Les pratiques amateurs en astronomie

Le 3 janvier 2011

L’astronomie amateur est plus qu'un simple loisir. Elle est même souvent créative et s’inscrit dans le même mouvement de curiosité et de recherche que l’astronomie institutionnelle. Brève histoire et quelques exemples de cette pratique.

Lors d’une session récente de son séminaire Esthétique de l’image numérique, André Gunthert est revenu sur la question des pratiques amateurs à propos de la parution du livre de Patrice Flichy Le sacre de l’amateur: sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique.

Les lecteurs de Culture Visuelle connaissent bien le terme amateurs. Sur cette plate-forme de blogs, il signifie pratiquement toujours photographes amateurs et se comprend de fait en rapport (et parfois en rivalité) à la photographie professionnelle. Mais le champ couvert par les pratiques amateurs est évidemment bien plus vaste, même si l’on se limite aux activités dites « de loisir » impactées par les technologies numériques1 .

En examinant cette question d’un point de vue historique, André Gunthert identifie plusieurs domaines où l’amateurisme s’est développé bien avant de se transformer en un système alliant reconnaissance académique et professionnalisation. Il s’agit en particulier de l’amateur d’art et du rôle de l’accumulation ostentatoire des œuvres pratiquée par les rois et princes. De la même manière, l’activité des savants n’a pu se développer que parce que ceux-ci étaient alors protégés et financés par ces mêmes puissants personnages, qui étaient également amateurs de science. Mais à côté de ce mécénat artistique et scientifique, certains savants de premier plan furent engagés par ailleurs dans une activité lucrative quelconque et pratiquaient les sciences presque « comme un loisir ». Au XVIIeme siècle, la vie et l’œuvre de Pierre de Fermat, « prince des amateurs »2 , sont à cet égard emblématiques.

Avec la professionnalisation et l’institutionnalisation des sciences, il semble qu’il n’y ait plus guère de place pour ces amateurs de science éclairés et inventifs. Les sciences sont devenus bien trop complexes et spécialisées pour qu’il soit possible pour un amateur de s’y intéresser autrement qu’en spectateur. La figure de l’amateur de sciences dans le meilleur des cas serait alors celle d’un érudit ou d’un praticien approximatif de telle ou telle discipline pour laquelle il se passionne. Mais le chercheur professionnel moderne ne peut pas lui reconnaître le niveau requis pour « faire de la vraie science ». Il existerait ainsi deux continents : les véritables scientifiques qui participent de manière active à l’avancement d’un savoir et les amateurs qui ne peuvent prétendre qu’à une compréhension vulgarisée, ludique et simplifiée de ce savoir et sont alors rangés dans le rayon des « loisirs créatifs » au côté des férus du point de croix. Au mieux, on reconnaîtra dans certaines disciplines où des moyens techniques considérables ne sont pas toujours indispensables, que des autodidactes de génie puissent rivaliser ou même dépasser les professionnels. Ils sont alors, en règle générale, rapidement intégrés au système académique classique; le cas du mathématicien Ramanujan vient ici immédiatement à l’esprit.

Les pratiques amateurs dans les sciences seraient donc de facto incommensurables avec celles que l’on connait en photographie où l’on sait qu’elles sont parfois comparables sur le plan des techniques et des résultats aux pratiques professionnelles. Examinons de plus près cette idée à propos d’une discipline, l’astronomie, où d’ailleurs nous rencontrerons à nouveau la photographie.

La grande nébuleuse d'Orion (M42), par Thomas Shahan. Flickr, licence CC.

L’astronomie amateur

Plus encore peut-être que l’expression photographie amateur, la locution astronomie amateur est devenue consacrée. Elle forme un tout indissociable pour les protagonistes de l’activité. Le terme amateur n’est jamais considéré comme péjoratif, ce n’est pas le signe d’un manque par rapport à l’astronomie professionnelle. Les praticiens de la discipline se désignent d’ailleurs de plus en plus souvent par l’abréviation astram.

C’est un vocable similaire comportant le mot amateur qui est utilisé dans la plupart des langues européennes. Au États-Unis, on emploie aussi les expressions backyard astronomy (l’astronomie chez soi) et stargazing lorsque l’on ne s’intéresse pas à l’activité de construction des instruments qui fait partie intégrante de l’amateur astronomy.

Une brève histoire de l’astronomie amateur en France

Il existe en France une longue tradition de l’astronomie populaire. Elle remonte à trois ouvrages majeurs : le Traité philosophique d’astronomie populaire d’Auguste Comte (1844), l’Astronomie Populaire de François Arago – édition posthume (1854) par Jean-Augustin Barral, et enfin l’Astronomie Populaire de Camille Flammarion (1880)3 . Ces livres s’inscrivent certes dans le remarquable développement de la vulgarisation scientifique au cours du XIXème siècle4 , mais dans le cas de l’astronomie, ils ont aussi leur origine dans une véritable politique scientifique.

Le rapport du 7 messidor an III (25 juin 1795) rédigé par l’abbé Grégoire crée le Bureau des Longitudes. Le texte précise: « Ce Bureau fera, chaque année, un cours public d’Astronomie ». Il s’agissait grâce à ce cours de commencer à former de futurs observateurs et calculateurs pour remplir les missions dévolues au Bureau, en premier lieu améliorer la détermination des longitudes en mer – tâche évidemment très importante à l’époque tant du point de vue militaire que civil.

L’ouvrage d’Arago, en quatre volumes, est la transcription de ce cours oral public donné à l’Observatoire de Paris de 1812 à 1840 et qui rencontre un très grand succès au long de ces années. Arago veut être élémentaire et clair, il utilise dans son texte très peu de mathématiques. Mais son cours demeure un ouvrage de savant, didactique, précis et sans fioritures.

La version que donne Flammarion de l’astronomie populaire est bien différente. Son ouvrage est certes dédié à Arago, « fondateur de l’Astronomie populaire », mais son style tout en digressions romantiques n’a rien à voir avec celui du célèbre astronome.

À cette époque, un rapport précise que les observatoires d’État sont minoritaires dans les pays anglo-saxons du fait de l’importance des observatoires privés et universitaires5 . En France également, des observatoires privés font leur apparition. Ainsi, Flammarion n’est pas un astronome institutionnel. C’est un savant « indépendant ». Chassé de l’Observatoire de Paris par Le Verrier alors qu’il était apprenti, il a manifesté toute sa vie une certaine défiance envers la science académique tout en conservant de bons rapports avec de nombreux astronomes institutionnels. Il était en fait très soucieux de la légitimité scientifique de ses différentes activités, en astronomie comme dans les autres disciplines qu’il a abordé (dont le spiritisme). Le succès de son ouvrage majeur lui permettra de développer son observatoire privé à Juvisy-sur-Orge où il entreprendra entre autres travaux de nombreuses expériences de photographie astronomique.

Dès l’édition de 1880, l’Astronomie Populaire mentionne l’astronome amateur ou l’amateur d’astronomie. La figure de l’astronome amateur apparaît bien à cette époque et très probablement chez Flammarion. Elle s’est ensuite diffusée dans la culture populaire à travers différents canaux dont la littérature. En 1877 par exemple, le professeur Palmyrin Rosette du roman Hector Servadac de Jules Verne est encore un astronome autodidacte, probablement inspiré d’ailleurs par Flammarion lui-même. Plus tard, en 1901, ce sont explicitement des astronomes amateurs que le même auteur met en scène dans La chasse au météore.

Car « pratiquer et faire pratiquer l’astronomie est l’objectif, l’obsession de Flammarion »6 .  Il fonde en 1887 la Société Astronomique de France (SAF), diffuse la revue associée L’Astronomie, et crée ensuite un véritable réseau international d’astronomes amateurs, parallèle à celui de l’astronomie académique.

La SAF est ouverte à tous, professionnels comme amateurs, et cela mérite d’être souligné à propos d’une « société savante ». Tous les présidents de la SAF qui se sont succédés sont néanmoins des astronomes professionnels, membres de l’Institut, et la grande majorité des articles de la revue sont écrits par des professionnels. D’une certaine manière, cela légitime la place des amateurs tout en les infériorisant.

Le « creuset unique » rassemblant amateurs et professionnels est demeuré longtemps l’une des caractéristiques les plus originales de ce milieu, et de nombreux astronomes professionnels ont commencé par être amateurs et membres actifs de la SAF7 .

Sur le plan institutionnel également et jusqu’aux années cinquante environ, les amateurs sont parfois sollicités dans certains observatoires de façon à assurer au moindre coût un certain nombre de tâches routinières8 .

L’Astronomie populaire de Flammarion a été entièrement réécrite en 1955 sous la direction d’André Danjon et d’un comité de professionnels. À cette occasion, l’ouvrage a totalement perdu son esprit romantique teinté d’un positivisme suranné. Il est cependant demeuré l’un des meilleurs ouvrages d’initiation à cette science. Ce livre a incontestablement formé sous ses différentes éditions de nombreux astronomes amateurs et suscité la vocation de plusieurs professionnels.

Mais avant cette refonte du livre phare de Flammarion, d’autres auteurs ont publié des ouvrages de vulgarisation. Les plus importants furent sans doute Lucien Rudaux, qui fut aussi un artiste dont le travail préfigure celui de Chesley Bonestell, et l’abbé Moreux.

En décembre 1945, Pierre Bourge, un jeune astronome amateur, crée la Société Astronomique de Normandie et la revue Le Ciel Normand. L’année suivante, il fonde avec Jean Chauvet l’Association Française d’Astronomie Éducative, cette fois à vocation nationale, qui deviendra un peu plus tard l’Association Française d’Astronomie (AFA). L’association publie une revue qui changera plusieurs fois de nom et s’appelle maintenant Ciel et Espace.

En 1969, Pierre Bourge publie avec Jean Lacroux un guide intitulé A l’affût des étoiles – Guide pratique de l’astronome amateur. Ce livre qui en est actuellement à sa seizième édition a contribué à la formation de nombreux amateurs.

L’objectif de l’AFA est de regrouper les amateurs et de les aider directement et concrètement dans la pratique de leur passion. À travers les stages qu’elle propose et dans son magazine, l’AFA se veut beaucoup plus pragmatique que la SAF et ne propose pas de contenus théoriques ardus ou sous forme mathématique. De nombreux articles sont ainsi consacrés à la construction artisanale d’un télescope, activité « de bricolage » indispensable à une époque où les optiques professionnelles et les montures industrielles étaient hors de portée des amateurs. Des techniques d’observation et d’astrophotographie relativement faciles à mettre en œuvre sont aussi largement décrites.

Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la SAF est ainsi perçue comme une société un peu élitiste, dispensant une vulgarisation de haut niveau en astronomie et astrophysique, tandis que l’AFA regroupe les amateurs préoccupés par la fabrication de leurs instruments et leur optimisation à des fins d’observation directe ou photographique. De nombreux amateurs sont toutefois membres des deux sociétés, et la SAF ne se coupera jamais de sa « base amateur », demeurant ainsi fidèle à l’esprit de Flammarion. Elle répondra aussi de façon exemplaire aux amateurs engagés dans la fabrication de leur instrument en publiant en 1961 le livre La construction du télescope amateur par Jean Texereau9 , ouvrage devenu un classique dans ce milieu.

Du côté des professionnels, la Société française d’astronomie et d’astrophysique (anciennement appelée Société Française des Spécialistes d’Astronomie) est fondée en 1978 par Évry Schatzman. Comme son nom initial l’indique, elle n’est pas ouverte statutairement au monde de l’astronomie amateur.

Le développement de l’astronomie amateur au niveau mondial durant les années soixante-dix, stimulé par la médiatisation de la conquête spatiale, a incité l’édition à publier plusieurs livres de vulgarisation. Ces ouvrages étaient souvent écrits par des astronomes professionnels dans un esprit pédagogique mais ils étaient la plupart du temps très succincts et parfois même condescendants envers les pratiques amateurs. C’est à cette époque également que plusieurs entreprises japonaises et américaines s’intéressent réellement à ce marché et proposent des lunettes et télescopes enfin accessibles aux non professionnels. Deux tendances se manifestent alors parmi les astronomes amateurs. Certains estiment que la construction d’un instrument n’est désormais plus du ressort de l’amateur. Celui-ci d’après eux ne construit pas plus son télescope que l’automobiliste ne fabrique sa voiture. D’autres au contraire défendent un point de vue bien différent – que l’on qualifierait maintenant de hacker – selon lequel la maîtrise de la construction fait partie intégrante de l’amateurisme et constitue une formation très importante aux techniques d’observation, en particulier pour la photographie astronomique qui nécessite une bonne connaissance des caractéristiques optiques de son instrument.

Ce clivage est l’une des causes d’un changement d’orientation important de l’AFA. Les anciens dirigeants de l’association sont remplacés en 1981 par une nouvelle génération issue du monde de la communication. Le fondateur « historique », Pierre Bourge, est évincé. La revue Ciel et Espace devient un magazine scientifique grand public et s’ouvre largement aux sujets astronautiques. Elle parle de moins en moins d’astronomes amateurs, locution souvent remplacée par passionnés d’astronomie et d’espace. La ligne éditoriale est celle d’un magazine éducatif, axé sur la dimension culturelle de la discipline. Les aspects pratiques et actifs de l’astronomie, les techniques photographiques des amateurs, leur implication dans certains programmes de recherche accessibles, sont moins présents qu’auparavant. Une agence de photos astronomiques est créée10 , l’association participe à des initiatives en direction de l’éducation, l’un de ses dirigeants, Alain Cirou, devient consultant auprès de la télévision pour les questions spatiales ou astronomiques. Au final, les astronomes amateurs les plus avancés ne se sont guère retrouvés dans cette nouvelle orientation.

Quelques associations plus spécialisées comme l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes ont aussi vu le jour. Mais surtout, les clubs d’astronomie locaux et régionaux qui existaient déjà au temps de Flammarion se sont beaucoup développés. Une grande part de la formation théorique et pratique des amateurs s’effectue actuellement dans ces groupements plutôt qu’à travers les deux grandes associations nationales que sont la SAF et l’AFA et leurs magazines respectifs. En parallèle, une presse autonome, dirigée vers les amateurs et non liée à des associations, a fait son apparition. Les titres les plus connus sont Astronomie Magazine, créé en 1999, qui s’annonce comme « la revue des astronomes amateurs » et AstroSurf Magazine créé en 2003. Ces revues reprennent assez nettement une orientation hacking, bricolage, techniques d’observation et de photographie, recherche amateur, etc. un peu délaissée par les magazines « historiques » liés aux associations.

Pour terminer ce rapide panorama, on doit relever enfin que de très nombreux sites, forums et blogs d’astronomie amateur se sont créés sur le Web11 . Les astronomes amateurs qui sont bien souvent également compétents en informatique sont à l’aise avec Internet qui est devenu leur média favori. Le développement d’Internet et des technologies numériques dans la photographie astronomique mais aussi pour le guidage des instruments et le repérage des objets observés constituent sans nul doute de nouveaux champs d’application de cet esprit inventif qui caractérise l’astronomie amateur.

La nébuleuse du Lagon (M8), par Fred Locklear. Flickr, licence CC.

Quelques pratiques de l’astronomie amateur

L’astronomie amateur peut constituer un loisir passif, contemplatif. Mais elle est aussi souvent créative, et pas seulement au sens limité et un peu désuet que l’on donne habituellement à cet adjectif lorsque l’on évoque les loisirs. Avec des moyens qui lui sont propres et même si ses résultats demeurent modestes, elle s’inscrit dans le même mouvement de curiosité et de recherche que l’astronomie institutionnelle. Quelques exemples nous aideront à comprendre cette caractéristique.

Construction, bricolage, hacking

L’apparition d’instruments d’observation à prix abordables a réduit considérablement le nombre d’amateurs qui taillent leurs miroirs et construisent leurs télescopes. Désormais, la plupart des astronomes amateurs utilise des lunettes et télescopes fabriqués par des entreprises spécialisées. Mais de nombreuses personnalisations des outils d’observation nécessitent bien souvent des talents de bricolage en optique, mécanique, électronique et informatique. L’adaptation de dispositifs parfois complexes, le souci de tirer parti au mieux des équipements, le souhait de mener à bien telle observation difficile ou de réaliser telle photographie délicate conduisent souvent les amateurs avancés à mettre en œuvre des solutions ingénieuses. Ainsi, c’est un amateur, John Dobson, qui a mis au point la monture actuellement utilisée sur de nombreux télescopes et qui permet d’accéder à des tailles d’instruments auparavant réservées aux professionnels.

Beaucoup d’amateurs utilisent aussi des techniques qui ne leur étaient pas accessibles jadis comme la spectroscopie. Certains se sont même lancés dans la radioastronomie et il existe des associations regroupant ces observateurs de l’invisible (ici et là). De même, plusieurs amateurs ont développé l’informatisation de leurs installations jusqu’à réaliser de véritables observatoires entièrement robotisés.

Astrophotographie

L’astrophotographie est pratiquée depuis longtemps par les amateurs et les images produites sont partagées et discutées par les passionnés. Flickr compte ainsi plus de 1000 groupes sur l’astronomie et près de 500 sur l’astrophotographie. Mais les techniques utilisées, argentiques d’abord et maintenant numériques, ne servent pas seulement à réaliser de belles photos. La photographie astronomique permet aussi grâce à de longs temps de pose12 d’enregistrer la présence d’objets inaccessibles à l’observation visuelle. À l’instar de son utilisation par les professionnels, c’est aussi avec cet objectif de découverte que l’astrophotographie est extrêmement populaire chez les amateurs.

De nombreux articles publiés dans les revues mentionnées précédemment, des livres, des stages, et surtout des études et informations disponibles sur le web – comme celles proposées par l’association Astro Images Processing créée en 2009 – permettent à l’amateur de se former aux techniques en question.

Surveillance et recherche d’objets

La surveillance d’objets instables et la recherche d’objets inconnus sont les deux domaines de prédilection où l’astronomie amateur aide l’astronomie institutionnelle.

Ainsi, les amateurs sont engagés depuis fort longtemps dans la surveillance et la mesure de la luminosité des étoiles variables. L’Association Française des Observateurs d’Étoiles Variables (AFOEV) a été fondée en 1921 et rassemble des observateurs professionnels et amateurs. La coopération entre les deux communautés est d’ailleurs inscrite dans les statuts de l’association.

La recherche d’objets nouveaux est aussi l’un des terrains où les amateurs peuvent exercer leurs talents. L’une des activités de ce type parmi les plus connue est la recherche de comètes. Chaque année en effet quelques-unes sont découvertes par des amateurs comme on peut s’en rendre compte sur ces statistiques13 . Le prix Edgar Wilson a d’ailleurs été institué en 1998 par l’Union Astronomique Internationale, l’organisation qui coordonne les travaux des astronomes au niveau mondial, afin de stimuler ces recherches effectuées par des amateurs.

Il existe d’autres niches de l’observation de recherche occupées par les amateurs : détection de novae et de supernovae (exemples ici ou là), chasse aux amas stellaires inconnus, aux nébuleuses planétaires (exemple ici), aux exoplanètes (exemple ici), etc.

On pourrait croire que les amateurs mis à contribution dans ces travaux de surveillance et recherche sont considérés par les professionnels comme des soutiers de l’astronomie, une sorte de main d’œuvre gratuite, tolérée seulement parce que la tâche est immense et ingrate. Les quelques témoignages que nous avons pu lire et l’existence d’associations comme l’AFOEV où la « mixité » entre les deux populations d’astronomes est de règle ne montrent pas cet état d’esprit.

Calcul distribué et crowdsourcing

L’astronomie demeure donc l’une des rares sciences où les amateurs peuvent encore produire des données d’observation utiles aux professionnels. Avec le développement d’Internet, d’autres projets qui font appel aux amateurs sont apparus. La plupart de ceux-ci reposent sur le calcul distribué. Le plus connu est SETI@home, développement du projet SETI de recherche d’une intelligence extraterrestre. On trouvera des listes d’autres initiatives basées sur le calcul distribué sur BOINC et Zooniverse.

Ces projets de volunteer computing ne nécessitent en réalité aucune connaissance en astronomie (ou dans toute autre science comme les mathématiques où de telles initiatives sont assez nombreuses). Il suffit pour le participant de s’intéresser à un sujet proposé et d’installer un logiciel qui effectue tout le travail. Nombre de tels projets s’inscrivent dans un mouvement plus large de « science citoyenne »14 dont l’ambition est d’impliquer le grand public dans la recherche scientifique.

De véritables projets collaboratifs qui nécessitent une [toute petite] expertise de la part du participant sont également apparus plus récemment. On peut citer parmi ces travaux de crowdsourcing scientifique, la classification de plus d’un million de galaxies avec Galaxy Zoo et la recherche d’exoplanètes avec Planet Hunters.

Nébuleuse planétaire OU1 découverte par l'astronome amateur Nicolas Outters.

Pour une socio-épistémologie des pratiques amateurs

Les amateurs ne sont pas en concurrence avec les astronomes professionnels. Ils ne sont pas organisés à cette fin et savent pertinemment qu’ils ne possèdent pas les compétences et les moyens nécessaires pour mener de véritables travaux de haut niveau. Ils ne développent pas non plus une manière alternative d’effectuer des recherches dans cette science.

Bien que de nombreuses activités en direction du grand public et certains articles de revues puissent le laisser penser, l’astronomie amateur n’est pas non plus assimilable à la vulgarisation scientifique. Les amateurs savent qu’ils pratiquent un loisir culturel, mais pour la plupart d’entre eux, il s’agit plus que de « comprendre » le ciel, les astres, l’univers; c’est pour eux un ensemble de pratiques actives stimulées par le goût de la découverte et dont nous avons donné ci-dessus quelques exemples.

Coincée entre l’astronomie institutionnelle, la vulgarisation scientifique, les loisirs culturels, l’astronomie amateur n’est cependant pas réductible aux seules caractéristiques sociologiques que l’on peut tirer de sa pratique, de ses modes de fonctionnement, de ses instances (associations, clubs), de ses productions (photos, livres, magazines, webs, blogs, crowdsourcing, etc.).

L’astronomie amateur est-elle une astronomie « en miniature » ? La construction ou la mise en œuvre d’un dispositif d’observation de taille modeste à l’échelle professionnelle ainsi que l’utilisation de méthodes qui demeurent relativement simples au regard de ce qui est pratiqué dans la discipline institutionnelle pourraient autoriser la comparaison avec le modélisme. Cette assimilation déplait en général fortement aux amateurs. Ils défendent plutôt l’idée que les amateurs et les professionnels poursuivent grosso modo les mêmes objectifs mais à l’aide de moyens différents.

Il existe de véritables enquêtes sociologiques concernant les photographes amateurs15 ; il ne semble pas par contre que de tels travaux concernant les astronomes amateurs aient été réalisés. Une telle enquête en tout cas devrait s’adresser à la fois aux astronomes amateurs et aux professionnels et s’intéresser à la perception des pratiques amateurs par chacune des communautés. Elle devrait chercher à comprendre la conception que les deux populations se font de leurs savoirs respectifs. Autrement dit, une véritable étude concernant le statut socio-épistémologique des pratiques amateurs mériterait d’être conduite auprès des astronomes amateurs et professionnels.

>> Article initialement publié sur Culture Visuelle

>> Illustration FlickR CC : write_adam

  1. Cf. par exemple les présentations et bibliographies du séminaire Politiques et technologies de l’amateur dirigé par Laurence Allard de novembre 2008 à juin 2009. []
  2. Denis Guedj, Le théorème du perroquet, Paris: Seuil, 1998, chap. 18. []
  3. Voir aussi Anne-Gaëlle Weber, Genres littéraires et révolutions scientifiques au XIXe siècle : l’exemple des astronomies populaires, Revue de littérature comparée 2009/4 (n° 332). []
  4. cf. Bernadette Bensaude-Vincent : Un public pour la science : l’essor de la vulgarisation au XIXe siècle, Réseaux n° 58 CNET, 1993. []
  5. Enquête de Rayet et André publiée de 1874 à 1881. []
  6. Bernadette Bensaude-Vincent, Camille Flammarion : prestige de la science populaire. In: Romantisme, 1989, n°65. Sciences pour tous. pp. 93-104. []
  7. On peut citer ainsi Fernand Baldet, président de la SAF durant l’Occupation, qui fut d’abord bijoutier, Henri Bigay, Charles Fehrenbach, Gérard de Vaucouleurs, etc. []
  8. « On retrouve aussi dans les organigrammes, des personnels engagés à titre «provisoire » qui exécutent des travaux de service sans contrepartie financière. Souvent enrôlés dans les services de nuit, ils assistent les observateurs sans réclamer leur part ; amateurs d’astronomie, ils considèrent que le simple accompagnement d’un authentique astronome constitue en soi une récompense. ». Arnaud Saint-Martin, Un spectre hante l’observatoire: le statut paradoxal des auxiliaires, Carnets de bord n° 11, septembre 2006, p. 43. Cet article est par ailleurs très intéressant sur la division du travail et le statut des femmes dans l’astronomie. []
  9. L’auteur était ingénieur opticien. De nombreux perfectionnements des instruments astronomiques sont dus à des opticiens qui étaient également astronomes amateurs et sont parfois devenus professionnels. Citons par exemple les frères Henry, à l’origine de la première Carte du ciel photographique, Dmitri Maksutov, André Couder. []
  10. Ciel et Espace Photos, également distribuée sur le portail PixPalace. []
  11. Astrosurf.com par exemple en héberge plus de 3500. []
  12. D’où la nécessité de systèmes de refroidissement régulé pour les capteurs CCD astronomiques adaptés à la photographie du ciel profond. []
  13. Même après l’apparition d’instruments spécialisés embarqués sur des sondes spatiales qui effectuent d’impressionnantes moissons de comètes, ce score qui peut paraître modeste reste honorable car les objets en question ne sont pas du même type. []
  14. Voir aussi The Society For Amateur Scientists. []
  15. Le travail de Sylvain Maresca que l’on peut suivre sur son blog La vie sociale des images est à ce sujet exemplaire. []

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