Tunisie, Twitter, WikiLeaks et l’indécence

Le 10 mars 2011

Pour Bruno Walther, il faut raison garder : les événements en Tunisie, "c’est la révolte assez classique d’un peuple contre son oppresseur". Le poids de l'Internet dans le processus doit être très relativisé.

Ndlr: Billet publié sur owni le 19 janvier 2011. Rendez-vous le 22 mars pour la Nuit-Sujet Owni/Radio Nova sur le thème “Dégage” autour de la mise en réseau du monde et de son impact politique global.

Certains veulent nous faire croire que ce qui se passe en Tunisie est une WikiLeaks et Twitter révolution.

Cette analyse n’est pas seulement insultante pour le formidable courage de la jeunesse tunisienne et ses martyrs. Elle traduit une époque, où le temps se réduit et le poids de l’histoire et des dynamiques sociales sont systématiquement gommés.

Sur le fond, la révolution tunisienne n’a pas grand chose à voir avec le graph social ou l’opendata.

Depuis 1987, Ben Ali a construit un système de parti unique dominant le moindre espace public où la police et la bureaucratie étaient aussi omniprésentes que kafkaïennes. Un pays où la moindre fenêtre d’expression était fermée. Où même vos mots de passe étaient filtrés par le gouvernement. Et surtout, Ben Ali a instauré une économie mafieuse où les richesses, mêmes les plus infimes, étaient systématiquement captées par la famille régnante. Impossible d’y faire grossir une boite sans, qu’à un moment ou un autre, Trabelsi s’invite dans votre capital.

Et lorsque vous  affamez un peuple,  le privez d’un droit à l’avenir, il préfère toujours prendre le risque de la mort plutôt que continuer à vivre sans espoir. C’est précisément ce qui s’est passé en Tunisie.

Et nos zélateurs de la Twitter révolution oublient un peu vite que Mohamed Bouazizi n’a pas publié un post pour protester contre la saisie musclée par la police de son étal de fruits et légumes.

Non !

Il s’est d’abord installé devant les bureaux du gouverneur – le représentant des autorités de Ben Ali – de Sidi Bouzid. Et là, il a fait le choix conscient de se donner la mort. De se sacrifier. De s’immoler par le feu.

Le peuple de l’intérieur, le plus désespéré, a payé le prix du sang

Et c’est le peuple de l’intérieur du pays, le plus désespéré, qui a bravé la peur et la répression policière pour faire tomber ce régime. C’est lui qui a payé le prix du sang.

Sur la forme, certes le web a permis de contourner la censure, de faire surgir les images des répressions. Mais sur le fond, avec ou sans le web ce régime serait tombé.

Simplement, parce que lorsque une jeunesse préfère s’immoler par le feu que de continuer à vivre l’injustice, aucune dictature ne peut tenir. En Tunisie, c’est la révolte assez classique d’un peuple contre son oppresseur.

Quant à WikiLeaks, expliquer que les milieux dirigeants auraient pris conscience de la corruption des Trabelsi, en lisant les câbles américains, est juste ridicule. La prédation des Trabelsi sur l’économie tunisienne imprégnait l’ensemble de la vie tunisienne.

Pour autant, il y a un sujet sur lequel l’Internet aura probablement un impact sur la révolution en cours. La nouvelle Tunisie, ouverte et libre, peut se construire avec et autour du Net.

Elle dispose d’atouts incontestables. Une jeunesse correctement formée. Une réelle empathie pour le Net. Et surtout, comme toute société qui sort d’une longue tyrannie, d’un potentiel créatif explosif.

La nouvelle Tunisie peut devenir le hub technologique et créatif du monde arabe.

Billet initialement publié sur Marketing geek

Image CC Flickr anw.fr

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