Dangers du Net : la curieuse leçon en uniforme de police

Le 8 mars 2010

Au collège Béranger (Paris, 3°), les élèves ont eu droit à un discours caricatural sur les dangers de l'Internet de la part d'un policier en uniforme. Avec au passage, un rappel sur le piratage et le téléchargement illégal.

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Pédophile s'en prenant à un enfant innocent sur le web. Métaphore à visée didactive. Début XXIè, France de l'ère hadopienne.

Au collège Béranger (Paris, 3°), les élèves ont eu droit à un discours caricatural sur les dangers de l’Internet de la part d’un policier en uniforme. Avec au passage, un rappel sur le piratage et le téléchargement illégal.

“Alors que le réseau a été envahi sans aucune entrave par une criminalité galopante et des marchands souvent peu scrupuleux, les enfants et les adolescents sont en permanence exposés à de graves dangers”.

Roger Gicquel est mort mais la France, que dis-je, le monde continue d’avoir peur. Ou plutôt, on l’incite à avoir peur par ce type de discours anxiogène et déformant, balancé sans le moindre chiffre susceptible de l’étayer. Lire une telle assertion est a fortiori dérangeant quand il émane d’un policier français en uniforme de la “mission de prévention et de communication” du 3° arrondissement de Paris, venu faire la leçon sur les dangers du web dans un établissement scolaire, en l’occurence le collège Béranger.

C’est la mère d’une enfant scolarisée dans cet établissement qui nous a signalé ces faits : “Ma fille m’a rapporté une notice de quatre pages intitulée “Les dangers de l’Internet[le pdf est disponible ici > dangersinternet] ainsi qu’un marque-page “Internet en toute sécurité”. Les collégiens ont reçu ces documents dans le collège et en classe, des mains propres d’un policier (en uniforme) de la police nationale venu leur parler longuement sur ce sujet. C’est la deuxième fois qu’il viennent nous parler de cela en classe, me dit ma fille, une fois en uniforme et une fois sans uniforme.”

Le 25 mars, c’est au tour des parents d’assister, s’ils le souhaitent, à une rencontre au collège avec le policier, pour recevoir à leur tour un petit cours.

Que les jeunes et leurs parents soient sensibilisés aux dangers du web, on ne trouve rien à redire, l’éducation au numérique est un cheval de bataille incontestable. Mais est-ce à des policiers en uniforme de se coller à cette tâche ? Si danger il y a, c’est bien de faciliter l’amalgame web=danger. N’est-ce pas prendre un peu les élèves pour des débiles que de leur tenir un discours aussi caricatural ? Jetons un Å“il au chapitre “sexualité” :
“Beaucoup de sites offrent des photographies et des vidéos qui peuvent choquer, troubler, blesser ou induire en erreur, un enfant ou un adolescent en quête d’informations.”
Alors que le printemps arrive avec ses vapeurs effervescentes de jeunes hormones, on appréciera la pertinence de cette phrase au flou puritain.
Ce n’est pas Internet qui est dangereux, c’est la vie tout court. Créé par l’homme, le web est à son image, comme le monde “réel”. Homophobie, racisme, pédophilie, escroquerie, tout cela n’a pas attendu le web pour pulluler, ce n’est pas Marc Dutroux, Hitler ou Albert Spaggiari qui vous diront le contraire.
Les FAI et les éditeurs de logiciels seront aussi ravis d’apprendre que “les moyens mis à dispositions [par eux] ne doivent pas être négligés” pour encadrer l’activité en ligne de nos chers ados. Pour mémoire, les FAI français viennent de prendre position contre le dispositif de filtrage entériné par la Loppsi2 en pointant son inefficacité.

On pardonnerait la maladresse du propos si un chapitre “piratage et téléchargement illégal” n’était glissé au milieu de tout cela. Ah tiens, je risque un grave traumatisme psychologique ou physique si je télécharge illégalement ? Damned, je vais vite filer chez le médecin alors. Sous couvert de protection des artistes, on nous ressort l’antienne hadopio-loppsienne, dont on a largement expliqué ici les limites (euphémisme). Internet est dangereux, oui pour l’industrie du disque qui n’a pas su s’adapter.

Le meilleur arrive dans la conclusion :

“Cette notice [...] peut vous paraître alarmiste mais les dangers d’Internet sont réels, néanmoins il ne faut pas diaboliser le Web.”

Il y a un truc qui vous échappe ? Nous aussi.

inconnu

Image Nad Renrel sur Flickr

Contactée, la mission prévention et communication du commissariat du 3° arrondissement nous a enjoint de passer par les voies légales classiques, en français intelligible le directeur de cabinet du préfet. Nous avons adressé nos questions ce mercredi le service presse par mail, la procédure habituelle.

Quant au proviseur du collège Béranger, Mme Civiale, elle explique, et on ne doute pas de sa bonne foi ni de ses intentions louables, avoir fait cela à la demande des parents, en concertation avec le CECS (comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté), qui réunit parents, élèves. Ils auront été (mal) servis.

Pour vous remettre, (re)lisez  l’analyse vivifiante de danah boyd sur Chatroulette, stigmatisant cette peur de l’inconnu véhiculée par les tenants de l’équation web = nid à dangers.
> Image de Une par Arthur40A sur Flickr

> MAJ: Marc Rees pour PCimpact revient sur le premier billet de Sabine, à propos de cette “folle campagne”.
> Article mis à jour le 11/03, suite au mail envoyé au service de presse de la préfecture de police de Paris

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