Google Books : des fantasmes et des légendes…

Le 15 octobre 2009

Deux mythes tenaces criblent l'actualité et les papiers qui paraissent dans la presse française et étrangère en plein milieu de la foire internationale de Francfort. Le premier est celui de l'invulnérabilité de Google dans son blitz stratégique sur le terrain des livres numériques. Le second est celui de l'inéluctable disparition de l'objet livre tant sous sa forme physique que sous sa forme conceptuelle sous l'effet conjoint de l'apparition d'une variété de dispositifs informatiques de lecture sur écran d'une part, et de la numérisation massive des œuvres littéraires de la planète.

La cadence des coups de théâtre se précipite. L’imaginaire enfle comme le crapaud de la fable et pourrait bien exploser avant d’avoir atteint la taille du bÅ“uf. La presse s’indigne. L’édition mass-market se divise. Les politiques ne savent plus où donner de la tête ou de la pommade. Tout le monde panique. La peur, irrationnelle et viscérale, semble paralyser la raison et laisser libre court aux fantasmes les plus débridés. Elle devient la forge de légendes contemporaines et technophobes.

Deux mythes tenaces criblent l’actualité et les papiers qui paraissent dans la presse française et étrangère en plein milieu de la foire internationale de Francfort. Le premier est celui de l’invulnérabilité de Google dans son blitz stratégique sur le terrain des livres numériques. Le second est celui de l’inéluctable disparition de l’objet livre tant sous sa forme physique que sous sa forme conceptuelle sous l’effet conjoint de l’apparition d’une variété de dispositifs informatiques de lecture sur écran d’une part, et de la numérisation massive des Å“uvres littéraires de la planète.

eagleeyeL’invulnérabilité de Google est une illusion d’optique technophobe entretenue par les marchands de tous poils qui mesurent la force d’une entreprise à la taille de sa surface financière. C’est oublier les cuisantes et récentes disparitions d’entreprises que l’on croyait indestructibles, faites pour durer, immortelles, comme General Motors ou, dans un autre registre, MySpace. Rien ne dure, pas plus Google que les autres entreprises champignons qui fleurissent à l’Automne ou au Printemps de chaque année qui passe.
Comme toutes les entreprises, Google doit faire face à deux ennemis : le calendrier et le chronomètre. Le calendrier lui dicte le rythme auquel l’entreprise doit renouveler son offre sous peine de perdre d’importantes parts de marché. Le chronomètre lui impose les délais toujours plus courts de réaction aux changements planétaires dans les usages, dans les investissements, dans les besoins. Google n’est pas invulnérable, loin de là. Et sa politique de développement tous azimuts, sur des fronts multiples, essuyants échecs comme célébrant victoires, démontre sa soumission au calendrier et au chronomètre.
Google vit sur un concept clé. Ce n’est ni le ranking, ni la multiplicité des services, ni sa capacité d’acquisition des technologies naissantes, ni sur sa masse financière. Google vit sur la simplicité d’accès à l’ensemble de ses usagers. Sa simplicité fait loi. S’il est plus facile de trouver ce que l’on cherche (ou même ce que l’on ne cherchait pas) sur Google que sur un autre service, et bien on ne cherche plus ailleurs. Et Google n’a rien inventé. Avant lui Apple, Microsoft, mais aussi Netscape, AOL ou Yahoo! avaient réalisé exactement la même chose. En simplifiant la vie de l’usager, le succès est au rendez-vous.
Il est donc tout à fait possible de concurrencer Google sur des niches, sur des pans entiers de la connaissance et de l’information où le ranking est caduque, où la masse de documents sature, où la multiplication des services est une nuisance. Twitter est un exemple de cette concurrence possible et il n’est pas le seul. L’invulnérabilité de Google est un mirage entretenu par les perdants, par ceux et celles qui se sont déjà effondrés et dont la vision étroite ne parvient pas à voir la réalité de l’assemblage astucieux mais fragile qui constitue Google.

Le second mythe de l’inéluctable disparition de l’objet livre est une farce. Cette perception rudimentaire du livre comme support versatile et pratique est une fabrication de la culture marketing qui empoisonne notre époque. Le livre, ça n’existe pas. Il n’y a pas le livre, mais des livres. Et leurs formes sont multiples depuis que l’homme s’est doté d’un code pour pouvoir compter et consigner le nombre de têtes de bétail qu’il détenait et pouvoir les négocier avec son voisin. On trouve toutes sortes de livres depuis les origines de l’écriture. Le papier n’est que l’un des nombreux supports développé à travers l’Histoire. Et s’il a gagné en surface et en domination, c’est essentiellement dû à sa propriété d’avoir été longtemps difficile à falsifier et moins coûteux à produire que les autres. Ce qui a favorisé son adoption par les chancelleries et les administrations.
L’objet livre, du point de vue conceptuel, est une idée indestructible. Si le support physique vient à manquer alors le livre se fait homme, au travers de la mémoire d’individus spécialisés qui conservent dans leurs cerveaux l’histoire des leurs, de leurs traditions, de leurs cultures. Toutes les grandes traditions religieuses, philosophiques et culturelles ont été transmises aussi bien oralement par les individus que par leurs écrits. Et même dans des périodes de profondes ténèbres comme notre Histoire en a connues, la transmission du savoir a toujours persistée.  Il n’y a donc aucune chance de voir disparaître l’objet livre avant que l’on ait trouvé le moyen de télécharger notre mémoire dans des supports accessibles à d’autres mémoires ou bien que la technologie nous offre le miracle de la télépathie. Et quand bien même, il nous faudrait des centaines d’années pour transférer le patrimoine d’un support à un autre.
Les livres ne disparaîtront pas demain, ni après-demain. En 6 ans, et au prix d’une politique de numérisation à la Attila le Hun, Google est parvenu à digitaliser 10 millions de titres, dont une majorité de domaines publics, une bonne proportion d’ouvrages orphelins, d’épuisés et une minorité d’ouvrages soumis aux droits de propriété littéraire [tels qu'ils sont pratiqués dans les pays occidentaux]. Le chiffre peut sembler impressionnant, mais il est ridicule face aux centaines de millions de livres publiés par les populations des cinq continents depuis la démocratisation de l’imprimerie ou l’usage du papier. Le nombre d’Å“uvres publiées est tel qu’il est impossible de le chiffrer approximativement. Les 10 millions de bouquins de Google Books, devenu pendant la foire de Francfort Google Edition, ne représentent qu’une maigre part du patrimoine mondial. Ce qui rend caduque le projet de Google Book search et logique sa transformation en librairie en ligne.
Les livres numérisés par Google sont devenus un stock. Et Google s’est retrouvé dans la position de n’importe quel commerçant : comment valoriser et monétiser tout ce stock qui a coûté cher à numériser ? Simple, imiter les autres et devenir une librairie géante. Plutôt que de faire disparaître le livre ou son objet, Google produit l’effet inverse. Il a mis en lumière les défauts majeurs de l’édition mass-market, jeté de la lumière dans les oubliettes des fonds de catalogues et ramené en plein jour tous les squelettes de la gestion du patrimoine savant et littéraire de la planète. Je ne pense pas que cela faisait partie de sa stratégie, mais plutôt d’un effet incontrôlé de la serendipité caractéristique des entreprises qui cherchent…

En développant ce projet de bibliothèque numérique mondiale, Google est devenu la forge d’une mythologie de fin du monde pour de nombreux groupes d’édition. D’autant qu’il a eu le mérite de montrer que face à l’inconnu, la plupart de ceux qui se disent leaders et acteurs du marché ne savent rien inventer de neuf, ni prendre le risque de s’aventurer sur des terres inconnues. Et ils n’ont aucune excuse, car Google n’est pas l’UNESCO, ni une institution culturelle, portées par des deniers publics et sans obligation de résultat. Google est une entreprise capitaliste qui use de toutes les ficelles financières et juridiques pour générer le plus de profit possible pour ses actionnaires.
Ces groupes d’édition crispés sur leurs actifs, sur leurs stocks et sur leurs circuits de distribution, qui jettent des anathèmes, sont également des sociétés commerciales capitalistes. Et plutôt que d’anticiper le marché, que d’avoir développé des offres, que d’avoir projeter les mutations et accompagné les changements, ces mêmes groupes sont maintenant pris dans une tourmente numérique. Et faute d’imagination, ces sociétés produisent des scénarios fantasmatiques et stériles qu’ils tentent de faire relayer par les titres de presse qu’ils contrôlent par le capital ou par la distribution.

Le livre numérique ne signe pas la fin du livre, mais une transformation radicale du métier d’éditeur. Le livre numérique ne condamne pas les libraires au chômage, ni les auteurs au bagne. Au contraire, il ouvre des perspectives nouvelles et affranchit les libraires comme les auteurs de l’esclavage entretenu par une poignée de distributeurs et de diffuseurs. Enfin le livre numérique ne remet pas en question la nature de l’Å“uvre littéraire ou de la littérature savante. Il provoque, comme d’autres inventions avant lui, des aménagements et permet de nouvelles fonctions inédites.
La propagande de crainte et de suspicion entretenue par les gros n’a d’autre but que d’effrayer les petits. Et la question qu’il convient de se poser devant la quantité considérable de fictions que l’on est amené à lire au sujet du livre numérique est : que cache ce discours offensif et apocalyptique ? Qu’essaye-t-on d’occulter derrière le mythe de la fin de la culture ou du monopole du savoir ? La force d’un projet repose sur l’imagination que l’on à mis au service de la créativité et de l’innovation. En revanche la faiblesse d’une position se mesure à l’agressivité avec laquelle on la défend.
C’est vrai : Google n’est pas un saint. Mais ses détracteurs ne sont pas de preux chevaliers défenseurs des veuves et des orphelins.

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