Les caméras refleurissent à Ploërmel

Le 3 novembre 2010

Une modeste ville du Morbihan vient de remettre en route un réseau de vidéosurveillance en partie débranché pendant deux ans suite à une décision du tribunal administratif. L’actuelle municipalité n’a pas voulu y renoncer, par souci d’économies...

À Ploërmel, dans cette « cité des Ducs de Bretagne » de 8.600 habitants, les caméras de surveillance sont aussi célèbres que la statue en bronze de Jean-Paul-II qu’a fait ériger l’ancien maire UMP Paul Anselin, en 2006. Ces deux faits d’armes n’ont d’ailleurs pas plaidé en sa faveur lors des élections municipales de mars 2008, puisqu’il a dû quitter son siège après plus de trente ans de mandat, battu par une coalition PS-Modem qui a aussi profité de la dissidence d’un ancien adjoint UMP de Paul Anselin.

La nouvelle équipe, dirigée par la maire PS Béatrice La Marre, n’a pas vraiment fait campagne pour la vidéosurveillance imposée par son prédécesseur. Mais elle ne l’a pas non plus trop ouvertement critiquée. À l’époque, Anselin faisait l’unanimité contre lui par son attitude un brin mégalo et paternaliste. L’épisode de la statue du pape, même en plein Bretagne catholique, en a agacé plus d’un. Son inauguration, en décembre 2006, sera même joyeusement perturbée par la BAC – la Brigade activiste des clowns. C’est avec la même autorité qu’il a imposé les caméras de surveillance. Ses arguments — « c’est pour juguler le trafic de shit à la gare routière ! » — n’ont pas amélioré l’image de la commune — elle a été sacrée « ville la plus sécuritaire » en 2006 par les Big Brother Awards.

21 sur 7 sites en marche

Il était donc difficile, pour l’opposition municipale, de faire campagne pour la vidéosurveillance, mais sans doute trop risqué de s’engager à s’en débarrasser une fois élue. Ainsi, pour calmer le jeu, un « audit » a été diligenté par la ville. L’idée était de « redéployer » les caméras en fonction des faits et des “délits constatés”. Pour Philippe Gaulier, l’adjoint à la « prévention jeunesse et à la protection civile » (un terme qu’il a lui-même préféré à celui d’ « adjoint à la sécurité »), la vidéosurveillance « est nécessaire dans certains cas, sur certains bâtiments, mais elle ne doit pas se substituer à la surveillance humaine ». Comme il nous l’a répété, « si le système n’avait pas été déjà en place, nous n’aurions sans doute pas fait le choix d’en mettre. Mais l’argent avait été investi donc nous avons décidé de les utiliser ». Il estime l’investissement antérieur à environ 100.000 euros.

Bilan : alors que les plans du maire précédent étaient d’atteindre cinquante-trois caméras sur quinze sites de la commune, depuis juillet dernier elles ne sont que 21 sur 7 sites à être en marche, selon l’autorisation délivrée en ce sens par une commission préfectorale1.

S’il a fallu plus de deux ans à la nouvelle équipe municipale pour en arriver là, c’est aussi « à cause » d’un groupe d’opposants, le collectif « Ploërmel sans vidéo », créé du temps de l’ère Anselin qui continue de veiller au grain. « Et encore, remarque Nicolas Josse, principal animateur du collectif, il était prévu de brancher 23 caméras sur 9 sites. Finalement, la commission préfectorale en a retoqué deux, qui devaient surveiller les services techniques et, surtout, la maison de l’enfance… »

Un collectif d’opposants actif

C’est déjà à la suite de son intervention que le tribunal administratif de Rennes, en février 2008, annulait l’un des arrêtés municipaux autorisant la mise en place des caméras (pour dossier « incomplet » et absence de motivations suffisantes). Conséquence : le maire avait dû en débrancher les trois quarts (31 sur 42).

Début 2010, la nouvelle municipalité a de nouveau perdu six mois car son nouvel arrêté de janvier 2010 était entaché de vices de formes, comme s’en est félicité Nicolas Josse. Finalement, l’acte rectifié est paru le 23 juin. Josse reproche déjà à la municipalité de ne pas lui avoir communiqué ce texte dans les règles. Il se pourrait bien que d’autres bâtons juridiques se retrouvent dans les roues de la mairie très prochainement.

« Rien ne justifie qu’on ait recours à ces caméras à Ploërmel, avance l’opposant. Dans le nouvel arrêté, les pièces annexes ne montrent pas l’implantation des caméras par rapport aux données des assurances ou des délits ou voies de fait relevés par la gendarmerie, poursuit Nicolas Pousse. Ce point avait déjà été relevé par le tribunal administratif en 2008. »

Coûteux yeux high-tech

Question finances, le « redéploiement » a quand même eu un coût. Pour une municipalité qui n’en aurait « sans doute » pas eu recours sans l’ancien maire, la facture s’élève tout de même à près de 80.000 euros (audit et « mise aux normes » compris). Heureusement, l’État a mis la main à la poche — c’est le rôle du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (30 millions d’euros par an pour aider les communes à se « vidéoprotéger »). Ploërmel a reçu 45.000 euros, plus de 50% du nouvel investissement. « Sans cet argent, assure-t-il, on n’aurait pas remis le réseau aux normes. »

Les caméras qui ont survécu, acquises en 2007, ont encore du cachet. Leur forme est binoculaire — deux objectifs, l’un pour le jour, l’autre infrarouge pour vision nocturne. Les spécificités techniques de ces yeux high-tech2 montrent qu’ils ont aussi des oreilles : un microphone permet, s’il est activé, d’enregistrer l’ambiance sonore du lieu à quelques dizaine de mètres à la ronde. Elles « parlent » aussi : un haut-parleur intégré permettrait de rappeler à l’ordre les « contrevenants », comme c’est le cas dans la charmante ville anglaise de Middlesborough, pionnière en la matière. « Nous ne mettrons jamais en place ces dispositifs » rétorque Philippe Gaulier, pour qui le terme « vidéoprotection » n’est pas une vue de l’esprit. « C’est en effet de la protection des bâtiments publics, pas de la surveillance des gens. Aucun de nos agents n’est affecté au visionnage des écrans. Tout se fait a posteriori, pour identifier les responsables de dégradations. »

Et comme dans les « grandes villes », Ploërmel a dégainé son « comité d’éthique », traditionnel gadget destiné à répondre aux critiques et vérifier le respect des engagements. Il n’est pas prévu que Nicolas Josse soit invité à y siéger. Il aurait, de toute manières, « décliné l’invitation ». « C’est une blague. Le président de ce comité, c’est Mme le maire… »

  1. Arrêté du 23 juin 2010, Recueil des actes administratifs du Morbihan, page 56 []
  2. Pour ceux que les détails techniques intéressent, voir le site du fabricant []

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