.

Sur la place d’Uruguay à Paris, le message est clair : renvoyer Moubarak pour mettre en place une démocratie en Égypte. En début de rassemblement, quelques personnes se réunissent sur la petite place. Un manifestant, réfugié en France depuis plusieurs années, se fait le porte-voix du groupe face aux caméras. Il dit n’avoir jamais eu la chance de voter, ni d’avoir eu le choix d’un parti politique et d’un projet pour son pays.

Il ne faut pas laisser quelqu’un nous voler notre révolution. Nous on ne veut pas être des imbéciles, ni jouer le jeu de l’Amérique. On attaquera les soldats s’ils sont alliés à Moubarak. Je n’ai jamais voté, je serai content de le faire. L’Egypte n’est pas une monarchie. Moubarak et son fils doivent partir.

Beaucoup souhaitent un changement radical allant au delà du simple changement de régime: le droit de vote, la liberté d’expression, les droits de l’Homme, l’égalité hommes-femmes…

Certains insistent sur le rôle d’Internet dans la mobilisation.  De nombreux Égyptiens, expulsés ou réfugiés en France, ont continué leur combat sur les réseaux sociaux dont Twitter, nous confie une manifestante. Dès qu’Internet a été coupé en Egypte, ainsi que les communications par SMS, de nombreux moyens alternatifs ont été mis en place pour  permettre aux contestataires du régime de communiquer et de s’organiser.

Quelques dizaines de minutes plus tard, la place d’Uruguay est couverte de manifestants sous le regard du Général Artigas, le libertador de l’Uruguay. C’est une révolte et une colère contenues depuis une génération qui éclatent aujourd’hui sur cette petite place isolée du 16ème arrondissement de Paris, à deux pas des Champs-Elysées. Des drapeaux, des affichettes en format A4, ou des cartons sur lesquels on peut lire en français ou en arabe : “Solidarité avec le peuple égyptien, Moubarak assassin”, “Moubarak c’est l’heure de ta retraite, dégage”, “Bravo les jeunes pharaons”, “Solidarité avec la lutte du peuple égyptien”. On trouve également quelques mots, ici où là, pour soutenir la cause palestinienne.
Les mégaphones résonnent, au centre de la place où la foule est maintenant très compacte et électrisée. On scande des slogans en arabe, les mains et les drapeaux s’agitent dans les airs, un homme pharaon monté sur un banc interpelle les manifestants: “Moubarak doit partir !”

Plus tard, des militants du Parti de Gauche et du Nouveau Parti Anticapitaliste arrivent sur place, apportant leur soutien à ces révolutions populaires contre les pouvoirs en place.

A la fin du rassemblement, Olivier Bensancenot déclare:

Olivier Besancenot (NPA)

C’est aussi notre responsabilité de soutenir ici en France ce processus révolutionnaire contre leur gouvernement, et d’en prendre de la graine pour ce qu’on pourrait faire ici.
Je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir mais les révolutions sont contagieuses.

D’immenses drapeaux égyptiens sont agités par des manifestants, des drapeaux palestiniens, algériens et tunisiens déploient aussi leurs couleurs dans le froid glacé de Paris. Un groupe de jeunes Tunisiens se tient aux abords de la manifestation : pour eux, c’est un combat historique qui porte déjà ses fruits en Tunisie : “On peut enfin vivre, respirer, parler…”.
Cependant, leur gouvernement provisoire ne les convainc pas. Tous attendent avec anxieté la fin de ces six mois et croisent les doigts pour que les choses changent. Nous rencontrons aussi un jeune couple : elle est Algérienne, il est Égyptien. Eux aussi sont là “pour soutenir les frères, contre la dictature de Moubarak”.

L’espoir et l’attente sont grands, les Égyptiens tiennent à leur révolution qui ne doit pas leur échapper. Leurs regards sont tournés vers leur pays d’origine, mais aussi vers les autres peuples arabes :

Il y a beaucoup d’activistes aujourd’hui qui ont quitté l’Egypte, mais ils ne peuvent pas revenir, parce que revenir, ça veut dire se faire arrêter, et peut-être être tué ! Être opposant et vouloir rester dans le pays, c’est un courage extraordinaire ! Tous les peuples arabes attendent l’Egypte. Si on réussit à dégager notre dictateur, tous les chefs arabes vont partir. C’est le bon exemple pour les pays arabes.

Selon Indymedia Paris Ile-de-France, 90 personnes auraient été interpellées à l’issue de ce rassemblement.

Suivez en direct les évènements sur notre liveblogging : Après la Tunisie, l’Egypte s’embrase.


Son : Romain Saillet
Images : Ophelia Noor

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