Si le PC vous auditionne aujourd’hui sur les fab labs, c’est d’abord parce que Yann Le Pollotec n’a pas arrêté de nous faire chier. (rires)
Plus sérieusement, le parti s’interroge sur les rapports entre écologie et production. Pierre Laurent, notre secrétaire national, a prononcé un discours important à ce sujet à Lille récemment. On est communiste, donc on est pour le partage. On est communiste, donc on est pour la révolution, et nous avons saisi le caractère révolutionnaire de ces outils présents dans les fab labs.
Hier, j’ai passé trois bonnes heures devant une poignée de membres du Parti communiste français, dont quelques cadres, pour leur expliquer en quoi consistait les fab labs, ces espaces collaboratifs de prototypage rapide nés au MIT qui font fantasmer aussi bien à droite qu’à gauche en raison de leurs supposées vertus à répondre aux défis posés par les crises actuelles. Cette audition était organisée par le LEM, ce Lieu d’Étude sur le Mouvement des idées et des connaissances, think tank (sic) du PC, au siège parisien place Colonel-Fabien, hiératique et surréaliste bulle temporelle tout droit sorti d’un James Bond période Sean Connery.
“Enfin !”, avais-je soupiré quand Yann Le Pollotec m’avait contactée à ce sujet voilà deux mois, suite à un article que j’avais écrit dans Le Monde diplomatique. Que le PCF s’empare avec passion de ces lieux où les citoyens se réapproprient les outils de production et donc les savoir-faire, fab labs mais aussi hackerspaces et makerspaces, me semblait une évidence. Et une opportunité pour donner un coup de fouet à un appareil qui ne brille pas par son image avant-gardiste. Le papier du Monde diplo commençait d’ailleurs par un appel du pied en forme de clin d’œil :
Se réapproprier les moyens de production : Karl Marx en rêvait, un chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) l’a fait.
Informaticien de profession, collaborateur de Jacky Hénin à la commission du Parlement européen sur l’industrie, et permanent du PC, Yann est un peu désolé de la mésaventure, lui qui dépense une partie de son énergie sur ces thématiques. Pour préparer l’audition, il me fait un petit historique. Le message essentiel : pédagogie.
J’ai fait une première intervention là-dessus il y a un an en comité central, la réaction a été : c’est quoi ce truc ?
En guise de métaphore sur le ton à adopter, il m’évoque l’exemple de Galilée plaidant en italien plutôt qu’en latin pour toucher un maximum de gens. Faire le même travail d’explication qu’au moment de l’arrivée de l’Internet grand public.
Lui-même débroussaille le terrain pour ses camarades, comme en témoigne l’épais dossier qu’il me tend. Il a entre autres glissé un paragraphe dans le texte qui servira de base à la discussion au prochain congrès du PC en février et qui est envoyé à tous les adhérents, soit environ 130 000 personnes :
Sous la crise du capitalisme émergent déjà les prémisses d’une troisième révolution industrielle avec l’impression 3D, les machines auto-réplicatives libres, l’open source hardware, les mouvements hackers et maker. Ainsi se créent et se développent des lieux de conception et de proximité en réseau, ouverts et gratuits, où l’on partage savoir et savoir-faire, où l’on crée plutôt qu’on ne consomme, où l’on expérimente et apprend collectivement, où le producteur n’est plus dépossédé de sa création, tels les fab labs qui sont les moteurs de ce mouvement.
Toutes ces avancées portent en elles des possibilités de mise en commun, de partage et de coopération inédite.
En bullshit langage théorique, il est temps au PC de “dépasser la vieille opposition entre les économistes portés sur la révolution informationnelle et ceux qui soutiennent la révolution scientifique et technique, s’enthousiasme Yann, c’est le cœur de la troisième révolution industrielle”.
Au MIT, ça se traduit par le “Center for bits and atoms“, structure créée en 2001 par Neil Gershenfeld pour accompagner le développement des fab labs, “une initiative interdisciplinaire explorant l’interface entre les sciences de l’informatique et les sciences physiques”.
Tâche d’autant plus ardue que le concept de troisième révolution industrielle ne fait pas consensus, y compris au sein du PC : “C’est très centré sur l’énergie, détaille Yann. Il y a aussi la question du capital en suspend. On ne peut pas vivre d’amour et d’eau fraîche, il faut une réponse au salariat.”
Malgré toutes ces bonnes précautions, il y a eu hier comme qui dirait un choc des cultures, des logiques, des démarches. Parler à des militants dans une logique de parti, je sais pô faire, contrairement à la Fing par exemple. Faire la politique se limite dans mon esprit à écrire des articles sur des sujets qui me semblent porter en germe les fondements de la société de demain, en assumant un coté militant. Passer un peu à la pratique aussi, en organisant des Open Bidouille Camp.
Pour le reste, j’ai une fâcheuse tendance à botter en touche en permanence, de préférence en mode pirouettes faciles. Bref du trolling. Chacun son tour : j’avais moi-même essayé de convaincre Okhin, de Telecomix, qu’il avait une conscience politique, il m’avait répondu dans un éclat de rire : “on est une inconscience politique !”
Après une présentation, le temps d’échange a donc parfois donné lieu à des dialogues de sourds, à l’image de la première longue question posée par Yves Dimicoli, économiste, membre de la commission économie-social-finance du PCF et impeccable moustache à la Frères Jacques. Il parle de “valeur d’usage”, de “maîtrise du processus”, pour finir par :
Et là, gros blanc, vieux souvenirs d’oraux foireux où j’ai mouliné dans ma tête les termes de mon interlocuteur pour constater avec désarroi que mes réponses en forme de Y ne rentrent pas dans sa question en forme de X. Et c’est d’autant moins le cas que :Comment fait-on pour court-circuiter le marché ?
1/ Je n’ai rien contre le marché et le capitalisme en général.
2/ Comme l’indique clairement leur charte, il n’est pas question avec les fab labs de s’en passer. Certes, Neil Gershenfeld veut “créer plutôt que consommer”, mais ça n’en fait pas pour autant un fils spirituel de Karl Marx.
3/ Il faudrait des heures pour élaborer une réponse complète.
Aussi judicieuses soient-elles, il y a beaucoup d’interventions dont je ne sais si ce sont des observations, des questions, des observations qui amènent réponses. Par exemple Claude Ginin, la soixantaine, petite veste de tweed :
Cela pose la question de la formation, il faut bien apprendre comment marchent les machines pour savoir ce qu’on peut en tirer. [...] Vous avez dit que les fab labs actuellement ne sont pas complètement coupés du marché. Mais du coup, qu’est-ce qui domine ?
Et de relever au passage que le marché n’a pas toujours existé. Il y a aussi cette remarque de Santiago Serrano, adjoint délégué au développement économique et commercial, à l’emploi et aux nouvelles technologies au Blanc-Mesnil, que ne démentiront pas les levées de fonds de Co-voiturage.fr ou MakerBot par exemple :
Il y a le danger du développement d’un marché de la valeur d’usage.
Yves Dimicoli relance :
Nous sommes à la recherche d’une nouvelle systémique. Comment on aide à développer ce potentiel ?
Je leur répète que c’est à eux de s’emparer de ces lieux pour leur faire suivre la pente qui leur parait la plus juste. Un peu lassée :
Il y a une valeur importante chez les hackers, ça s’appelle la do-ocracy, le pouvoir à ceux qui font. Organisez des visites, expérimentez, soutenez ceux qui, comme Yann, portent des projets
Parmi les soutiens de Yann, il y a Elvire. Elle souhaite mobiliser les jeunes autour du futur fab lab via la robotique. Le motto de la troisième révolution industrielle l’accroche. Avant l’audition, elle m’a expliqué avant avec franchise :
Ne pas être en retard pour une fois.
Devant ses camarades, elle précise sa démarche :
Je vois les fab labs comme une plate-forme de réflexion pour réinterroger une population en lui mettant une expérience à disposition : comment se l’approprient-ils ? Créent-ils du lien social ? La détournent-ils ? C’est une mise en abyme. Comment une population peut percevoir une mairie dirigée par un maire communiste ? Ils ne font plus la différence depuis le temps.
Et si je trolle parfois, si nous ne parlons pas la même langue toujours, c’est avec plaisir que la conversation se poursuivra autour d’une bière. Le sujet les a passionnés visiblement, les enjeux ont été compris, bref le message est passé. Je ne sais pas si l’UMP, le PS ou les écolos ont organisé de semblables débats. Et Michel Laurent, qui s’occupe du LEM, pointe avec justesse les limites de ma démarche du “juste fais-le” et des petits pas : à un moment donné, il faut passer à la vitesse supérieure.
Vous me faites penser à la chanson de Coluche : “je ne promets pas le grand soir, juste à manger et à boire.” C’est bien mais aujourd’hui, ils servent 8 fois plus de repas. Nous, on veut le grand soir.
Et force est de reconnaitre que sur ce terrain, ça se passe plutôt en Chine ou en Russie qu’en France, avec des fonds conséquents investis par l’État. En attendant que mille fab labs fleurissent dans les villes PC, je leur suggère d’en faire un mobile à la prochaine Fête de l’Huma. Au sein d’un Open Bidouille Camp ? Yann se marre :
Il y aura une recommandation du conseil national, même si ça suffit pas forcément !
“Ce mercredi, je pars en Suède, développer Le Parti 2.0, mon projet de cyberdémocratie locale, l’Université de Malmö m’a accordé une bourse pour recevoir une formation”, nous annonce avec son sourire doux Aymen Amri, alias eon. Tee-shirt affichant le célèbre masque des Anonymous, ordinateur flanqué d’une tripotée d’autocollants hacktivistes, ce jeune Tunisien qui coordonne le premier hackerspace du pays veut voir dans cette opportunité la preuve que la communauté hacker locale ne s’est pas endormie sur son élan révolutionnaire.
Car les derniers mois donnent l’impression d’un certain essoufflement. “Nous nous sommes dispersés”, reconnait eon. “Nous avions plusieurs activités en parallèle, poursuit son ami Sarhan Aissi, aka Tux-Tn, nous avons dû en laisser certaines, n’ayant personne derrière qui suivent et qui participent.”
Après la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, de nombreux projets ont été en lancés : le Parti 2.0 de Aymen et hackerspace.tn donc, ce dernier d’abord sous la houlette de Chemseddine Ben Jemaa aka Kangoulya ; le Chaos Computer Club tunisien, du nom de son célèbre et puissant homologue allemand ; OpenGov.tn, et OpenTunisia, des plates-formes qui s’inscrivent dans la lignée des projets de gouvernance ouverte et transparente ; TelecomixTN, inspiré de Telecomix tout court, qui défend la liberté d’expression ; et même un vrai parti, le Parti Pirate tunisien, affilié à ses homologues européens. Aymen rappelle le contexte :
La communauté existait déjà avant la révolution, sans être structurée, chacun était dans son coin. On se rencontraient sur IRC, les mailing lists, Mumble, c’était un mouvement perpétuel pour échapper à la surveillance.
Mais après le 14 janvier, il a été très facile de créer une association.
Une “euphorie du moment”, pour reprendre l’expression de Tux-Tn, bien compréhensible. Mais la multitude des projets recouvre une poignée de personnes, qui peuvent enfin revendiquer le terme “hacker”, et non plus se cacher derrière le nom rassurant de “partisans du libre”. Un noyau dur qui peine encore à avancer.
Au début, il est question de créer des hackerspaces en lien avec des associations déjà existantes, tout en gardant l’autonomie. Hackerspace.tn ira ainsi poser ses ordinateurs chez Nawaat, emblématique blog collectif tunisien où s’exprimait l’opposition, avant d’en partir au printemps.
Et depuis, le hackerspace change de lieu chaque semaine, ce qui n’aide pas à progresser. Quant aux participants présents, “ça peut aller jusqu’à dix, comme ça peut être trois… “, détaille Aymen. Un open gov très, trop, resserré. Récemment, un des membres a envoyé un lien sur IRC vers le hackerspace design patterns, un précieux mode d’emploi pour monter et faire vivre ce type de lieu. “Deux ans après, pas trop tôt”, soupire fo0, un hacker français membre de Telecomix.
L’euphorie est d’autant plus grande que l’hacktivisme en Tunisie est le centre de l’attention dans le monde entier. OpTunisia, une opération de contournement de la censure menée par les Anonymous, a fait “le buzz”, comme dit Aymen. Cette avant-garde numérique se retrouve subitement entourée avec bienveillance.
En janvier 2012, le 4M réunit ainsi à Tunis la fine fleur franco-tunisienne des médias et du hacking, en partenariat avec CFI, Canal France International, une émanation du ministère des Affaires étrangères qui fait de la coopération sur le terrain des médias. Il est question de faire un espace co-working, sur le modèle de La Cantine. En avril, Richard Stallman, le gourou du logiciel libre, donne des conférences et fait la nique à Bull, qui a vendu des solutions aux dictatures arabes pour espionner les citoyens via sa filiale Amesys. Le Parti Pirate fait même son entrée, controversée, au gouvernement : Slim Amamou, une figure de l’opposition, devient l’éphémère secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports du gouvernement tunisien.
Mais depuis, pas grand chose de concret. La semaine dernière, Ounis, membre du hackerspace et… salafiste déplorait sur IRC :
Nous essayons de sauver ce qui peut être sauvé. Nous planifions une réunion IRL le week-end prochain, Incha’ Allah
Je suis inquiet au sujet de ce que tu appelles “le noyau dur”. Nous ne sommes plus réactifs au sein de la communauté. Je ne veux pas que les efforts dépensés soient perdus.
Il suffit de jeter un œil sur les sites en question, ou au canal IRC, aussi désert que Tunis le premier jour de l’Aïd El Kebir (quelque chose comme la Moselle un 25 décembre, le froid en moins), pour constater qu’Ounis ne joue pas les oiseaux de mauvais augure.
Mais il suffit aussi de trainer un peu dans la médina de Tunis pour constater le décalage entre les aspirations des hackers et les gamins pauvrement vêtus qui jouent dans des odeurs plus ou moins prégnantes de poubelles en décomposition, entre deux maisons aux peintures abimées pour une rénovée.
Heather Brooke, l’auteur de The Revolution Will Be Digitised, comparait dans The Guardian les hackerspaces aux cafés anglais du siècle des Lumières : un endroit de réflexion pour préparer les démocraties de demain, s’appuyant sur la participation d’une classe moyenne qui a accès librement à l’information.
Cela est sans doute vrai dans des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis. Mais pour trop de Tunisiens, il semble évident que les soucis premiers sont ceux de base : travailler pour manger, s’habiller, avoir un logement décent. Le taux d’illettrisme est encore d’environ 20%. Alors l’Open Data… Et les débats sont surtout vifs à propos de la religion, en particulier depuis qu’Ennahdha, le parti islamiste, a remporté les élections en octobre 2011. Aymen acquiesce :
Parfois, nous sentons que nous sommes trop loin des intérêts des gens mais on essaye de rapprocher au maximum d’eux.
Le règne de Ben Ali n’a pas laissé sa marque que sur la situation socio-économique du pays. Le jeune homme plaide et espère :
Il manque la motivation, il n’y a pas vraiment de volontariat, du temps de Ben Ali, les gens avaient peur de s’investir. Nous sommes dans la première année de démocratie, c’est pas vraiment facile mais il y a des gens qui veulent travailler.
Tux-Tn tient aussi à souligner les lenteurs de leur administration : “la création de l’association, la mise en place de l’infrastructure et les services ont pris beaucoup de temps, il faut prendre en compte la rapidité de l’administration tunisienne, pire qu’un modem 56K.”
Bref, c’est l’an 2 de la révolution, et si la gueule est un peu de bois, la petite communauté s’accroche. L’éparpillement appartient désormais au passé : un recentrage a été opéré sur le hackerspace, avec la création d’une structure mixte lucratif/non lucratif, Hackerscop.
Comme dans d’autres pays d’Afrique ou en Chine, hacker rime avec incubateur, impératif économique oblique : le lieu est utilisé pour aider l’éclosion de start-ups en mode collaboratif.
Avec derrière, l’idée de développer une économie autour du logiciel libre, avec le soutien d’une société de services en logiciels libres (SSLL), l’équivalent des SSII. “La priorité est d’organiser l’assemblée générale de l’association et de la mettre sur les rails”, souligne Tux-Tn. Se fixer et acheter du matériel figure en haut de la to-do.
La question de l’organisation, centrale, est aussi remise en cause :
On était un peu désorganisé, on ne voulait pas travailler dans un cadre hiérarchique, chacun participait librement. Il faut remettre de la hiérarchie, pour une meilleure efficacité peut-être. Nous divisons maintenant les tâches, et nous continuons d’essayer de recruter via des conférences et des événements liés au logiciel libre.
De son côté, Aymen collaborera avec le Parti Pirate sur son projet. La formation politique se présentera aux élections de 2018 et travaillera sur le droit citoyen d’accès à Internet, un axe complémentaire du Parti2.0.
Le renfort vient aussi de France. L’association Action tunisienne développe ainsi avec eux un projet de maison populaire, au Bardo, dans la banlieue de Tunis. Hamza Abid, le vice-président de l’association, détaille son contenu :
Notre ambition est de créer un lieu de vie où les citoyens auraient à disposition un endroit pour s’initier à l’informatique (hackerspace, cryptoparty avec les hackers tunisiens qui se déplaceraient..), aux arts plastiques pour les enfants et les plus jeunes, alphabétisation pour les personnes âgées, club “sciences”, sensibiliser les Tunisiens pour qu’ils connaissent leurs droits, etc, et tout autre domaine qui les intéresserait. Notre rêve serait que cette maison populaire soit autogérée et autonome, que les personnes se l’approprient et y trouvent un intérêt réel.
fo0, très impliqué dans le projet, détaille leur marche à suivre, à la cool :
Cela se fera au feeling, aux rencontres, je vais faire deux aller-retours à Tunis tranquille, dont un avec Hamza plus ou moins prévu en janvier, toujours dans l’idée de susciter des initiatives. Ensuite si ça débouche sur dix gus dans un garage tunisien qui font des choses <3
À l’HacKIDemia, on n’apprend pas aux enfants à cracker le code de l’ordinateur de leurs géniteurs, non, on leur enseigne les sciences et la technologie par la pratique, en vertu du learning by doing cher aux hackers, ces bidouilleurs créatifs. Ce samedi, dans le cadre de l’Open World Forum (OWF), la deuxième édition française, co-organisée avec La Cantine/Silicon Sentier, proposera plusieurs ateliers pour mettre les menottes dans le cambouis, et aussi les grandes mimines des parents : conception de jeux vidéo, introduction à l’électronique avec le processeur Arduino et de la soudure, robot, graffiti, etc.
Ne vous fiez pas au côté fric de l’OWF, vitrine annuelle de l’Open Source en France qui se tient du côté des Champs-Élysées. Comme se réjouit Clément, membre du hackerspace francilien l’Electrolab qui prête son concours, le but n’est pas de rester entre-soi :
Dès le départ, Stefania vise une diffusion très large, pas uniquement pour nos petites têtes bobo, elle s’organise avec des contributeurs d’un peu partout. À force de passer sa vie dans des avions, elle a des contacts très variés.
La Stefania-voyageuse en question, c’est une jeune pile (open source) déroulant dans un français impeccable son parcours qui l’a menée de sa Roumanie natale à voyager sur tout le globe pour son projet HacKIDemia, après un passage par la Singularity University de Google aux États-Unis.
Maman professeur, père ingénieur en électronique, cette mince petite brune prolixe a synthétisé dans son projet les ADN parentaux. Après un master en ingénierie pédagogique et un passage par Erasmus qui l’a rendu polyglotte — 7 langues en tout ! —, elle a atterri chez Google à Dublin pour plancher sur les algorithmes.
Plus que les opérations, elle se passionne pour l’éducation et initie des projets au sein de l’entreprise en Irlande, pour les adultes. Pas vraiment sur la même longueur d’onde que le géant de Moutain View, elle démissionne et, avec ses économies, part faire du volontariat au Cambodge, initier ce qui deviendra HacKIDemia. Avec une ligne claire :
Tu n’aides pas forcément les gens en leur donnant de l’argent. Le Cambodge est le pays avec le plus grand nombre d’ONG, ça handicape ce peuple à un point pas possible. Je leur ai dit “je ne vais pas vous donner de l’argent, mais vous apprendre pour vous aider à vous en sortir par vous-même”.
Et un modèle, les hackerspaces, ces espaces physiques où les hackers se rencontrent, échangent, mutualisent :
Je veux faire des hackerspaces pour les enfants ! Il y a une innovation qui passe, invisible, mais qui a beaucoup d’impact, alors s’ils échangent avec les enfants…
Le numéro zéro d’Hackidemia est allumé en juin dernier, avec l’aide François Taddéi, du Centre de Recherche Interdisciplinaire, figure incontournable en France sur la réflexion pédagogique. Dans un lieu emblématique : l’internat d’excellence de Marly-le-Roy, une de ces structures destinées aux élèves défavorisées à fort potentiel. Une bêta qui tient toutes ses promesses. Stefania se souvient :
Les jeunes ne savaient pas trop à quoi s’attendre, ce sont des ados, l’âge où on les perd, ils sont venus en se demandant ce qu’ils allaient faire. À la fin c’était assez magique, on ne pouvait plus les faire partir : “j’ai fait un robot, j’ai fait un robot, il y avait une sorte de lumière dans leurs yeux.”
Benoit Parsy, qui fait des ateliers LEGO Mindstorm (des robots LEGO pour apprendre à coder, ndlr), est venu avec sa fille, elle a 6-7 ans et elle est très forte en programmation, ils ont accepté qu’elle leur apprenne et ils ont fait à leur tour.
Cela été très important pour nous : l’événement a été monté sans budget, nous avons juste contacté les gens qui travaillent avec des jeunes sur Paris, on a pu mesurer la motivation.
La jeune femme enchaine avec un saut décisif par Google, non pas l’entreprise mais sa controversée Singularity University, en tant que education teaching fellow. L’institution vouée aux technologies, et non au transhumanisme comme on le croit à tort, se révèle surtout être une belle opportunité pour développer son projet, entre conférences et discussions interminables le soir.
De ce séjour, HacKIDemia en est ressorti avec un staff de trois personnes en plus pour faire des petits partout dans le monde, sur le mode du lab mobile.
Et depuis, ça n’arrête pas. Après Paris, les allumages s’enchaînent : installation d’un fab lab permanent à Sao Paulo au Brésil, à Lagos au Nigeria dans le cadre de Maker Faire Africa, une grande foire au DIY, puis Mexique, Australie et Malaisie en début d’année prochaine. Ils sont souvent sollicités par des structures publiques qui payent le voyage, par exemple au Brésil une école. La communauté visée, enfants mais aussi parents et professeurs, ne payent pas. Des entreprises de l’écosystème croissant du DIY apportent aussi des fonds, conscient de l’intérêt et de l’enjeu.
Aux côtés de fablab@school, fab lab truck, School Factory ou encore Maker Camp, Hackidemia fait en effet partie de ces projets qui entendent réinventer l’école pour mieux l’adapter au contexte actuel, marqués par de multiples crises : économique et écologique bien sûr mais aussi perte de sens, sentiment de dépossession lié à la disparition des savoir-faire. Ces structures sont aussi autant de terreaux pour que la bidouille d’un week-end deviennent le projet d’une vie et contribuent ainsi à régénérer le système en perdition. Stefania s’emballe :
Le retour à la production locale est un moyen de sortir de la crise, de rendre aux gens la liberté de s’entraider, il faut des hubs d’innovation qui vont s’agrandir et former un écosystème. Il faudrait revenir au système des guildes d’artisans.
Dès le plus jeune âge, il faut donc penser en mode “projet”, comme le souligne Jérôme Saint-Clair, du Graffiti Research Lab, un groupe consacré au renouveau de l’art urbain présent ce samedi :
Il est essentiel d’associer, non pas plus de pratique “téléguidée”, mais davantage de découverte et d’expérimentation afin de permettre aux enfants de chercher des solutions à des problématiques qui leur sont propres (par eux-mêmes ou à l’aide d’un prof ou mentor), de collaborer en partageant leurs connaissances et de développer des projets pensés par eux et pour eux, mariant plusieurs disciplines.
Dans cette nécessité de renouveler l’école, les acteurs extérieurs, agiles, du type HacKIDemia, sont peut-être les mieux à même de faire bouger les choses, comme l’analyse Clément :
Bien, sûr, on n’est pas près de poser un hackerspace/makerspace/fab lab dans chaque établissement scolaire, et il est à peu près aussi vital de proposer ce genre d’activités dans un cadre totalement hors du scolaire aussi pour une autre raison un peu dingue : pour plein de monde, l’école est une corvée… à laquelle tu n’as pas forcément envie d’associer ton action, pour ne pas te griller auprès du public visé.
Reste un enjeu de taille : éviter de finir comme Montessori, douillet nid à progéniture élitiste, mais envahir l’école en douceur.
Joey et Sylvia sont des petits monstres. Des petits monstres de générosité, qui portent haut, du bout de leurs bras de 14 et 11 ans les valeurs de l’open source hardware. Pour eux, partager la recette de leurs créations avec d’autres enfants est naturel car cela ne présente que des avantages. Un credo qu’ils ont développé ce jeudi lors de leur conférence à l’Open Hardware Summit à New York, un grand meeting annuel réunissant les figures de proue de ce mouvement.
Le duo n’a pas fait dans les grands discours incantatoire mais s’est exprimé en connaissance de cause. Sur son site, baptisé “Look what’s Joey is making” (“regarder ce que Joey fait”), l’adolescent affiche son slogan :
Ne vous ennuyez pas, faites quelque chose !
On trouve sur sa page le mode de construction de son bouclier Arduino en forme de cube fait avec des LED et ses vidéos pédagogiques pour apprendre à se servir d’un oscilloscope ou bien encore le fonctionnement des LED.
En dépit de son jeune âge, Joey a déjà son (tout petit) business, incarnant en cela la figure américaine du maker, le self-made-man américain qui a fait construit son pays grâce à sa créativité et sa volonté Pour 15 dollars, il est possible d’acquérir son cube Arduino. Après, on ne soupçonnera pas le gamin de se payer des packs de 8°6 avec. Sa marotte, c’est plutôt d’assister à des Maker Faire, ces grandes foires à la bidouille organisée par le magazine américain Make et qui ont essaimé partout dans le monde. Magazine auquel il contribue.
Ses réalisations sont même parvenues aux oreilles de Barack Obama : le président américain a eu droit à une démonstration de son Extreme Marshmallow Cannon dans le cadre de la fête de la science organisé à la Maison Blanche, au cours duquel il a annoncé des fonds pour financer la formation des professeurs de sciences. Si le président est tenté de le faire, le guide est sur Make.
Sans attendre une impulsion d’en haut, Joey a commencé un club de science dans son école pour partager son savoir-faire avec les autres enfants.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
“Super-Awesome” Sylvia n’est pas en reste : pour la troisième année, elle fait une émission sur YouTube avec son père “TechNinja”, Sylvia’s Super-Awesome Maker Show. Pas d’atelier Barbie ou Hello Kitty DIY mais des tutoriels pour utiliser Arduino, le très populaire micro-contrôleur open source, construire des fusées ou faire de la couture. Le tout avec le label Make Magazine. Comme Joey, Maker Faire est son Disneyland, au point de crowdfunder, avec succès son voyage à l’édition new-yorkaise ce mois-ci.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Mitch Altman, apôtre de longue date de l’open hardware, transmetteur inlassable de son savoir-faire à des enfants (et leurs parents) dans des ateliers, détaille les atouts de ce process :
Quand l’open hardware est disponible, les gens vont apprendre grâce à lui. En particulier quand la documentation est écrite avec des visées pédagogiques en tête, comme par exemple toute celle de mes projets et de ceux d’Adafruit (une plate-forme communautaire de vente et de partage dédiée à l’électronique, ndlr).
J’ai souvent dirigé les gens vers ma documentation quand ils demandent comment apprendre sur les différents aspects des micro-contrôleurs. Et ils m’ont souvent répondu qu’ils appréciaient vraiment ma documentation bien écrite car elle les aide beaucoup à apprendre.
Beaucoup de projets open source ont des communautés d’utilisateurs (et même leur propre forum) avec des niveaux de compétence variés et qui s’entraident en ligne ou en personne. Cela est beaucoup plus difficile à réaliser quand des avocats de projets propriétaires veulent empêcher les gens d’apprendre à utiliser leur “propriété intellectuelle”(plutôt que de la partager).
Pourtant, l’école ne semble pas avoir pris la mesure du mouvement. Derrière leur côté “petits cracs du DIY coachés par leurs parents” qui peut agacer, Joey, Sylvia et d’autres, mettent en œuvre une vision de l’apprentissage que n’épouse pas forcément le système éducatif occidental, reflet d’une société façonnée par les logiques propriétaires. Lorsqu’on lui demande si son école encourage l’open hardware, Joey répond par la négative. L’adolescent qui affirme “ne pas être un grand fan de l’école” démontre pourtant que c’est une voie très fructueuse.
James Carlson, créateur de School factory, une association américaine qui développe des espaces éducatifs communautaires du type makerspace, renchérit :
Les écoles sont de plus en intéressées par l’open hardware mais elles sont en retard. De façon individuelle, des professeurs mettent en place des ateliers dans le domaine des STEM (Science, Technologie, Engineering et Math, ndlr) et apprennent aux enfants à créer en recourant à l’open hardware mais ils ne sont souvent pas soutenus. C’est nouveau et donc mal compris.
Une telle démarche surprend, à commencer par la maman même de Joey :
Il ne voulait faire que de l’open source. Il aime que, quoi que les gens fassent, tu puisses apprendre de leurs créations, et compléter, c’est vraiment la meilleure façon d’apprendre. Je n’ai pas compris au début mais maintenant oui… c’est la seule façon d’avancer !
Faute que l’école s’empare de l’opportunité, James souligne que des communautés et des associations se sont mises sur le créneau, comme les makerspaces/hackerspaces. La dernière génération est un terreau propice, qu’il faut cultiver :
Elle est davantage encline à partager ses idées. Je pense qu’elle réalise que nous profitons tous de plus d’ouverture et de collaboration.
En même temps, nous avons la responsabilité d’enseigner aux jeunes générations ce que la transparence et l’ouverture peut leur apporter, ainsi qu’à la société.
Parmi les initiatives dans ce sens, l’incontournable Make se montre très actif. Cet été, il a organisé un Maker camp, “un camp DIY virtuel” à l’attention des enfants qui ne partent pas en vacances. Le concept ? Chaque matin, une figure de l’open source hardware explique comment fabriquer un projet, donne ses petites astuces Le soir, ce “conseiller” revient avec les participants sur la réalisation du projet et peuvent montrer leurs photos. Parmi les intervenants, Joey, Limor “Ladyada” Fried, la fondatrice d’Adafruit, le CERN et Dale Dougherty en personne. Le tout avec le soutien de Google.
On l’avait promis, de bonne foi, vendredi : samedi en fin de journée, il y aurait un beau reportage composé à quatre mains et un appareil photo sur le premier Open Bidouille Camp, que nous co-organisions avec nos amis de la Cantineet de Small Bang à Mains d’Œuvres à Saint-Ouen. Samedi soir, il n’y avait rien dans le back-office, pas même un début d’article. Ni même à 10 heures le lendemain. Certains rigolent déjà peut-être : ben voyons, elles ont préféré faire mumuse avec les LEGO ou bien vadrouiller en vélo électrique, et puis elles ont participé à l’atelier pâtes fraîches et ça a fini vautrées dans un canapé, une bonne assiette de ravioli ricotta-épinard dans le ventre, le tout arrosé de Club-Mate.
Des LEGO, nous vîmes trois briques en passant lors du démontage des stands, le vélo, pourtant installé devant nous, était caché par la masse des curieux, les pâtes, c’est vrai, on a eu une assiette, enfin une dizaine de bouchées qu’une âme charitable nous a amené à 16 heures au bar. La seule chose de juste, c’est qu’on a enfilé les bouteilles de Club-Mate, la très caféinée boisson préférée des hackers.
Car cette “première fête-le vous-même” a été un succès. À titre d’exemple, en bons adeptes du datajournalisme, citons un chiffre : nous n’avons pas profité de l’événement car nous avons préparé 170 sandwiches. Quant au nombre de cafés versés, de bouteilles de Mate décapsulées, nous avons perdu le compte au bout de deux heures. Les commandes s’enchaînaient si vite que nous n’avons pas eu le temps de donner à la Débrouille Compagnie les capsules et les bouteilles vides sur lesquelles elle lorgnait pour ses ateliers récupération.
En guise de pause, je (Sabine) suis allée animer la conférence. Je pensais marcher au moins quelques mètres, du bar à la scène pour détendre mes jambes de barmaid d’un jour : espoir déçu, il fallait se frayer un passage parmi la foule massée dans la seconde salle, captivée par les machines à émerveillement apportées par différents fab labs. Une conférence qui a permis de voir ce qui liait tous ces ateliers issus aussi bien du monde des hackers que de la récupération ou de l’éducation populaire. Ce sentiment que nous arrivons à un tournant crucial et que les lendemains peuvent encore gazouiller si nous retrouvons, ensemble, du sens, en particulier en se réappropriant les savoirs-faire, pour réenchanter notre monde.
Ce n’est pas tant la foule qui nous a réjouis que sa composition : l’enjeu était de dépasser le cercle fermé des geeks numériques. Faute d’avoir pu échanger beaucoup avec le public, fions-nous à quelques indices pour savoir si nous sommes sortis de notre microcosme. Déjà le retour des stands.
Le Fac Lab nous a ainsi expliqué que beaucoup de gens étaient présents dans un esprit de découverte. En espérant que l’essai soit transformé au fab lab directement. “Indéniablement, oui, témoigne Benoit Parsy, l’homme LEGO. Une cinquantaine de personnes sont passées, des mamans et des papas intéressés par l’outil pédagogique et l’ouverture à la programmation derrière le jouet, des geeks qui ont voulu mettre les mains dans le cambouis et ont programmé/hacké les robots et d’autres qui posaient des questions plus techniques (15), des enfants qui ont programmé effectivement un robot, des enfants qui ont joué avec les robots, une bonne dizaine… “
Romain, de JerryCan, poursuit :
J’ai parlé à plein de gens différents, des gens du quartier parfois assez âgés, beaucoup de jeunes couples, des papas un peu geeks qui montrent à leurs enfants, bref je suis bien sûr qu’on a tous vu la même chose, globalement peu de barbes.
Apparemment, nous avons aussi bénéficié du calendrier : le même jour avait lieu la fête de la ville, drainant le public vers Mains d’Œuvres.
Et sur Twitter, le hashtag #OBCamp n’a pas été beaucoup utilisé, alors que d’ordinaire, les événements de “geek” sont abondamment relayés sur le site de micro-blogging.
Jérôme Saint-Clair, du Graffiti Research Lab, souligne aussi un autre intérêt, côté organisateurs cette fois-ci
Cela nous a permis de rencontrer des organisateurs d’événements (ateliers,… ) qui souhaitent mettre en avant ce type de technologies/philosophies et donc permet d’atteindre les non initiés à postériori.
Ce type d’événement permet aussi aux acteurs de ce mouvement de se retrouver IRL et de mettre un visage sur des pseudos. Ceci a pour effet de nouer un peu mieux connaissance, d’échanger et permet parfois d’envisager des collaborations entre domaines connexes.
Nous remercions tous nos sponsors, Etsy, la Fonderie, Kiss Kiss Bank Bank, et nos partenaires médias DailyMotion, le Mouv’ et l’Atelier des médias. Sans oublier les contributeurs de notre collecte sur la plate-forme de crowdfunding. Les 63 donateurs nous ont permis d’atteindre 147% de notre objectif, avec au passage un mécène surprise, Digitalarti. Autant de mini-sponsors que nous avons remerciés en public en citant leurs noms sur scène.
Décidément, les Internets sont une bien belle invention. Yann Guégan, notre confrère de Rue89, a réalisé “bidouillé” une vidéo sur des ateliers :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
et Flo Laval a offert un joli clip de remerciement :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Et le toujours très actif Nicolas Loubet, de Knowtex, a eu la bonne idée de faire un Storify pendant qu’on éclusait nos stocks de pâté et d’emmental :
]]>L’arrivée se fait par un chemin arpenté et caillouteux, sous un soleil de plomb du 15 août, entouré de montagnes, de pins, de mélèzes et prairies en manque d’eau. Dans un virage, une petite pancarte de bois annonce en rouge : “A Pado Loup”. Le potager accueille le visiteur, puis le garage, et la bâtisse principale. Tout est en bois. Construit avec des matériaux locaux en mode DIY.
L’hôte du festival, Bilou, la cinquantaine est entouré d’une ribambelle d’enfants, cousins, frères, soeurs et amis venus participer et prêter main forte sur l’organisation du festival. Toilettes sèches, douches solaires, récolte d’eau de pluie, compost, utilisation de panneaux solaires et recyclage des déchets feront partie du quotidien des citadins venus se déconnecter.
Deux ans après les rencontres numériques Estives | Digital Peak, à Péone, hébérgées par Jean-Noël Montagné, fondateur d’Art Sensitif, les équipes du TMP/LAB, TETALAB, USINETTE et des volontaires relancent l’aventure : déplacer les énergies créatives du hackerspace en milieu rural et isolé. Le festival A Pado Loup se tenait du 12 au 22 août à quelques lieues du précédent, près de Beuil dans les Alpes Maritimes, au coeur du parc naturel du Mercantour. Une deuxième édition plus détendue que la précédente, sans la dimension internationale ni l’habituel enchaînement de conférences techniques propres aux rassemblements de hackers, mais avec les mêmes contraintes et objectifs.
Loin d’être une expérimentation utopique, les communautés numériques de hackers et autres bidouilleurs sont bien conscientes des enjeux liés aux crises globales : écologique, sociale, politique et énergétique. Le rapprochement avec d’autres milieux alternatifs tournés vers ces mêmes problématiques fait son chemin. En juillet dernier se tenait la deuxième édition du festival Electronic Pastorale en région Centre. Deux ans plus tôt à Péone, Philippe Langlois, fondateur du hackerspace TMP/LAB, posait déjà la question du devenir des hacklabs face à la révolution verte et développait à nouveau cette idée en juin dernier dans une conférence sur les hackerlands donnée au Toulouse Hacker Space Factory (THSF).
Les bidouilleurs se retrouvent sous une petite serre aménagée en hacklab pour la durée du festival. Équipée de deux panneaux solaires reliés à une batterie de voiture pour faire fonctionner l’électronique, son équilibre est précaire. Mickaël et Alex du Tetalab, le hackerspace toulousain, ont pris en charge la gestion de l’alimentation électrique et de la connexion WiFi. Le petit hacklab doit rester autonome comme la maison principale.
Le challenge ? Ne pas dépasser les 70 watts et garder de l’électricité pour la soirée. EDF ne vient pas jusqu’à Pado Loup, encore moins les fournisseurs d’accès à Internet. Le lieu est en “zone blanche”, ces régions difficiles d’accès et non desservies par les opérateurs nationaux par manque de rentabilité.
Pour assurer une connexion au réseau, une antenne WiFi sur le toit de la maison est reliée à celle d’un voisin quelques kilomètres plus loin. Le relai est ensuite assuré localement par le TETALAB de la maison à la serre des geeks.
Mickael vérifie toutes les heures les installations, tourne les panneaux solaires, et répare les pièces qui ne manquent pas de claquer fréquemment depuis quelques jours. Pendant ce temps, les fers à souder s’échauffent et on bidouille des postes radio FM, pour écouter l’émission quotidienne de 18 heures, point d’orgue de chaque journée. Chacun peut participer, annoncer ou proposer des activités pour la soirée et le lendemain, raconter ses expérimentations en cours. En lieu et place des conférences programmées des Estives, les discussions sont lancés sur la radio du campement.
Chaque jour, une partie du campement passe son temps à trouver des solutions pour améliorer des systèmes déjà en place, produire plus d’énergie avec la construction d’une éolienne, ou en dépenser moins en prenant en compte les atouts du terrain, avec par exemple la construction d’un four solaire. Les contraintes stimulent la créativité et l’expérimentation pour répondre aux besoins de l’homo numericus. Des ateliers sont proposés dans plusieurs domaines, électronique, écologie expérimentale, radio, live coding ou photographie argentique.
Sous un arbre avec balançoire, tout au fond de la prairie de Pado Loup, est installée la FFF, la Free Fermentology Foundation, clin d’oeil appuyé à la Free Software Foundation de Richard Stallman. Le hobby de deux chercheurs, Emmanuel Ferrand, maître de conférence en Mathématiques à Paris VII, et Adrienne Ressayre, chargée de recherche en biologie évolutive à l’INRA.
Sur des petits étals de bois, des bocaux où fermentent du kombucha, un thé chinois pétillant réputé pour ses bactéries digestives, des graines de kefir dans du lait ou dans de l’eau mélangée à du sucre et des figues sèches. Et enfin, une potée de riz en fermentation qui servira à fabriquer le makgeolli, un alcool de riz coréen proche de la bière.
Les enjeux, selon Emmanuel Ferrand, sont similaires à ceux du logiciel libre sur la privatisation du vivant :
Les techniques de fermentation ont évolué au cours du temps, elles sont aujourd’hui accaparées par des entreprises qui veulent breveter ces produits déjà existants. La société moderne tend à normaliser les nourritures, et pour des raisons de santé publique en partie justifiées on impose des règles strictes de fabrication, on normalise les pratiques. Avec la FFF nous essayons de faire l’inventaire de ces techniques de fermentations et de préserver celles qui sont plus ou moins borderline ou en voie de disparition – parce que confrontées à des produits commerciaux normés – et de les reproduire.
Tous les matins à 11h, une petite foule se rassemble sous l’arbre à l’écoute des deux chercheurs. On prend le pouls des bactéries, le fromage de kefir, la bière de riz… Après l’atelier fermentation, la conversation dérive chaque fois sur des sujets connexes avec une confrontation stimulante entre Emmanuel le mathématicien, et Adrienne la biologiste : le génome, la pensée réductionniste, les OGM, les mathématiques, la physique, le cancer, les bactéries, le brevetage du vivant.
Des connaissances et des savoirs-faire précieux et ancestraux qui font partie de nos biens communs : “En plus de l’inventaire, nous reproduisons ces techniques ancestrales. Nous partageons nos expérimentations avec d’autres personnes sur le réseaux ou en atelier, comme aujourd’hui à Pado Loup, avec le magkeolli, le kéfir et le kombucha.”
Chacun participe au bon fonctionnement du camp et les tâches ne manquent pas entre la préparation d’un des trois repas, couper du bois pour le feu, ou aller chercher de l’eau potable à la fontaine, deux kilomètres plus bas. Les déchets sont systématiquement recyclés et les restes des repas végétariens sont jetés dans une poubelle spéciale dédiée au compost. Toujours dans le même souci d’utiliser au maximum les ressources naturelles du lieu, Christophe André, ingénieur et designer, proposait deux ateliers d’ecodesign : la construction d’un four solaire et d’une petite maison, sur le principe de l’architecture bioclimatique.
Le jour où on lui a demandé de fabriquer un objet à duré de vie limité, Christophe André a abandonné sa carrière d’ingénieur. Confronté à la tyrannie de l’obsolescence programmée dans les modes de production industriels, il se lance dans des études de design et apprend pendant plusieurs années à fabriquer lui même tous ses objets du quotidien au lieu de les acheter. Il fonde l’association Entropie en 2008. L’idée, proposer un design d’objet sous licence libre à des entreprises, des particuliers ou des collectivités et de rédiger des notices, également sous licence libre, pour diffuser ces savoirs et surtout les fabriquer.
La construction du four solaire a nécessité quatre heures de bricolage à une dizaine de participants. Le four suit le mouvement du soleil, tel un tournesol, grâce à une cellule photovoltaïque coupée en deux par une planche. Sur le principe du cadran solaire, lorsque qu’une partie s’assombrit, un petit moteur, sous une plaque tournante fait tourner le four dans la même direction que le soleil. Un gâteau aux pommes a mis plus de quatre heures à cuire.
Après le repas, lorsque la nuit sans lune recouvre A Pado Loup, un grand feu est allumé. La dizaine d’enfants et les adultes s’y retrouvent pour des jeux, des concerts improvisés. D’autres lancent une projection sonore avec de la musique expérimentale pendant que l’équipe du Graffiti Research Lab part à l’assaut des prairies du Mercantour pour des session de lightpainting.
De cette seconde expérience, Ursula Gastfall, membre du TMP/LAB, préfère ne pas y penser en termes de pérennisation : “Entre les Estives et APadoLoup, deux ans sont passés. Étant accueillis par des particuliers, nous préférons ne pas faire de plan et pourquoi pas, profiter d’un lieu encore différent la prochaine fois.” L’esprit du hacking, libre et nomade continue de se disséminer dans la nature.
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]]>Ces deux univers étaient faits pour se rencontrer, s’aimer, s’aider : les hackers et ce qu’on pourrait appeler les zones rurales autonomes. Et quand ils se fondent, cela donne un hackerland, comme celui qui se développe depuis cinq ans dans le Centre, au lieu-dit Conques-Bas, à quelques kilomètres de Bourges. Ce week-end, ses membres organisaient la deuxième édition de leur festival, Electronic pastorale. “La première édition avait été organisé pour fêter l’arrivée d’Internet”, se souvient Loul, une des habitantes.
Car le lieu a d’abord rassemblé une poignée de personnes qui voulaient vivre en autosuffisance, constituer un collectif au maximum “résilient” : trois gars du coin et pas des Parisiens en mal de retour à la Nature comme le Larzac en a vu tant passer. Jérôme, Pierre et Antoine, que les zones commerciales et l’Entreprise ne font pas rêver.
Alors, ils ont acheté deux hectares et, partant de ce rien de terre, ont construit pas à pas “un village”. Et pas une communauté, ils y tiennent. Pantalon de travail et bottes, des éclats de boue jusqu’à la ceinture, assis sur un vieux canapé récupéré sous la serre, Jérôme revient sur le terme :
J’ai fait un DUT de gestion des entreprises et administrations avant de partir un an en Irlande, j’ai étudié l’habitat écologique et les écolieux.
Les soixante-huitards ont échoué en voulant tout mettre en commun. Il faut tirer les leçons. Il ne faut pas se leurrer, nous sommes tous différents.
Le village mélange donc des lieux de vie en commun – comme la cuisine qui prévient d’un retentissant coup… de conque qu’il est temps de se régaler -, et des espaces privées, en l’occurrence des yourtes qui abritent maintenant une dizaine de personnes. Au passage, débarrassons-nous d’un préjugé : en hiver, les occupants ont très voire trop chaud, grâce au poêle central.
Depuis leurs débuts, ils ont entendu tous les noms d’oiseaux planants : “hippies”, “tarte aux fleurs”, “allumés énergétiques”, etc. Sauf qu’ils ont les pieds bien sur terre. Pas de grands plans sur la comète mais une approche pas-à-pas : “On ne se fixe pas de limites, explique Loul, on voit au fur et à mesure.”
Et sur leur chemin, il leur arrive de se tromper. Eh bien ce n’est pas grave, les erreurs sont fructueuses. Pas non plus de plan fumette-envolées éthérées. Si le débat fait partie de l’essence du projet, un discussion trimestrielle baptisée “où va-t-on ?” vient même d’être mise en place, il est indissociable d’une charge de travail hebdomadaire médéfienne. Jérôme, surnommé d’ailleurs “la pile” en raison de son activité digne du lapin Duracell, s’amuse :
Quand j’ai commencé le maraîchage bio, certains avaient mis ma tête à prix, on m’a dit que je ne tiendrais pas deux ans, cinq après je suis toujours là. La valeur travail compte beaucoup dans le monde paysan, on me respecte maintenant, ils voient que je suis au travail à huit heures, et jusqu’à 19 heures.
Même s’il arrive surtout pour le moment“à s’endetter” , plaisante-t-il, et que c’est difficile, au moins s’est-il lancé avec ses deux amis, eux les trois Rmistes que les banques auraient renvoyé poliment mais fermement à leurs aspirations. Et déjà heureux comme “de prouver que c’est possible”. Ce n’est pas le beau potager rempli de tomates, de fraises, de panais, de haricot, d’oignons, de maïs, etc. qui dira le contraire. En attendant les champs de blé : “on a fait un test non concluant, à retenter… “
Rejet des systèmes tout-emballés, résilience, éloge de l’entraide et du partage combiné à un respect de l’individu, valorisation du faire sur le dire incantatoire (la do-ocracy), importance de l’erreur dans les processus d’apprentissage (le learning by failing), goût pour la bidouille et la récupération, fonctionnement horizontal, autant de termes qui sonnent doux aux oreilles d’un hacker.
Et comme ces néo-villageois n’ont rien contre la technique, contrairement à certains courants dans leur mouvance, la convergence se fait petit à petit, poussée par Loul et son compagnon Tom. Le couple fait en effet de l’informatique, fier tenancier d’un “petit commerce de pixels de proximité”. L’appartenance à l’univers des hackers est revendiquée sur leur site professionnel :
La pixelerie utilise exclusivement des logiciels libres et publie son travail sous les licences GPL, Creative commons, Art Libre.
Le terme hacker désigne quelqu’un qui s’approprie ou crée une technologie et participe à son augmentation. Contribuer au logiciel libre est une pratique hacker qui ne doit pas être confondu avec les “crackers” ou pirates informatiques.
Depuis leur arrivée voilà un an et demi, ils connectent les deux mondes, donnant corps au“village planétaire“ de Marshall Mc Luhan. L’Internet est donc arrivé par satellite, depuis décembre 2010, en attendant un réseau WiFi maillé (“mesh”), moins capricieux. Utile pour trouver des conseils, documenter les projets… ou commander de bon vieux livres papiers instructifs. Des AOC (ateliers ouverts à Conques), autrement dit des open ateliers, ont aussi été mis en place chaque jeudi soir pour monter des projets en fonction des besoins locaux. Loul détaille leurs ambitions :
L’idée est de collaborer avec les agriculteurs et les maraîchers. À terme, nous aimerions faire un robot pour tracer les sillons et un système de serre automatisée. C’est dur de les faire venir, mais quand ils sont là, ils sont intéressés.
L’objectif est de travailler ensemble, de recréer du lien social, pas de faire du business.
Parmi les lieux collectifs, une “yourte numérique” est aussi à disposition, pour “se connecter, faire ce que l’on veut avec son ordinateur”, résume Loul. Bien sûr le matériel est sous Linux et une Pirate Box est installée, cet outil portable qui permet de partager des fichiers en toute liberté et de chatter grâce à un réseau local WiFi.
La prochaine grosse étape, c’est la mise en place d’un hackerspace, un espace de travail dédié à la bidouille créative chère aux hackers. Pour l’heure, le bâtiment est en cours de construction, dans le respect de l’éthique du village. Coût global : 6 000 euros. Après avoir songé un instant passer par Ulule, la plate-forme de financement participatif, ils ont préféré y renoncer : avec un budget plus confortable, ils n’auraient pas forcément fait les choix les plus économiques, diminuant les possibilités de reproduire le projet.
À l’exception de la dalle de béton, c’est du DIY (do-it-yourself, fais-le toi-même) : ils monteront des murs de paille, une technique ancestrale, avec le concours d’un agriculteur qui leur prêtera sa moissonneuse-batteuse pour qu’ils fassent eux-mêmes leurs ballots. Les tuiles ont été obtenues grâce à du troc. Intéressé pour utiliser le futur lieu à l’année, le tmp/lab, le premier hackerspace installée en région parisienne, met aussi la main à la poche et à la pâte. Un de ses membres, Alexandre Korber, le fondateur d’Usinette, qui apporte la fabrication numérique domestique partout où sa camionnette passe, est ainsi venu avec une RepRap. Cette imprimante 3D open source est autoréplicante, c’est-à-dire qu’elle peut fabriquer les pièces qui la constituent. Ça tombe bien, il n’y a pas encore d’imprimante 3D à Conques.
L’ouverture est prévue en janvier si les dieux du bricolage sont cléments. Le matériel à disposition sera orienté local bien sûr :
On y trouvera des technologies pour faire des machines qui servent à la campagne, pour travailler la terre, faire de la poterie.
Actuellement, les hackerlands sont un phénomène émergents. Pour Loul, il ne fait aucun doute qu’ils vont se multiplier :
On tend vers de plus en plus de liens. De toute façon, des gens vont y être contraints économiquement, alors autant y aller de soi-même.
Jérôme renchérit :
La solidarité et les organisations sociales fortes, qui dépassent les obligations législatives, sont déjà présentes dans des villages des environs, de façon naturelle, ils font de l’open source (rires). De même dans certains quartiers des grandes villes. De nouveaux rapports sociaux se développent, pas forcément de façon consciente. Certains commencent à s’organiser pour cette résilience.
C’est obligé d’en passer par là, les gens ne se disent pas bonjour, ils prennent le métro en faisant la gueule, ils rentrent chez eux. Ceux qui ne sont pas encore tout à fait endormis vont réagir, il va y avoir un choc.
Qui sait, peut-être le ministre du Redressement productif deviendra-t-il dans quelques années celui de la Simplification volontaire ? Pour l’heure, on est encore loin, et il faudrait que les hackerlands renforcent leurs liens, par exemple via un site du type hackerspaces.org, dédié aux hackerspaces. Jérôme entend aussi rendre le mouvement plus visible quand ils seront prêts à sortir du bois du pré, pour éviter une exposition prématurée qui leur nuirait au final. Toujours la politique des petits pas.
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À voir aussi, la conférence que Philippe Langlois, le fondateur du tmp/lab, a donné sur les hackerlands lors du dernier festival du Tetalab, le hackerspace de Toulouse :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Début juillet, la bibliothèque de la petite ville de Westport aux États-Unis a inauguré un nouvel espace. De nouveaux fauteuils plus confortables ? Non, un makerspace, ces lieux où les gens fabriquent des objets. Quelques mois plus tôt, la Fayetteville Free Library (FFL) avait, la première, entamé ce projet, avec son fabulous laboratory, un clin d’œil aux fabrication laboratories du MIT, un concept similaire mais avec des contraintes.
Ces deux initiatives augurent d’une évolution du rôle des bibliothèques. Après avoir facilité l’accès à Internet et aux outils médiatiques, elles se mettent à accompagner leurs publics dans leurs envies de création. En mai, un symposium intitulé de façon éloquente “Made in a Library” y a même été consacré, à l’initiative de l’Online Computer Library Center (OCLC) et du Library Journal. Genèse de cette mue par Lauren Britton Smedley, “directrice du développement translittéraire” (sic), à l’origine de l’idée :
J’ai d’abord appris sur l’impression 3D dans un cours intitulé “innovation dans les bibliothèques publiques” à l’université de Syracuse, où je travaillais mon master en sciences de l’information et des bibliothèques. J’ai écrit un projet de fab lab ou de makerspace dans une bibliothèque publique… Sue Considine (la directrice exécutive de la FFL, NDLR) a aimé l’idée et m’a embauchée pour la mettre en œuvre à la FFL.
Les bibliothèques publiques sont là pour fournir un accès libre et ouvert à l’information, aux technologies et aux idées. Construire un makerspace (ce que nous appelons un Fabulous Laboratory) à la FFL offrira à notre communauté la possibilité d’avoir un accès à cette technologie qui change le monde.
Une révolution qui touche aussi les individus dans leur capacité à créer en fonction de leurs envies, grâce à la démocratisation des outils et à la puissance (potentielle) de partage et d’entraide d’Internet. Aux États-Unis, c’est un véritable phénomène de société, incarnée par le mouvement des makers, qui exalte l’inventivité personnelle. Maxine Bleiweis, le directeur de la bibliothèque de Westport, est fier que son établissement monte en pionnier dans ce train :
C’est une tendance nationale que vous allez voir balayer le pays et vous voyez ici un de ses tout premiers lieux.
Cette révolution s’effectue en douceur dans les makerspaces, hackerspaces, fab labs et autres techshops, en plein essor depuis quelques années. Les ponts se sont créés, naturellement, détaille Lauren Britton :
Je travaille et j’échange avec beaucoup de makerspaces à travers le pays. Et aussi quelques hackerspaces. Par exemple, Bre Pettis, de NYCResistor, un des créateurs de la MakerBot (un modèle d’imprimante 3D grand public open source très populaire, NDLR). Nous avons eu beaucoup de conversations sur ce qui trouve sa place dans un makerspace de ce type.
Et d’autres gens des makerspaces de Detroit, et j’ai beaucoup lu dessus… Il faut à la fois répondre aux besoins de la communauté et toucher les gens qui ont fait cela avant.
Aux États-Unis, cette implémentation se justifie d’autant plus que lesdits espaces ont souvent un accès (cher) payant, contrairement à la France, alors que les bibliothèques publiques offrent leurs services pour un abonnement modique. Toutefois, le concept n’est pas dénué de considérations entrepreneuriales. À la FFL, le fab lab côtoiera… un centre d’affaires. Le tout forme un “creation lab” dévoilé fin juin, qui soulève certaines espérances si l’on en croit le montant de la bourse accordée par le sénateur de l’État de New York : 250 000 dollars. Les entrepreneurs du coin pourront donc venir, gratuitement aussi pour le moment et dans la mesure du possible, le business model n’étant pas fixé.
Cette fonction d’incubateur de start-up est devenue classique dans ce type d’espace. Elle remonte en fait à la belle époque des hackers de hardware. Comme le rappelait Dale Dougherty, le héraut de la communauté des makers, Apple est né dans un club d’informatique qui préfigurait les hackerspaces, le célèbre Homebrew Computer Club.
À en juger les nombreuses sollicitations reçues par Lauren Britton Smedley, les makerspaces devraient fleurir dans les bibliothèques américaines. En revanche en France, il faudra attendre un peu. Apparemment, seule la médiathèque de Toulouse a fait un pas dans ce sens. Fin juin, le temps d’une journée spéciale, le fab lab Artilect et le hackerspace Tetalab avaient posé leurs imprimantes 3D. Avec un certain succès.
Public Knowledge, une organisation américaine de défense des libertés numériques, l’avait annoncé dans son livre blanc éloquemment intitulé “Ce sera formidable s’ils ne foutent pas tout en l’air : impression 3D, propriété intellectuelle, et la bataille sur la prochaine fantastique technologie disruptive”. C’est maintenant chose faite, les premières notifications de demande de retrait de fichiers 3D arrivent au compte-goutte, annonciatrice d’une pluie bien plus intense.
Avec la démocratisation des imprimantes 3D et des scanners 3D, ce type de demande va croître de façon considérable. De même que la majeure partie des foyers possèdent maintenant un ordinateur, ces petites machines devraient massivement débarquer chez les particuliers dans les années qui viennent. Les prix baissent de plus en plus, avec des modèles à moins de 400 euros. N’importe qui pourra faire le plan d’un objet avec un logiciel, et l’imprimer couche après couche. Voire scanner directement un objet pour le reproduire. Et ensuite mettre le fichier du plan en ligne.
Il semble que le site Thingiverse ait ouvert le bal juridique l’hiver 2011, avec l’affaire du triangle de Penrose. Ce site de partage de fichiers lancé par MakerBot, une entreprise américaine qui fabrique l’imprimante 3D grand public la plus populaire, a ainsi retiré le fichier de cette figure géométrique réputée impossible à fabriquer. Ulrich Schwanitz, un designer, avait relevé le défi et son plan avait été mis en ligne sans son accord. Il avait donc invoqué le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), une loi américaine votée en 1998 qui avait marqué un tour de vis en matière de droit d’auteur.
Récemment, Wired faisait état d’une demande similaire envoyée par le fabricant de jouets anglais Games Workshop à Thingiverse : un particulier avait reproduit deux de leurs figurines. Le magazine américain rappelait d’un chiffre la férocité de la bataille qui s’enclenche et les forces en présence en face ;
Vous pensiez que les labels de musique étaient des lobbies tout puissants, qui avaient écrasé Napster et poursuivent les internautes qui partagent des fichiers ? Attendez de voir ce que l’industrie peut faire. La Chambre américaine du commerce est le lobby le plus gros de Capitol Hill, avec un budget annuel de 60 millions de dollars.
Plus que les notifications en elles-mêmes, Michael Weinberg, l’auteur du livre blanc, souligne la complexité des enjeux légaux et donc le risque d’abus :
Une augmentation des notifications DMCA n’est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. La loi américaine gère la masse de contenus générés par les internautes avec ces notifications et le retrait. De nombreuses entreprises et particuliers l’utilisent de manière responsable.
Toutefois, il faut faire attention à la qualité de ces notifications. Le statut copyright de beaucoup d’objets physiques peut être plus compliqué que d’autres choses comme les films ou les images. Si les entreprises et les particuliers y recouraient de façon illégitime, cela commencerait à susciter des inquiétudes.
Le site Chilling effect liste d’ailleurs toute ces demandes de retrait de contenus faites au nom du respect du droit d’auteur, quitte à abuser de l’ignorance des éditeurs des sites. Une initiative de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), la plus ancienne et puissante association américaine de défense des libertés numériques, en partenariat avec les départements juridiques d’universités américaines. Le “chilling effect” désigne un effet inhibiteur, en l’occurrence ces notifications juridiques impressionnantes pour un novice en droit.
Et de fait, le cas du Penrose Triangle était loin d’être clair, comme l’EFF l’avait souligné :
Copyright de quoi, pourriez-vous vous demander, de l’image originale ? Si quelqu’un d’autre a créé avant l’illustration de ce triangle, alors M. Schwanitz ne peut revendiquer le copyright de l’image, à moins qu’il l’ait en quelque sorte acquis, ou ait un droit exclusif, de son propriétaire.
Il ne peut non plus revendiquer le copyright du procédé de conversion de l’image en un objet 3D ; c’est une astuce mais le procédé n’est pas protégé par le copyright. Le rendu en 3D ne rajoute pas assez de créativité dans le modèle pour que M. Schwanitz réclame le copyright, séparément de l’image en 2D. Apparemment, nous sommes en présence d’une autre notification DMCA sans fondement.
Toutefois, la communauté de l’impression 3D peut mettre à profit sur le précédent du téléchargement d’œuvres culturelles. Anticipant le bourbier juridique, elle organise aussi son lobbying. Le Livre blanc de Public Knowledge fait d’ailleurs partie de ce travail.
Au printemps dernier, l’organisme tenait la rencontre “3D/DC” (“3D printers to Washington, DC”), pour que les personnes qui contribuent à la démocratisation de l’impression 3D échangent avec les législateurs. Bre Pettis, de MakerBot, Hod Lipson, à l’origine du projet Fab@Home, ou bien encore avaient ainsi tenté de convaincre leurs interlocuteurs de ne pas tuer dans l’œuf cette révolution à venir. Michael Weinberg explique leur démarche :
Un de nos buts est de nous assurer que les législateurs comprennent la communauté 3D en amont du process. Nous voulons qu’ils considèrent l’impression 3D comme la technologie légitime qu’elle est.
Nous tirons partiellement les leçons du copyright numérique. Nous voulons être certains que l’impression 3D est présentée aux législateurs dans un contexte positif. Ainsi, si quelqu’un veut réguler l’impression 3D, ces derniers comprendront la valeur qu’elle produit.
Parfois je l’explique ainsi : je ne veux pas que le premier contact des législateurs avec l’impression 3D soit une personne qui arrive dans un bureau en disant : “cette boîte de pirates détruit mon business, nous avons besoin de lois pour l’éliminer.”
Pour l’heure, poursuit Michael Weinberg, il est trop tôt pour mesurer les fruits de ces efforts :
En fait, si tout marche à la perfection, une des meilleures issues serait que rien ne se passe. Tout le travail que nous faisons maintenant sera mis à l’épreuve la première fois que quelqu’un essayera de mettre hors la loi l’impression 3D ou de restreindre son usage. C’est alors que nous verrons si nous avons réussi.
Dans l’Union Européenne, le “débat pourrait être évoqué à l’occasion de la très probable révision de la directive IPRED, notamment autour de la notion d’échelle commerciale”, explique Félix Tréguer, de la Quadrature du Net. Votée en 2004, l’Intellectual Property Rights Enforcement Directive est l’équivalent européen du DMCA. Cet hiver, la Commission européenne a dévoilé sa feuille de route sur ce dossier, affirmant qu’“il y a la nécessité de moderniser la directive pour en faire un outil juridique approprié contre les infractions commises sur l’Internet”.
Foin du grand principe de la liberté de partage comme fin en soi, la possibilité qu’un écosystème existe est l’argument mise en avant. Zack Hoen revenait ainsi cet hiver sur l’épilogue heureux de l’affaire du triangle de Penrose :
Ulrich Schwanitz a décidé de retirer sa plainte DMCA et de le placer dans le domaine public ! Je ne suis pas au fait des raisons derrière ce choix, mais peut-être a-t-il été inspiré par les milliers d’autres designs ouverts sur Thingiverse ? J’aimerais réitérer publiquement mon encouragement au Dr. Schwanitz pour qu’il mette ses designs sur Thingiverse. J’aimerais lui montrer quelle belle communauté nous formons et que faire de l’argent est toujours possible en partageant ton design.
Owni est partenaire d’une battle d’imprimante 3D organisée les 28 et 29 juin à Roubaix par le hackerspace de Lille le m.e.u.h|lab, Lille-Design, organisme public régional chargé de promouvoir le design, et l’École Supérieure d’Art du Nord – Pas de Calais (ESA-N).
]]>Dans l’imaginaire, le hacker chinois est un vilain pirate, parfois à la solde du gouvernement. Si ces black hats sont effectivement une réalité, une communauté de “gentils” hackers prend son essor en parallèle. Jusqu’à présent fournisseur en leds et autres circuits imprimés des hackerspaces du monde entier, les Chinois mettent à leur tour la main dans le hack. Illustration de cet envol, deux grands événements dédiés aux bidouilleurs créatifs de tous poils, hackers et makers, sont organisés ce printemps. Maker Faire, un concept de foire populaire né aux États-Unis et depuis décliné avec succès sur d’autres continents, s’est tenu pour la première fois en Chine en avril : Shenzhen, une ville au sud du pays jouxtant Hong Kong en pleine explosion économique, a accueilli des adeptes du DIY (do it yourself, fais-le toi-même). Et Maker Carnival a clos ses festivités samedi à Beijing, la capitale du pays, sur le même principe : des exposants, des ateliers, des rencontres.
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Ensuite, des autochtones pur jus ont fini par grossir les rangs. Et ils prennent à leur tour l’initiative : le dernier-né, Onion Capsule hackerspace, à Hangzhou, a été lancé par quelqu’un qui n’a jamais quitté la Chine, tout comme ses membres.
Si on y vient pour le plaisir gratuit de bidouiller, cette montée en puissance est aussi favorisé par le contexte d’effervescence économique, comme l’explique Ricky Ng-Adam :
La Chine est un endroit très propice, d’abord, parce que la technologie joue un rôle primordial au développement économique et avec beaucoup moins de controverse. Ensuite, dans un pays où le guanxi (relations interpersonnelles) jouent un rôle primordial, il est parfois difficile pour les Chinois qui sont à l’extérieur des organisations reconnues et légales, assez limitées, de créer ce genre de connexion. Un hackerspace permet aux plus jeunes de se rencontrer et de bâtir un réseau qui leur est propre à travers des projets collaboratifs plutôt que des repas bien arrosés et enfumés.
Certains participants chinois font effectivement pression pour transformer l’espace en incubateur ou espace purement commercial qui ont de la difficulté à percevoir les avantages non-monétaires de participer dans un tel espace. Souvent, la question clé de leur part concerne nos “profits”.
Et d’illustrer son propos avec son propre exemple puisqu’il démarre une entreprise avec un partenaire rencontré dans son hackerspace, un ingénieur électronique chinois. Leur idée ?
Viser les hackers avec un produit de niche, un super Arduino. De même, Eric Pan, un des organisateurs de Maker Faire Shenzen, a créé Seeed Technology, une société spécialisée dans le hardware open source, et co-fondé Chaihuo makerspace.
Mitch Altman, arpenteur inlassable des hackerspaces du monde entier, a pu mesurer cette effervescence lors de sa tournée des popotes. Six espaces visités, dont un à l’université de pétrochimie de Beijing. Il fait partie du programme Toyhouse, dont l’objet est d’implanter des hackerspaces dans les écoles et les universités dans toute la Chine pour favoriser l’apprentissage à travers un environnement créatif, pratique et ludique. Une initiative d’un professeur que Mitch résume ainsi :
Aider à faire évoluer la culture chinoise pour que le pays puisse connaître un futur économique.
Mitch Altman y voit un des chemins pour faciliter une émancipation économique inéluctable. Les Chinois vont devoir innover autrement, car les équilibres économiques changent. Après avoir pendant des années conçu et fabriqué des objets destinés à être exporté dans les pays occidentaux, il va s’agir de se tourner maintenant vers leur marché intérieur en expansion, à la faveur de l’émergence d’une classe moyenne.
La Chine a une longue tradition confucianiste, où les gens ont une position et un rôle dans la société fixée à leur naissance. L’épanouissement personnel passe après. Les gens du coup sont encouragés à acquérir un statut plus élevé et à faire de l’argent, comme substitut à l’épanouissement. La possibilité d’être créatif est réduite grandement, alors que l’économie mondialisée d’aujourd’hui a besoin de gens créatifs au sens large.
Il y a un milliard de gens ici. Si un certain pourcentage explore et fait ce qu’il aime, ils trouveront des biens et des services pour la culture chinoise et monter une économie locale dont le pays a besoin. Et les hackerspaces peuvent jouer un rôle, en tant que communauté d’entraide où les gens font ce qui leur plait, que cela rapporte ou non de l’argent.
Eric Pan n’a d’ailleurs pas choisi au hasard de monter Maker Faire à Shenzen. Son but était de casser du stéréotype, expliquait-il. Si Shenzen est effectivement la ville où Foxconn, le très controversé sous-traitant d’Apple, elle n’a pas à rougir :
Shenzen est la ville la plus avancée en matière de technologie et de science en Chine, le meilleur endroit pour les start-ups. Il y a deux universités et chaque université, y compris celle de Beijing, a une antenne ici.
In fine, ce développement des hackerspaces est un vecteur de démocratisation, comme le souligne Ricky Ng-Adam :
Ils permettent de tisser des liens entre des groupes de différentes disciplines, classes sociales et âges sur une base égalitaire et axé sur la technologie. Nous pouvons servir d’inspiration pour la création d’une société ouverte et innovatrice.
Facilitateur d’innovation et ferment démocratique : autant de raisons pour que le puissant État chinois suive de près le mouvement. Outre Toyhouse, la province de Shanghai a ainsi annoncé cet automne qu’elle allait soutenir un plan de développement de cent hackerspaces. Ce projet qui doit démarrer en mai prévoit de fournir le matériel aux hackerspaces remplissant certaines conditions : 100 m2 de surface et ouvert au moins deux cents jours par an.
Par définition, l’éthique hacker, où la notion de liberté et de détournement sont fondamentaux, semble difficilement compatible avec des fonds venus du gouvernement, a fortiori d’un État peu réputé pour son penchant pour les libertés fondamentales. Ricky Ng-Adam est dubitatif :
Il est intéressant de constater que la proposition originale se concentre uniquement sur les outils et l’espace physique sans considération pour la communauté – l’aspect qui devrait pourtant primer. Mais si les hackerspaces du gouvernement deviennent réalité un jour et qu’il y a effectivement clivage, il y aura probablement aussi création de règles dédiés à exclure des hackerspaces comme XinCheJian.
Comme tout les aspects de la société, nous sommes à la merci du gouvernement central qui pourra choisir soit d’appuyer à grande échelle une communauté avec un impact positif ou de l’interdire carrément s’ils le perçoivent comme un danger à leur pouvoir.
De fait, le gouvernement chinois a une attitude ambivalente envers les organismes à but non lucratif émanant de la société civile, dont il a à la fois besoin mais qui constituent un terreau contestataire. Des inquiétudes se sont élevées à propos des moyens de pression exercés par l’État pour leur nuire, en particulier financiers. Pour se prémunir, XinCheJian est enregistré comme entreprise. À moins que cette annonce grandiose ne serve surtout les poches des proches du pouvoir, dans un pays où la corruption est galopante.
Des craintes que ne partage pas (officiellement) Hao Zhang, un des organisateurs de Maker Carnival, et un des membres fondateurs Makerspace Beijing. Il est résolument optimiste :
Je ne vois pas d’inconvénient à cela. Si les universités, les entreprises et même des gens peuvent commencer un hackerspace, pourquoi pas le gouvernement ? C’est même mieux si le gouvernement soutient car cela bénéficiera à plus de gens et que le développement sera plus rapide. J’espère que tout le monde pourra faire ce qu’il veut dans le futur, sans faire de mal à d’autres.
C’est la raison principale pour laquelle que j’ai commencé le hack :
la liberté.