Le drôle de manège de Disney

Le 5 janvier 2012

Deux accidents ont eu lieu en 2011 dans l'attraction "Le train de la mine" à Disneyland Paris. À chaque fois les élus syndicaux et les instances compétentes auraient été maintenus à distance par l'exécutif du parc. Les syndicats dénoncent l'opacité des enquêtes menées et fustigent un manque de moyen.

Le 27 octobre, deux wagons déraillaient dans l’attraction Le train de la mine à Disneyland Paris. Cet accident, heureusement sans gravité, est le second intervenu sur cette attraction en l’espace de six mois. La première fois, cinq personnes ont été blessées dont une gravement. Mais plus inquiétant, par deux fois la direction de Disneyland Paris aurait limité l’action des syndicats et empêché une expertise indépendante voulue par les services compétents. OWNI est allé faire un tour dans l’envers du décor.

Une expertise indépendante refusée

Un premier accident a eu lieu le 25 avril 2011. Lors du fonctionnement de l’attraction, un rocher du décor se décroche et, dans sa chute, blesse plusieurs adultes dont un homme de 38 ans, gravement touché à la tête. Admis aux urgences, opéré du cerveau, il ne portera pas plainte. Mais le parquet de Meaux ouvrira une information judiciaire.

Après le premier accident, l’attraction restera fermée pendant presque un mois, l’une des plus longues fermetures d’attraction depuis l’ouverture du parc. À la remise du rapport de l’expert, le parc, qui peut dans certains cas auto-certifier ses propres attractions, a rouvert Le train de mine à la fin du mois de mai, cinq mois avant le second accident. Un événement survenu dans un contexte lourd à Disneyland Paris, comme nous l’avions révélé au mois de novembre.

Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), chargé de la protection et de la santé des salariés du groupe, ainsi que les syndicats n’auraient pas obtenu l’autorisation de consulter ledit rapport. Le CHSCT, dans une décision du 1er juin 2011 décide la mise en route d’une autre expertise à partir d’enquêtes internes menées par le syndicat UNSA. Cyril Lazaro, syndicaliste à la CGT raconte :

La nouvelle expertise se voulait indépendante et ne ciblait plus seulement sur le Big Thunder [ Le train de la mine N.D.L.R] mais l’ensemble du parc et ses attractions. Vous savez, une expertise sur un parc de la taille de Disneyland Paris prend du temps. Et surtout, cela coûte de l’argent…

La direction du parc, pour des raisons encore inconnues, a décidé de s’opposer à cette démarche et a traduit en référé le CHSCT. Dans sa décision du 20 juillet 2011, le Tribunal de Grande Instance de Meaux a reproché au CHSCT de ne pas avoir suffisamment démontré l’existence d’un “risque grave” pour la sécurité des salariés et, par voie de conséquence, des clients du parc.

Le tribunal a également reproché au CHSCT de ne pas avoir agi en amont en menant des investigations “personnelles et objectives” avant la décision du 1er juin réclamant une nouvelle expertise. Le juge a néanmoins retenu que l’on pouvait :

considérer que les témoignages des salariés, les alertes sociales, les enquêtes d’origine syndicale produites justifient effectivement des investigations plus approfondies du comité.

Sur ces motifs, le tribunal a annulé la demande d’expertise du CHSCT qui a fait appel de la décision.

Le CHSCT mis sur la touche

Depuis, un second accident a donc eu lieu dans Le train de la mine. Cette fois, c’est une pièce de type “Catapillar” utilisée lors des opérations de maintenance, qui, en sortant du rail, aurait fait dérailler les deux wagons de tête. Deux des passagers ont été légèrement blessés. Ces blessures se sont révélées plus tard sans gravité. Pour Patrick Maldidier, responsable UNSA et technicien de maintenance :

On a eu une chance extraordinaire car l’opérateur de l’attraction a déclenché l’arrêt d’urgence à temps. Il y avait une trentaine de personnes à bord du train.

La réouverture de l’attraction est décidée quatre jours plus tard après validation par les pouvoirs publics. De leur côté, les élus syndicaux, dont plusieurs ont été informés de l’accident par voie de presse, et le CHSCT, compétent en la matière, n’ont pu accéder à l’attraction que quelques heures avant la réouverture et n’ont donc, de facto, pas participé à l’enquête.

Mi-décembre encore, Antonio Ferreira, secrétaire du CHSCT service technique, restait flou :

Elle [la cellule de crise mise en place par la direction N.D.L.R] a remis l’attraction en route sans que les membres du CHSCT aient pu y accéder. En clair, on a pu contrôler l’attraction seulement quelques heures avant sa réouverture. Aujourd’hui on ne sait pas pourquoi cette pièce a lâché. J’attends toujours le rapport de l’expert.

David Charpentier du syndicat FO se demande si cette zone d’ombre ne masque pas autre chose :

Il y a des protestations à l’égard du fait que l’on ait été tenu loin de l’enquête sur l’attraction. Si on nous tient à l’écart c’est que, peut être, il y anguille sous roche. Nous sommes alors en droit de nous demander si le niveau de compétence produit est maximum. C’est difficile de l’affirmer.

La CFDT s’est également étonnée dans un courrier adressé à Philippe Gas, président d’Eurodisney, que les délégués du personnel et les personnes compétentes du CHSCT n’aient pu “accéder sur le lieu de l’attraction et la zone de l’incident” qu’après que “le système défaillant” ait été mis “hors de vue de ces derniers. (…) Ce manque total de transparence laisse planer le doute quant à la véritable réalité de cet incident.”

Maintenance débordée et démoralisée

En 2008, le système de maintenance a été refondu, découpant le parc en territoires distincts. Chacun possédant sa propre équipe. Pour plusieurs salariés avec lesquels nous nous sommes entretenus, ce changement dans le fonctionnement de la maintenance aurait eu un impact direct sur la qualité du travail. C’est notamment ce qu’affirme Patrick Maldidier, responsable UNSA :

Avant, on résonnait par type de compétence. Avec le nouveau système c’est plus de la débrouille qu’autre chose. Des gens qui n’ont pas les compétences nécessaires s’occupent d’attractions sans avoir reçu les formations nécessaires. Aujourd’hui, beaucoup estiment que «la réorganisation» remet en cause la maintenance que l’on faisait avant.

Cependant, il reconnaît que “le nombre d’accidents par rapport au nombre de personnes reçues chaque jours reste très faible” et cela sans doute grâce au fait que “les attractions sont vérifiées tous les jours et des tests avec des salariés du parc sont effectués”. Selon lui, c’est plutôt le “taux d’accidentologie” chez les salariés qui est à remettre en cause à Disney :

Le taux d’accidentologie chez les salariés dépasse celui des travaux publics. On bat des records d’années en années. Les gens n’en peuvent plus. Ils sont épuisés moralement car la maintenance n’a pas suffisamment de moyens.

Un point de vu partagé par Antonio Ferreira, secrétaire du CHSCT :

Beaucoup d’installations actuelles sont vétustes et les effectifs n’ont pas augmenté avec l’arrivée de Walt Disney Studio. C’est-à-dire que l’on s’occupe d’une surface beaucoup plus importante avec le même nombre de techniciens. Sur le dernier accident, la pièce qui a lâché aurait très bien pu céder avec l’ancien système de maintenance. Cela n’a, sur ce cas spécifique, rien à voir. Mais vus les conditions de travail et les moyens insuffisants qui sont donnés au CHSCT…

Sur ces sujets, la direction du parc, que nous avons contacté à plusieurs reprises, a souhaité réagir sobrement. Par un lapidaire :

“Nous contestons ces éléments et ne souhaitons pas apporter d’autres commentaires”

Tout est dit.


Illustration par Loguy pour Owni [ccbyncsa]
Illustration additionnelle par Nuchi Corp via Flickr [ccbyncnd]

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