Sur les traces de la PirateBox

Le 20 avril 2011

Échanger des fichiers librement, surfer sur le web en contournant la vigie Hadopi, c'est ce que propose la PirateBox, créée par David Darts, professeur à l'université de New York. Une lunch box punk en mode WiFi & DIY.

Passer un week-end à la campagne a du bon : rien de tel qu’une randonnée pour entretenir vos muscles et voir les effets de la rurbanisation. Se mettre au vert, c’est aussi l’occasion d’un apéro au cours duquel vos amis vous soufflent votre prochain sujet de post. Samedi soir, c’est donc au pote/DJ/producteur de drum n’bass-dubstep Jean Zar de délivrer le précieux mot clé : PirateBox. Qu’il soit à nouveau remercié ici, la notion de piratage urbain me taraudant depuis la visite de la Demeure du chaos.

Les corsaires du XVIIIe siècle auraient pu se cantonner aux cours de récré si leurs aspirations ne nourrissaient pas aussi celles des adultes. Que mettent en scène des œuvres aussi différentes que la saga Pirates des Caraïbes et le célèbre essai d’Hakim Bey, TAZ [pdf] - Zones d’autonomie temporaire (1997) ? Des individus réunis dans des espaces démocratiques où chacun échange et partage librement, en marge d’un État centralisateur distillant l’information au compte-goutte à ses populations. À moins d’être vraiment réac’, comment ne pas adhérer ?

Hadopi, muse des hackers ?

Intéressons-nous à Bey. Dès le début du web, il voit dans ce réseau non hiérarchisé d’informations le terreau idéal pour ses zones temporaires d’autonomie. L’évolution de la marche mondiale lui donnera raison :

Comme Gibson et Sterling, je ne pense pas que le Net officiel 1 parviendra un jour à interrompre le Web ou le contre-Net2. Le piratage de données, les transmissions non autorisées et le libre-flux de l’information ne peuvent être arrêtés. En fait la théorie du chaos, telle que je la comprends, prédit l’impossibilité de tout Système de Contrôle universel. Le web n’est pas une fin en soi. C’est une arme.

Une arme ? Plutôt un arsenal : co-production de logiciels libres, hackers, espaces d’expression participatifs et communautés affinitaires sont autant de techniques permettant de contrer lois et monopoles.

Dernière pépite française en date, Hadopi, ou comment faire la chasse aux internautes soupçonnés de télécharger illégalement des fichiers sur le principe du mouchardage. Dans un premier temps, des acteurs privés comme les ayants droit et les éditeurs épient puis dénoncent les adresses IP des ordinateurs incriminés en s’invitant dans les échanges  peer-to-peer. Le ver est dans le fruit.

C’est ensuite Hadopi (donc l’État) qui sévit : mails d’avertissement, lettres en recommandé, amende, voire suspension de connexion ou procès. Surveiller et punir, on connaissait déjà la chanson. C’était sans compter sur la débrouillardise des internautes fort empressés d’appliquer la stratégie de la disparition si chère à Nietzsche, Foucault et Deleuze. S’extraire du regard omniprésent de la loi en cryptant l’adresse IP de son ordinateur personnel ou en indiquant une fausse.

Le développeur allemand I2P [en] propose ainsi un réseau d’adresses IP anonymes. Le navigateur libre Mozilla va dans le même sens en proposant la fonctionnalité Do not track [en]. Cette stratégie renvoie peut-être à deux demandes de liberté plus fondamentales : celle d’échanger librement des paroles et des fichiers, et celle d’utiliser le web anonymement, en toute privacité 3, sans être traqué par d’innombrables mouchards – sites, navigateurs et moteurs de recherche en tête. Les données de votre connexion Internet engraissent bien des informaticiens et des marketeurs !

Elle revient à moins de 100 euros

Si cette dernière phrase vous donne la chair de poule, c’est que la PirateBox [en] est pour vous. Conçue par l’universitaire new-yorkais David Darts [en], c’est une boîte à repas pour enfants… abritant une plateforme WiFi portable permettant de chatter et de partager tous types de fichiers dans le plus parfait anonymat. Sobrement composée d’un routeur wireless, d’un serveur Linux connecté à un disque dur USB et d’une batterie, la PirateBox permet à tout internaute se trouvant à proximité de se connecter et d’échanger avec les membres du réseau. De quoi satisfaire les plus mobiles d’entre nous !

Fonctionnant en réseau fermé (pas de raccord avec d’autres box ou d’autres sites), les avantages sont nombreux : le caractère éphémère et hyperlocal du réseau permet de rencontrer de nouvelles têtes partout où se trouve une PirateBox. On rompt ainsi avec l’entre soi assez typique des communautés supposées plus ouvertes (Facebook, QuePasa…).

D’autre part, le fait que la box n’enregistre ni votre adresse ni votre historique de navigation permet d’échanger des fichiers sans risquer de passer sous les fourches caudines des sbires d’Hadopi. Mobilité, privacité et simplicité semblent les atouts de cette box enfantine. Histoire de joindre l’utile à l’agréable, le design du skull apporte un doux parfum de détournement.

Mais le plus fort dans cette affaire, c’est que, dans le plus pur esprit Do It Yourself, vous pouvez monter une PirateBox vous-même pour moins de 100 euros. David Darts est un mec bien, il vous laisse les tutoriels ici [en] ! On vous sent brûlant d’impatience, regardez ce petit docu4 :

Déjà utilisée à NYC, Oslo ou Paris, la boîte pirate est bien plus qu’un simple gadget technologique. En misant sur son caractère artisanal et privatif, elle relativise la notion (si tendance) de trace numérique.

À l’heure où l’on parle à tout bout de champ d’éditorialisation participative de la ville, la Box semble remixer plusieurs leitmotivs alternatifs : la générosité et la bonne humeur hippie, le no future punk des années 70, la méfiance des radios rock face aux industries culturelles et l’anonymat des  raves parties des années 1990.

La PirateBox n’en finit pas avec les traces. Elle permet aux usagers à la fois d’en laisser entre membres du réseau (amitiés naissantes, partage de fichiers et de valeurs), et de ne pas en laisser à leur insu à des acteurs du web intéressés par l’argent et/ou le pouvoir.

Le savoir, j’y ai droit !

On le sait, la technologie n’est qu’un outil. Elle ne donne ni le mode d’emploi clé en main ni le sens à la société qui l’utilise. Toute généreuse que soit la PirateBox, elle ne résout pas la confusion qui s’opère souvent entre désir d’accès pour tous au savoir et protection des droits d’auteurs. A moins de devenir soi-même un tyran, on ne peut systématiquement en appeler à la générosité forcée de celles et ceux qui créent quelque chose de leur tête et/ou de leurs mains.
Risquons-nous à cette banalité : en ce monde où il est difficile de ne vivre que d’amour et d’eau fraîche, il est légitime pour un créateur de vouloir et pouvoir gagner sa vie avec son travail. La PirateBox aurait t-elle le même potentiel d’effet pervers que les échanges peer-to-peer ?

David Darts propose la Free Art Licence5 [en], sur le principe du copyleft, double jeu de mot par rapport au copyright. Parmi les grands axes de celui-ci, copying in not theft !6. En d’autres termes, un auteur peut autoriser la copie, la diffusion, l’utilisation et la modification de son œuvre par des tiers.

Sans être juriste, on peut se rappeler ce que disait le sociologue Marcel Mauss il y a près d’un siècle : toute société, à commencer par celles traditionnelles non régies par l’argent roi, fonctionne sur le principe du don et du contre-don. Le fait d’avoir toujours une obligation de réciprocité, fut-elle symbolique (reconnaissance, soutien, participation), permet d’équilibrer les rapports sociaux et rend possible davantage d’égalité. Ce que fait l’autre est à la fois un don et un dû dès lors que je m’inscris dans la même logique d’échange.

Cette PirateBox, on l’aime parce qu’elle est accessible à tous, nous fait gagner en privacité et facilite la diffusion du savoir hors des seuls paramètres du profit. On l’aime aussi en ce qu’elle est un outil de questionnement sur nos pratiques de téléchargement et notre rapport à la production d’œuvres. Le débat amorcé par les licences libres et l’éthique sont de bonnes pistes.

Par exemple, cette maxime de la plate-forme de labels musicaux indépendants, CD1D : télécharger c’est découvrir, acheter c’est soutenir. Mais aussi, celle de Lénine reprise par quelqu’un de plus pacifique, Edgar Morin : moins mais mieux.


Publié initialement sur le blog Microtokyo, sous le titre, Avec la Pirate Box, partager votre butin !
Crédits photos et illustrations :
Photos de la Pirate Box par David Darts [cc-by-nc-sa] ; Logo du Copyleft stylisé pirate ; Leaker-Hacker par Abode of Chaos [cc-by] sur Flickr

  1. ndlr : réseau d’informations réservées aux élites []
  2. ndlr microtokyo: celui qui encourage les usages illégaux et rebelles []
  3. ndlr OWNI : vie privée. Privacité, calque de l’anglais privacy []
  4. À voir aussi : Piracy For Privacy – Introducing The Pirate Box from Bayer in Brooklyn on Vimeo []
  5. en français : Licence Art Libre – LAL []
  6. la copie n’est pas du vol []

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