Le Pen vs. Le Pen: tuer le père

Le 2 août 2011

Le silence gêné de Marine Le Pen face à la sortie fracassante de son père sur la Norvège illustre la volonté de tourner la page de l'ère Jean-Marie. Décryptage exhaustif de la nouvelle communication du FN.

L’irruption intempestive de Jean-Marie Le Pen sur la Norvège est une illustration symptomatique des obstacles que la stratégie de communication frontiste s’efforce désormais de contourner pour effacer les relents sulfureux qui ont toujours collé aux basques de son président d’honneur. Pour augmenter sa percée dans l’opinion publique, Marine Le Pen opère depuis plusieurs années un repositionnement où les idées courtes des crânes rasés de skinheads doivent faire place à une rhétorique toujours aussi ferme mais plus policée. Chercheur au CNRS, Gilles Ivaldi résume parfaitement la problématique communicante de la fille de son père : « Marine Le Pen s’est construite sur deux piliers : l’option stratégique de la crédibilité et la présence médiatique ».

De fait, les mots et les thématiques vont à partir de 2006 être beaucoup plus soigneusement calibrés que les éructations ouvertement polémiques de Jean-Marie Le Pen. Ainsi, lorsque Marine Le Pen publie son livre « A contre-flots », elle s’applique notamment à développer une vision dissonante de celle de son pater familias sur la Seconde Guerre Mondiale pour lequel l’occupation nazie n’était « pas inhumaine ». De même en 2009, elle récidive dans sa prise de distance envers la logorrhée paternelle au sujet de la Shoah que Jean-Marie Le Pen avait qualifiée de « détail » de l’Histoire. Au cours d’une émission télévisée, elle réaffirme ne « pas penser » que les chambres à gaz « soient un détail de l’histoire».

Virage sémantique toute !

Aux discours musclés de son père, elle privilégie une ligne populiste moins segmentante et réductrice. Pour définir sa rénovation discursive, elle cite volontiers un aphorisme de Georges Bernanos : « Il y a une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite. Il n’y a qu’un peuple ». Dès lors, la sémantique frontiste va s’évertuer à se patiner tout en martelant son inflexible fonds de commerce populiste.

Jean-Yves Camus, chercheur à l’Iris (Institut de Relations Internationales et stratégiques) est convaincu de cette opération de normalisation pour mieux et plus largement irriguer les idées frontistes. Pour lui, la communication de Marine Le Pen  fonctionne « non pas en ostracisant la radicalité mais en bannissant les provocations radicales. Elle ne demande pas aux militants d’abjurer leur radicalité mais de faire en sorte qu’elle ne soit pas un boulet ».

L’exercice d’équilibrisme rhétorique qu’emprunte le Front National n’en demeure pas moins une cosmétique communicante destinée à rendre fréquentable le parti et le sortir du ghetto politique dans lequel il a été longtemps confiné en dépit de quelques succès électoraux çà et là. Dans leur dernier ouvrage sobrement intitulé« Marine Le Pen » , les journalistes-essayistes Caroline Fourest et Fiammetta Venner démontent la mécanique verbale de la cheftaine du FN : « La nation sert à maquiller le retour au droit du sang, la République à habiller la préférence nationale, voire la préférence culturelle et la laïcité à réhabiliter l’identité chrétienne ».

Recherche cautions désespérement

La tactique communicante du FN ne procède toutefois pas d’un simple rhabillage du vocabulaire référent du parti. Là où Jean-Marie recourait goulument aux postures « folkloriques » teintées d’agressivité à l’égard des juifs, des immigrés et de la nébuleuse « UMPS » pour exister dans le paysage politique, Marine Le Pen entend crédibiliser son discours plutôt d’agiter le chiffon rouge de la provoc’. Outre une purge des vieux fanas-milis de l’Algérie française et du IIIème Reich dans les instances dirigeantes du FN, elle s’est également entourée d’experts (dont beaucoup souhaitent toutefois demeurer anonymes) issus de la haute administration, du monde de l’entreprise, des intellectuels et des juristes. Ce sont eux qui ont par exemple nourri et argumenté, chiffres à l’appui, la profession de foi du Front National intitulée « 12 étapes essentielles pour sortir de l’euro ».

Dans le même registre de gain en crédibilité, voire de notabilisation, le Front National s’est doté depuis septembre 2010 d’un think tank entièrement dédié baptisé « Idées-Nations ». Dirigé par Louis Alliot, le compagnon à la ville de Marine Le Pen, ce club de réflexion vise à agréger les idées issues de personnes de la société civile pour alimenter la plateforme programmatique du FN en vue des élections présidentielles de 2012. Colloques, interventions de personnalités expertes dans leur domaine, rien n’est négligé pour conférer une image de sérieux loin des débordements outranciers de Jean-Marie Le Pen.

Enfin, pipolisation de la vie politique oblige, le Front National s’est livré à un mercato de recrues de personnalités célèbres dont la plus emblématique provient sans nul doute du soutien officiel du très cathodique avocat Gilbert Collard. En mai 2011, le vibrionnant homme de loi est le premier à franchir le Rubicon en annonçant publiquement son ralliement à Marine Le Pen: « Je n’ai pas pris ma carte au Front national, mais je suis très ami, et de longue date, avec Marine Le Pen. Je suis mariniste. Mon lien est avec elle ». En agissant ainsi, il brise un tabou qu’un autre bretteur avait déjà bien ébréché en mars 2011. Ce dernier n’est autre que le journaliste et ancien président de Reporters sans Frontières, Robert Ménard. Dans un pamphlet remarqué, le trublion s’insurge contre la petite élite qui « traite les électeurs du FN comme des crétins égarés » et prend la défense de Marine Le Pen. A mesure que la campagne électorale va battre son plein, il ne serait désormais pas surprenant de voir d’autres noms connus rejoindre à leur tour le comité de soutien de Marine Le Pen et servir ainsi la stratégie de respectabilisation du FN.

Appel du pied aux grands médias

Cette stratégie s’est en plus doublée d’une médiatique opération séduction de Marine Le Pen. Là encore, il s’agit d’estomper le côté para prêt à en découdre et humour bourru de corps de garde que le père a toujours eu plaisir à imprimer. Pour Marine Le Pen, cela s’est d’abord traduit par un relooking total. Loin d’être superfétatoire, celui-ci entend ainsi afficher l’image d’une femme souriante, moderne (divorcée deux fois et mère de trois enfants), adoptant des tenues plus glamour et féminines et se délestant au passage de plus de 10 kg. Autant dire qu’on est loin des caciques à l’air martial et cheveu ras, suintant la naphtaline des vieilles valeurs françaises.

Ce nouveau look a eu tôt fait de décomplexer une partie des médias traditionnels. Autant l’invitation d’un Jean-Marie Le Pen sur un plateau de télévision était inéluctablement précédée d’indignations et de cris d’orfraies  de nombreux journalistes, autant Marine Le Pen n’a quasiment aucune difficulté à amadouer les émissions qui comptent (hormis les réfractaires avérés que sont les talk-shows de Michel Drucker et Laurent Ruquier). Là où son père morigénait sans encombre les journalistes et les assommait de blagues graveleuses à tire-larigot, elle joue au contraire la carte de la séduction. Là où son père privilégiait la presse d’extrême-droite pour décocher ses formules à l’emporte-pièce, elle snobe ostensiblement des titres comme Rivarol, Minute et Présent. De même, elle n’a pas levé le petit doigt en 2008 pour continuer à subventionner l’hebdomadaire du parti, National Hebdo en proie à des difficultés financières. Résultat : le titre a déposé le bilan.

Le chercheur Jean-Yves Camus décode cette évolution à 180° à l’égard du monde des médias classiques :« Marine Le Pen n’a pas besoin de la presse d’extrême-droite. Ce sont ses apparitions dans les grands médias qui lui ramènent des électeurs, pas l’éventuel soutien de journaux proches ». Un pari gagnant puisque Marine Le Pen a été invitée deux fois en 2010 dans l’émission politique d’Arlette Chabot sur France 2. C’est encore elle qui a eu les honneurs du tout premier numéro de la nouvelle émission politique de la chaîne publique, « Des paroles et des actes » animé par David Pujadas. L’heure est donc à la détente avec les médias.

Un constat dont se réjouit le directeur de la communication de Marine Le Pen, Alain Vizier : « On est beaucoup moins ostracisé qu’avec le père ». Et côté journalistes, le ressenti est similaire comme le dit l’éditorialiste de RMC Info, Jean-Jacques Bourdin : « Elle est plus accessible que les autres, elle n’a aucune exigence avant une interview, elle ne demande pas qu’on lui communique les sujets abordés. C’est très facile de travailler avec elle ».

Le FN se met au 2.0

Les gains d’image glanés par Marine Le Pen constituent en tout cas un sacré atout pour le Front National sur Internet. Premier parti politique hexagonal à avoir créé un site dès 1997, le FN mise énormément sur la viralité du Web et des réseaux sociaux pour assurer son prosélytisme électoral. Le site officiel du parti enregistre ainsi plus de 400 000 visiteurs uniques par mois. La page Facebook du FN revendique 27400 membres, loin devant le PS (14995) et Europe Ecologie (10320).

Sur le front numérique, le parti de Marine Le Pen ne se contente pas d’engranger des « friends » mais évangélise à tour de bras en fournissant des contenus à répandre sur les forums généralistes, les sites grand public, les zones de commentaires, bref partout où le message est susceptible d’être lu.  Pour Louis Alliot, vice-président du FN, il est une évidence qui ne se conteste pas : « En 2012, la campagne sera numérique. Je pense que sur Internet, il y a moyen de toucher des publics très larges (…) Ce que j’aimerais, c’est réussir à convaincre des personnes qui ne le sont pas ».

Pour transformer cet entrisme numérique, le FN peut déjà compter sur le support très actif de sites particulièrement engagés dans la promotion des thèses frontistes pour ricocher dans les moindres recoins de la Toile. C’est ainsi que le blog « François Desouche » créé en 2005 par un communicant qui se veut anonyme, affiche plus de 10 000 visiteurs quotidiens au compteur. Autre site qui mise sur la viralité des propos : Novopress qui se définit comme une agence de presse indépendante et qui n’hésite pas à déposer ses vidéos sur les plus célèbres plates-formes d’Internet. Enfin, les fans de Marine Le Pen ont créé un site baptisé Nations Presse.info dont le préambule introductif donne clairement le ton : « Dotée d’un réseau de correspondants, non seulement sur l’ensemble du territoire national, mais aussi sur notre continent européen et au-delà, Nations Presse Info a la ferme volonté de promouvoir au sein de la Mouvance nationale, une réappropriation de l’information au quotidien, débarrassée de carcans idéologiques et philosophiques antinationaux ».

Derrière les retouches cosmétiques

Pourtant, dans cette stratégie de respectabilité, c’est le Front National lui-même qui est son propre ennemi. Malgré les débauches d’effort pour apparaître comme un parti « normal », le FN vit régulièrement à ses dépens le célèbre adage : « Chassez le naturel, il revient au galop ». Lors du drame atroce d’Utoya en Norvège, Jean-Marie Le Pen n’a pas été le seul à déborder du cadre dans lequel sa fille aimerait mouler l’appareil. Haut cadre du FN et conseiller de Marine Le Pen, Laurent Ozon n’a pas hésité à publier sur son fil Twitter ce qu’il fallait voir dans cet attentat : «Expliquer le drame d’Oslo : explosion de l’immigration : [multipliée par six] entre 1970 et 2009 » soit une « corrélation positive » avec les « tensions intercommunautaires en Norvège », déclenchant ainsi un tollé d’indignation.

Le fil Twitter de Laurent Ozon à propos d’Oslo (capture Rue89)

Sur le même sujet, Jacques Coutela, membre du Front National a été encore plus loin.  Sur son blog baptisé «La valise ou le cercueil » (sic !), le militant frontiste a posté un hommage (supprimé par la suite) à Anders Breivik présenté comme un « résistant », « une icône », « le premier défenseur de l’Occident », ou encore un «Charles Martel 2 ». Quelques jours plus tard, l’impétrant récidive en écrivant cette qu’Anders Breivik n’était pas« une icône, mais simplement un visionnaire face à la montée de l’islamisation de l’Europe ».

Or, le Front National n’en finit pas d’accumuler les dérapages au fil du temps. Ainsi en avril 2011, Marine Le Pen a dû exclure le conseiller régional Alexandre Gabriac après que des photos le montant en train de faire le salut nazi aient circulé publiquement. Plus récemment, deux autres élus FN ont posé problème. Candidat aux dernières cantonales à Reims, Thierry Maillard se voit reprocher la création d’une affiche électorale ayant repris la photo d’un adolescent blond des jeunesses hitlériennes. Conseiller municipal à Vénissieux, Yvan Benedetti n’a pas hésité à se déclarer « antisioniste, antisémite et antijuif » devant des étudiants en journalisme. Et la liste est loin d’être close.

Autant dire le plan com’ de réhabilitation du Front National aura bien du mal à oublier le code génétique d’un parti dont la xénophobie a toujours été le fonds de commerce. Il conviendrait simplement que cela soit un peu plus souvent rappelé et remis dans le contexte plutôt que de se contenter de faire de Marine Le Pen, une égérie médiatique.

__

Billet initialement publié sous le titre “Le Pen vs. Le Pen ou l’impossible contorsion du Front National” sur le blog du Communicant 2.0

Illustrations: Hugo Passarello Luna (tous droits réservés, reproduction avec autorisation)

Capture d’écran site www.ideesnation.fr

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés