Apple n’aime pas la culture populaire

Le 11 juin 2011

Les industries culturelles considéreraient-elles la culture populaire comme illégitime et productrice de spectateurs pirates? Notre culture n'aurait-elle pas de valeur face à leur économie? Pier-Alexis Vial nous livre son point de vue.

Pas un long billet cette fois-ci, juste une petite note pour parler d’une nouvelle invention de la firme à la pomme fleurant bon le mépris des foules et la défense acharnée du monopole des industries culturelles. En effet, un article du New-York Times rubrique Technologie nous apprend que les appareils portables fonctionnant sous iOS et équipés d’une caméra vont bénéficier d’un tout nouveau senseur infrarouge permettant de détecter si votre prise de vidéo est autorisée ou non: ceci pour savoir si, une fois dans la salle, vous jouez au vilain pirate de concert ou de cinéma.

Culture populaire, concurrence déloyale

Ici, à Culture Visuelle, maints et maints articles ont souligné les efforts des industries légitimes pour faire passer l’acte d’appropriation d’une œuvre par le spectateur pour de la vulgaire piraterie. En quelque sorte, c’est le soulignement implicite que la culture populaire, illégitime face aux industries, représente une concurrence sérieuse et en quelque sorte déloyale face aux entreprises ou aux administrations étatiques qui proposent un chemin vers la culture qui est le seul propre, c’est à dire légitime, autorisé, et forcément contrôlé.

En bref c’est le musée et les historiens de l’art qui décident de ce qui est de l’art, ou pas, et ce sont les enjeux économiques des entreprises audiovisuelles qui les poussent à promouvoir des canaux de diffusion régulés par une autorité hautement responsable.

Or, à mon avis, le débat n’est pas vraiment là. Il y a surement les “pirates de fond”, dont la pratique culturelle ne passe que par le téléchargement illégal. Mais il y aussi, et à mon avis en majorité, des gens comme vous et moi qui profitent simplement de leurs expériences pour se créer une culture dite vernaculaire, “faite maison”, hors d’un contexte d’apprentissage donnée (écoles ou autres).

Ce sont en quelques mots tous les savoirs, les techniques que l’on peut apprendre par soi-même, ou avec sa communauté : cela va des livres qu’on lit et qui ne sont pas au programme de terminale jusqu’au visionnage de vidéos de conférences sur Youtube par exemple.

Que sommes nous face à l’art?

Principalement des amateurs, plus ou moins “éclairés” comme on dit.
Mais pas nécessairement des consommateurs sans âme : le mécanisme d’appropriation, comme le décrit André Gunthert, est avant tout “l’acte de transformer en expérience personnelle un spectacle institutionnalisé“.

Un symptôme du rejet de ce mécanisme est par exemple l’interdiction de photographier dans les musées, ce qui a donné lieu à de vives réactions (pour et contre) et à quelques actions amusantes et pertinentes du groupe OrsayCommons qui résument le malaise qu’engendre ce type de situation.

Au fond, pour André Gunthert, “la photo n’est pas l’ennemi du musée“. La vidéo non plus ne devrait pas être l’ennemi du concert.

Le groupe Daft Punk l’a bien compris et c’est pourquoi ils ont joué la carte populaire en se servant des spectateurs pour filmer le clip d’un de leur tube joué en direct lors de leur tournée Alive en 2007:

Nous avons vu ici des exemples de productions par les amateurs eux-mêmes, dont chacun pourra se faire une opinion, mais le problème est le même en ce qui concerne la simple diffusion de produits culturels. Prenons l’exemple du jeu vidéo :

Un des grands plaisirs du joueur, et je m’inclue fortement dans cet exemple, était d’échanger dans la cour de récréation ses jeux terminés avec ceux de ses camarades : d’abord parce qu’un jeu ce n’est pas donné (je me souviens qu’un jeu de Nintendo 64 dans les années 90 pouvait atteindre 400 francs neuf dans une boutique spécialisé, et qu’aujourd’hui certains jeu de PS3 atteignent les 65 euros), ensuite c’est également la meilleure manière de tester si celui-ci va vous plaire, ou non.

S’est développé alors un véritable marché de l’occasion, autant entre particuliers que dans les boutiques, remis en cause aujourd’hui parce qu’étant supposé être un fléau pour l’industrie du jeu vidéo, alors même que de l’avis de certains revendeurs le téléchargement légal est une menace pour leur activité! Enfin, les professionnels de la profession eux-mêmes le déclarent : “l’occasion est un plus gros problème que le piratage“.

Comprenez : c’est l’attitude du consommateur qui n’est pas conforme aux volontés de l’industrie. Le produit, même acheté au prix fort,  ne m’appartient donc pas totalement : si je le prête à un ami, je suis un filou qui ne respecte pas le droit d’auteur (je l’ai quand même payé!). Donc je n’obéis pas aux canaux de diffusion réglementés et autorisés par les éditeurs de jeu. Ma culture n’a pas de valeur face à leur économie.

Suspicion des industries envers les consommateurs

Ne serait-il pas possible de réfléchir à une autre voie? Ou acceptera t-on au final, pour profiter des nouvelles technologies, le fait que nous ne pourrons en faire ce que nous voulons, que leur utilisation sera toujours strictement contrôlé? Déjà des voix discordantes avec le discours culpabilisant sur le piratage se font entendre : non, le piratage ne serait pas si catastrophique que cela pour l’industrie.

Et même sans parler de piratage, le simple fait de se mouvoir en tant que consommateur entre toutes les plateformes que l’on veut ne doit pas sembler illégitime : Steve Jobs en fait d’ailleurs les frais lorsque ses produits Apple engendrent des contraintes injustifiées en vertu de sa position monopolistique.

Tout cela est le symptôme d’un sentiment de suspicion des industries envers les consommateurs : vous n’êtes pas d’abord un client, même pas un être humain, vous êtes une personne susceptible de faire des choses non autorisés par le biais d’appareils si durement développé pour votre plaisir légitime. Mais grand seigneur, Apple va développer des outils qui permettront de vous faire confiance : plus question de vidéos de concerts prises “à l’arrache” avec votre Iphone et qui finissent sur Youtube, plateforme qui de toute manière y trouvera bien un copyright qui dérange.

“Broadcast Yourself”

La question est:

Pense t-on réellement qu’un marché parallèle de vidéos “pirates” de concert ou de films se développe en dehors du contrôle des industries culturelles et menace leur économie?

Un petit tour sur Youtube permet de se rendre compte qu’il s’agit surtout d’une pratique  de l’expérience personnelle, un “j’y étais” qui ressemble plus à l’effet carte postale de certaines photos de vacances qu’à un trafic organisé de produits alternatifs. Le fait de développer une technologie capable d’empêcher de filmer dans une salle de cinéma a aussi une consonance ridicule : à part empêcher la fuite de quelques images exclusives d’un film, personne n’est dupe du fait que l’internaute qui voudra le regarder de façon à peu près correcte sans se détruire les yeux le téléchargera de manière légale ou non.

Donc le spectateur ne peut filmer ce qu’il veut. Il doit se soumettre à une culture donnée qui est celle dictée par les industries, qui nous créerons bien un jour une charte de l’utilisateur responsable. Au fond, la HADOPI n’en est pas si loin avec l’idée de créer des loigiciels espions à injection volontaire. L’économie des marchés culturels n’a que faire de l’appropriation, de la vie de l’amateur tentant de dresser un portrait de son monde, de sa communauté, qui soit à son image et non pas celle imposée par un circuit de diffusion ne tolérant pas le moindre écart.

C’était au fond le rêve promis par le “Broadcast Yourself” de Youtube à sa création, avant que la plateforme, maintenant proriété de Google ne soit envahie par des vidéos “officiels” : clips officiels de chanteur, bandes annonces de films approuvés par les majors, récupération de phénomènes internet par les tenants de l’industrie pour les institutionnaliser et dont le cas Keenan Cahill est un très bon exemple…

Difficile de croire qu’en 1984, avoir un Mac pouvait être synonyme de liberté d’esprit, d’ouverture, comme le montre cette publicité:

Mais il faut croire que depuis, une erreur 404 a du advenir quelque part…


Publié initialement sur Culture Visuelle/Le Visionaute sous le titre, Apple n’aime décidemment pas la culture populaire (mais n’est pas la seule)

Crédits photo:
Culture Visuelle
Via Flickr, imuttoo [cc-by-sa]

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