Do you speak rock français ?

Le 14 septembre 2010

Thomas Grange s'intéresse aux enjeux linguistiques, mais surtout économique et marketing d'une tendance de plus en plus développée dans notre pays : celle des artistes français s'exprimant en anglais.

Retrouvez cet article et bien d’autres sur OWNImusic, que nous lançons avec joie ces jours-ci !

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Cocoon, Hey Hey My My, Gush, Puggy, Lilly Wood & The Prick, Izia, Puggy, Jamaica, Pony Pony Run Run… La langue de Shakespeare a-t-elle un peu trop contaminé la scène francophone ? Beaucoup vous diront que c’est la langue la plus naturelle pour faire du folk ou du rock. Mettons, mais les raisons sont sans doute autant économiques que culturelles…

Chanter en anglais : c’est cul-tu-rel ! Ou pas.

Il fut un temps où les décisions du CSA avaient un réel impact sur l’industrie musicale : en télé où M6 avait des obligations de diffusion de plages musicales sur des horaires de grande écoute, mais surtout en radio notamment avec ce fameux quota de 40% de chanson française (dont 20% de nouvelles productions), mis en place en août 2000.

Les maisons de disques avaient alors tendance à privilégier la signature de groupes chantant en français, radios et TV privilégiant dans les 60% restants les incoutournables mondiaux (on se souvient même du combat de fun radio face au CSA pour comptabiliser Guetta, Sinclar et Solveig dans le quota français, malgré des lyrics anglais, peine perdue).

Le mot d’ordre était alors clair : une démo en anglais, c’est poubelle direct !

Bonjour Mickey 3D, Sinsemilia, Java, Tryo, Eiffel, Matmatah, Kyo, -M- et consorts, ne prenons pas le risque de signer du yaourt anglais, qui nous priverait de diffusion radio. Inutile de penser international, un plan market piloté de la France n’est pas vraiment imaginable.

Lily Wood And The Prick

2003 – 2006 : la crise, sans réelle alternative

C’est dès 2003 que le marché du disque commence à réellement s’effondrer. Il y eut avant ça les copies de CD et Napster, où les statistiques eurent du mal à réellement montrer leur effet nocif. Mais la croissance du net à cette période et l’arrivée de l’iPod ont eu raison de l’inquiétude des maisons de disques (qui n’ont certes pas pris les bonnes initiatives vis à vis de leurs “consommateurs”, mais nous n’allons pas revenir là-dessus).

Seulement que faire pendant ce temps ? Les débits étaient encore trop lents pour la plupart des internautes, écouter de la musique ou même de la vidéo en streaming était quasi impossible, et les outils pas toujours opérationnels (flash ne lisait pas encore la vidéo, casse-tête entre windows media et real media, difficilement embedables dans de l’html…) : c’est finalement peut-être ça aussi qui a fait que les majors ont pris le mauvais chemin : le net ne leur proposait pas encore les outils adéquats.

2006 et après : l’avènement Youtube, Myspace et Facebook

Voici les outils dont je parle : simple d’utilisation et viraux, le contexte change alors totalement. Qu’il soit technologie ou.. géographique !

Le groupe français n’est plus, il n’est plus confronté à une concurrence locale, ni soumis à un quota. Le net a remontré que le paysage musical français était beaucoup plus vaste et hétérogène que ce que M6 et NRJ laissaient paraître.

Dans un premier temps, ce sont surtout les indés qui ont le plus parié sur le web : Sober & Gentle a parié sur Cocoon il y a 2 ans. Because a signé Justice, Soko et (re)lancé les Plasticines virées de EMI. Cinq7/Wagram a plutôt bien tiré son épingle du jeu ces derniers mois avec Pony Pony Run Run, Gush et Lilly Wood & The Prick.

Cocoon

Une stratégie réellement internationale ?

A court terme, je n’en suis pas certain. C’est surtout la popularité des groupes sur le web qui a atténué l’argument psychologique des 40% : c’est désormais le web qui amorce la popularité d’un artiste, et non plus le média radio ou télé. Chiffres à l’appui, la maison de disques a alors beaucoup moins de mal à convaincre la presse ou la radio.

Et à voir la tracklist de Virgin Radio ou du Mouv, cela se confirme : Soma et Pony Pony Run Run font partis des 5 titres les plus diffusés de la fin aôut, avec minimum 1 rotation par heure et demie…

A moyen terme, là où lancer un artiste à l’international était une stratégie très complexe à mettre en oeuvre, le web permet de pointer les régions où le potentiel est le plus fort, stratégie appliquée pour Cocoon où le disque est sorti au Japon, aux USA et en Australie. Au pire, on applique une simple stratégie de long-tail où l’album est disponible dans les catalogues internationaux d’Itunes ou Believe, sans réel plan de communication, mais où les ventes agrégées pays par pays sont de moins en moins négligeables.

Du côté des majors…

EMI est sans doute la maison de disques qui a pris le plus de risque dans les années 2000 à travers les Daft Punk, et Phoenix, signés depuis 10 ans déjà (par contre ils ont encore des efforts à faire en anglais!). Sony a lancé il y a quelques mois Soma et Universal a sorti fin août le premier album de Puggy.

De la pop très lisse, qui ne leur font pas prendre énormément de gros risques…!

Article initialement publié sur le site Ampelmann

Crédits photos : CC Flickr rocktrotteur joe.moore tite_inconnue

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